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Date : 20141203


Dossier : IMM-1389-14

Référence : 2014 CF 1165

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2014

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

PRATHEEPAN SOMASUNDARAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 10 janvier 2014 par laquelle une agente principale d’immigration (agente) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a rejeté la demande de résidence permanente présentée au Canada et fondée sur des motifs d’ordre humanitaires en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

Contexte

[2]               Le demandeur, âgé de 34 ans, est un citoyen du Sri Lanka et d’origine tamoul. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu le 15 novembre 2011 que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR, respectivement.     La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR le 15 mars 2012.

[3]               Le 23 mai 2012, le demandeur a présenté une demandé d’exemption de l’application des exigences relatives à la résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaires; cette demande a été rejetée le 10 janvier 2014 et, le 6 mars 2014, le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable (IMM-1389-14).    

[4]               Le 17 décembre 2012, le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), laquelle a été rejetée le 10 janvier 2014. Le 6 mars 2014, il a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue à l’égard de sa demande d’ERAR (IMM-1390-14).

[5]               Le 4 septembre 2014, les demandes de contrôle judiciaire des décisions rendues à l’égard de la demande d’ERAR et de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires ont été entendues ensemble par la Cour fédérale. Voici comment a été tranchée la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires.

Décision faisant l’objet du contrôle

[6]               Conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR, le demandeur a demandé d’être exempté de l’exigence selon laquelle les étrangers doivent demander un visa de résident permanent lorsqu’ils se trouvent hors du Canada. Cette exigence peut être levée si le ministre estime que « des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient » (LIPR, paragr. 25(1)). La demande fondée sur les motifs d’ordre humanitaire a été examinée en fonction du degré d’établissement du demandeur au Canada, du fait qu’en tant que Tamoul il subirait un préjudice s’il retournait au Sri Lanka, de son intérêt pour le christianisme et de l’absence d’établissement au Sri Lanka.

[7]               Lorsqu’il a étudié les difficultés auxquelles se heurterait le demandeur sur le plan du risque, du préjudice et des conditions défavorables dans son pays, l’agente a noté qu’à l’époque de l’audition de sa demande d’asile, le demandeur avait prétendu s’être rendu en Inde en 1991 avec sa mère et deux frères et sœurs. Sa mère et deux de ses frères et sœurs sont retournés au Sri Lanka en 2000, mais le demandeur est resté en Inde jusqu’en 2005, année où il a obtenu son diplôme universitaire de premier cycle. Il a prétendu qu’à son retour au Sri Lanka, en 2005, la police la mis en détention et l’a torturé pendant deux jours le soupçonnant de faire partie des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Il a été relâché après qu’un pot‑de‑vin a été versé. En avril ou en mai 2006, il est retourné en Inde pour recevoir son diplôme et est reparti au Sri Lanka. Un mois plus tard, il partait pour le Royaume‑­Uni en tant qu’étudiant. En novembre 2010, son visa d’étudiant britannique n’ayant pas été renouvelé, il a pris des dispositions pour s’en aller au Canada, où il est arrivé le 13 décembre 2010.

[8]               L’agente a constaté que la SPR avait conclu que le facteur déterminant dans la demande d’asile du demandeur était la crédibilité, y compris l’absence de crainte subjective. La SPR n’a pas cru que le demandeur avait été interrogé parce qu’il était soupçonné de participer aux activités des TLET à l’étranger, ni qu’il serait soupçonné de pareille chose à l’avenir. La SPR a fait remarquer à l’égard de cette absence de crainte subjective que le demandeur n’avait pas expliqué de façon satisfaisante la raison pour laquelle il n’avait pas demandé l’asile ni au Royaume-Uni ni en France, où il avait déjà séjourné, ni pourquoi, après avoir été chercher son diplôme en Inde, il était retourné au Sri Lanka en 2006 en dépit des tortures qu’il avaient subies en 2005.

[9]               L’agente a noté que le demandeur a déclaré à la SPR qu’en 2009 et en 2010, sa mère avait été victime d’extorsion de la part du Parti démocratique populaire de l’Eelam et du groupe Karuna sous prétexte que, durant leur séjour à l’étranger, ses frères et lui‑même avaient participé aux activités des TLET, mais la SPR ne l’a pas cru. La SPR a également conclu que le profil politique du demandeur ne risquait pas de causer des problèmes s’il devait retourner au Sri Lanka où il serait exposé à un risque généralisé. 

[10]            L’agente a déclaré que le demandeur craignait toujours de retourner au Sri Lanka pour les mêmes raisons qu’il avait données lors de l’audition de sa demande d’asile, à savoir le risque de détention et de préjudice dès son retour. L’agente a également déclaré que le demandeur avait produit des rapports sur la situation dans le pays pour appuyer l’argument qu’il éprouverait des difficultés attribuables à la discrimination ou aux conditions défavorables dans le pays s’il retournait au Sri Lanka. Toutefois, l’agente a conclu que ces documents n’établissaient pas que le demandeur serait exposé à des difficultés en raison de son profil s’il retournait au Sri Lanka.

[11]           L’agente a également examiné une lettre de la mère du demandeur, lettre à laquelle elle n’a attribué que peu de poids, une copie du certificat de décès de la grand‑mère du demandeur, qui n’avait rien à voir avec les prétendues difficultés selon l’agente, une déclaration solennelle de Patricia Watts, une assistante judiciaire et travailleuse sociale au bureau du conseil du demandeur, déclaration qui, selon l’agente, n’était pas étayée par des preuves objectives et qui n’établissait pas que la déposante avait une connaissance particulière des conditions en vigueur au Sri Lanka, ainsi qu’une décision relative à l’ERAR d’un autre ressortissant sri-lankais, au sujet duquel l’agente a fait remarquer qu’il était impossible de conclure que le profil correspondait à celui du demandeur.

[12]           L’agente a aussi fait remarquer que dans son examen, elle avait pris en considération les éléments de preuve publics les plus actuels au sujet des conditions dans le pays et les problèmes relatifs aux droits de la personne au Sri Lanka, mais que la prétention du demandeur selon laquelle il serait exposé à des difficultés dès son retour au Sri Lanka, non accompagnée d’éléments de preuve probants et objectifs, n’a pas atténué les préoccupations de la SPR relatives à la crédibilité. Mise à part l’origine tamoule du demandeur, la preuve n’établissait pas qu’il serait exposé à ces difficultés. Par ailleurs, l’agente a conclu que l’information fournie par le demandeur ne corroborait pas l’allégation qu’il subirait personnellement des conséquences directes de la discrimination, notamment en raison de sa pratique de la foi chrétienne, ou des conditions défavorables dans le pays qui ne pouvaient être améliorées, et que les difficultés liées au risque ou au préjudice qu’il éprouverait à son retour au Sri Lanka n’étaient ni inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

[13]           Quant à la demande d’asile fondée sur le degré d’établissement au Canada, l’agente a examiné ses antécédents de travail et l’information selon laquelle il avait des ressources financières au Canada, payait ses impôts et participait à la vie communautaire en faisant du bénévolat et en participant à des activités religieuses, ainsi que des lettres de soutien favorables au demandeur, mais elle a fait remarquer que la question n’était pas de savoir si le demandeur apporterait vraiment une contribution positive à la collectivité canadienne.

[14]           L’agente a aussi relevé que le demandeur avait deux frères au Canada qui souhaitaient qu’il reste au Canada et qui avaient fourni des lettres à cet effet. Le plus jeune, Thayaparan, avait écrit qu’il souffrait d’un trouble dépressif majeur, qu’il avait le diabète et de l’hypertension. Il était incapable de travailler et recevait une aide financière dans le cadre du programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH). Il vivait avec le demandeur qui l’aidait à cuisiner et à faire le  ménage et qui l’emmenait à ses rendez-vous médicaux.

[15]            L’agente a fait remarquer que le frère cadet avait signalé qu’il ne pouvait compter sur l’aide de personne d’autre et que son état de santé s’était considérablement amélioré depuis que le demandeur s’était installé chez lui. Dans ses observations, le demandeur avait également mentionné l’insuffisance des soins à domicile offerts en Ontario. Toutefois, aucun document n’établissait que pareils soins avaient été refusés à Thayaparan ou que son frère aîné ou d’autres membres de la famille ne voulaient ou ne pouvaient prendre soin de lui. L’agente a également mis en doute l’étendue des soins réellement requis, vu les deux emplois qu’occupait le demandeur et les autres activités auxquelles il s’adonnait. 

[16]           Quant à l’observation du demandeur voulant qu’il envoyait de l’argent à sa mère au Sri Lanka, l’agente a conclu que le demandeur n’avait produit aucun élément de preuve établissant que ses autres frères ne pouvaient ou ne voulaient pas fournir ce type d’aide ou que la mère ne pouvait pas se passer de cette aide financière pour vivre.

[17]           L’agente a conclu que la preuve n’étayait pas l’affirmation selon laquelle le demandeur s’était établi au Canada dans une mesure telle que rompre ses liens avec ce pays lui causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

Questions à trancher

[18]           Le demandeur a avancé dans un premier temps que l’agente avait commis une erreur de droit dans son interprétation de la portée du pouvoir discrétionnaire que lui accordait la loi. Plus particulièrement, il a fait valoir que l’agente avait cherché à personnaliser le critère des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées et à l’élever au niveau de la persécution, et que cette « personnalisation » débordait l’article 97 d’une façon non étayée par l’article 25. Il a de plus souligné que les motifs d’ordre humanitaire devaient être considérés d’une manière plus générale (Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] DSAI no 1).

[19]           Cependant, vu le jugement qu’a récemment rendu la Cour d’appel fédérale dans Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113 [Kanthasamy], le conseil du demandeur a fait remarquer que la Cour ne devait se prononcer en l’espèce que sur le caractère raisonnable de la décision, y compris la pertinence des motifs de l’agente.

[20]           Par conséquent, la seule question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si la décision de l’agente était raisonnable.

Norme de contrôle

[21]           La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé la nécessité d’appliquer une norme de contrôle lors de l’examen d’une décision prise par un agent en application du paragraphe 25(1) de la LIPR. Cela vaut aussi pour l’analyse de l’interprétation que l’agent a faite de l’article 25 et du critère ou des principes juridiques à appliquer dans l’examen des décisions relatives aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire (arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 30; Lemus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 114, au paragraphe 18; Charles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 772, au paragraphe 22 [Charles]).

[22]           Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement qui a mené à sa conclusion finale. La perfection n’est pas le critère à appliquer. En fait, les motifs sont adéquats si, à la lecture de la preuve dont dispose le tribunal et vu la nature de la tâche que la loi lui confie, ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 16 et 18 [NL Nurses]).  Le caractère adéquat des motifs ne constitue plus un motif suffisant de contrôle, mais il peut être remis en question dans le cadre d’une analyse du caractère raisonnable (arrêt NL Nurses, précité, aux paragraphes 14 et 22).

[23]           En conséquence, la norme de contrôle en l’espèce est celle du caractère raisonnable.

Observations des parties

La position du demandeur

[24]           Le demandeur fait valoir que l’agente, qui a également rendu la décision relative à l’ERAR qui a été communiquée le même jour que la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, a appliqué les critères de l’article 97 à son analyse des difficultés qui a donné lieu à cette dernière décision. À titre d’exemple, l’agente a reconnu que les Tamouls du Sri Lanka continuaient de subir des actes de discrimination et qu’il était toujours porté atteinte à leurs droits, mais elle a conclu que, mis à part son origine tamoule, le demandeur n’avait pas le profil des personnes qui sont particulièrement exposées au risque de torture et d’assassinat décrit dans les rapports du Département d’État des États‑Unis sur la situation des droits de la personne au Sri Lanka en 2012 (rapport de l’USDOS). Cela montre en tout cas que l’agente a évalué les difficultés de façon restrictive alors que la preuve d’une discrimination fondée sur l’origine ethnique était particulièrement pertinente. Il est aussi évident qu’elle a indûment appliqué les critères d’évaluation et d’analyse prévus à l’article 97 étant donné qu’elle a reproduit de grands passages de sa décision relative à l’ERAR dans son évaluation des difficultés et des motifs d’ordre humanitaire, y compris son évaluation de la déclaration solennelle et d’une décision relative à l’ERAR qui a été jointe à la demande d’ERAR du demandeur, mais non à la demande fondée sur des motifs humanitaires. Le demandeur fait valoir que les motifs de l’agente ne sont pas clairs et qu’ils montrent qu’elle n’avait pas bien compris que son analyse devait se concentrer sur les difficultés et non le risque, et qu’elle a omis de prendre convenablement en considération la discrimination qu’il subirait s’il retournait au Sri Lanka.

[25]           Le demandeur soutient que l’agente n’a pas tenu compte de la preuve dont elle disposait ni de sa situation particulière, à savoir qu’il est d’origine tamoule et qu’il est né dans le Nord du Sri Lanka, mais qu’il a passé la majeure partie de sa vie hors du Sri Lanka, ce qui l’a rendu particulièrement vulnérable et créé la perception qu’il était riche et qu’il était ainsi une cible de premier choix des tentatives d’extorsion.

La position du défendeur

[26]           Le défendeur fait valoir que même si le demandeur n’accepte pas la décision rendue sur sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il n’a pas réussi à établir l’existence d’une erreur susceptible de contrôle. Le demandeur n’a pas produit les éléments de preuve nécessaires pour appuyer ses allégations de risque personnel. L’agente a examiné et pris en compte tous les éléments de preuve dont elle disposait et a raisonnablement conclu à l’inexistence de motifs d’ordre humanitaire pouvant justifier ce recours extraordinaire. En conséquence, il faut faire preuve de déférence à l’égard de la décision de l’agente.

Analyse

[27]           Il convient de commencer notre analyse en nous penchant sur la décision qu’a récemment rendue la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kanthasamy, précitée.

[28]           Dans cette affaire, le demandeur était un jeune tamoul du Nord du Sri Lanka âgé de 17 ans qui est venu demander l’asile au Canada. La SPR a rejeté sa demande, considérant que les autorités sri-lankaises avaient pris des mesures pour améliorer la situation des Tamouls et que le demandeur ne serait pas exposé à un risque à son retour dans son pays. La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Le demandeur a ensuite invoqué des motifs humanitaires en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, mais cette demande a également été rejetée. La Cour fédérale a maintenu la décision et a également certifié la question suivante : Quelle est la nature du risque, s’il en est, qui doit être examiné au titre des considérations d’ordre humanitaire visées à l’article 25 de la LIPR, modifié par la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés? 

[29]           Au nom de la Cour d’appel fédérale, le juge Stratas a déclaré que dans son examen d’une demande présentée en vertu du paragraphe 25(1), le ministre devait tenir compte des consignes de la disposition 25(1.3) récemment ajoutée. Cette disposition prévoit que dans l’étude d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le ministre ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR, mais qu’il doit tenir compte des difficultés auxquelles l’étranger doit faire face.

[30]           Le juge Stratas a reconnu que le paragraphe 25(1) était une disposition d’exception qui a été interprétée à maintes reprises comme obligeant le demandeur à prouver qu’il subirait des conséquences inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il devait se procurer un visa depuis l’extérieur du Canada comme le veut la règle habituelle selon la LIPR (arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 41; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 11). Par ailleurs, le demandeur doit personnellement et directement se heurter à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées et il doit établir un lien entre la preuve des difficultés qu’il fait valoir et sa situation particulière (arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 48; Lalane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 6, au paragraphe 1).  Quant à ce qu’on entend par des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées, la jurisprudence établit que les facteurs énoncés à la partie 5.11 du Guide de Citoyenneté et Immigration Canada (chapitre IP 5), Guide sur le traitement au Canada – Demande présentée depuis le Canada par des immigrants pour des circonstances d’ordre humanitaire (Guide de CIC), constituent une liste raisonnable des aspects qu’un agent doit prendre en considération dans son examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Selon le Guide de CIC, l’agent doit déterminer si le demandeur éprouverait des difficultés s’il devait quitter le Canada pour présenter une demande de résidence permanente à l’étranger en soupesant l’ensemble des motifs d’ordre humanitaire invoqués par le demandeur et prendre en considération divers facteurs : son établissement au Canada, des facteurs dans son pays d’origine (possibilités économiques, incapacité d’obtenir des soins médicaux, discrimination n’équivalant pas à de la persécution, harcèlement ou autres difficultés non visées aux articles 96 et 97 de la LIPR), les conséquences de la séparation des membres de la famille, etc. Le juge Stratas a cependant souligné que cette liste n’est pas exhaustive (arrêt Kanthasamy, précité, aux paragraphes 51 à 55) :

[55]      Les agents doivent toujours analyser les faits particuliers portés à leur attention et rechercher si le demandeur subit ou non, personnellement et directement, des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, peu importe si le type de difficultés en cause est mentionné expressément dans le guide opérationnel.

[31]            S’agissant du paragraphe 25(1.3), le juge Stratas a déclaré que les personnes qui demandent une dispense pour motifs humanitaires au titre du paragraphe 25(1) ne répondent pas aux exigences minimales permettant de se prévaloir des articles 96 ou 97 étant donné qu’ils n’ont pas satisfait aux facteurs de risque, à savoir le risque de persécution, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités. L’évaluation des facteurs de risque en vertu du paragraphe 25(1.3) ne doit pas faire double emploi avec le processus fondé sur les articles 96 et 97, mais cela ne signifie pas que les faits présentés lors de ces instances sont sans intérêt dans le cadre d’une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Bien que ces faits n’aient pas permis au demandeur d’obtenir la protection offerte par les articles 96 ou 97, ils peuvent néanmoins faire partie d’un éventail de faits équivalant à des motifs d’ordre humanitaire qui justifient la dispense aux termes du paragraphe 25(1). Les éléments de preuve produits dans des instances antérieures fondée sur les articles 96 et 97, ainsi que tout autre élément que le demandeur pourra vouloir présenter, est admissible dans une instance au titre du paragraphe  25(1) : « Les agents doivent toutefois apprécier ces éléments à travers le prisme du critère du paragraphe 25(1) et ainsi rechercher si le demandeur fait face personnellement et directement à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » (arrêt Kanthasamy, précité, aux paragraphes 66 à 75):

[74]      Le rôle de l’agent consiste donc à examiner les faits présentés sous le prisme des difficultés en cause, et non de procéder à une nouvelle appréciation du risque aux fins des articles 96 et 97 ou de substituer sa décision aux conclusions tirées, lors de l’appréciation de ce risque, par la Section de la protection des réfugiés. L’agent n’a pas pour mission d’effectuer la même appréciation du risque que celle menée au titre des articles 96 et 97. L’agent doit se pencher sur les faits qui se rapportent aux difficultés, pas sur les facteurs qui se rapportent au risque.

[75]      Si des éléments comme la crainte fondée de persécution, la menace à la vie et le risque de traitements ou peines cruels et inusités – des facteurs liés aux articles 96 et 97 – ne peuvent être pris en compte dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe 25(1) en vertu du paragraphe 25(1.3), les faits qui sous‑tendent ces facteurs peuvent néanmoins s’avérer pertinents, dans la mesure où ils ont trait à la question de savoir si le demandeur fait face directement et personnellement à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[32]           Le juge Stratas a également souscrit aux observations du juge Hughes dans l’affaire  Caliskan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1190, au paragraphe 22, selon lequel dans leur interprétation de l’article 25 de la LIPR, les tribunaux doivent “abandonner le vieux jargon et l’ancienne jurisprudence relatifs aux risques personnalisés et généralisés et [se] concentrer sur les difficultés qu’éprouverait l’intéressé. Cet exercice plus général d’examen des difficultés en question comprend la prise en compte des conditions défavorables dans le pays qui ont une incidence néfaste directe sur le demandeur”. (arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 76).

[33]           Dans ce contexte, il importe de signaler que l’agente a déclaré dans sa décision que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avait été évaluée en fonction des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. En outre, elle a également déclaré que les difficultés attribuables à la discrimination ou les conditions défavorables au Sri Lanka étaient l’un des facteurs à prendre en compte dans le traitement de cette demande. Elle a ensuite décrit la décision de la SPR et mentionné la conclusion selon laquelle la crédibilité était la question déterminante, y compris l’absence de crainte subjective. Elle a signalé qu’en dépit du refus de la SPR, le demandeur disait toujours craindre de retourner au Sri Lanka en invoquant les mêmes raisons que celles qu’il avait données à l’époque de sa demande d’asile, à savoir qu’il craignait d’être détenu et maltraité à son retour. L’agente a également déclaré ceci :

[traduction]

Le demandeur et son conseil ont déposé des rapports sur les conditions générales dans le pays pour étayer l’affirmation selon laquelle le demandeur éprouverait des difficultés attribuables à la discrimination ou aux conditions défavorables dans le pays s’il retournait au Sri Lanka. J’ai lu ces documents et en ai tenu compte dans mon évaluation, mais j’estime qu’ils ne permettent pas d’établir que le demandeur a le profil d’une personne qui éprouverait des difficultés en retournant au Sri Lanka. 

[34]           L’agente a indiqué qu’elle s’était fondée sur les éléments de preuve documentaire d’actualité et publics portant sur les conditions dans le pays et les manquements aux droits de la personne au Sri Lanka, et elle a cité un passage du rapport de l’USDOS. Elle a conclu comme suit :

[traduction]

Le rapport de l’USDOS mentionne effectivement que les membres de la communauté tamoule du Sri Lanka sont toujours victimes de discrimination et de violations des droits de la personne, mais il convient de signaler que le demandeur n’a que très peu vécu au Sri Lanka. Il a passé la majeure partie de sa vie en Inde et au Royaume-Uni avant de venir au Canada et, sauf preuve du contraire, il a pu séjourner chez sa famille au Sri Lanka sans aucun problème par le passé. J’estime que l’affirmation selon laquelle le demandeur serait en proie à des difficultés s’il retournait au Sri Lanka, jugée non crédible par le tribunal de la SPR et non corroborée par des éléments de preuve objectifs, ne dissipe pas les doutes de la SPR quant à la crédibilité. Mis à part l’origine tamoule, la preuve dont je dispose ne permet pas d’établir que le demandeur a le profil d’une personne qui éprouverait les difficultés susmentionnées en retournant au Sri Lanka.

[35]           Le demandeur soulève plusieurs questions au sujet de cette déclaration et considère que la dernière phrase n’est ni plus ni moins que la conclusion que, mis à part son origine tamoule, le demandeur ne serait pas personnellement exposé au risque de torture et d’assassinat que décrit le rapport de l’USDOS. Le demandeur affirme que cela prouve que l’agente a appliqué les critères des articles 96 et 97 à l’analyse des difficultés, et qu’elle a ajouté l’exigence selon laquelle le risque devait être personnalisé et que les difficultés devaient équivaloir à de la persécution ou de la menace à la vie ou à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels et inusités.

[36]           Comme il ressort clairement de l’arrêt Kanthasamy, précité, l’agente n’a pas eu tort de chercher la preuve d’un lien entre les conditions défavorables dans le pays et le demandeur, ni de conséquences néfastes personnelles et directes. De plus, selon moi, dans sa décision, l’agente n’a pas forcément appliqué l’exigence voulant que les difficultés constituent de la persécution ou une menace à la vie ou à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels et inusités. Si elle l’avait fait, elle aurait commis l’erreur que le paragraphe 23(1.3) vise à empêcher. De fait, en se rapportant aux « difficultés susmentionnées », l’agente a peut-être voulu évoquer certains ou tous les manquements aux droits de la personnes énumérés dans le rapport de l’USDOS comme les agressions et le harcèlement à l’endroit des militants, des sympathisants des TLET et des journalistes, la torture et les assassinats, les arrestations et les détentions arbitraires, le déni du droit à un procès public et équitable, les entraves à la liberté de parole, de presse, de réunion, d’association et de mouvement, la discrimination envers les personnes handicapées, les membres de la minorité tamoule et les personnes séropositives, et la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Par conséquent, cette affirmation ne prouve pas forcément que l’agente n’a tenu compte que des critères du risque de torture et de menace à la vie énoncés aux articles 96 et 97 dans son analyse de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.  

[37]           Toutefois, il n’est pas certain que l’agente a pris en considération les faits sous‑jacents pour évaluer la demande en fonction des difficultés plutôt que du risque.

[38]           À la lecture de l’ensemble de la décision rendue au sujet de la demande fondée sur des motifs humanitaires, il semble que les conclusions tirées par la SPR relativement à la crédibilité,  lorsque combinées aux extraits de la décision relative à l’ERAR, ont été déterminantes. Les conclusions défavorables quant à la crédibilité ont reposé essentiellement sur les affirmations du demandeur selon lequel il avait été interrogé parce qu’il était soupçonné de participer aux activités des TLET pendant qu’il était à l’étranger et sur la conclusion de la SPR voulant que ces soupçons n’exposaient pas le demandeur à un risque de persécution, de torture, de menace à la vie ou de traitements ou peines cruels et inusités, ainsi que sur l’absence de crainte subjective, dans le contexte d’une analyse fondée sur les articles 96 et 97. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas le profil d’une personne qui attirerait une attention indue ou des représailles s’il retournait au Sri Lanka. Pourtant, au lieu de chercher à déterminer si les conditions défavorables dans le pays décrites dans les documents produits dans le cadre de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire créeraient pour le demandeur des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il retournait au Sri Lanka (Vuktilaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 188, au paragraphe 36), l’agente semble s’être appuyée essentiellement sur les conclusions de la SPR relativement à la crédibilité pour conclure que le demandeur ne serait exposé à aucun des risques décrits dans le rapport de l’USDOS.

[39]           Quant au profil du demandeur, il se peut que l’agente ait voulu dire que, étant donné que la preuve ne confirmait pas que le demandeur était un militant, un sympathisant des TLET ou un journaliste, il n’avait pas le profil d’une personne exposée à un risque d’agression et de harcèlement, tel que décrit dans le rapport de l’USDOS, et qu’elle se soit fondée sur le profil du demandeur décrit dans la décision de la SPR. Quoi qu’il en soit, cela n’est pas clair et ses motifs ne traitent pas de la discrimination à laquelle le demandeur serait exposé en raison de son origine tamoule s’il devait retourner au Sri Lanka. Par ailleurs, même si l’agente n’était pas tenue de croire la description que lui a faite le demandeur de sa propre situation, vu que la SPR n’avait pas cru qu’il était ou soupçonné d’être associé aux TLET, elle devait absolument déterminer quel était le profil du demandeur aux fins de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et se demander si un jeune homme tamoul du Nord, dans ces circonstances particulières, serait personnellement la cible d’une discrimination équivalent à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

[40]           Autrement dit, en dépit de ses affirmations, dans son analyse des documents sur les conditions défavorables dans le pays, l’agente s’est arrêtée aux conclusions de la SPR relativement à la crédibilité, conclusions qui étaient essentiellement basées sur le risque, et elle n’a pas examiné la preuve selon le critère du paragraphe 25(1), à savoir que le demandeur subirait personnellement et directement des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’il retournait au Sri Lanka.

[41]           Il convient de noter à cet égard que l’agente a mentionné la déclaration solennelle de Patricia Watts, assistante judiciaire et travailleuse sociale au bureau du conseil du demandeur.  Cependant, la déclaration a été jointe à l’appui de la demande d’ERAR, mais non de la demande pour motifs d’ordre humanitaire. L’agente a rejeté la déclaration en partie, estimant qu’elle n’était pas étayée par des éléments de preuve établissant que le demandeur avait le profil des personnes décrites dans la déclaration. De même, elle a mentionné et écarté une décision favorable relative à l’ERAR qui avait été rendue à l’égard d’un autre ressortissant sri‑lankais au motif qu’il n’était pas possible de déterminer si le demandeur avait le même  profil que cette autre personne. Le demandeur n’a aussi déposé cette décision relative à l’ERAR qu’à l’appui de sa demande d’ERAR. Même si la seule erreur qu’a commise l’agente a été de reproduire un extrait de sa décision relative à l’ERAR dans sa décision relative à la demande pour motifs d’ordre humanitaire, cette action jette encore plus le doute sur son analyse du profil du demandeur dans le cadre de la demande pour motifs d’ordre humanitaire.

[42]           De même, on ne sait trop si le fait que le demandeur n’a passé qu’une petite partie de sa vie au Sri Lanka est pertinent dans l’évaluation de la discrimination dont il pourrait faire l’objet en raison de son origine s’il était renvoyé au Sri Lanka. 

[43]           Bref, les raisons que donne l’agente ne permettent pas de comprendre comment elle en est arrivée à la conclusion que les conditions défavorables dans le pays, en particulier la discrimination envers les Tamouls, ne remplissaient pas le critère des difficultés. Comme je suis incapable de déterminer si la décision appartient aux issues pouvant se justifier, je considère qu’elle est déraisonnable.

[44]            Vu ma conclusion, il ne me sera pas nécessaire de me pencher sur l’analyse qu’a faite l’agente du degré d’établissement. Je m’arrêterai toutefois sur un point, à savoir la façon dont l’agente a traité l’élément de preuve portant sur les soins que le demandeur fournit à son frère.

[45]           À cet égard, le demandeur fait valoir que l’agente n’a pas tenu compte de l’importance des soins à domicile que le demandeur prodigue à son frère, Thayaparan, ainsi que les décrit Thayaparan dans une lettre du 12 janvier 2013. Le demandeur soutient que l’agente a conclu que rien n’indiquait que Thayaparan n’avait pas pu obtenir les soins requis dans le cadre du programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, en dépit de la preuve de l’insuffisance du système de santé public à cet égard et en dépit du fait qu’aucun programme public ne saurait remplacer les soins quotidiens prodigués par un membre de la famille. Le demandeur fait aussi valoir que l’agente a conclu que leur frère ainé au Canada serait en mesure d’apporter son aide, en dépit de la preuve établissant que ce frère n’est pas en contact avec Thayaparan et que, en tant que camionneur, il est souvent à l’extérieur de la ville. Enfin, l’agente a estimé que parce que le demandeur occupait deux emplois et qu’il faisait du bénévolat, le degré d’aide qu’il apportait à son frère ne pouvait solidement être établi. Le demandeur soutient que sa conclusion quant à la crédibilité était voilée et que si elle avait des réserves au sujet de la crédibilité du demandeur, elle aurait dû le convoquer à une entrevue.

[46]           Le demandeur signale que, bien que l’agente ait tenu compte de ses observations sur l’insuffisance des soins à domicile et les besoins de son frère, elle a conclu que rien ne permettait d’établir que les soins de santé publics avaient été refusés à son frère et que le demandeur était en mesure de soigner son frère tout en occupant deux emplois. Elle a jugé que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de soumettre des éléments de preuve objectifs pour corroborer les difficultés auxquelles le demandeur disait être exposé : il n’avait pas fourni de documentation établissant l’importance des soins requis par Thayaparan ou prouvant que les soins de santé publics avaient été demandés et refusés et qu’aucun membre de la famille à part lui ne pouvait s’occuper de Thayaparan.

[47]           Selon moi, il est difficile de concilier les conclusions de l’agente avec la preuve dont elle disposait. L’agente a conclu que le demandeur ne lui avait fourni aucun document établissant que le frère aîné vivant au Canada ou d’autres membres de la famille ne pouvaient ou ne voulaient pas prodiguer des soins à Thayaparan. Cependant, certains éléments de preuve établissaient que le frère aîné n’était pas en contact étroit avec Thayaparan, qu’il travaillait comme camionneur et qu’il était généralement hors de la ville (affidavit du demandeur, dossier certifié du tribunal (DCT), p. 66, paragr. 10; lettre de Thayaparan, DCT, p. 26). Il est également signalé dans la décision qu’aucun autre membre de la famille ne vivait au Canada (décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, DCT, p. 5).

[48]           L’agente a également conclu que, compte tenu de ses activités de bénévolat et de ses deux emplois, le demandeur n’avait pas solidement établi la réelle mesure dans laquelle Thayaparan nécessitait des soins. Toutefois, l’agente disposait d’une lettre de Thayaparan dans laquelle celui‑ci déclarait qu’il avait vécu seul et souffert d’un état de santé misérable avant que le demandeur ne lui vienne en aide et qu’il n’emménage avec lui. Dans sa lettre, Thayaparan énumérait les tâches que le demandeur exécutait pour lui et exprimait sa crainte que le demandeur ne quitte le pays car il se retrouverait seul et dans le même état qu’avant (DCT, p. 26). En outre, l’agente disposait également d’un billet d’un médecin confirmant l’état de santé de Thayaparan et déclarant que les soins que le demandeur prodiguait à son frère étaient très nécessaires pour le moment (DCT, p. 28).

[49]           L’agente a conclu que le demandeur n’avait fourni aucun document pour corroborer l’affirmation voulant que les soins à domicile du système public avaient été refusés à Thayaparan. Quand bien même, l’agente disposait d’éléments de preuve établissant que Thayaparan ne pouvait pas travailler et qu’il recevait une aide financière dans le cadre du POSPH ainsi que du rapport  de l’Ontario Health Coalition intitulé Still Waiting: An Assessment of Ontario’s Home Care System After Two Decades of Restructuring, du 4 avril 2011, selon lequel 10 000 personnes en Ontario se trouvent actuellement sur la liste d’attente pour obtenir des soins à domicile (DCT, p. 313 et 323). Le rapport met en question la qualité et l’accessibilité des soins de santé publics pouvant remplacer les soins que prodigue le demandeur (DCT, p. 329 à 330).

[50]           Enfin, j’aimerais signaler que dans Fernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 899, l’agente avait noté que les demandeurs étaient bien établis au Canada et elle a pris acte du soutien qu’ils avaient offert à certains membres de leur collectivité et à deux enfants ayant des besoins spéciaux. Cependant, elle a jugé que ce soutien pouvait être fourni autrement. Le juge Noël a statué que la question n’était pas de savoir si quelqu’un d’autre serait également capable de remplir ce rôle :

[16]      Je crois qu’au regard du passage précité du guide IP-5 et des décisions Jamrich et Raudales, l’agente n’a pas évalué d’une manière raisonnable l’intérêt supérieur des enfants ni le degré d’établissement des demandeurs dans la collectivité. Par exemple, celle-ci a déclaré qu’elle n’était [traduction] « pas convaincue que personne d’autre ne pouvait aider les familles qui avaient exprimé le besoin que les demandeurs demeurent au Canada » (voir à la page 1 de sa décision). Or, ce n’est pas là le critère applicable. Il ne s’agit pas de savoir si quelqu’un d’autre serait également capable de remplir ce rôle si les demandeurs étaient renvoyés du Canada, mais bien de savoir si leur renvoi causerait un préjudice injustifié. Cette question n’a pas été évaluée correctement par l’agente.

[51]           Je conviens également que la conclusion de l’agente selon laquelle l’importance des soins réellement requis par Thayaparan n’a pas été solidement établie, étant donné les emplois du demandeur et ses activités communautaires, semble constituer une conclusion quant à la crédibilité.  

[52]           Pour ces motifs, je suis d’avis que l’agente a tiré une conclusion déraisonnable quant à l’établissement du demandeur au Canada car elle n’a pas convenablement tenu compte des difficultés que le retour du demandeur au Sri Lanka créerait pour son frère, Thayaparan.  

Question certifiée

[53]           Le demandeur fait valoir que la décision Kanthasamy s’applique à la question du pouvoir discrétionnaire que peut exercer l’agente pour juger la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qui est également en litige. Étant donné qu’une demande d’autorisation à faire appel de cette décision a été présentée, mais que la Cour suprême du Canada n’a pas encore statué sur la question, le demandeur fait valoir que je devrais différer ma décision à cet égard jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada tranche l’affaire Kanthasamy ou encore que je certifie les questions suivantes :

La norme correcte à appliquer en vertu du paragraphe 25(1) est‑elle celle des «  difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives »?

Y a-t-il lieu d’exiger que le risque de discrimination ou de tout autre traitement semblable, qui n’est pas assimilable à la persécution mentionnée à l’article 96 ou à la torture et autres traitements ou peines cruels et inusités selon l’article 97 de la LIPR, soit un risque personnalisé?

[54]           Le défendeur s’oppose à cette demande.

[55]           Étant donné que j’ai conclu que la décision de l’agente n’était pas raisonnable, la demande du demandeur n’est peut-être plus pertinente. Quoi qu’il en soit, il me semblerait déplacé de différer ma décision à un égard tout simplement parce qu’on a demandé  l’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada dans un autre dossier. Pareil retard ne serait pas dans l’intérêt public (Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 19, au paragraphe 11).  En outre, même si j’avais conclu que la décision était raisonnable, cela n’aurait eu d’autre effet que d’obliger le demandeur à demander un visa à l’étranger, comme le veut la procédure habituelle. Enfin, selon moi, les questions proposées aux fins de la certification ont été entièrement réglées dans l’arrêt Kanthasamy, précité, qu’a rendu la Cour d’appel fédérale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un autre agent;

2.      Aucuns dépens ne seront adjugés;

3.      Aucune question ne sera certifiée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1389-14

 

INTITULÉ :

PRATHEEPAN SOMASUNDARAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 SEPTEMBRE 2014

 

JUGEMENTS ET MOTIFS :

LE JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 DÉCEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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