Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20141125


Dossier : IMM-4327-13

Référence : 2014 CF 1137

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Hughes

ENTRE :

SWARNJIT SINGH SIDHU

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Le demandeur est un citoyen de l’Inde qui est arrivé au Canada en 2003 à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. En 2010, la Section de l’immigration a statué qu’il était interdit de territoire pour fausses déclarations et a révoqué son statut de résident permanent. Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la Section d'appel de l'immigration (SAI), qui a rejeté l'appel. La Cour fédérale lui a refusé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la SAI.

[2]               En février 2013, le demandeur a présenté une demande d’ERAR, alléguant qu’il avait peur de retourner en Inde à titre d’Indien non résident (INR) perçu comme étant fortuné. L’agente a souligné que le demandeur possédait une maison de 200 000 $ qu’il serait obligé de vendre et qu’il apporterait le produit de la vente en Inde. Le demandeur a produit plusieurs articles tirés d’Internet ayant trait aux meurtres perpétrés contre des INR fortunés.

II.                La question en litige

[3]               La présente affaire soulève la question suivante :

1.         La décision de l'agente était-elle raisonnable?

III.             Décision

[4]               L’agente a rejeté la demande d’ERAR du demandeur, dans laquelle celui-ci prétendait avoir peur de retourner en Inde parce que de nombreux INR se font tuer ou enlever pour de l’argent.

[5]               L’agente a commencé par souligner qu’elle excluait des déclarations et des éléments de preuve ayant trait à (i) l’établissement au Canada et (ii) à la décision de la SAI, car ces deux questions sortaient du cadre de l’ERAR.

[6]               L’agente a analysé les nouveaux articles soumis par le demandeur et les sites Web desquels ils ont été tirés, et a conclu que le demandeur n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer qu’il serait exposé à des risques s’il retournait en Inde. L’agente a accordé peu de poids et une faible valeur probante aux articles, et a conclu que ceux-ci ne contenaient pas suffisamment de renseignements pour démontrer l’existence d’un lien avec les risques auxquels le demandeur serait personnellement exposé.

[7]               Enfin, l’agente a examiné les éléments de preuve concernant la situation dans le pays accessibles au public. Elle a conclu que, d’une manière générale, le gouvernement indien reconnaissait que des personnes avaient le droit de retourner en Inde et elle a tiré des conclusions favorables quant à la capacité du gouvernement à protéger ses citoyens.

[8]               L’agente a conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il serait personnellement exposé à un risque dans la foulée de son retour en Inde. Elle a conclu que, au vu de l’ensemble des éléments de preuve dont elle était saisie, il n’y avait aucun lien avec l’un des motifs énoncés dans la Convention, et aucune possibilité sérieuse que le demandeur soit victime de persécution au sens de l’article 96 ou soit exposé à un risque ou un danger au sens de l’article 97.

IV.             OBSERVATIONS DES PARTIES

[9]               Selon le demandeur, l'agente d'ERAR a commis les erreurs qui suivent :

A.                L’agente n’a pas tenu compte de la preuve documentaire soumise par le demandeur et, de façon déraisonnable, lui a accordé peu de poids. Plus précisément, l’omission de l’agente de faire part des recherches qu’elle a effectuées pour en arriver à sa conclusion selon laquelle les sites Web n’étaient pas crédibles rend la décision non susceptible de contrôle en la privant d’intelligibilité et de transparence.

B.                 L’agente a omis d’évaluer les risques en fonction du risque particulier allégué, parce que l’ensemble de son analyse a principalement porté sur la question de savoir si le gouvernement indien accordait le droit de libre circulation et autorisait ses citoyens à l’étranger à revenir, une question qui n’avait absolument rien à voir avec le risque allégué par le demandeur. Il convient de faire une analyse de la protection de l’État qu’en lien avec un type précis de personne et de préjudice.

[10]           Le défendeur prétend qu’aucune interprétation raisonnable de la preuve ne permet de conclure que les INR craignent avec raison d’être persécutés et que la protection offerte par l’État est inadéquate. La preuve n’est pas claire. En ce qui concerne les observations susmentionnées du demandeur, le défendeur prétend ce qui suit :

A.                L’agente a fait mention de la preuve documentaire soumise par le demandeur, mais a jugé qu’elle ne permettait pas d’étayer le risque allégué de persécution. De plus, l’agente doutait de la fiabilité des sites Web desquels le demandeur avait tiré les articles.

B.                 L’agente a ensuite examiné la partie du rapport du Département d'État des États-Unis qui portait sur les retours en Inde. Si les problèmes allégués par le demandeur étaient aussi généralisés qu’il le prétendait, on en aurait fait mention dans cette partie.

[11]           Le demandeur prétend que les observations du défendeur sont une tentative de fournir de nouveaux motifs qui ne figurent pas dans la décision. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (NL Nurses), la Cour suprême invite les cours de justice à compléter les motifs et à ne pas les reformuler (Pathmanathan c MCI, 2013 CF 353, au paragraphe 28). De plus, le demandeur prétend que tout comme la Cour d’appel l’a conclu dans l’arrêt Lemus c MCI, 2014 CAF 114, aux paragraphes 27 à 38, la Cour devrait favoriser la démarche énoncée dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, dans une affaire comme celle en l’espèce.

V.                NORME DE CONTRÔLE

[12]           Les deux parties conviennent, tout comme moi, que les décisions rendues dans le cadre d’un ERAR sont contrôlables selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62; Chekroun c MCI, 2013 CF 737, au paragraphe 36). Dans un contrôle selon la norme de la raisonnabilité, la Cour tient compte de la justification, la transparence et l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que de l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[13]           Les motifs insuffisants n’étant plus un motif distinct pour lequel une cour de révision peut annuler une décision, la Cour ne devrait intervenir que si, lorsque les motifs évoqués sont examinés dans le contexte de l’ensemble du dossier, la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (NL Nurses, précité, au paragraphe 14).

[14]           Certes, la retenue n’est pas un chèque un blanc, le décideur doit donner les motifs qui l’ont amené à tirer une conclusion justifiable (Giron c MCI, 2013 CF 7, au paragraphe 15, citant Njeri c MCI, 2009 CF 291, au paragraphe 12). Toutefois, la Cour suprême du Canada a enjoint aux cours de révision d’examiner les motifs en corrélation avec le résultat, et de prêter une attention respectueuse aux motifs qui « pourraient être donnés à l’appui d’une décision » (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 12 et14; Dunsmuir, au paragraphe 48).

[15]           Cette directive ne confère pas un « pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat » (Alberta Teachers, précité, au paragraphe 54), mais elle autorise la Cour à examiner le dossier et à tirer des inférences logiques, virtuellement comprises dans le résultat, mais non expressément tirées (Komolafe c MCI, 2013 CF 431, aux paragraphes 10 et 11).

VI.             ANALYSE

[16]           Je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour affirmer que la décision de l’agente était déraisonnable, ou que les motifs étaient insuffisants.

[17]           Je reconnais que l’agente, en faisant des recherches sur la qualité des renseignements fournis, aurait pu expliquer comment elle en est venue à la conclusion que les sites Web [traduction] « n’étaient pas crédibles, impartiaux ou objectifs », et comment elle en est venue à la conclusion qu’[traduction] « ils contiennent des récits trouvés au hasard dans d’autres sites Web ainsi que ceux fournis par le public en général » (décision, dossier certifié du tribunal, à la page 6). Toutefois, l’agente a examiné le rapport du Département d'État des États-Unis et l’a privilégié par rapport aux documents soumis par le demandeur. Il eut été préférable qu’elle explique en détail comment elle en est arrivée à conclure que les sources soumises étaient moins fiables, mais son omission de le faire ne porte pas un coup fatal à la décision.

[18]           En fin de compte, je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer que ce dont le demandeur se plaint réellement en l’espèce, c’est le poids qui a été accordé à la preuve et au caractère suffisant des motifs. L’agente n’a pas fait abstraction du risque allégué par le demandeur. Elle a plutôt conclu que le demandeur n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer qu’il serait exposé à un risque à son retour en Inde. Ses motifs étaient brefs, mais, selon moi, amplement suffisants. L’agente a privilégié le rapport du Département d'État des États-Unis, lequel ne corroborait pas la crainte alléguée par le demandeur.  Le demandeur, pour avoir gain de cause, doit soumettre suffisamment d’éléments de preuve objectifs démontrant qu’il risque sérieusement d’être victime de persécution au sens de l’article 96, ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités au sens de l’article 97. Il ne l’a pas fait.

[19]           Le critère applicable pour déterminer le caractère raisonnable appelle un degré élevé de déférence, et je conclus que les conclusions de l’agente appartenaient tout à fait aux issues possibles acceptables.  Selon moi, les motifs n’étaient pas insuffisants : ils comportaient les explications nécessaires pour traiter les questions en litige et les risques allégués.

VII.          Dispositif

[20]           L’avocat du demandeur a habilement plaidé que les motifs de l’agente manquaient d’intelligibilité et de transparence. Toutefois, après examen de l’ensemble du dossier, je ne suis pas convaincu que l’agente a commis une erreur en l’espèce.

[21]           Aucune question n'est proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

La cour statue que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4327-13

INTITULÉ :

SWARNJIT SINGH SIDHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 NOVEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 26 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Anthony Navaneelan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Sybil Thompson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk and Kingwell LLP Migration Law Chambers

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.