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Date : 20141126


Dossier : IMM-4617-13

Référence : 2014 CF 1138

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

RAVEENDRAN GOPALARASA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Résumé

[1]               Raveendran Gopalarasa, le demandeur, est un citoyen du Sri Lanka qui demande le contrôle judiciaire de la décision du 3 juin 2013 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (Commission) a conclu qu’il n’avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La demande a été déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi. La demande est accueillie pour les motifs suivants.

II.                Faits

[2]               Le demandeur, citoyen sri‑lankais de Jaffna, ville située dans la province du Nord du Sri Lanka, demande l’asile. C’est un menuisier tamoul de 35 ans. En bref, le risque de persécution allégué repose sur deux motifs distincts.

[3]               Premièrement, le demandeur craint l’armée sri‑lankaise (l’armée). Il allègue avoir eu des problèmes avec l’armée dans les années 1990 et que des représentants de l’armée à sa recherche sont venus chez lui en juin 1997. Ces derniers ont dit à sa mère de l’informer qu’il devait se présenter au camp militaire le lendemain. Il s’est plutôt enfui à Vavuniya, où il est resté.

[4]               Deuxièmement, le demandeur craint le Parti démocratique populaire de l’Eelam (PDPE), groupe paramilitaire tamoul. Il allègue qu’en avril 2010, des membres du PDPE l’ont kidnappé à Vavuniya et exigé une rançon appréciable. En novembre 2011, ils ont trouvé son nouveau lieu de résidence et s’y sont rendus pour s’informer à son sujet. À ce moment‑là, ils ont dit aux propriétaires que l’argent ne les intéressait plus et qu’ils voulaient plutôt éliminer le demandeur.

[5]               Le demandeur s’est ensuite enfui du pays. Il a demandé l’asile aux États‑Unis, où il est resté pendant près de deux mois, à la suite de quoi il est venu au Canada, où il a aussi présenté une demande d’asile.

III.             Décision faisant l’objet du contrôle

[6]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi.

[7]               La Commission a jugé que la crainte du demandeur à l’égard de l’armée n’était pas fondée pour diverses raisons, que voici :

                     Le demandeur s’est fait délivrer un passeport sri‑lankais et s’est soumis aux formalités de sécurité aéroportuaire sans aucune difficulté, ce qui laisse supposer qu’il ne faisait pas l’objet d’un mandat d’arrestation;

                     L’incident impliquant des représentants de l’armée qui étaient à sa recherche a eu lieu en 1997, soit il y a plus de 15 ans, et avant la fin de la guerre en 2009;

                     Les anciens membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) sont en train d’être libérés par le gouvernement;

                     La famille du demandeur vit à Jaffna sans être importunée;

                     Aucun élément de preuve n’établit que le demandeur a eu affaire avec les TLET par le passé ou qu’il a participé à des activités contre le gouvernement du Sri Lanka alors qu’il se trouvait au Canada, ou encore que le gouvernement du Sri Lanka le considère comme une menace à la sécurité;

                     Le demandeur a laissé tomber sa demande d’asile aux États‑Unis pour venir au Canada;

                     Son profil ne correspond à aucun des groupes vulnérables des UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum Seekers from Sri Lanka, 2012 (principes directeurs du HCR de 2012);

                     Les Tamouls qui retournent au Sri Lanka sont soumis aux mêmes mesures de contrôle, sans égard au fait qu’ils y reviennent de leur plein gré ou après avoir été déboutés d’une demande d’asile;

                     Le demandeur d’asile n’a pas fourni d’éléments de preuve à l’appui de son allégation voulant qu’il soit recherché par les forces de sécurité sri‑lankaises ou que ces dernières l’arrêteraient s’il retournait au Sri Lanka.

[8]               En ce qui concerne la crainte alléguée du demandeur à l’égard du PDPE, la Commission a conclu que le demandeur était en réalité exposé à un risque généralisé, en ce sens que la menace pesait généralement sur d’autres compatriotes perçus comme étant fortunés ou ayant assez d’argent pour faire l’objet d’extorsion. Comme ces caractéristiques s’appliquent à lui, il n’avait pas qualité de personne à protéger selon le paragraphe 97(1). Le commissaire a souligné que les victimes d’actes criminels, de corruption ou de vendettas ne réussissent habituellement pas à établir un lien avec l’article 96.

IV.             Questions

[9]               Le demandeur soulève cinq questions dans sa demande et avance que la Commission a commis les erreurs suivantes :

A.                Elle n’a pas appliqué la bonne norme juridique pour déterminer la qualité de réfugié;

B.                 Elle n’a pas évalué adéquatement le risque généralisé;

C.                 Elle a évalué la crainte subjective du demandeur en fonction du fait qu’il n’avait pas attendu l’issue de sa demande d’asile présentée aux États‑Unis;

D.                Elle a ignoré des éléments de preuve essentiels;

E.                 Elle n’a pas évalué adéquatement la crédibilité du demandeur d’asile.

V.                Dispositions pertinentes

[10]           Les dispositions pertinentes sont les articles 96 et 97 de la Loi (voir l’annexe A).

VI.             Observations des parties

A.                Mauvaise norme juridique

[11]           Le demandeur soutient que la Commission a appliqué la bonne norme juridique pour déterminer s’il avait qualité de réfugié, à savoir la « prépondérance des probabilités » plutôt que celle de la « possibilité sérieuse » de persécution.

[12]           Le défendeur avance quant à lui que la bonne norme de preuve est appliquée dans la décision, dans son ensemble. La Commission a appliqué la norme civile de la « prépondérance des probabilités » pour apprécier la preuve présentée à l’appui des assertions de fait et celle de la « possibilité sérieuse » de persécution pour apprécier le risque. Bien que la Commission n’ait pas utilisé les termes les plus appropriés pour décrire la norme appliquée, elle a appliqué la bonne norme dans sa conclusion et est arrivée au bon résultat.

B.                 Évaluation du risque généralisé

[13]           Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas analysé sa crainte d’être persécuté par le PDPE selon l’article 96. Le demandeur fait valoir que la Commission n’a pas pris en compte les mesures de persécution dont il aurait pu être victime pour avoir refusé de se plier aux tentatives d’extorsion du PDPE, geste de nature à être interprété par le PDPE comme une opposition à son programme politique. Il y a donc manifestement un lien avec les opinions politiques perçues, ce sur quoi la Commission ne s’est pas penchée.

[14]           Le défendeur soutient que la Commission a raisonnablement fait remarquer que les victimes d’actes criminels, de corruption ou de vendettas ne réussissent habituellement pas à établir un lien avec l’un des motifs énoncés dans la Convention. En outre, lorsqu’une demande est présentée en fonction d’un motif prévu dans la Convention, l’appartenance à un groupe doit être la principale cause de persécution. Le fait que le demandeur était un Tamoul n’était pas la principale cause de persécution, et le PDPE n’avait pas ciblé le demandeur en raison de motifs politiques. Le défendeur conclut qu’il était raisonnable de la part de la Commission de fonder sa décision sur l’article 97 étant donné que le fait pour quelqu’un d’être ciblé en raison de sa fortune est un risque généralisé. De même, lorsqu’un demandeur d’asile refuse de se plier à une demande d’extorsion, le fait qu’il s’expose à des représailles ne suffit pas pour rendre le risque personnel (Wilson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 103, au paragraphe 7; Baires Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 993, au paragraphe 27).

C.                 Évaluation de la crainte subjective

[15]           Le demandeur soutient que la Commission a erré en tirant une inférence défavorable du fait qu’il a laissé tomber la demande d’asile qu’il a présentée aux États‑Unis étant donné que, selon la jurisprudence, la présence d’un parent au Canada est un motif suffisant pour ne pas demander l’asile dans un autre pays.

[16]           Le demandeur fait valoir qu’il était loisible à la Commission, au moment d’évaluer le bien‑fondé de la crainte du demandeur, de prendre en compte que ce dernier avait laissé tomber sa demande d’asile aux États‑Unis.

D.                Omission de prendre en compte des éléments de preuve contredisant directement les conclusions

[17]           Selon le demandeur, la Commission n’a pas tenu compte du fait que certains éléments de preuve documentaire présentaient des contradictions, dont dans un document sur lequel elle s’est principalement fondée dans son analyse des facteurs de risque (principes directeurs du UNHCR de 2012). Il soutient en outre que la Commission a erré en ignorant d’autres éléments de preuve pertinents qui contredisent clairement les conclusions auxquelles elle est arrivée au sujet du danger auquel sont exposés les hommes tamouls du nord du Sri Lanka et du processus de contrôle des Tamouls rapatriés.

[18]           Le défendeur fait observer que la Commission a souligné, quoique brièvement, que la situation au Sri Lanka n’est pas parfaite et qu’elle a fait mention de quatre affaires mettant en cause des rapatriés détenus. Quoi qu’il en soit, la Commission est présumée avoir apprécié et examiné l’ensemble de la preuve portée à sa connaissance, jusqu’à preuve du contraire, et elle n’est pas tenue de mentionner les éléments de preuve contradictoires se trouvant dans les documents sur la situation générale dans le pays.

E.                 Mauvaise évaluation de la crédibilité du demandeur

[19]           Le demandeur fait par ailleurs valoir que la Commission a erré dans son évaluation de la crédibilité du demandeur. Lorsqu’elle a évalué le bien‑fondé de la crainte du demandeur, la Commission a affirmé avoir des doutes quant à la crédibilité de ce dernier et tiré des conclusions à cet égard qui :

                     se fondent sur une approche trop simpliste, des inférences défavorables étant tirées du fait que le demandeur a pu demander un passeport et se soumettre aux formalités de sécurité aéroportuaire;

                     se fondent sur une définition trop restreinte de la catégorie « personnes placées dans une situation semblable », la Commission ayant pris en compte que la famille du demandeur vivait à Jaffna sans être importunée;

                     n’expliquent pas pourquoi la Commission avait besoin de documents corroborant l’allégation selon laquelle le demandeur était recherché ou serait arrêté par les autorités sri‑lankaises;

                     sont erronées parce que la Commission tire des inférences défavorables du fait que le demandeur a laissé tomber sa demande d’asile aux États‑Unis.

Quoi qu’il en soit, le demandeur soutient qu’il est difficile de savoir quels sont les véritables facteurs ayant mené à la conclusion de la Commission sur la crédibilité.

[20]           Selon le défendeur, l’observation de la Commission selon laquelle « il existe des doutes sérieux quant à la crédibilité du récit du demandeur d’asile » touche au cœur même de l’affaire, à savoir le bien‑fondé de la demande d’asile du demandeur. Le défendeur avance qu’il était loisible au commissaire de prendre en compte divers facteurs au moment de décider du bien‑fondé de la crainte du demandeur, dont les suivants : il n’a fait l’objet d’aucunes représailles depuis sa rencontre avec des représentants de l’armée il y a 15 ans; il a pu obtenir un passeport et quitter le pays sans difficulté; sa famille n’a été victime d’aucunes représailles; il a laissé tomber sa demande d’asile aux États‑Unis; il n’a participé à aucune activité politique depuis qu’il est au Canada.

[21]           Le défendeur soutient que la Commission ne s’est fondée sur aucun de ces facteurs en particulier pour décider du bien‑fondé de la demande d’asile, mais plutôt sur l’ensemble de ces facteurs, contrairement à ce que la Cour a conclu dans l’affaire Rayappu c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM‑8712‑11, 24 octobre 2012, et dans B027 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 485, décisions sur lesquelles se fonde le demandeur. Le défendeur avance donc que même si l’une des conclusions posait problème, la décision dans son ensemble était raisonnable.

VII.          Norme de contrôle

[22]           Deux normes s’appliquent en l’espèce. Comme les questions 1 à 3 soulèvent des questions de droit, elles doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 44).

[23]           Les questions 4 et 5 doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable, qui exige que la Cour fasse davantage preuve de déférence à l’égard du décideur (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 51). Lorsqu’elle applique le critère de la décision raisonnable, la Cour peut intervenir seulement si elle est convaincue que les motifs du tribunal ne sont pas justifiés, transparents ou intelligibles et que la décision n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

VIII.       Analyse

[24]           Je suis d’avis que la Commission a commis une erreur à l’égard de chacune des questions soulevées en l’espèce.

A.                Mauvaise norme juridique

[25]           Le commissaire a affirmé dans sa décision, à trois endroits différents :

(i)         […] le tribunal juge, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’est pas recherché par les forces de sécurité du Sri Lanka;

(ii)        […] le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile ne serait pas exposé à un risque sérieux de subir un préjudice de la part des forces de sécurité du gouvernement […] du Sri Lanka, s’il devait retourner dans ce pays;

(iii)       […] selon la prépondérance des probabilités, le tribunal n’est pas d’avis que le demandeur d’asile sera arrêté ou qu’il subira un préjudice de la part des forces de sécurité du gouvernement s’il devait retourner au Sri Lanka aujourd’hui.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision, dossier du demandeur [DD], p. 12, paragraphes 13, 15 et 23.)

[26]           La Commission applique la mauvaise norme en faisant ces affirmations. Certes, elle aurait dû appliquer la norme de la prépondérance des probabilités dans son appréciation de la preuve visant à déterminer les faits, mais ultimement, pour statuer sur la demande fondée sur l’article 97, la norme applicable est celle, moins exigeante, de la « possibilité sérieuse ». En n’appliquant pas la bonne norme, la Commission a commis une erreur de droit.

[27]           La Commission ne peut pas énoncer plusieurs normes – dans l’affaire qui nous occupe, elle s’est appuyée à trois reprises sur la mauvaise norme, comme il appert ci‑dessus – et corriger ces erreurs en s’appuyant une fois par la suite sur la bonne norme (Sekeramayi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 845, au paragraphe 17; Paramsothy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1000, au paragraphe 32).

B.                 Évaluation du risque généralisé : omission d’établir s’il y a persécution selon l’article 96

[28]           La Commission a jugé qu’être victime d’extorsion de la part du PDPE était un risque généralisé. Cependant, le demandeur n’a pas dit qu’il craignait se faire extorquer, mais plutôt qu’il craignait d’être victime de persécution s’il ne se pliait pas aux tentatives d’extorsion. Il a dit au commissaire [traduction] qu’« ils ont aussi dit que l’argent ne les intéressait plus et qu’ils voulaient plutôt éliminer le demandeur » (transcription de l’audience, DD, p. 578), et son avocat a fait remarquer ce qui suit dans les observations qu’il a présentées au commissaire :

[traduction] […] la preuve donne bel et bien à penser que ces groupes ont reçu le feu vert pour extorquer les hommes d’affaires tamouls et non ceux d’origine cinghalaise, que ces activités d’extorsion sont toujours fondées sur la race et l’origine ethnique ainsi que sur les opinions politiques perçues, ce qui est directement lié à la définition de réfugié au sens de la Convention. Ce n’est pas un risque généralisé.

(Transcription de l’audience, DD, p. 600.)

[29]           Le commissaire a commis une erreur en n’examinant la crainte que selon l’article 97 et en estimant qu’il s’agissait d’un risque généralisé plutôt que de déterminer si le demandeur avait établi un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention (c’est‑à‑dire les opinions politiques perçues par suite du refus du demandeur de se plier aux exigences du PDPE).

[30]           Le demandeur a exprimé clairement cette crainte non seulement à l’audience, mais aussi antérieurement, dans des déclarations écrites. Par exemple, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) de mars 2012, il a déclaré ce qui suit [traduction] : « Ces hommes armés ont dit aux propriétaires que l’argent ne les intéressait plus et qu’ils voulaient désormais me tuer […]. Je crains d’avoir des problèmes avec le PDPE si je retourne au Sri Lanka parce que je n’ai pas remis la somme exigée » (exposé circonstancié du FRP, DD, p. 29, paragraphes 5 et 6).

[31]           Malgré la conclusion du commissaire dans cette affaire selon laquelle le risque que présentait le PDPE était généralisé, la SPR aurait dû effectuer une analyse selon l’article 96 parce que des éléments de preuve montraient que le risque auquel le demandeur était exposé à cet égard était fondé sur l’origine ethnique ou les opinions politiques perçues. Contrairement à l’affaire Pararasasingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 805, où il a été statué que la Commission avait procédé à une analyse raisonnable sur la question du lien en ce qui concerne les menaces et l’extorsion dont un Tamoul alléguait avoir été victime de la part du PDPE, la Commission, en l’espèce, n’a pas effectué d’analyse pour déterminer si le demandeur avait établi un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention (voir Dezameau c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 559, aux paragraphes 23 et 31; Josile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 39, au paragraphe 11.

C.                 Évaluation de la crainte subjective

[32]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas de crainte subjective d’être persécuté parce qu’il aurait pu demander l’asile ailleurs – elle a fait remarquer qu’il avait une sœur en Norvège – et qu’il est resté aux États‑Unis pendant deux mois. Elle a affirmé que la présentation tardive de la demande d’asile mène à conclure à l’absence de crainte subjective de persécution.

[33]           Toutefois, la jurisprudence est claire sur la question : tenter d’être réuni avec sa famille est un motif valable pour un ressortissant étranger de ne pas demander l’asile dans le premier pays dans lequel il arrive avant de se rendre au Canada (voir Ay c Canada (Citoyenneté et Immigration),2010 FC 671, aux paragraphes 39 et 40; Paramananthan c Canada (Citoyenneté et Immigration), dossier IMM‑6206‑09 de la CF du 16 novembre 2010; Rivera Mejia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1265, au paragraphe 9.

[34]           En l’espèce, la Commission a tiré une inférence défavorable du fait que le demandeur a laissé tomber sa demande d’asile aux États‑Unis. Elle a fait remarquer que le demandeur a été détenu aux États‑Unis. Elle omet toutefois de souligner qu’il ne pouvait pas quitter les États‑Unis pendant qu’il était détenu et que dès qu’il a été relâché, il a quitté les États‑Unis pour se rendre au Canada, destination qu’il avait prévue depuis son départ du Sri Lanka. En effet, le demandeur avait un frère au Canada. Dans son témoignage, le demandeur a insisté sur le fait qu’il n’a jamais eu l’intention de demander l’asile aux États‑Unis (voir le dossier certifié du tribunal (le DCT), p. 582‑588) et a affirmé ce qui suit à l’issue d’un interrogatoire et d’un contre‑interrogatoire détaillés :

[traduction]

AVOCAT : Pouvez-vous me dire, Monsieur, quelle était votre intention à votre départ du Sri Lanka, par exemple, où vous aviez l’intention d’aller? Aviez-vous prévu quelque chose?

DEMANDEUR D’ASILE : J’avais prévu me rendre au Canada.

AVOCAT : Très bien. Et y avait‑il une raison de prévoir vous rendre au Canada?

DEMANDEUR D’ASILE : J’avais deux raisons. Tout d’abord, un agent m’a dit que je pouvais aller au Canada et, ensuite, mon frère se trouvait ici.

AVOCAT : Très bien. Donc, si vous n’aviez pas été arrêté par les autorités américaines, auriez‑vous présenté une demande d’asile aux États‑Unis?

DEMANDEUR D’ASILE : Non.

[DCT, p. 588]

[35]           Il semble que la Commission ait fait abstraction du témoignage du demandeur d’asile lorsqu’elle a conclu qu’il a « renoncé à la possibilité de se voir accorder l’asile aux États‑Unis » et que quelqu’un qui éprouve véritablement une crainte « demanderait l’asile à la première occasion ». À mon avis, la Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte, dans son évaluation de la crainte subjective, que la raison pour laquelle le demandeur n’a pas saisi l’occasion de présenter une demande d’asile aux États‑Unis est qu’il avait un frère au Canada. En outre, la Commission aurait dû prendre en considération le motif pour lequel le demandeur est resté aux États‑Unis tout comme le fait que ce dernier a toujours eu l’intention de demander l’asile au Canada.

[36]           Les deux prochains points seront examinés selon la norme de la décision raisonnable, comme il a été mentionné précédemment, et je serai bref puisque, comme il a été conclu que la Commission a erré à l’égard des trois premières questions, ceux‑ci ne jouent pas un rôle déterminant en l’espèce. Ils devraient toutefois être pris en compte lors du réexamen du dossier.

D.                Omission de prendre en compte des éléments de preuve contredisant directement les conclusions

[37]           Pour conclure que la crainte de l’armée éprouvée par le demandeur n’était pas fondée, la Commission s’est fondée sur la conclusion que son profil ne correspondait à aucun des groupes vulnérables dont il est fait mention dans les principes directeurs du HCR de 2012 (DCT, p. 134‑175).

[38]           Toutefois, tout de suite après, lorsqu’il traite du risque d’être rapatrié au Sri Lanka, le commissaire omet de faire référence à d’autres passages de ces mêmes principes directeurs indiquant que des demandeurs d’asile sri‑lankais (tamouls en particuliers) forcés de retourner au Sri Lanka auraient été détenus et fait l’objet de sévices et de torture (DCT, p. 141).

[39]           Il est bien établi dans la jurisprudence que la Commission n’est pas tenue de traiter de chaque élément de preuve devant elle, tant s’en faut (voir Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] FCJ no 1425, au paragraphe 16; Florea c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] FCJ no 598, au paragraphe 1 (CAF). Toutefois, il ressort aussi clairement de la jurisprudence qu’il ne faut pas négliger les éléments de preuve contradictoires. C’est particulièrement vrai dans le cas d’un document clé sur lequel se fonde la Commission pour conclure que le demandeur d’asile ne sera pas persécuté dans son pays d’origine. Ne pas tenir compte d’informations figurant dans le même document et étayant la conclusion contraire revient à le citer hors contexte et à ne montrer qu’un côté de la médaille.

E.                 Évaluation de la crédibilité

[40]           Le commissaire affirme qu’« il existe des doutes sérieux quant à la crédibilité du récit du demandeur d’asile », mais on ne sait trop en quoi consistent ces doutes. Le demandeur estime que le commissaire avait vraisemblablement à l’esprit quatre questions particulières, que le demandeur réfute toutes (à savoir le fait que i) le demandeur a pu obtenir un passeport et se soumettre aux formalités de sécurité aéroportuaire, ii) la famille du demandeur vivait au même endroit que lui sans être persécutée, iii) une large part de sa demande n’est pas étayée par une preuve corroborante et iv) il n’a pas attendu l’issue de sa demande d’asile présentée aux États‑Unis). On ne sait pas toutefois si c’est bien à cause de ces questions que le commissaire avait des réserves quant à la crédibilité du demandeur. Selon la jurisprudence, il faut expliquer clairement pourquoi un demandeur d’asile n’est pas crédible (voir Hilo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1991] FCJ no 228 (FCJ); Cooper c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 118, au paragraphe 5. À la lecture de la décision de la Commission, il est difficile de savoir, dans l’analyse du bien‑fondé de la crainte, quelles conclusions portent sur le fondement objectif de la crainte et lesquelles portent sur la crédibilité.

IX.             Conclusion

[41]           Comme les cinq questions soulevées comportaient des éléments problématiques, dont des erreurs de droit devant être examinées selon la norme de la décision correcte, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour qu’elle soit réexaminée par un tribunal composé de membres différents.

[42]           Aucune question n’a été présentée aux fins de certification et la présente affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un tribunal composé de membres différents pour qu’elle soit réexaminée.

« Alan Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Yves Labrecque, trad. a.


ANNEXE A

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) Articles 96 et 97

Immigration and Refugee Protection Act (SC 2001, c 27) Sections 96 and 97

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4617-13

 

INTITULÉ :

RAVEENDRAN GOPALARASA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 NOVEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Jack Davis

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nicole Paduraru

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David & Grice

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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