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Date : 20141201


Dossier : T‑268‑14

Référence : 2014 CF 1152

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2014

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte et nature de l’instance

[1]               La demanderesse représente des employés d’Anciens combattants Canada [ACC] et du Tribunal des anciens combattants (révision et appel). On trouve parmi ces employés des agents des services à la clientèle [les ASC], qui sont chargés de conseiller les anciens combattants et leurs familles qui souhaitent obtenir des prestations administrées par ACC.

[2]               Les tâches confiées aux ASC en ce qui concerne les demandes de prestations présentées au titre du Programme pour l’autonomie des anciens combattants [le PAAC] ainsi que les demandes de remboursement relatives aux déplacements à des fins médicales [les DFM] ont été sensiblement réduites en 2012. Le contrat de service qui avait été conclu entre la Croix Bleue Medavie Inc. [Medavie] et Travaux publics et Services gouvernementaux Canada [TPSGC] a été modifié de manière à inclure le paiement de demandes de remboursement des frais d’entretien ménager et d’entretien des terrains prévus par le PAAC, de même que le remboursement des demandes relatives au programme des DFM. L’ancien système, suivant lequel les anciens combattants envoyaient leurs reçus pour se faire rembourser en vertu du PAAC, a été remplacé par un régime de subventions, et des modifications ont été également apportées au traitement des formulaires qui sont envoyés chaque année aux anciens combattants.

[3]               Par conséquent, le rôle des ASC est devenu beaucoup moins proactif et plus réactif surtout après que ACC eut également transféré à Medavie certaines des responsabilités restantes en ce qui concerne l’administration du PAAC et des DFM. Une cinquantaine de postes d’ASC ont été supprimés et 37 ASC ont été mis en disponibilité. La plupart des ASC mis en disponibilité se sont trouvé d’autres postes, mais 15 d’entre eux n’ont pas réussi à se trouver un autre emploi.

[4]               Par lettre datée du 2 août 2012, la demanderesse a déposé un grief de principe en vertu de l’article 220 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art. 2 [la Loi] au nom du Syndicat des employés des Anciens combattants [le SEAC]. Il était allégué dans le grief que, par suite des modifications apportées au PAAC et aux DFM et de la réduction du nombre d’ASC qui s’en était suivie, ACC avait enfreint la clause 1.1.27 de l’appendice D (Réaménagement des effectifs) de la Convention collective du groupe Services des programmes et de l’administration. Cette clause est ainsi libellée :

1.1.27  Les ministères ou les organisations examinent leur utilisation de personnel temporaire d’agence, de consultants, de contractuels, d’employé‑e‑s nommés pour une période déterminée et de tous les autres employé‑e‑s nommés pour une période autre qu’indéterminée. Dans toute la mesure du possible, ils évitent de réembaucher le personnel temporaire d’agence, de consultants, de contractuels ou les autres personnes susmentionnées si cela est de nature à faciliter la nomination d’employé‑e‑s excédentaires ou de personnes mises en disponibilité.

[5]               Le grief a été renvoyé à l’arbitrage conformément à l’article 221 de la Loi. À la suite d’une audience tenue en octobre 2013, le grief de la demanderesse a été rejeté par un arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (2013 CRTFP 165).

[6]               La demanderesse demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, et sollicite une ordonnance annulant la décision en question et renvoyant l’affaire à un autre arbitre. Le procureur général du Canada [le défendeur] s’oppose à cette demande et les deux parties réclament leurs dépens.

II.                La décision de l’arbitre

[7]               Après avoir résumé de façon exhaustive la preuve et les arguments des deux parties, l’arbitre a fait observer que la clause 1.1.27 ne s’appliquait que si les quatre conditions suivantes étaient réunies : (1) Medavie était un « contractuel »; (2) la modification apportée au contrat constituait une « réembauche »; (3) les employés visés étaient des « employés excédentaires » ou des « personnes mises en disponibilité »; (4) éviter de réembaucher Medavie aurait pu faciliter la nomination des employés visés. Ce n’était que si ces conditions étaient réunies qu’il incombait à l’employeur d’établir qu’il ne pouvait pas éviter de réembaucher Medavie. L’arbitre a finalement débouté la demanderesse sur chacune de ces questions.

[8]               Premièrement, l’arbitre n’a pas été convaincue que Medavie était un « contractuel » au sens de la clause 1.1.27. Pour tirer cette conclusion, elle a fait observer que cette clause était libellée différemment et de manière tout à fait distincte d’une clause assez semblable, soit la clause 5.1.2, qui avait été examinée dans l’affaire Canada (Procureur général) c Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 RCS 941, aux pages 947 et 948, 101 DLR (4th) 673 [AFPC (CSC)], conf. (1990), [1991] 1 RCF 428, 124 NR 379 (CAF) [AFPC (CAF)], conf. Alliance de la fonction publique du Canada c Conseil du Trésor, [1990] CRTFPC no 51 (QL) (CRTFP) [AFPC (Commission)] (les décisions relatives à l’AFPC).

[9]               La clause 5.1.2 prévoyait que les ministères devaient « […] revoir la façon dont ils utilisent […] les marchés de services, et y mettre fin », si cette mesure était de nature à faciliter la réaffectation des employés touchés, des employés excédentaires et des personnes mises en disponibilité. En revanche, l’arbitre a reconnu que la clause 1.1.27 avait une portée plus restrictive que la clause 5.1.2 qui avait été examinée dans les décisions relatives à l’AFPC, soulignant que la clause 1.1.27 en question ne faisait pas référence à des « marchés de services » mais plutôt au mot « contractuels », mot dont la définition normalement générale avait une portée plus restreinte en raison de la présence des autres termes avec lesquels il était regroupé, en l’occurrence « personnel temporaire d’agence », « consultants », « employés nommés pour une période déterminée » et « tous les autres employés nommés pour une période autre qu’indéterminée ». Puisque chacun de ces termes désignait des personnes travaillant sur place, l’arbitre a déduit que le terme « contractuels » devrait également se limiter aux personnes qui travaillent sur place. De plus, la clause 1.1.28 de l’Appendice D confirmait cette interprétation, dans l’esprit de l’arbitre, puisqu’elle donnait priorité aux employés excédentaires et aux personnes mises en disponibilité pour les emplois de courte durée. L’arbitre a conclu que Medavie ne constituait pas un « contractuel » en ce sens.

[10]           Deuxièmement, l’arbitre s’est dite d’avis que Medavie n’avait pas été « réembauchée », même s’il s’agissait d’un contractuel. Les tâches qui avaient été transférées à Medavie étaient parfaitement compatibles avec les tâches de traitement des demandes dont Medavie s’acquittait depuis de nombreuses années pour TPSGC et, dans une certaine mesure, pour ACC. Ce transfert de tâches équivalait à une modification à un contrat existant et, donc, ne constituait pas réembauche de Medavie au sens de la clause 1.1.27.

[11]           Troisièmement, l’arbitre a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel la clause 1.1.27 devrait être interprétée de manière à ce qu’il soit interdit à l’employeur de réembaucher un « contractuel » si une telle mesure devait se traduire par une déclaration de postes excédentaires ou par une mise en disponibilité d’employés. L’arbitre a souligné que l’acceptation d’un tel argument reviendrait à interpréter et à appliquer la clause 1.1.27 d’une façon qui aurait pour effet de modifier la convention collective, contrevenant ainsi à l’article 229 de la Loi. L’arbitre a estimé que la clause 1.1.27 appuyait l’interprétation selon laquelle les personnes mises en disponibilité et les employés excédentaires visés sont ceux qui étaient déjà en poste au moment de l’impartition du PAAC à Medavie. L’arbitre a donc conclu que l’existence d’« employés excédentaires ou de personnes mises en disponibilité » au moment où le contrat de Medavie avait été modifié devait être établie avant que la clause 1.1.27 puisse s’appliquer. Puisque le témoignage non contredit de tous les témoins démontrait qu’il n’y avait pas de tels employés, il n’y avait pas eu contravention de la clause 1.1.27.

[12]           Quatrièmement, l’arbitre a conclu qu’aucune des parties n’avait présenté d’éléments de preuve indiquant que le travail imparti à Medavie aurait pu être effectué par les ASC. Contrairement à la situation mentionnée dans l’affaire AFPC (CSC), où le gouvernement cherchait à renvoyer les employés nommés pour une période indéterminée et à carrément donner leurs emplois à la sous‑traitance, les tâches confiées aux ASC dans le cas qui nous intéresse ici ont été modifiées en profondeur du fait du passage stratégique à un système de subventions et de l’adoption d’une nouvelle méthode de traitement des formulaires annuels.

[13]           Enfin, l’arbitre s’est dite d’avis que, même si la clause 1.1.27 s’était appliquée, l’employeur avait fourni des éléments de preuve selon lesquels on ne pouvait éviter l’impartition à Medavie et selon lesquels ACC avait réalisé des économies importantes.

[14]           L’arbitre a par conséquent rejeté le grief.

III.             Questions en litige

[15]           La demanderesse soutient qu’il n’y a que deux questions en litige :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  L’interprétation de la clause 1.1.27 par l’arbitre était‑elle raisonnable?

[16]           Le défendeur divise la deuxième question en quatre sous‑questions qui peuvent être reformulées, auxquelles s’ajoute l’argument de la demanderesse selon lequel l’arbitre n’a pas tenu compte de la raison d’être ou des objectifs de la clause 1.1.27. Il en découle donc ce qui suit :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  L’arbitre a‑t‑elle omis de tenir compte de l’objet de la clause 1.1.27?

3.                  L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur dans l’interprétation qu’elle a faite du terme « contractuels »?

4.                  L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur dans l’interprétation qu’elle a faite du terme « réembaucher »?

5.                  L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a exigé qu’il devait y avoir préalablement des « employés excédentaires ou des personnes mises en disponibilité »?

6.                  L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’était pas possible d’éviter l’impartition à Medavie?

IV.             Thèse de la demanderesse

[17]           La demanderesse convient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, mais soutient que les issues possibles acceptables sont peu nombreuses, étant donné le caractère juridique des questions en litige et le libellé de la convention collective (citant Canada (Procureur général) c Abraham, 2012 CAF 266, 440 NR 201, aux paragraphes 42, 43 et 45 [Abraham]; Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c Canada (PG), 2013 CAF 75, 444 NR 120, aux paragraphes 13 à 15 [Premières Nations]).

[18]           La demanderesse soutient que l’objet de l’Appendice D est de protéger les employés nommés pour une période indéterminée des conséquences des changements majeurs apportés à la fonction publique fédérale. Lorsque cette question a été abordée à l’audience, l’avocat de la demanderesse a qualifié cet appendice, plus particulièrement la clause 1.1.27, de [traduction] « bouée de sauvetage » pour la sécurité d’emploi. Le même type de clause, soit la clause 5.1.2, était en cause dans l’affaire AFPC (Commission) aux paragraphes 10, 13 et 14, et la Commission a estimé qu’une telle clause existait afin que les employés, en particulier ceux qui sont nommés pour une période indéterminée, puissent compter sur la cessation du recours à l’impartition pour que leurs emplois soient protégés. La demanderesse soutient que la clause 1.1.27 vise le même objectif que l’ancienne clause 5.1.2 et qu’en l’espèce, l’arbitre, de façon déraisonnable, n’est pas parvenue à interpréter la clause 1.1.27 conformément à cet objectif. La demanderesse affirme que l’arbitre a supprimé toute véritable protection permettant le maintien en poste des employés nommés pour une période indéterminée dans les situations d’impartition.

[19]           La demanderesse fait valoir que cette erreur s’est répercutée dans chaque partie de l’analyse faite par l’arbitre, notamment dans sa définition déraisonnable du terme « contractuels ». La demanderesse soutient que le terme « contractuels » n’est ni général ni ambigu : il n’y a donc aucune raison de limiter son interprétation à la même catégorie de personnes que celles de son contexte (Banque nationale de Grèce (Canada) c Katsikonouris, [1990] 2 RCS 1029, à la page 1040, 74 DLR (4th) 197). De plus, la demanderesse affirme que le fait de limiter le terme « contractuels » aux personnes qui travaillent sur place fait fi du sens ordinaire et habituel de ce mot.

[20]           La demanderesse soutient en outre que l’interprétation que l’arbitre a faite du terme « réembaucher » était déraisonnable du fait qu’elle n’a considéré que la façon dont le contrat de Medavie avait été modifié et non l’effet concret des modifications apportées.

[21]           La demanderesse soutient également que l’interprétation que l’arbitre a faite de la clause 1.1.27 requiert qu’il y ait préalablement des employés excédentaires ou des personnes mises en disponibilité. La demanderesse est d’avis qu’un tel préalable serait contraire à l’objet visé par la clause 1.1.27, puisqu’il permettrait à un ministère de se soustraire unilatéralement à l’application de la clause en procédant simplement à l’impartition avant de mettre en disponibilité des employés ou de les déclarer excédentaires.

[22]           De plus, la demanderesse affirme que l’arbitre a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’impartition était inévitable en l’espèce. De l’avis de la demanderesse, la conclusion de l’arbitre selon laquelle le simple fait de recourir à l’impartition suffit à prouver qu’il aurait été impossible de continuer à faire le travail à l’interne est inopportune et relève d’une norme subjective. La demanderesse affirme également que l’arbitre a commis une erreur lorsqu’elle a accepté les éléments de preuve présentés par l’employeur au sujet des économies réalisées, sans toutefois obtenir de celui‑ci la preuve qu’il avait envisagé d’autres moyens de réaliser ces économies.

V.                Thèse du défendeur

[23]           Le défendeur convient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et insiste sur le degré élevé de déférence que commande normalement l’interprétation des conventions collectives par les arbitres, puisqu’il s’agit de l’essence même de leur compétence. D’une façon plus particulière, le défendeur souligne que : les arbitres ne sont pas strictement liés par les doctrines de common law et d’equity émanant des tribunaux (Nor‑Man Regional Health Authority Inc. c Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 RCS 616, aux paragraphes 42, 45 à 51 et 60 [Nor‑Man]); ils n’ont pas l’obligation d’examiner et de commenter chaque argument soulevé par les parties (Construction Labour Relations Inc c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65, [2012] 3 RCS 405, au paragraphe 3); la décision d’un arbitre ne peut être qualifiée de déraisonnable parce que celui‑ci n’a pas tenu compte d’une question qui n’a pas été débattue (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, aux paragraphes 22 à 28 [Alberta Teachers]).

[24]           Dans le cas qui nous occupe, le défendeur soutient que chacune des principales conclusions tirées par l’arbitre au sujet de la première partie de la clause 1.1.27 était décisive quant au grief; il incombe donc à la demanderesse de démontrer que chacune de ces conclusions était déraisonnable, ce que, selon le défendeur, la demanderesse n’a pas fait. L’arbitre a résumé tous les éléments de preuve et les arguments dans sa décision et a justifié chacune de ses conclusions de façon intelligible et transparente. En outre, le défendeur affirme que la conclusion appartient aux issues possibles acceptables et que les motifs invoqués par l’arbitre pour rejeter le grief sont raisonnables.

[25]           Le défendeur fait valoir que les arbitres doivent respecter des dispositions qui sont claires, même si elles peuvent sembler injustes (Chafe c Conseil du Trésor (Ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, [2010] CRTFP no 116 (QL), aux paragraphes 50 et 51). En l’espèce, l’arbitre a souligné que les termes regroupés avec le mot « contractuels » se rapportaient tous à des personnes auxquelles un employeur a recours pour répondre à des besoins ponctuels à court terme; le défendeur soutient qu’il était raisonnable de restreindre le terme « contractuels » à cette catégorie, conformément à la règle ejusdem generis. De plus, le renvoi de l’arbitre à la clause 1.1.28 pour interpréter la clause 1.1.27 était justifié, puisque cela confirmait que les employés excédentaires et les employés mis en disponibilité devaient avoir priorité, même pour des emplois à court terme.

[26]           En outre, le défendeur soutient qu’il était raisonnable, de la part de l’arbitre, de se fonder sur le sens que l’on donne à la clause 5.1.2 dans les décisions relatives à l’AFPC, puisque la clause 1.1.27 a été négociée par la suite, et qu’un libellé différent a été retenu. Le défendeur fait valoir qu’en tout état de cause, certaines clauses peuvent se prêter à plusieurs interprétations raisonnables et qu’un arbitre n’agit pas forcément de façon déraisonnable s’il choisit une interprétation différente d’une autre antérieurement approuvée par les tribunaux (Alberta Health Services c Alberta Union of Provincial Employees, 2013 ABCA 243, 556 AR 102, au paragraphe 17).

[27]           Le défendeur signale aussi que les mots anglais review, re‑engaging et renewing [en français, réembaucher] contiennent tous le préfixe « re », qui marque la répétition, ce qui confirme qu’il était raisonnable, de la part de l’arbitre, de statuer que l’obligation créée par la clause 1.1.27 n’empêchait pas un ministère ou une organisation de conclure un nouveau contrat ou d’élargir la portée d’un contrat existant. Le défendeur soutient que, si les parties avaient eu l’intention d’agir de la sorte, elles auraient employé des mots comme « engager » et « nommer » au lieu de « réembaucher ».

[28]           Le défendeur appuie la conclusion de l’arbitre selon laquelle la clause 1.1.27 ne peut s’appliquer ni être violée, à moins qu’il y ait préalablement des « employés excédentaires » ou des « personnes mises en disponibilité ». Ces deux expressions sont définies à l’Appendice D lequel, selon le défendeur, vise à garantir un nouvel emploi à ces personnes. Si les parties avaient voulu des obligations futures, soutient le défendeur, le libellé de la clause 1.1.27 aurait été prospectif.

[29]           Bien que l’arbitre n’ait pas mentionné expressément l’objet spécifique de la clause 1.1.27, le défendeur estime qu’elle n’avait pas à le faire. L’arbitre a compris l’argument de la demanderesse au sujet des objectifs de la clause 1.1.27, mais s’est dite en désaccord sur ce point; le défendeur affirme que l’interprétation que l’arbitre a faite de la clause 1.1.27 était conforme à la raison d’être qu’elle attribuait à l’Appendice D.

[30]           Enfin, le défendeur soutient que l’arbitre a jugé raisonnablement que l’expression « dans toute la mesure du possible » sous‑entendait « sur le plan économique ». L’arbitre avait devant elle une preuve non contredite que le PAAC avait été modifié pour mieux répondre aux besoins des anciens combattants et que les coûts d’administration du programme avaient été sensiblement réduits; le défendeur affirme que la Cour ne devrait pas modifier l’appréciation que l’arbitre a faite de ces éléments de preuve (Hughes c Canada (Ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2014 CAF 43, aux paragraphes 11 et 12 (cet arrêt peut être consulté sur CanLII)).

VI.             Analyse

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[31]           Les deux parties admettent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, puisque chacun des points en litige « concernai[t] l’interprétation et l’application des dispositions de la convention collective, travail auquel les arbitres sont particulièrement familiers » (Nitschmann c Canada (Conseil du Trésor), 2009 CAF 263, 394 NR 126, au paragraphe 8; voir aussi Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 RCS 458, au paragraphe 16, et Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 68 [Dunsmuir]).

[32]           L’application de cette norme à la décision faisant l’objet du présent contrôle signifie que la Cour ne devrait pas modifier la décision de l’arbitre si « [les motifs] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 16 [Newfoundland Nurses].

[33]           Il peut y avoir certains cas où les issues possibles acceptables sont peu nombreuses, notamment lorsque les questions en litige sont rigoureusement régies par la loi (Premières Nations, aux paragraphes 13 à 15; McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 RCS 895, au paragraphe 38 [McLean]). Ce n’est cependant pas le cas en l’espèce. L’essentiel de l’argument de la demanderesse suivent lequel, dans le cas qui nous occupe, les issues possibles acceptables sont peu nombreuses, repose sur ce qu’elle affirme être [traduction] « la raison d’être incontestée des dispositions relatives à l’impartition » de l’Appendice D. Or, cette raison d’être est tout sauf incontestée, comme en fait foi la présence des parties devant la Cour.

[34]           Dans le cas qui nous intéresse, l’arbitre interprétait une convention collective, c’est‑à‑dire de toute évidence une question d’interprétation contractuelle. L’idée que l’interprétation contractuelle constitue purement une question de droit a récemment été abandonnée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sattva Capital Corp. c Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, 373 DLR (4th) 393, au paragraphe 50 [Sattva]. Le juge Rothstein souligne au paragraphe 50 que cette interprétation contractuelle « soulève des questions mixtes de fait et de droit, car il s’agit d’en appliquer les principes aux termes figurant dans le contrat écrit, à la lumière du fondement factuel ».

[35]           Par conséquent, je rejette l’argument de la demanderesse selon lequel les issues possibles acceptables sont peu nombreuses en raison du caractère juridique des questions soumises à l’arbitre. La principale question que devait trancher l’arbitre portait sur l’interprétation d’un contrat et non sur l’une interprétation d’une loi, comme c’était le cas dans les affaires Premières Nations et McLean.

[36]           En tout état de cause, l’appréciation du caractère raisonnable d’une décision constitue une analyse contextuelle (Catalyst Paper Corp. c North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 RCS 5, au paragraphe 18). Il est généralement plus utile de se demander uniquement si l’issue réelle peut se justifier au regard des faits et du droit, et non, comme le soutient la demanderesse, d’établir une limite quant au nombre d’issues possibles qu’il aurait pu y avoir.

2.                  L’arbitre a‑t‑elle omis de tenir compte de l’objet de la clause 1.1.27?

[37]           Le principal argument de la demanderesse repose surtout sur l’interprétation qu’elle fait d’une disposition semblable à la clause 1.1.27 remontant à plus de deux décennies. Dans la décision AFPC (Commission), la Commission a estimé que la Politique sur le réaménagement des effectifs [la PRE] visait à [traduction] « protéger, dans les limites de la Politique, les employés nommés pour une période indéterminée contre les conséquences de changements importants apportés à la structure de la fonction publique fédérale » (AFPC (Commission), à la page 13). La clause spécifique en question dans les décisions relatives à l’AFPC visait à faire en sorte que [traduction] « les employés nommés pour une période indéterminée puissent compter sur la cessation de l’impartition pour que leurs emplois soient protégés » (AFPC (Commission), à la page 14). La Cour suprême a avalisé la conclusion de la Commission à cet égard et a souligné que « [l]’interprétation de la Commission ne peut certainement pas être qualifiée de manifestement déraisonnable » (AFPC (CSC), à la page 972).

[38]           En l’espèce, l’arbitre n’a pas donné à l’objet de l’Appendice D (réaménagement des effectifs) une interprétation aussi large que celle qui avait été donnée à la PRE dans les décisions relatives à l’AFPC. Au contraire, l’arbitre a affirmé au paragraphe 76 de sa décision que la politique énoncée dans l’Appendice D visait uniquement à aider les employés nommés pour une période indéterminée qui avaient perdu leur emploi et à s’assurer qu’on leur offre d’autres possibilités d’emploi. L’arbitre a de toute évidence tenu compte des décisions relatives à l’AFPC; elle a toutefois établi une distinction avec la présente espèce, puisque le libellé de la clause 1.1.27 avait une portée plus limitée que celui de la clause 5.1.2. De plus, les mots employés dans les décisions relatives à l’AFPC pour expliquer l’objet de la PRE étaient différents de ceux que l’on trouve à l’Appendice D :

AFPC (CSC)

Libellé actuel

1.3 La présente politique a pour but de réduire au minimum les répercussions d’un RÉAMÉNAGEMENT DES EFFECTIFS sur les employés nommés pour une période indéterminée et de faire en sorte que, dans la mesure du possible, d’autres possibilités d’emploi soient offertes aux EMPLOYÉS TOUCHÉS.

(Voir AFPC (CSC), p. 970)

Objectifs

L’Employeur a pour politique d’optimiser les possibilités d’emploi pour les employé‑e‑s nommés pour une période indéterminée en situation de réaménagement des effectifs, en s’assurant que, dans toute la mesure du possible, on offre à ces employé‑e‑s d’autres possibilités d’emploi. On ne doit toutefois pas considérer que le présent Appendice assure le maintien dans un poste en particulier, mais plutôt le maintien d’emploi.

[39]           Ces différences sont substantielles. Plutôt que de réduire au minimum les répercussions d’un réaménagement des effectifs de façon générale, la politique qui s’applique au présent différend vise à optimiser les possibilités d’emploi pour les employés en situation de réaménagement des effectifs. À mon avis, l’arbitre n’a pas agi déraisonnablement en attribuant une signification au nouveau libellé qui a été retenu pour la politique énoncée à l’Appendice D.

[40]           De plus, l’arbitre n’était pas obligée, pour interpréter la clause 1.1.27, de retenir le même objet que celui qui avait été attribué à la clause 5.1.2 dans l’arrêt AFPC (CSC). D’ailleurs, ces clauses sont assez différentes :

5.1 Les ministères doivent :

[…]

5.1.2. revoir la façon dont ils utilisent les services des employés nommés pour une période déterminée et les marchés de services, et y mettre fin si cela est de nature à faciliter LA RÉAFFECTATION des EMPLOYÉS TOUCHÉS, DES EMPLOYÉS EXCÉDENTAIRES ET DES PERSONNES MISES EN DISPONIBILITÉ;

1.1.27 Les ministères ou les organisations examinent leur utilisation de personnel temporaire d’agence, de consultants, de contractuels, d’employé‑e‑s nommés pour une période déterminée et de tous les autres employé‑e‑s nommés pour une période autre qu’indéterminée. Dans toute la mesure du possible, ils évitent de réembaucher le personnel temporaire d’agence, de consultants, de contractuels ou les autres personnes susmentionnées si cela est de nature à faciliter la nomination d’employé‑e‑s excédentaires ou de personnes mises en disponibilité.

1.1.28 Rien de ce qui précède ne limite le droit de l’Employeur d’embaucher ou de nommer des personnes pour répondre à des besoins ponctuels à court terme. Les employé‑e‑s excédentaires et les personnes mises en disponibilité ont la priorité même pour ces emplois de courte durée.

[41]           La demanderesse reproche à l’arbitre de ne pas avoir défini explicitement et précisément l’objet de la clause 1.1.27, mais cela ne veut pas dire que l’arbitre n’a jamais tenu compte de cet objet. L’arbitre était en effet parfaitement au courant des arguments de la demanderesse à cet égard, puisqu’elle les a résumés aux paragraphes 29, 30 et 42 à 45 de sa décision.

[42]           Voici ce qu’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland Nurses, au paragraphe 16 : « Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale. » Pour les motifs exposés ci‑dessous, le défaut d’attribuer une raison d’être explicite ou précise à la clause 1.1.27 ne rend pas la décision de l’arbitre déraisonnable ou impossible à comprendre. Il est au moins implicite dans la décision de l’arbitre que l’objet de la clause 1.1.27 était d’offrir des possibilités d’emploi aux personnes déjà en situation de réaménagement des effectifs, et non d’empêcher les réaménagements légitimes de se produire.

3.                  L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur dans l’interprétation qu’elle a faite du terme « contractuels »?

[43]           Au paragraphe 72 de sa décision, l’arbitre a conclu, s’agissant de la clause 1.1.27, que le terme « contractuels » devrait « être interprété […] comme faisant référence à des contractuels qui travaillent sur place ». Au cours de l’audience sur cette question, la demanderesse a déclaré qu’il était absurde que l’arbitre ait fait fi du sens ordinaire et habituel du mot « contractuels ». La demanderesse a aussi fait valoir qu’il était incorrect d’appliquer la règle ejusdem generis à l’interprétation du terme « contractuels », puisque ce mot n’est ni général ni vague dans un contexte de relations de travail. Pour sa part, le défendeur a souligné que l’arbitre avait fait remarquer que chacun des termes regroupés avec le mot « contractuels » désignait des personnes employées pour répondre à des besoins ponctuels à court terme; le défendeur soutient donc qu’il était raisonnable de limiter le terme à cette catégorie, conformément à la règle ejusdem generis.

[44]           L’interprétation que fait un arbitre d’un terme dans une convention collective peut être raisonnable même si la Cour n’est pas d’accord avec cette interprétation. Ainsi qu’il est précisé dans l’arrêt Nor‑Man, au paragraphe 45, les arbitres ne sont pas forcément liés par les règles juridiques et ils peuvent « adapter les doctrines de common law et d’equity qu’ils estiment pertinentes dans les limites de leur sphère circonscrite de créativité ». Qu’un arbitre ait appliqué correctement ou non la règle ejusdem generis, telle qu’elle existe en common law, ne rend pas déraisonnable la décision faisant l’objet d’un contrôle si la Cour est capable de comprendre les motifs de l’arbitre (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). En tout état de cause, la règle ejusdem generis est plus souple dans le domaine de l’arbitrage du travail qu’en common law et elle prévoit simplement que [traduction] « tous les éléments énumérés dans une liste sont présumés avoir des caractéristiques communes et faire partie de la même catégorie » (Michael Bendel, « Interpretation of the Collective Agreement » dans Ronald M. Snyder, éd., Collective Agreement Arbitration in Canada, 5e éd. (Markham, Ontario, LexisNexis, 2013) au paragraphe 2.25).

[45]           À mon avis, l’interprétation que l’arbitre a faite du mot « contractuels » dans le contexte de la clause 1.1.27 était raisonnable. Les décisions antérieures relatives à l’AFPC opposaient les mêmes parties et concernaient une situation où « les employés contractuels faisaient le même travail, avec le même matériel et dans les mêmes locaux que les employés syndiqués » (voir AFPC (CSC), à la page 969, et AFPC (Commission), à la page 11). C’est le genre de situation à laquelle songeaient probablement les parties lorsque la clause 1.1.27 a été négociée en vue d’employer des mots différents en parlant notamment de « contractuels » plutôt que de « marchés de services ».

4.                  L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur dans l’interprétation qu’elle a faite du terme « réembauche »?

[46]           Au paragraphe 74 de sa décision, l’arbitre a jugé que Medavie n’avait pas été réembauchée parce que les tâches transférées étaient « du même ordre que celles qui étaient déjà imparties à l’entreprise et, à mon avis, ce transfert équivaut à une modification à un contrat existant » (non souligné dans l’original). L’utilisation du mot « équivaut » par l’arbitre porte à croire qu’elle a perçu les changements apportés, à la suite d’une modification au contrat de Medavie, comme des changements effectués tant sur le plan du fond que sur celui de la forme, et que ces changements n’ont fait qu’ajouter aux tâches dont s’acquittait déjà Medavie. L’arbitre a d’ailleurs souligné au paragraphe 80 de sa décision que « [n]i l’une ni l’autre des parties n’a présenté d’éléments de preuve indiquant que le travail imparti à Medavie aurait pu être effectué par les ASC ».

[47]            L’interprétation de la clause 1.1.27 que propose la demanderesse ne tient pas compte du préfixe « re » que l’on retrouve dans les mots re‑engage et renew du libellé anglais [en français, réembaucher]. Lorsque l’on décide de créer un nouveau poste, de mettre en œuvre un système de subventions et de confier le travail à la sous‑traitance, on ne réembauche pas un « contractuel »; on engage un « contractuel » dans le cadre d’un nouveau contrat ou alors on élargit la portée d’un contrat existant. Les parties ont certainement négocié les termes re‑engaging et renewing [en français, réembaucher] pour une raison particulière et cela concorde avec l’interprétation que l’arbitre a faite de l’objet de l’Appendice D. La conclusion de l’arbitre selon laquelle Medavie n’a pas été réembauchée en contravention de la clause 1.1.27 était non seulement raisonnable mais compréhensible, compte tenu de son raisonnement.

5.                  L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a exigé qu’il devait y avoir préalablement des « employés excédentaires ou des personnes mises en disponibilité »?

[48]           La PRE dont il est question dans l’affaire AFPC (CAF) prévoyait que les ministères devraient « mettre fin » aux « marchés de services » si cette mesure était de nature à faciliter la réaffectation des employés touchés. À la page 442, le juge Mahoney déclarait ce qui suit au nom des juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale :

L’esprit de la Politique concernant le réaménagement des effectifs, c’est qu’en cas de réaménagement des effectifs, les employés nommés pour une durée indéterminée et dont les services ne sont plus requis seraient réaffectés dans la mesure du possible et, si nécessaire, recyclés. Cette politique n’interdit pas l’impartition, mais prévoit que, pour faciliter la réaffectation des employés « touchés », « excédentaires » ou « mis en disponibilité », l’employeur réexaminera le recours aux marchés de services et y mettra fin, entre autres. Cette obligation s’oppose absolument à l’intention de permettre la création d’employés « touchés », « excédentaires » ou « mis en disponibilité » en confiant à l’extérieur les tâches mêmes dont ils assuraient l’exécution.

La Cour suprême du Canada a repris ce passage à son compte dans l’arrêt AFPC (CSC), à la page 975.

[49]           L’arbitre n’était pas liée par l’interprétation que la Cour suprême ou la Cour fédérale d’appel a faite de la PRE dans les décisions relatives à l’AFPC. Contrairement à la clause 5.1.2, la clause 1.1.27 ne s’applique pas au personnel « touché ». Elle ne s’applique qu’aux « employés excédentaires » et aux « personnes mises en disponibilité », expressions qui sont toutes les deux définies au passé :

Personne mise en disponibilité (Laid‑off person) – Personne qui a été mise en disponibilité conformément au paragraphe 64(1) de la LEFP et pouvant toujours être nommée en priorité en vertu du paragraphe 41(4) et de l’article 64 de la LEFP.

[…]

Employé‑e excédentaire (surplus employee) – Employé‑e nommé pour une période indéterminée et que l’administrateur général dont il relève a officiellement déclaré excédentaire par écrit.

[Non souligné dans l’original]

[50]           Il était raisonnable de la part de l’arbitre de considérer l’emploi du passé dans ces définitions comme significatif, d’autant plus qu’elle n’a pas attribué à l’Appendice D le même objet que la Cour suprême avait attribué à la PRE, en 1993. Au contraire, l’arbitre a affirmé au paragraphe 76 de sa décision que la directive sur le réaménagement des effectifs dans l’Appendice D avait l’objet suivant : « [D]’aider les employés nommés pour une période indéterminée "dont les services ne seront plus requis en raison d’un réaménagement des effectifs" et de s’assurer que "dans toute la mesure du possible, on offre à ces employés d’autres possibilités d’emploi". Il est également indiqué, dans les objectifs, qu’on ne doit pas considérer que la Directive assure le maintien dans un poste en particulier. »

[51]           De l’avis de l’arbitre, la clause 1.1.27 a pour objet d’offrir des possibilités d’emploi aux employés excédentaires et aux personnes mises en disponibilité en exigeant que l’employeur examine l’utilisation et le travail du personnel temporaire ou contractuel et voit si le travail de ce personnel ne pourrait pas plutôt être fait par les employés nommés pour une période indéterminée. Il est compréhensible que l’arbitre ait jugé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les engagements contractuels existants de l’employeur, du moins tant qu’il n’y avait pas d’employés excédentaires ou de personnes mises en disponibilité. Bien que cette interprétation de la clause 1.1.27 ne puisse pas produire de résultats aussi favorables pour la demanderesse que la clause 5.1.2 dans les décisions relatives à l’AFPC, c’est une interprétation raisonnable que la Cour devrait respecter.

[52]           Il vaut la peine de signaler que, dans l’arrêt AFPC (CAF) le juge Mahoney a aussi dit ce qui suit à la page 443 :

Par définition, il y a « réaménagement des effectifs » lorsque la haute direction décide qu’un ou plusieurs employés nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis en raison d’un « manque de travail » ou de « la suppression d’une fonction ». On ne saurait, à mon avis, dire d’un employé dont la tâche a été confiée à l’extérieur que ses services ne sont plus nécessaires faute de travail ou par suite de la suppression d’une fonction. Ses services ne sont plus requis parce que la fonction a été confiée aux entrepreneurs de l’extérieur.

[53]           Manifestement, l’arbitre a jugé que la présente affaire était dissemblable, puisqu’elle a affirmé ce qui suit au paragraphe 82 de sa décision :

Cette situation n’est pas comparable à celle dans AFPC c. Canada, dans laquelle l’employeur a entrepris de réduire le nombre d’employés occupant des postes de durée indéterminée en impartissant les tâches de ces employés (AFPC c. Canada, CAF, page 7; Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 RCS 941, paragraphe 67). En l’espèce, il s’agissait d’une décision stratégique d’instaurer un régime fondé sur des subventions plutôt que sur des demandes d’approbation, ce qui a modifié la nature même des tâches accomplies par les employés (les ASC) dans le cadre du PAAC et a également entraîné une réduction des tâches à exécuter.

J’estime qu’il était raisonnable de la part de l’arbitre de juger que la clause 1.1.27 n’empêchait pas, à elle seule, le gouvernement de procéder à des réaménagements des effectifs.

6.                  L’arbitre a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’était pas possible d’éviter l’impartition à Medavie?

[54]           L’arbitre a affirmé ce qui suit aux paragraphes 80 et 81 de sa décision :

80 Ni l’une ni l’autre des parties n’a présenté d’éléments de preuve indiquant que le travail imparti à Medavie aurait pu être effectué par les ASC. La partie s’estimant lésée [la demanderesse] fait valoir qu’il existe un lien direct entre les tâches transférées et la réduction du nombre de postes d’ASC. Elle a aussi fait valoir que si le contrat de Medavie n’avait pas été modifié, les employés occupant des postes d’ASC auraient conservé leur emploi. Cette allégation fait abstraction d’un changement stratégique important qui s’est opéré. Autrement, pourquoi les tâches auraient‑elles été imparties à un fournisseur de services externe? Cette mesure a été prise parce que l’employeur a jugé que, dans toute la mesure du possible, il ne pouvait plus continuer de confier ces tâches à des employés internes. En effet, les fonctions des ASC ont été modifiées par suite de la conversion à un régime de subventions, ainsi qu’en raison de changements touchant l’envoi, la réception et le traitement des questionnaires annuels. Ainsi, les ASC se sont vu confier la tâche d’assurer un suivi dans les cas où, à la suite de la vérification du dossier du client, il serait signalé que sa situation a changé. Comme l’a déclaré Mme Burdett, le rôle des ASC a été considérablement réduit, étant donné qu’il consiste non pas à déterminer les besoins des anciens combattants, mais plutôt à effectuer tout suivi nécessaire concernant le paiement des subventions et les changements relatifs à ce paiement. Il importe également de noter que les fonctions liées à la vérification des dossiers, qui faisaient auparavant partie du traitement des demandes, avaient aussi été modifiées avant même le budget de 2012. Il s’agit en l’espèce d’établir si l’employeur pouvait, dans toute la mesure du possible, éviter d’impartir ces services afin de conserver tous les ASC qui faisaient partie de son effectif. Le SEAC n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que, dans toute la mesure du possible, l’employeur pouvait éviter de le faire, mais a plutôt misé sur le transfert du fardeau de la preuve à l’employeur, à qui il incombait de démontrer qu’il ne pouvait, dans toute la mesure du possible, éviter de le faire. Compte tenu de mes conclusions précédentes, j’estime que rien ne limitait le recours à l’impartition par l’employeur. Néanmoins, même si le pouvoir de l’employeur avait été limité, je conclus que celui‑ci a présenté des éléments de preuve démontrant qu’il ne pouvait pas, dans toute la mesure du possible, éviter l’impartition. L’employeur a fourni des éléments de preuve selon lesquels, par suite du Plan d’action pour la réduction du déficit et du budget, le gouvernement a ordonné que le PAAC soit modifié de façon à mieux servir les anciens combattants. L’employeur a également démontré les économies importantes réalisées par ACC grâce à l’impartition. L’employeur a fait valoir que cela démontrait qu’il ne pouvait pas, dans toute la mesure du possible, continuer de confier ces tâches aux ASC.

81 L’expression « dans toute la mesure du possible » n’est pas synonyme de possible (voir Brannick, au paragraphe 8). Cette expression doit être interprétée au sens d’utile, de judicieux sur le plan financier ou de rentable, de même qu’au sens de pratique sur le plan matériel (voir The Council of Postal Unions, au paragraphe 25). Il ne fait aucun doute, dans le contexte économique actuel, que le gouvernement du Canada a décidé qu’il fallait réduire les dépenses dans la fonction publique et prendre les mesures nécessaires pour assurer la réduction globale des coûts. Les économies globales réalisées par l’employeur grâce à l’impartition à Medavie démontrent qu’il s’agissait d’une mesure rentable et judicieuse sur le plan financier, en dépit de ses tristes conséquences.

[55]           À mon avis, il n’était pas raisonnable, ni nécessaire d’ailleurs, pour l’arbitre d’interpréter l’expression « dans toute la mesure du possible » de la clause 1.1.27 ni de l’examiner. Cet aspect de la clause, comme l’a fait valoir le défendeur, ne s’appliquait pas, compte tenu du fait que l’arbitre avait conclu qu’il n’y avait pas de contractuels, ni de réembauche de contractuels, pas plus qu’il n’y avait d’employés excédentaires ou de personnes mises en disponibilité au moment où le contrat de Medavie a été modifié. Les observations précitées de l’arbitre étaient pour le moins superflues. Toutefois, ces observations ne rendent pas les autres aspects de sa décision déraisonnables pour autant, pas plus qu’elles ne rendent sa décision incompréhensible ou déraisonnable dans son ensemble.

VII.          Conclusion

[56]           En définitive, je conclus que les motifs invoqués par l’arbitre pour rejeter le grief de principe sont justifiables et compréhensibles et, malgré ses commentaires au sujet de l’expression « dans toute la mesure du possible » dans le contexte de la clause 1.1.27, j’estime que ses motifs sont raisonnables. L’arbitre était sensible aux questions en litige et sa décision appartient aux issues possibles acceptables, si l’on tient compte surtout du fait que l’interprétation et l’application des conventions collectives lui sont familières.

[57]           La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée.

[58]           Le défendeur a réclamé ses dépens, et comme les parties en ont convenu lors de l’audience, je ne vois aucune raison de déroger à l’usage selon lequel les dépens doivent suivre l’issue de la cause. En conséquence, le défendeur a droit à ses dépens taxés conformément à la colonne III du tarif B.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse et DÉCLARE que le défendeur a droit aux dépens taxés conformément à la colonne III du tarif B.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑268‑14

 

INTITULÉ :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 septembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 1er dÉcembrE 2014

 

COMPARUTIONS :

Andrew Raven

 

POUR la demanderesse

 

Sean F. Kelly

 

POUR le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR le défendeur

 

 

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