Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140829

Dossier : T-806-12

Référence : 2014 CF 831

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2014

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

LOUIS BROWN et

2202240 ONTARIO INC. faisant affaire sous le nom de

NOR ENVIRONMENTAL INTERNATIONAL

demandeurs

(intimés)

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et

HDT TACTICAL SYSTEMS, INC. faisant affaire sous le nom de

HDT ENGINEERED TECHNOLOGIES

défenderesses

(Sa Majesté la Reine, requérante)

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.              Aperçu

[1]               La présente requête est présentée dans le cadre d’une instance introduite par les demandeurs, Louis Brown et NOR Environmental International (NOR), contre les défenderesses, Sa Majesté la Reine du chef du Canada (le Canada) et HDT Tactical Systems (HDT) pour contrefaçon du brevet canadien no 2,285,748 (le brevet 748). Le brevet 748 vise un système de protection collective transportable pour la décontamination et le confinement de risques biologiques et chimiques (ci‑après appelé le système ColPro).

[2]               Le Canada cherche maintenant à obtenir le rejet de la demande des demandeurs et un jugement sommaire invalidant le brevet 748 en vertu de l’article 53 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4 au motif que le demandeur M. Brown, qui était un membre des Forces canadiennes à l’époque où il a déposé le brevet, a manqué à ses obligations légales en vertu de l’article 4 de la Loi sur les inventions des fonctionnaires, LRC 1985, c P-32 [la LIF] parce qu’il n’a pas dévoilé dans sa demande déposée auprès du commissaire aux brevets qu’il était un fonctionnaire.

[3]               Le Canada reconnaît que les faits soulèvent une question nouvelle, en particulier l’interaction entre la LIF et la Loi sur les brevets, mais il soutient que cela ne devrait pas dissuader la Cour de rendre un jugement sommaire.

[4]               Subsidiairement, le Canada sollicite un jugement sommaire en vertu de l’article 8 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50 [la « LRCECA »], au motif que le Canada jouit d’une immunité contre les actions en dommages-intérêts pour contrefaçon de brevet parce que l’invention est nécessaire à la défense du Canada et à la formation des Forces canadiennes [FC] ou au maintien de leur efficacité.

[5]               Toujours subsidiairement, le Canada sollicite un jugement sommaire en vertu de l’article 22 de la LRCECA au motif que le Canada ne peut être assujetti ni à une injonction permanente l’empêchant d’utiliser ou de se procurer le système Colpro ni à une ordonnance enjoignant au Canada de remettre ou de détruire le système Colpro.

[6]               M. Brown soutient qu’un jugement sommaire ne devrait pas être rendu parce qu’il y a plusieurs véritables questions litigieuses.

[7]               M. Brown fait valoir qu’il n’était pas un fonctionnaire au sens de la LIF à l’époque pertinente parce qu’il était dans la Réserve supplémentaire des Forces canadiennes et n’était pas employé dans un ministère du gouvernement.

[8]               Subsidiairement, M. Brown soutient que s’il était un fonctionnaire à l’époque pertinente, le brevet 748 ne serait pas nul en vertu de l’article 53 de la Loi sur les brevets parce que son défaut de dévoiler sa qualité de fonctionnaire n’était pas une allégation importante non conforme à la vérité et parce qu’il n’a pas volontairement induit le commissaire aux brevets en erreur.

[9]               M. Brown affirme également que la LIF prévoit ses propres pénalités en cas de contravention à ses dispositions. La LIF prévoit une peine maximale de 500 $ ou un emprisonnement d’au plus six mois ou les deux. Elle ne prévoit pas la pénalité consistant à invalider un brevet, résultat que M. Brown qualifie de draconien.

[10]           En réponse aux motifs subsidiaires soulevés par le Canada au soutien de sa requête en jugement sommaire fondée sur la LRCECA, M. Brown soutient que les articles 2.1 et 19 de la Loi sur les brevets énoncent expressément que le Canada doit respecter les droits d’un breveté et que sa responsabilité peut être engagée en cas de contrefaçon.

[11]           M. Brown demande le rejet de la requête en jugement sommaire présentée par le Canada. Au lieu de cela, il sollicite un jugement sommaire déclarant qu’il n’était pas un fonctionnaire à l’époque pertinente et que le Canada ne jouit pas d’une immunité en matière de responsabilité délictuelle en vertu de la LRCECA, et il demande une ordonnance reportant l’examen de toutes les autres questions jusqu’à ce qu’un procès soit tenu.

[12]           Subsidiairement, M. Brown cherche à obtenir une ordonnance portant que son omission ou son allégation non conforme à la vérité relativement à sa qualité dans sa demande de brevet ne rend pas le brevet nul, et ce, même s’il était un fonctionnaire en vertu de la LIF.

[13]           M. Brown affirme maintenant qu’il ne veut pas que le Canada remette l’invention; il veut plutôt faire respecter ses droits au titre du brevet.

[14]           Les dispositions pertinentes des lois applicables sont reproduites à l’annexe A jointe aux présents motifs.

[15]           Pour les motifs exposés plus en détail ci-après, je conclus que le demandeur était un fonctionnaire à l’époque pertinente et qu’il a omis de dévoiler sa qualité de fonctionnaire en contravention à l’article 4 de la LIF. Le défaut de dévoiler sa qualité était une allégation importante non conforme à la vérité. Toutefois, la question de savoir si une allégation importante non conforme à la vérité doit avoir été faite volontairement pour induire le commissaire en erreur est une véritable question litigieuse. Si la Cour conclut qu’une telle intention est requise, il faut également déterminer si M. Brown avait une telle intention. La réponse à ces questions permettra de déterminer si le brevet est nul.

[16]           Les motifs subsidiaires invoqués par le requérant, le Canada, au soutien de sa requête en jugement sommaire en vertu de la LRCECA soulèveraient également de véritables questions litigieuses advenant la conclusion que le brevet n’est pas nul.

II.        Contexte

[17]           Le mémoire de la défenderesse expose les faits pertinents qui ne sont pas contestés et qui fournissent le contexte nécessaire, ainsi que leur chronologie.

[18]           En juin 1973, M. Brown s’est enrôlé dans la Force régulière des Forces canadiennes, dans laquelle il a servi jusqu’en 1993. Il est devenu cette année‑là réserviste au sein de la Première réserve. Il a ensuite été transféré de la Première réserve à la Réserve supplémentaire où il est demeuré du 30 juin 1993 au 16 juin 1999.

[19]           Les Forces canadiennes sont composées de deux principaux corps : la Force régulière et la Force de réserve. La Réserve supplémentaire est une sous-composante de la Force de réserve. Les membres de la Force supplémentaire ne sont pas tenus d’exercer des fonctions militaires ou de suivre un entraînement militaire sauf lorsqu’ils sont en activité de service. Le gouverneur en conseil peut mettre des membres de la Réserve supplémentaire en activité de service en cas d’urgence. Sinon, en temps de paix, un membre de la Force supplémentaire peut consentir à servir au sein de la Force régulière ou d’autres sous-composantes de la Force de réserve. Un membre de la Réserve supplémentaire sert pendant dix ans ou jusqu’à l’âge de la retraite, selon le premier de ces événements.

[20]           En 1993, M. Brown a fondé NOR alors qu’il servait au sein de la Force de réserve et comme technicien en défense aérienne.

[21]           En 1995, M. Brown a accepté un poste au sein de la réserve de l’Aviation royale canadienne en raison de son expérience et de ses connaissances en ce qui concerne les systèmes de décontamination et de confinement transportables et les exigences y afférentes. Ses responsabilités comprenaient la rédaction de manuels de formation et de manuels relatifs à l’équipement pour assurer le déploiement sécuritaire de militaires canadiens dans des milieux hostiles. M. Brown a également été chargé de mettre à jour les exigences relatives à l’équipement de décontamination et aux abris de protection collective.

[22]           M. Brown a déposé le brevet 748 en 1999, alors qu’il était encore dans la Réserve supplémentaire. Dans sa demande, il n’a pas dévoilé qu’il était un fonctionnaire, et il n’a avisé ni le ministère de la Défense nationale (MDN) ni le commissaire aux brevets de son invention.

[23]           M. Brown a également déposé des brevets pour l’invention aux États-Unis et en Europe entre 1999 et 2002.

[24]           En juin 2008, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) a publié un projet de spécifications relatives au rendement pour le système Colpro qui a été affiché sur le site Web de TPSGC.

[25]           Le 10 juin 2009, M. Brown a été libéré de la Réserve supplémentaire.

[26]           Vers juillet 2009, TPSGC a publié une demande de propositions (DP) pour le système Colpro. Plusieurs offres ont été présentées, notamment par NOR et HDT. En décembre 2009, HDT s’est vu attribuer le contrat pour la fourniture du système Colpro.

[27]           Le 19 avril 2012, M. Brown et ses codemandeurs ont intenté l’action en contrefaçon du brevet 748 devant la Cour.

[28]           M. Brown a fourni des renseignements additionnels au soutien de sa position selon laquelle il n’était pas un fonctionnaire à l’époque où il a présenté sa demande de brevet.

[29]           M. Brown note qu’après sa retraite de la Force régulière en 1993, il n’a fourni aucuns services aux Forces canadiennes, desquelles il n’a reçu aucune rémunération, sauf entre 1995 et 1998, lorsqu’il a travaillé à temps partiel pour l’armée de l’air, 10 jours par mois, à rédiger des manuels de formation et des manuels relatifs aux équipements.

[30]           Après juin 1999, M. Brown est demeuré sur la liste uniquement pour la Réserve supplémentaire d’attente, qui fait partie de la Réserve supplémentaire. Les personnes qui font partie de la Réserve supplémentaire d’attente sont considérées comme ne possédant aucune compétence militaire à jour et non disponibles pour exercer des fonctions, y compris en période d’urgence; elles ne reçoivent aucuns avantages ni aucune rémunération, mais elles peuvent postuler pour des emplois au sein des Forces canadiennes; elles ne sont pas obligées de s’entraîner ni de servir à moins qu’elles soient mises en activité de service par le gouverneur en conseil; elles ne peuvent pas être obligées d’exercer des fonctions sans leur consentement lorsqu’elles ne sont pas en activité de service; elles ne sont pas assujetties au Code de discipline militaire des Forces canadiennes; et elles ne peuvent pas mentionner leur rang sans préciser qu’elles sont « retraitées », à moins qu’elles soient en service ou qu’elles participent à des activités directement liées à des fonctions militaires.

[31]           M. Brown note qu’il n’a jamais été mis en activité de service pendant qu’il faisait partie de la Réserve supplémentaire d’attente.

[32]           M. Brown s’appuie également sur des réponses qu’il a reçues le 17 septembre 2013 de M. Lyle Borden, conseiller en ressources humaines du ministère de la Défense nationale, qui l’a informé que pendant qu’il faisait partie de la Réserve supplémentaire d’attente, il n’avait été [traduction] « employé à aucun moment », et par conséquent, il n’était [traduction] « pas un employé de la fonction publique fédérale ». Le conseiller en ressources humaines a affirmé plus tard qu’il ne savait pas si M. Brown était un employé au sens de la LIF alors qu’il faisait partie de la Réserve supplémentaire d’attente et que ses réponses étaient fondées sur la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22 (la LEFP).

[33]           M. Brown reconnaît qu’il n’a pas avisé le ministre de la Défense nationale et les Forces canadiennes ou le commissaire aux brevets de l’objet de l’invention et qu’il n’a pas obtenu le consentement écrit du ministre de la Défense nationale pour déposer les demandes de brevets hors du Canada.

[34]           M. Brown reconnaît également (et le plaide d’ailleurs dans sa propre déclaration) que le système Colpro vise à assurer la défense du Canada ou l’instruction des Forces canadiennes, ou le maintien de leur efficacité.

III.       Les questions en litige

[35]           La requête de la défenderesse soulève plusieurs questions, notamment celle de savoir si les principes généraux régissant les jugements sommaires justifient la mesure demandée. Cela dépend de la question de savoir si toutes ou certaines des questions suivantes peuvent être tranchées maintenant, ou si elles soulèvent de véritables questions litigieuses :

         Le brevet 748 est-il nul parce que M. Brown a manqué à ses obligations légales prévues à l’article 4 de la LIF? La réponse à cette question dépend des réponses aux questions suivantes :

           M. Brown était-il un « fonctionnaire » au sens de la LIF lorsqu’il a présenté sa demande concernant le brevet 748 le 8 octobre 1999?

           Le défaut de M. Brown d’indiquer sa qualité de fonctionnaire était-il une omission ou une allégation non conforme à la vérité et, le cas échéant, celle-ci était-elle « importante » au sens du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets?

           Le paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets exige-t-il une intention d’induire en erreur, c’est-à-dire une volonté, lorsqu’un demandeur fait une allégation importante non conforme à la vérité, ou est-ce qu’une telle intention est seulement requise à l’égard d’une omission?

         Subsidiairement, si le brevet n’est pas nul, le Canada jouit-il d’une immunité qui le dégage de toute responsabilité relative à la contrefaçon du brevet 748 en vertu de l’article 8 de la LRCECA parce que le système Colpro est nécessaire à la défense du Canada ou à l’instruction des Forces canadiennes ou au maintien de leur efficacité?

            Toujours subsidiairement, le MDN jouit-il d’une immunité faisant en sorte qu’il ne peut pas lui être ordonné de remettre, détruire ou arrêter d’utiliser ou de se procurer le système Colpro en vertu de l’article 22 de la LRCECA?

Jugements sommaires en général

[36]           Les articles 214 à 219 des Règles des Cours fédérales régissent les jugements sommaires. La Cour rendra un jugement sommaire si elle est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse, auquel cas elle peut soit trancher cette question par voie de procès sommaire, soit rejeter la requête en tout ou en partie et ordonner que l’action soit instruite – ou que les parties de l’affaire qui n’ont pas été tranchées par le jugement sommaire soient instruites – dans le cadre d’un procès ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.

[37]           Si la Cour est convaincue que la seule question litigieuse a trait au montant de la réparation, elle peut ordonner l’instruction de cette question ou un renvoi en vertu de l’article 153 des Règles. Si la seule question litigieuse est un point de droit, la Cour peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

[38]           Dans la décision Granville Shipping Co c Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 CF 853 [Granville Shipping] au paragraphe 8, la juge Trembay-Lamer a examiné la jurisprudence pertinente et a énoncé comme suit les principes généraux régissant les jugements sommaires :

1)    les dispositions relatives aux jugements sommaires ont pour but d’autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu’elle n’estime pas nécessaire d’instruire parce qu’elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire;

2)    il ne s’agit pas de savoir si une partie n’a aucune chance d’obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès;

3)      chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte factuel qui est le sien;

4)      les règles de pratique provinciales peuvent faciliter l’interprétation;

5)      saisie d’une requête en jugement sommaire, la Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de la faire;

6)      la Cour ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l’ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou si elle estime qu’il serait injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire;

7)      lorsque la Cour estime qu’une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, l’affaire devrait donner lieu à un procès, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès.

[39]           Dans la décision Teva Canada Limited c Wyeth and Pfizer Canada Inc, 2011 CF 1169 [Teva], le juge Hughes a examiné les principes relatifs aux jugements sommaires et aux procès sommaires devant la Cour, en notant le principe général énoncé à l’article 3 des Règles des Cours fédérales, selon lequel celles-ci doivent être interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible (aux paragraphes 31 et 32). Par conséquent, un procès sommaire et un jugement sommaire devraient être préconisés lorsque les circonstances s’y prêtent. La Cour devrait trancher les questions qui peuvent être instruites convenablement par voie de procès sommaire. Le juge Hughes a ajouté que la Cour ne devrait pas éviter la tenue d’un procès sommaire pour la simple raison qu’il existe une question de droit sérieuse à trancher

[40]           J’ai également pris en compte les directives données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt récent Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 [Hryniak] qui portait sur la disposition ontarienne relative aux jugements sommaires récemment modifiée, soit l’article 20 des Règles de procédure civile. La Cour a souligné de manière plus générale la nécessité d’envisager un jugement sommaire lorsque les circonstances s’y prêtent pour assurer l’accès à la justice. L’article 20 précité a un objet similaire à celui de l’article 215 des Règles des Cours fédérales mais n’est pas identique à celui-ci.

[41]           La Cour a noté la modification du libellé de l’article 20 précité, qui dispose maintenant que le critère consiste à déterminer si l’affaire soulève une « véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’une instruction », et les nouvelles règles, qui confèrent des pouvoirs discrétionnaires additionnels au juge des requêtes et qui peuvent être exercés à moins qu’il soit dans l’intérêt de la justice d’attendre le procès. Ces pouvoirs comprennent le pouvoir de soupeser des éléments de preuve, d’évaluer la crédibilité et de tirer des inférences raisonnables pour décider s’il convient de rendre un jugement sommaire.

[42]           La Cour a noté que « les modifications font en sorte que la règle 20 ne soit plus seulement un moyen d’écarter des demandes sans fondement mais qu’elle devienne un important modèle de rechange pour les décisions. »

[43]           Le message ou principe énoncé dans l’arrêt Hryniak selon lequel un changement de culture s’impose, un procès n’est pas le processus par défaut, et des efforts devraient être faits pour adapter le processus ou la procédure à la complexité des questions en litige, tend à indiquer que les tribunaux ne devraient pas trop hésiter à ordonner un procès sommaire. Au paragraphe 28, la Cour suprême du Canada a affirmé :

[28]      Un virage culturel s’impose. L’objectif principal demeure le même : une procédure équitable qui aboutit au règlement juste des litiges. Une procédure juste et équitable doit permettre au juge de dégager les faits nécessaires au règlement du litige et d’appliquer les principes juridiques pertinents aux faits établis. Or, cette procédure reste illusoire si elle n’est pas également accessible — soit proportionnée, expéditive et abordable. Le principe de la proportionnalité veut que le meilleur forum pour régler un litige ne soit pas toujours celui dont la procédure est la plus laborieuse.

[44]           L’encouragement de la Cour suprême à recourir au jugement sommaire dans les cas qui s’y prêtent dans le contexte des règles de l’Ontario étaye les directives données par le juge Hughes dans la décision Teva concernant les options prévues dans les Règles des Cours fédérales qui devraient être appliquées pour apporter au litige « une solution juste, expéditive et économique ».

[45]           Ces principes concernant les jugements sommaires ont été pris en compte pour trancher les questions en l’espèce.

[46]           Les questions en litige sont bien définies, et les faits nécessaires pour trancher certaines d’entre elles sont clairement énoncés. Certaines des questions en litige peuvent être tranchées maintenant.

[47]           L’interaction entre l’article 4 de la LIF et l’article 53 de la Loi sur les brevets et le résultat potentiel selon lequel le brevet 748 est nul soulèvent une question nouvelle. Bien que le fait de devoir trancher une question nouvelle ne devrait pas constituer un obstacle au prononcé d’un jugement sommaire, d’autres principes doivent également être pris en compte, notamment la question de savoir s’il serait injuste de rendre un jugement sommaire en tout ou en partie en l’absence de faits et d’éléments de preuve additionnels et d’observations plus complètes au sujet de la jurisprudence.

Le brevet 748 est-il nul parce que M. Brown a manqué à ses obligations légales en vertu de l’article 4 de la LIF?

M. Brown était-il un « fonctionnaire » au sens de la LIF lorsqu’il a présenté sa demande concernant le brevet 748 le 8 octobre 1999?

[48]           Le Canada invoque la définition de « fonctionnaire » à l’article 2 de la LIF, notamment les mots « tout membre du personnel des Forces canadiennes », au soutien de sa prétention selon laquelle M. Brown était un fonctionnaire malgré sa qualité de membre de la Réserve supplémentaire.

[49]           Le Canada a établi, par renvoi à la Loi sur la défense nationale, qu’en tant que membre de la Réserve supplémentaire, M. Brown était un membre des Forces canadiennes.

[50]           Le Canada a également établi que les Ordonnances administratives des Forces canadiennes [OAFC] 2-8 décrivent la Force de réserve comme comprenant la Réserve supplémentaire.

[51]           M. Brown soutient qu’il n’était pas un fonctionnaire et que la définition énoncée dans la LIF ne peut pas être interprétée de manière à inclure les membres des Forces canadiennes qui ne sont pas employés dans un ministère. M. Brown soutient que la LIF ne dit pas que tous les membres des Forces canadiennes sont des fonctionnaires; elle dit plutôt que fonctionnaire s’entend de toute personne « employée dans un ministère et tout membre du personnel des Forces canadiennes ». M. Brown ajoute que si le législateur avait voulu que tous les membres des Forces canadiennes soient considérés comme des fonctionnaires, il l’aurait dit expressément.

[52]           M. Brown note que la formule 1 jointe au Règlement sur les inventions des fonctionnaires exige que le « fonctionnaire, auteur de l’invention » identifie le « ministère ou organisme gouvernemental qui [l’]emploie » et le ou les « poste(s) et genre de travail ». M. Brown soutient que la formule 1 ne vise clairement pas les membres de la Réserve supplémentaire, puisque ceux-ci ne sont pas employés et ils n’exécutent aucun genre de travail.

[53]           M. Brown soutient également qu’un conseiller en ressources humaines du MDN ne savait pas si M. Brown était un fonctionnaire au sens de la LIF.

[54]           M. Brown soutient qu’il n’était pas un fonctionnaire pour l’application de la LIF parce qu’il n’était pas un employé dans aucun sens ordinaire ou juridique. En tant que membre de la Réserve supplémentaire d’attente qui n’était pas mis en activité de service, il était simplement nommé sur une liste et n’était pas obligé de servir, il ne recevait aucune rémunération, et il n’avait aucune responsabilité mis à part tenir ses coordonnées à jour.

M. Brown était un fonctionnaire

[55]           En tant que membre de la Réserve supplémentaire, M. Brown était membre des Forces canadiennes lorsqu’il a demandé le brevet 748, et il était un fonctionnaire pour l’application de la LIF.

[56]           Le libellé de la LIF est suffisamment clair en anglais et il est on ne peut plus clair en français.

[57]           L’article 2 définit comme suit le terme « fonctionnaire » : « Toute personne employée dans un ministère et tout membre du personnel des Forces canadiennes ou de la Gendarmerie royale du Canada ».

[58]           M. Brown soutient que la première exigence est d’être employé dans un ministère et ces employés incluraient des membres des FC ou de la GRC.

[59]           Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que propose M. Brown. Selon la lecture que j’en fais, la disposition indique que « fonctionnaire » s’entend de toute personne employée dans un ministère et « fonctionnaire » comprend également un membre des FC ou de la GRC. L’emploi dans un ministère n’est pas essentiel pour qu’un membre des FC ou de la GRC soit visé par la définition de « fonctionnaire » énoncée dans la LIF.

[60]           La version française ne laisse aucune place au doute : « Toute personne employée dans un ministère et tout membre du personnel des Forces canadiennes ou de la Gendarmerie royale du Canada. » [Non souligné dans l’original.]

[61]           La Cour suprême donne des directives d’interprétation bilingue aux paragraphes 15 et 16 de l’arrêt R. c S.A.C., 2008 CSC 47. La Cour a évoqué trois scénarios, et le deuxième se présente en l’espèce :

[15]      […] Deuxièmement, une version peut être ambiguë alors que l’autre est claire et non équivoque. Le sens commun est alors celui de la version claire et non équivoque : Daoust, par. 28; Côté, p. 413. […]

[16]      À la deuxième étape, il faut déterminer si le sens commun concorde avec l’intention du législateur : Daoust, par. 30. Dans le contexte pénal, les tribunaux doivent aussi veiller à dissiper toute ambiguïté en faveur de l’accusé dont la liberté est en jeu (Marcotte c. Sous‑procureur général du Canada, [1976] 1 R.C.S. 108).

[62]           Si jamais il y avait une ambiguïté dans la version anglaise, la définition française est claire et non équivoque; le terme comprend tous les membres des Forces canadiennes, indépendamment de leur statut d’emploi ou de la question de savoir s’ils étaient membres de la Force régulière ou de la Force de réserve ou d’une sous-composante de celle‑ci.

[63]           Le sens commun de la LIF, selon lequel tous les membres des Forces canadiennes sont des fonctionnaires, concorde avec l’intention du législateur.

[64]           Contrairement à l’affirmation de M. Brown selon laquelle la seule préoccupation de politique publique du législateur était d’encourager l’innovation chez ceux qui faisaient une transition vers une carrière hors de l’armée, d’autres préoccupations de politique publique sous-tendent la LIF. L’innovation et la divulgation sous le régime de la Loi sur les brevets doivent être conciliées avec les soucis du gouvernement d’éviter, d’une part, la divulgation par inadvertance de renseignements sensibles auxquels des fonctionnaires peuvent avoir accès et, d’autre part, l’appropriation illicite de ressources publiques aux fins de réaliser des gains privés dans le domaine de la propriété intellectuelle. Les exigences de l’article 4 de la LIF imposent des obligations aux fonctionnaires auteurs d’inventions qui réalisent ces objectifs.

[65]           M. Brown note également que le conseiller en ressources humaines du MDN l’a avisé qu’il n’était pas un fonctionnaire. M. Brown soutient que si le conseiller en ressources humaines était de cet avis, on ne devrait pas présumer que M. Brown savait qu’il était un fonctionnaire ou s’attendre à ce qu’il le sache.

[66]           Le conseiller en ressources humaines, Lyle Borden, affirme dans son affidavit qu’il est un fonctionnaire retraité qui travaille comme employé occasionnel pour le MDN. M. Borden déclare qu’il a fourni des réponses à des questions posées par M. Brown en septembre 2013, mais qu’il n’a jamais été mis au courant du présent litige. Se fondant sur la LEFP, M. Borden a répondu à la question de M. Brown visant à savoir s’il était un fonctionnaire alors qu’il était dans la Réserve supplémentaire que M. Brown n’était pas un employé. M. Borden affirme que la LEFP ne définit pas le terme « fonctionnaire », mais le terme « employé ». M. Borden déclare également qu’il a présumé que la question de M. Brown visait la LEFP, et il n’a pas fourni de réponse au regard de la LIF puisqu’il n’a jamais travaillé avec cette loi.

[67]           M. Brown affirme que la définition de fonctionnaire exige qu’il soit également un employé d’un ministère, mais cette interprétation est incorrecte. Par conséquent, la question n’est pas celle de savoir si M. Brown était un employé mais plutôt s’il était un fonctionnaire. En outre, la demande de renseignements de M. Brown présentée au MDN en 2013, sans aucun contexte, survient trop tard puisque son obligation de dévoiler sa qualité – ou de dévoiler son incertitude quant à sa qualité – a pris naissance en 1999 au moment de sa demande.

[68]           Le dossier indique également que M. Brown a engagé un agent de brevets pour faire la demande. Comme le note le Canada, un agent de brevets aurait eu connaissance du Recueil des pratiques du Bureau des brevets et des exigences en matière de divulgation des lois pertinentes dont la LIF.

Le défaut de M. Brown d’indiquer sa qualité de fonctionnaire était-il une omission ou une allégation non conforme à la vérité et, le cas échéant, celle-ci était-elle « importante » au sens du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets?

[69]           Le Canada soutient que le défaut de M. Brown de dévoiler sa qualité de fonctionnaire était une allégation importante non conforme à la vérité au sens du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets. Le Canada note que cette divulgation était une obligation légale et, de ce fait, une véritable condition préalable à la demande et à l’obtention d’un brevet. Le Canada soutient que l’allégation non conforme à la vérité a constitué un manquement à l’obligation prévue à l’article 4 de la LIF ainsi qu’une violation d’une ordonnance administrative des FC et à une ordonnance administrative du MDN qui s’applique aux employés du MDN ainsi qu’aux membres des FC. Le Canada note que le défaut de divulgation de M. Brown a empêché le commissaire aux brevets de s’acquitter de ses obligations, prévues au paragraphe 4(2) de la LIF, de tenir informé le ministre de la Défense nationale du brevet 748. Cela a empêché à son tour le ministre d’examiner les options dont il disposait en vertu de la Loi sur les brevets.

[70]           Le Règlement sur les inventions des fonctionnaires prévoit des formules de divulgation. Celles‑ci permettent à une personne de dévoiler qu’elle n’est pas fonctionnaire (ou de dévoiler qu’elle est incertaine quant à sa qualité). Elles permettent également à un inventeur de noter tout renseignement sensible. Le commissaire aux brevets ne peut pas autoriser le public à examiner le brevet si la demande comporte des renseignements secrets ou des renseignements liés à la défense.

[71]           Le Canada note que les fonctionnaires peuvent avoir accès à des renseignements potentiellement préjudiciables appartenant à l’État, et il soutient qu’en ne dévoilant pas qu’il était un fonctionnaire, M. Brown a contourné les mécanismes prévus par la LIF pour garantir que sa conduite n’était pas contraire à ses obligations en tant que fonctionnaire ni ne compromettait l’intérêt public.

[72]           Le Canada soutient que la jurisprudence a établi que le paragraphe 53(1) comporte deux parties; la première partie parle d’une allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité et n’exige pas que l’allégation soit formulée volontairement pour induire en erreur, et la deuxième partie parle d’omissions ou d’additions dans les mémoires descriptifs ou les dessins, et elle exige que l’addition ou l’omission soit faite volontairement pour induire en erreur (Novo Nordisk Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Inc, 2010 CF 746 aux paragraphes 330 et 331 [Novo Nordisk]).

[73]           Le Canada invoque également l’arrêt Corlac Inc. c Weatherford Canada Ltd., 2011 CAF 228 [Corlac] au paragraphe 126, qui a établi que la conclusion selon laquelle une allégation non conforme à la vérité est importante est une conclusion liée aux faits.

[74]           Le Canada convient que la LIF prévoit des pénalités qui sont moins sévères que les conséquences de l’invalidation du brevet en vertu de l’article 53 de la Loi sur les brevets, mais il soutient que les pénalités prévues à la LIF ne sont pas exhaustives et qu’il serait absurde de permettre à un breveté de profiter d’un brevet « mal acquis ». En outre, le Canada soutient que l’invalidation du brevet est la conséquence civile logique d’une conduite qui peut également entraîner une sanction pénale, comme c’est le cas d’une violation de l’article 4 de la LIF.

[75]           M. Brown reconnaît que l’article 4 de la LIF impose une obligation légale de divulgation et qu’il n’a pas fait la divulgation requise. Il soutient que son défaut de divulguer sa qualité de fonctionnaire n’aurait eu aucune incidence sur la manière dont le public pouvait faire usage des enseignements du brevet ou sur la durée ou le fond du brevet ni n’aurait influé par ailleurs sur la décision du commissaire d’accorder le brevet et ne serait donc pas important (arrêt Corlac, précité, aux paragraphes 113 à 129).

[76]           Bien que M. Brown qualifie son défaut de divulgation d’omission, il s’appuie sur la jurisprudence qui a traité de la question de savoir si des allégations non conformes à la vérité sont importantes. Il soutient que la jurisprudence n’a pas traité de la question de savoir si le défaut de divulguer la qualité de fonctionnaire est important. Il soutient en outre que la jurisprudence est divisée sur la question de savoir si d’autres défauts de divulgation, en particulier le défaut de nommer un inventeur, sont importants.

[77]           M. Brown affirme que si son défaut de divulguer sa qualité était une allégation non conforme à la vérité, cette allégation n’était pas importante. M. Brown fait également valoir que le paragraphe 53(1) exige une intention d’induire le commissaire en erreur, qu’il n’avait aucune intention semblable, et que le Canada n’a produit aucune preuve d’une telle intention, se contentant de faire une simple affirmation.

[78]           M. Brown soutient que les conséquences du fait d’induire volontairement le commissaire en erreur sont drastiques, et l’allégation s’apparente à une allégation de fraude [Novo Nordisk]. Lorsqu’une allégation s’apparentant à une allégation de fraude est formulée, une certaine preuve d’intention est requise.

[79]           M. Brown soutient en outre que l’invalidation du brevet est une pénalité exorbitante et que la Cour devrait demander qu’on lui présente d’autres éléments de preuve sur la question de savoir si une telle pénalité est envisagée ou est une conséquence juste d’une allégation non conforme à la vérité formulée sans intention d’induire en erreur.

L’allégation non conforme à la vérité était importante

[80]           Bien que M. Brown ait décrit son défaut de divulgation de sa qualité comme une omission, la jurisprudence a établi que certaines omissions peuvent être des allégations non conformes à la vérité. Dans l’arrêt Eli Lilly and Co. c Apotex Inc., 2000 CanLII 15602, la Cour d’appel a écrit : « En réalité, une allégation importante articulée dans une pétition peut ne pas être conforme à la vérité en raison de l’omission de divulguer des faits importants et pertinents. »

[81]           La jurisprudence concernant la question de savoir si une allégation non conforme à la vérité est importante peut être distinguée en fonction des faits particuliers de chaque espèce.

[82]           Dans l’arrêt Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77 [Wellcome], la Cour suprême du Canada a noté que le défaut de nommer des coïnventeurs pouvait être important dans certaines circonstances, mais elle a estimé qu’elle n’avait pas besoin de trancher la question parce qu’elle a conclu que les noms omis n’étaient pas ceux de coïnventeurs.

[83]           Dans l’arrêt 671905 Alberta Inc. v Q’Max Solutions Inc., 2003 CAF 241 [Q’Max], la Cour d’appel a admis qu’un défaut de nommer un coïnventeur pouvait être une allégation importante non conforme à la vérité.

[84]           Dans l’arrêt Corlac, il a été jugé que des déclarations faites par un inventeur en vue de faire retirer le nom de son coïnventeur étaient inexactes, mais elles n’étaient pas importantes parce que l’inventeur avait acquis l’intérêt du coïnventeur avant la délivrance du brevet. La juge Layden-Stevenson a conclu que la question de savoir si une déclaration non conforme à la vérité est importante constitue une conclusion liée aux faits (arrêt Corlac, précité, au paragraphe 126).

[85]           Il convient de qualifier d’allégation non conforme à la vérité le défaut de M. Brown de dévoiler sa qualité. En ne dévoilant pas sa qualité, sa demande aurait été considérée par le commissaire aux brevets comme celle d’une personne qui n’était pas un fonctionnaire, ce qui n’était pas le cas, étant donné la définition figurant dans la LIF.

[86]           Compte tenu des faits de la présente espèce, notamment l’obligation légale expresse de divulgation imposée par la LIF et les ordonnances administratives applicables, le défaut de M. Brown de dévoiler sa qualité de fonctionnaire dans sa demande de brevet était une allégation non conforme à la vérité qui était importante.

[87]           Dans l’arrêt Corlac, la Cour d’appel a examiné la question de savoir si l’inventeur avait fait une déclaration inexacte en n’incluant pas le nom d’un coïnventeur décédé. Le juge du procès a conclu que nommer le coïnventeur n’aurait aucune incidence sur la manière dont le public fait usage des enseignements du brevet. En appel, la juge Layden-Stevenson a examiné trois motifs avancés au soutien de l’argument selon lequel les déclarations inexactes étaient importantes : 1) elles avaient conduit à la situation où le nom d’un inventeur véritable avait été supprimé de la pétition; 2) elles avaient empêché le commissaire d’exécuter ses obligations en vertu du paragraphe 31(3) de la Loi; et 3) elles avaient été la cause du fait que le public avait perdu le bénéfice de savoir qu’un certain individu était un inventeur (au paragraphe 121). Relativement au deuxième argument, la juge Layden-Stevenson a conclu sur la base des faits que l’on ne pouvait pas dire que le commissaire avait été empêché d’exercer sa compétence en vertu de la Loi. Tel qu’indiqué précédemment, la conclusion du juge du procès était fondée étant donné que l’importance des déclarations est déterminée en fonction des faits.

[88]           Les faits de la présente espèce peuvent être distingués de ceux de l’affaire Corlac. Pour ce qui concerne la deuxième justification, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Corlac, M. Brown n’a pas suivi la procédure prévue par la LIF parce qu’il a omis de dévoiler sa qualité de fonctionnaire. En conséquence, le commissaire aux brevets n’a pas pu s’acquitter correctement de son obligation prévue au paragraphe 4(2) de la LIF d’informer le ministre de la demande de brevet. De ce fait, le ministre a été privé du droit d’examiner la pétition en vue de la délivrance d’un brevet et de prendre des mesures pour s’y opposer, de faire des démarches pour que l’invention soit dévolue à Sa Majesté en vertu de l’article 5 de la LIF ou de prendre d’autres mesures en vertu de la Loi sur les brevets. En fonction des démarches que le ministre aurait pu entreprendre, le droit du public de faire usage des enseignements du brevet aurait pu être touché.

[89]           Une appréciation liée aux faits quant à l’importance mène à la conclusion qu’en l’espèce, l’allégation non conforme à la vérité de M. Brown était importante.

Le paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets exige-t-il une intention d’induire en erreur, c’est‑à-dire une volonté, lorsqu’un demandeur fait une allégation importante non conforme à la vérité, ou est-ce qu’une telle intention est seulement requise en rapport avec une omission?

[90]           Le Canada soutient que le caractère volontaire est seulement requis pour les omissions et les additions, mais n’est pas requis pour les allégations importantes non conformes à la vérité (décision Novo Nordisk, précitée, aux paragraphes 330 et 331).

[91]           Le Canada fait valoir subsidiairement que si la volonté d’induire en erreur est requise pour une allégation importante non conforme à la vérité, M. Brown avait cette intention.

[92]           M. Brown soutient que dans une affaire où il a été statué qu’une allégation non conforme à la vérité dans une demande de brevet avait une importance marginale, la Cour d’appel a été réticente à invalider le brevet si l’allégation n’avait pas été faite volontairement dans le but d’induire en erreur, étant donné la nature « draconienne » d’une invalidation de brevet (arrêt Corlac, précité, au paragraphe 116).

[93]           M. Brown affirme en outre que le Canada n’a présenté aucun élément de preuve au soutien de son allégation selon laquelle M. Brown a volontairement induit le commissaire aux brevets en erreur. II ajoute que les allégations du Canada, qui s’apparentent à une allégation de fraude contre un ancien membre de ses forces armées, sont inacceptables.

[94]           Il soutient enfin qu’étant donné que la perte d’un brevet est une pénalité exorbitante pour sanctionner un défaut de dévoiler sa qualité, sans intention d’induire en erreur, la Cour devrait entendre la preuve sur la question de savoir si l’intention est requise.

Une question véritablement litigieuse; le paragraphe 53(1) exige-t-il qu’une allégation importante non conforme à la vérité soit « volontairement faite pour induire en erreur »?

[95]           Aux paragraphes 328 à 330 de la décision Novo Nordisk, la juge MacTavish a commenté le droit régissant le paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets, en notant qu’il implique la notion de fraude et en distinguant les deux parties du paragraphe :

328      L’article 53 relatif à l’allégation d’invalidité est une disposition qui « implique la notion de fraude ». À cet égard, « [u]ne partie ne devrait pas simplement se livrer à des conjectures ou imputer des motifs d’une façon insouciante ou sans avoir une preuve suffisante justifiant une conviction raisonnable quant à leur exactitude : Eli Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142, 63 C.P.R. (4th) 406, au paragraphe 62, conf. par 2009 CAF 97, 392 N.R. 243, autorisation de pourvoi rejetée [2009] C.S.C.R. n° 219 [Apotex].

329      Le paragraphe 53(1) de la Loi comporte deux parties. Dans leur ouvrage Hughes and Woodley on Patents, 2e éd., les auteurs décrivent les composantes de l’article 53 de la Loi sur les brevets de la manière suivante :

[traduction] Un brevet est invalide si une allégation faite dans la pétition ou dans le mémoire descriptif n’est pas conforme à la vérité ou contient plus ou moins qu’il n’est nécessaire pour démontrer ce qu’elle est censée démontrer et si elle est volontairement faite pour induire en erreur. Toutefois, si l’omission ou l’addition était involontaire, le breveté a droit au reste de son brevet et la Cour peut statuer dans une action sur le reste du brevet. La formulation de l’article n’exige pas le caractère volontaire dans le cas de l’allégation non conforme à la vérité, l’exigeant seulement dans le cas de l’omission ou de l’addition. La partie faisant valoir cette question qui échoue à en faire la preuve peut en subir des conséquences graves sur le plan des frais. L’argumentation visant cette question donc être articulée avec clarté et précision.

Cette disposition de la Loi prévoit que le brevet peut être nul du seul fait qu’une allégation importante de la pétition n’est pas conforme à la vérité; elle n’impose pas d’établir le caractère volontaire. Toutefois, dans le cas d’une omission ou d’une addition incorrecte, le caractère volontaire est alors un élément. [à l’article 24]

330      Par conséquent, l’exigence relative au caractère volontaire porte spécifiquement sur les omissions ou les additions. En règle générale, les allégations non conformes à la vérité, dans la mesure où elles sont importantes, annulent le brevet même en l’absence d’intention d’induire en erreur : Mobil Oil Corp. c. Hercules Canada Inc., 82 F.T.R. 211, 57 C.P.R. (3d) 488, à la page 509 (1re inst.), infirmée en partie sans examen de ce point, (1995), 188 N.R. 382, 63 C.P.R. (3d) 473 (C.A.).

[Souligné dans l’original.]

[96]           Je note que la juge MacTavish coiffe à juste titre son affirmation selon laquelle les allégations importantes non conformes à la vérité n’ont pas besoin d’être formulées volontairement pour induire en erreur des mots « En règle générale ». Cela traduit l’absence de certitude en droit sur cette question.

[97]           Les publications faisant autorité, notamment Hughes and Woodley on Patents, Fox on Canadian Law of Patents, Fifth Edition et l’Annotated Patent Act, (Bruce Stratton), font état des nuances dans l’interprétation des décisions invoquées par les parties en l’espèce.

[98]           Tel que la Cour l’indique dans la décision Novo Nordisk, Hughes et Woodley soulignent les deux parties du paragraphe 53 en notant que le libellé n’exige pas le caractère volontaire dans le cas d’une allégation non conforme à la vérité, mais seulement dans le cas d’une omission ou d’une addition.

[99]           Stratton fait observer que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Wellcome, a renvoyé à l’absence d’intention dans le cas d’une allégation importante non conforme à la vérité, mais que la Cour fédérale a continué à distinguer les deux parties du paragraphe 53(1) et à appliquer l’exigence du caractère volontaire uniquement aux omissions.

[100]       Fox adopte un point de vue différent; selon lui, l’arrêt Wellcome règle définitivement la question : un brevet n’est pas nul en vertu du paragraphe 53(2) à moins que l’allégation importante non conforme à la vérité ou l’omission visent volontairement à induire en erreur. Autrement dit, une allégation importante non conforme à la vérité et une omission doivent toutes deux être volontairement faites pour induire en erreur.

[101]       Dans l’arrêt Wellcome, le juge Binnie a conclu que le défaut de nommer les coïnventeurs peut être important dans certaines circonstances, mais il a également conclu que la Cour n’avait pas besoin de trancher la question parce que les noms omis n’étaient pas ceux de coïnventeurs. Toutefois, le juge Binnie a ensuite ajouté au paragraphe 109 :

109      Cependant, il n’est pas nécessaire d’examiner davantage la question de l’importance en l’espèce, non seulement à cause de la conclusion que les Drs Broder et Mitsuya n’étaient pas, en fait, des coïnventeurs, mais encore parce qu’il n’existe aucune preuve que l’omission de les désigner a été « volontairement faite pour induire en erreur », comme l’exigent les derniers mots du par. 53(1).

[Non souligné dans l’original.]

[102]       Bien que le juge Binnie ait parlé de « l’omission », un défaut de nommer un coïnventeur est généralement qualifié d’allégation non conforme à la vérité. L’affirmation du juge Binnie a été invoquée au soutien de la thèse selon laquelle l’intention d’induire en erreur est requise aussi bien dans les cas d’allégations non conformes à la vérité que dans les cas d’omissions. Toutefois, cette affirmation a également été considérée comme une remarque incidente (Zambon Group SpA c Teva Pharmaceutical Industries Ltd, 2005 CF 1585 [Zambon]). Cette affirmation demeure la source de l’incertitude du droit.

[103]       Dans l’arrêt Q’Max, la Cour d’appel a, comme le juge de première instance, estimé qu’il n’y avait aucune intention d’induire en erreur et elle s’est appuyée sur l’affirmation du juge Binnie dans l’arrêt Wellcome pour conclure que le défaut de l’inventeur de nommer un coïnventeur ne justifierait pas « la réparation draconienne prévue au paragraphe 53(1) ».

[104]       Dans l’arrêt Corlac, au paragraphe 116, la juge Layden-Stevenson a renvoyé à l’arrêt Q’Max, auquel elle souscrit.

[116]    […] Premièrement, en ce qui a trait à l’exigence relative au caractère volontaire, dans671905 Alberta Inc. c. Q’Max Solutions Inc., 2003 CAF 241, [2003] 4 C.F. 713 (Q’Max), le juge Stone, écrivant les motifs unanimes de la Cour, a considéré la question et a conclu au paragraphe 31 que « une “allégation importante” non conforme à la vérité qui consiste à omettre de désigner les coinventeurs dans une pétition visant l’obtention d’un brevet n’a pas pour effet de rendre le brevet nul si l’allégation n’était pas "volontairement faite pour induire en erreur" ». […]

[105]       Dans la décision Zambon, la juge Hansen a soigneusement examiné la jurisprudence concernant l’article 53 et l’exigence de l’intention, notamment les arrêts Wellcome et Q’Max, dans le cadre d’un appel d’une décision d’un protonotaire statuant sur une requête en radiation de paragraphes d’un acte de procédure. La juge Hansen a considéré l’affirmation du juge Binnie dans l’arrêt Wellcome comme une remarque incidente étant donné que le juge Binnie avait souscrit à l’avis de la Cour d’appel et du juge de première instance que le défaut de nommer les coïnventeurs n’était pas important. Par conséquent, il n’était pas nécessaire que le juge Binnie statue sur la question de savoir si une intention d’induire en erreur était requise. La juge Hansen a également considéré les commentaires du juge Stone dans l’arrêt Q’Max comme une remarque incidente. La juge Hansen n’était pas disposée à affirmer catégoriquement que l’intention était requise pour une allégation importante non conforme à la vérité sur le fondement de remarques incidentes dans la jurisprudence, qui ne cadraient par ailleurs pas avec les faits de l’affaire dont elle était saisie. Elle a écrit :

[30]      Dans le cas de l’omission de nommer un coinventeur, le juge Sexton a souscrit à l’analyse du juge Wetston, suivant lequel il ne s’agit pas là d’une allégation « importante ». Compte tenu du fait que les propos tenus dans ce contexte par les juges Binnie et Stone au sujet du « caractère délibéré » constituaient des opinions incidentes et que le juge Binnie n’a pas traité de la question de l’importance, le débat reste ouvert sur la question de savoir si le caractère délibéré constitue un élément essentiel ou si ce type d’affaire sera tranchée à l’avenir sur le fondement de la question de l’importance.

[31]      Enfin, compte tenu du fait que :

a)         ces deux affaires portaient expressément sur la paternité de l’invention et non sur le genre d’allégations qui sont soulevées en l’espèce;

b)         les tribunaux répugnent à invalider un brevet en raison d’une erreur commise de bonne foi en ce qui concerne la désignation des inventeurs;

c)         depuis la décision du juge Walsh dans l’affaire Beloit Canada Ltée c. Valmet Oy, les tribunaux ne se sont pas directement penchés sur l’interprétation du paragraphe 53(1);

je ne suis pas convaincue, eu égard aux circonstances de la présente espèce, qu’il est bien établi par la jurisprudence que le « caractère délibéré » constitue un élément essentiel du premier motif d’invalidité prévu au paragraphe 53(1). […]

[Non souligné dans l’original.]

[106]       La décision Zambon a été rendue avant la décision Novo Nordisk dans laquelle la juge MacTavish a noté qu’« [e]n règle générale », les allégations importantes non conformes à la vérité annuleront le brevet lorsqu’il n’y a aucune intention d’induire en erreur. Toutefois, la décision Novo Nordisk a été rendue avant l’arrêt Corlac, dans lequel la Cour d’appel a renvoyé à l’arrêt Q’Max auquel elle a souscrit quant à l’affirmation que le défaut de nommer un coïnventeur (qui est une allégation non conforme à la vérité) n’annulera pas le brevet lorsque l’allégation n’est pas faite volontairement pour induire en erreur.

[107]       La question n’a pas été clarifiée depuis l’analyse de la juge Hansen.

[108]       Dans la présente affaire, ni l’une ni l’autre des parties n’a examiné la question de savoir si les conclusions dans les arrêts Q’Max et Corlac concernant le paragraphe 53(1) devraient s’appliquer uniquement à des faits similaires, c’est-à-dire à des allégations importantes non conformes à la vérité relatives au défaut de nommer des coïnventeurs. Dans les arrêts Q’Max et Corlac, la Cour d’appel a considéré la nature draconienne de l’invalidation d’un brevet en raison seulement du fait qu’un inventeur était désigné de façon inexacte ou avait été omis. En l’espèce, toutefois, la conséquence de l’invalidation d’un brevet en raison de l’allégation importante non conforme à la vérité de M. Brown découlant de son défaut de dévoiler qu’il était un fonctionnaire n’est pas nécessairement exagérément sévère étant donné les objectifs de l’article 4 de la LIF et le désir d’éviter la divulgation par inadvertance de renseignements relatifs à l’intérêt public et potentiellement (quoique ce ne soit pas le cas en l’espèce au vu des faits) à la sécurité nationale. Comme l’a affirmé le Canada, le défaut de M. Brown de dévoiler sa qualité de fonctionnaire pourrait avoir des conséquences d’une portée considérable mettant en cause d’autres lois et régimes législatifs que la Loi sur les brevets et la LIF. Cette question demande un examen plus approfondi.

[109]       Comme l’a noté la juge Hansen dans la décision Zambon, la question du défaut de nommer un coïnventeur pourrait être tranchée à l’avenir en fonction du critère de l’importance; si le défaut n’est pas important, point n’est besoin d’examiner la question de l’intention. Mais cela ne correspond pas à la situation à laquelle nous avons affaire en l’espèce.

[110]       Si l’observation du juge Binnie dans l’arrêt Wellcome n’est pas une remarque incidente mais est contraignante, comme l’a laissé entendre Fox, elle s’appliquerait de manière plus large à d’autres allégations importantes non conformes à la vérité, comme le défaut de dévoiler la qualité de fonctionnaire.

[111]       Le droit reste incertain, malgré le libellé du paragraphe 53(1) qui établit une distinction entre, d’une part, les allégations importantes non conformes à la vérité, et d’autre part, les omissions, et l’intention requise dans ce dernier cas.

[112]       Toutefois, la jurisprudence indique de manière très constante qu’une allégation importante non conforme à la vérité s’apparente à une fraude. Compte tenu des conséquences d’une allégation importante non conforme à la vérité, un examen plus approfondi de l’exigence de l’intention – soit que l’allégation soit formulée volontairement pour induire en erreur – s’impose. La Loi sur les brevets ne comporte aucune disposition permettant d’excuser une allégation importante non conforme à la vérité articulée innocemment ou par inadvertance. M. Brown avance qu’il a omis de dévoiler sa qualité par inadvertance ou par erreur. M. Brown n’a toutefois pas produit d’éléments de preuve concernant son erreur ou la question de savoir s’il entretenait une croyance raisonnable en 2009 qu’il n’était pas un fonctionnaire, mis à part son observation selon laquelle les renseignements du conseiller en ressources humaines du MDN, qu’il a demandés en 2013, étayent son point de vue selon lequel on ne pourrait pas s’attendre à ce qu’il ait avoir su qu’il était un fonctionnaire.

[113]       Comme nous l’avons vu, les vérifications faites par M. Brown en 2013 n’ont pas grand-chose à voir avec ses obligations à l’époque où il a demandé le brevet. De plus, il s’est fié à un agent de brevets, qui devait être au courant des obligations en matière de divulgation ou aurait dû l’être.

[114]       Quoi qu’il en soit, la question de savoir si l’intention est requise pour étayer une allégation qui s’apparente à une allégation de fraude et celle de savoir si M. Brown avait une telle intention sont de véritables questions litigieuses qui devraient être examinées dans le cadre d’un procès. La Cour ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve ou d’observations pour instruire cette question par voie de jugement sommaire. Trancher la question dans le cadre d’un jugement sommaire ne ferait pas non plus avancer l’état du droit incertain compte tenu des faits très particuliers de la présente espèce.

[115]       Si la Cour détermine finalement que l’intention est requise, il faudra des éléments de preuve, autres qu’une simple affirmation faite par le Canada, pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que M. Brown avait une telle intention.

Subsidiairement, si le brevet n’est pas nul, le Canada jouit-il d’une immunité qui le dégage de toute responsabilité relative à la contrefaçon du brevet 748 en vertu de l’article 8 de la LRCECA parce que le système Colpro est nécessaire à la défense du Canada ou à l’instruction des Forces canadiennes ou au maintien de leur efficacité?

[116]       Le Canada soutient qu’il ne peut pas être poursuivi en contrefaçon de brevet pour son utilisation du système Colpro.

[117]       Le Canada ajoute que la common law ne permet pas de poursuivre la Couronne et que la loi qui le permet, la LRCECA, précise les responsabilités de la Couronne et exclut sa responsabilité dans certaines circonstances précises. Le Canada se fonde sur l’article 8 de la LRCECA et l’admission selon laquelle le système Colpro vise à assurer la défense du Canada ou l’instruction des Forces canadiennes, ou le maintien de leur efficacité, pour soutenir qu’il n’est pas responsable de contrefaçon de brevet.

[118]       Le Canada reconnaît que la Loi sur les brevets lie le gouvernement, mais dans les présentes circonstances, à cause de la nature et de l’objet de l’invention, la responsabilité de la Couronne n’est pas engagée pour contrefaçon.

[119]       M. Brown fait valoir que la Loi sur les brevets prévoit l’utilisation de brevets par le gouvernement avec indemnisation du breveté. Une telle disposition n’aurait aucun effet si le Canada ne pouvait pas être poursuivi pour contrefaçon de brevet en vertu de la LRCECA.

Véritable question litigieuse; l’article 8 de la LRCECA

[120]       Je suis d’accord avec M. Brown lorsqu’il dit que la question de savoir si la LRCECA a préséance sur la Loi sur les brevets est une véritable question litigieuse. Si le brevet n’est pas nul, la question demeure de savoir si le Canada jouit d’une immunité en matière de responsabilité délictuelle en vertu de la LRCECA parce que l’invention est visée par l’exception prévue à l’article 8.

[121]       L’article 19 de la Loi sur les brevets permet au gouvernement de demander au commissaire aux brevets l’autorisation de faire usage de l’invention brevetée. Le commissaire fixe alors les modalités de l’usage de l’invention en tenant compte des principes énoncés dans la Loi. Le commissaire est également tenu de fixer la rémunération que l’usager autorisé doit payer au breveté.

[122]       Bien que la Loi sur les brevets permette au gouvernement de faire usage d’inventions brevetées, on ne m’a pas présenté suffisamment d’arguments et de faits pour que je puisse déterminer si la Loi sur les brevets permet au gouvernement d’éviter les exigences lorsqu’une invention vise à assurer la défense du Canada.

[123]       Je note qu’en l’espèce, le commissaire n’était pas au courant du fait que M. Brown était un fonctionnaire, et le ministre de la Défense nationale n’a pas été mis au courant de l’invention au moment approprié. Si les exigences en matière de divulgation de la LIF avaient été respectées, le commissaire et le ministre auraient agi différemment.

Toujours subsidiairement, le MDN jouit-il d’une immunité faisant en sorte qu’il ne peut pas lui être ordonné de remettre, détruire ou arrêter d’utiliser ou de se procurer le système Colpro en vertu de l’article 22 de la LRCECA?

[124]       Le Canada affirme que la Cour n’a pas compétence pour ordonner une injonction, plus précisément pour ordonner au Canada de remettre, détruire ou arrêter de se procurer le système Colpro. Le Canada invoque l’article 22 de la LRCECA qui dispose que la Cour ne peut assujettir l’État à une injonction ou à une ordonnance d’exécution en nature.

[125]       M. Brown soutient maintenant qu’il ne demande pas une telle injonction, mais cherche plutôt à faire respecter ses droits en tant que breveté. Il soutient toutefois qu’une injonction serait possible, même s’il n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision d’attribuer le marché à HDT et non à NOR. M. Brown soutient de nouveau que la Cour devrait se montrer réticente à rendre un jugement sommaire sur cette question étant donné l’absence de jurisprudence pour appuyer la position du Canada et les arguments limités sur la question.

[126]       Il n’est pas nécessaire de traiter de cette question parce que M. Brown a indiqué qu’il ne demandait pas d’injonction. En outre, étant donné que la question de la validité du brevet reste à être tranchée, la Cour ne peut faire aucune déclaration concernant les droits du breveté.

IV.             Conclusion

[127]       J’ai conclu que M. Brown était un fonctionnaire au sens de la LIF au moment où il a déposé sa demande de brevet et, comme il l’a reconnu, il a omis de dévoiler sa qualité de fonctionnaire en conformité avec l’article 4 de la LIF.

[128]       J’ai également conclu que le défaut de M. Brown de dévoiler sa qualité en contravention de l’article 4 de la LIF et en contravention des ordonnances administratives des FC et du MDN était une allégation non conforme à la vérité qui était importante.

[129]       La question de savoir si des allégations importantes non conformes à la vérité doivent être faites volontairement pour induire en erreur est une véritable question litigieuse qui devrait être tranchée dans le cadre d’un procès. Si cette intention est une exigence, la question de savoir si M. Brown avait une telle intention doit être établie selon la prépondérance des probabilités.

[130]       Bien que M. Brown soutienne que les pénalités prévues à la LIF sont moins sévères et ne comprennent pas l’invalidation du brevet, il ne s’agit pas d’une liste exhaustive des pénalités possibles. Des conséquences civiles et pénales sont toutes deux possibles. En outre, un breveté ne devrait pas risquer ou accepter les conséquences moins graves de la LIF comme un coût d’exploitation. L’article 53 de la Loi sur les brevets serait privé d’effet si un breveté pouvait maintenir son brevet dans tous les cas malgré une allégation importante non conforme à la vérité découlant des exigences de la LIF.

[131]       Les deux parties demandent les dépens de la présente requête et toutes deux ont obtenu en partie gain de cause. Il est préférable de laisser au juge du procès le soin de trancher la question des dépens.


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que :

1.      La demande visant l’obtention d’un jugement sommaire portant que le brevet 748 est nul est rejetée et la question de savoir si une allégation importante non conforme à la vérité doit être formulée volontairement pour induire en erreur afin d’annuler un brevet et la question de savoir si le demandeur avait l’intention requise seront tranchées au procès.

2.      Les dépens de la présente requête seront déterminés par le juge du procès dans le contexte de l’issue de l’action.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE A

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

Loi sur les inventions des fonctionnaires, LRC 1985 c P-32

Définitions

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« fonctionnaire » “public servant”

« fonctionnaire » Toute personne employée dans un ministère et tout membre du personnel des Forces canadiennes ou de la Gendarmerie royale du Canada.

Obligations de l’inventeur

4. (1) Le fonctionnaire auteur d’une invention a l’obligation :

a) d’en informer le ministre compétent et de fournir à celui-ci les renseignements et documents qu’il lui demande à ce sujet;

b) d’obtenir le consentement écrit du ministre compétent avant de déposer, hors du Canada, une demande de brevet concernant l’invention;

c) de révéler sa qualité de fonctionnaire, dans toute demande de brevet déposée au Canada à l’égard de l’invention.

Obligation du commissaire aux brevets

(2) S’il lui apparaît qu’une demande de brevet vise une invention dont l’auteur est un fonctionnaire, le commissaire aux brevets en informe le ministre compétent et fournit à ce dernier les renseignements qu’il sollicite à cet égard.

Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4

Obligation de Sa Majesté

2.1 La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province.

Demande d’usage d’une invention brevetée par le gouvernement

19. (1) Sous réserve de l’article 19.1, le commissaire peut, sur demande du gouvernement du Canada ou d’une province, autoriser celui-ci à faire usage d’une invention brevetée.

Modalités

(2) Sous réserve de l’article 19.1, l’usage de l’invention brevetée peut être autorisé aux fins, pour la durée et selon les autres modalités que le commissaire estime convenables. Celui-ci fixe ces modalités en tenant compte des principes suivants :

a) la portée et la durée de l’usage doivent être limitées aux fins auxquelles celui-ci a été autorisé;

b) l’usage ne peut être exclusif;

c) l’usage doit être avant tout autorisé pour l’approvisionnement du marché intérieur.

Avis

(3) Le commissaire avise le breveté des usages de l’invention brevetée qui sont autorisés sous le régime du présent article.

Paiement d’une rémunération

(4) L’usager de l’invention brevetée paie au breveté la rémunération que le commissaire estime adéquate en l’espèce, compte tenu de la valeur économique de l’autorisation.

Fin de l’autorisation

(5) Le commissaire peut, sur demande du breveté et après avoir donné aux intéressés la possibilité de se faire entendre, mettre fin à l’autorisation s’il est convaincu que les circonstances qui y ont conduit ont cessé d’exister et ne se reproduiront vraisemblablement pas. Le cas échéant, il doit toutefois veiller à ce que les intérêts légitimes des personnes autorisées soient protégés de façon adéquate.

Incessibilité

(6) L’autorisation prévue au présent article est incessible.

Nul en certains cas, ou valide en partie seulement

53. (1) Le brevet est nul si la pétition du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu’il n’est nécessaire pour démontrer ce qu’ils sont censés démontrer, et si l’omission ou l’addition est volontairement faite pour induire en erreur.

Exception

(2) S’il apparaît au tribunal que pareille omission ou addition est le résultat d’une erreur involontaire, et s’il est prouvé que le breveté a droit au reste de son brevet, le tribunal rend jugement selon les faits et statue sur les frais. Le brevet est réputé valide quant à la partie de l’invention décrite à laquelle le breveté est reconnu avoir droit. […]

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50

Sauvegarde de la prérogative et des pouvoirs de l’État

8. Les articles 3 à 7 n’ont pas pour effet d’engager la responsabilité de l’État pour tout fait — acte ou omission — commis dans l’exercice d’un pouvoir qui, sans ces articles, s’exercerait au titre de la prérogative royale ou d’une disposition législative, et notamment pour les faits commis dans l’exercice d’un pouvoir dévolu à l’État, en temps de paix ou de guerre, pour la défense du Canada, l’instruction des Forces canadiennes ou le maintien de leur efficacité.

Déclaration de droits

22. (1) Le tribunal ne peut, lorsqu’il connaît d’une demande visant l’État, assujettir celui-ci à une injonction ou à une ordonnance d’exécution en nature mais, dans les cas où ces recours pourraient être exercés entre personnes, il peut, pour en tenir lieu, déclarer les droits des parties.

Préposés de l’État

(2) Le tribunal ne peut, dans aucune poursuite, rendre contre un préposé de l’État de décision qu’il n’a pas compétence pour rendre contre l’État.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106

Absence de véritable question litigieuse

215. (1) Si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

Somme d’argent ou point de droit

(2) Si la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

a) la somme à laquelle le requérant a droit, elle peut ordonner l’instruction de cette question ou rendre un jugement sommaire assorti d’un renvoi pour détermination de la somme conformément à la règle 153;

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

Pouvoirs de la Cour

(3) Si la Cour est convaincue qu’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut :

a) néanmoins trancher cette question par voie de procès sommaire et rendre toute ordonnance nécessaire pour le déroulement de ce procès;

b) rejeter la requête en tout ou en partie et ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.

 

Public Servants Inventions Act, RSC 1985, c P-32

Definitions

2. In this Act, […]

“public servant” « fonctionnaire »

“public servant” means any person employed in a department, and includes a member of the Canadian Forces or the Royal Canadian Mounted Police.

Duties of inventor

4. (1) Every public servant who makes an invention

(a) shall inform the appropriate minister of the invention and shall provide the minister with such information and documents with respect thereto as the minister requires;

(b) shall not file outside Canada an application for a patent in respect of the invention without the written consent of the appropriate minister; and

(c) shall, in any application in Canada for a patent in respect of the invention, disclose in his application that he is a public servant.

Duties of Commissioner of Patents

(2) If it appears to the Commissioner of Patents that an application for a patent relates to an invention made by a public servant, the Commissioner shall inform the appropriate minister of the application and give to the minister such information with respect thereto as the minister requires.

Patent Act, RSC 1985, c P-4

Binding on Her Majesty

2.1 This Act is binding on Her Majesty in right of Canada or a province.

Government may apply to use patented invention

19. (1) Subject to section 19.1, the Commissioner may, on application by the Government of Canada or the government of a province, authorize the use of a patented invention by that government.

Terms of use

(2) Subject to section 19.1, the use of the patented invention may be authorized for such purpose, for such period and on such other terms as the Commissioner considers expedient but the Commissioner shall settle those terms in accordance with the following principles:

(a) the scope and duration of the use shall be limited to the purpose for which the use is authorized;

(b) the use authorized shall be non-exclusive; and

(c) any use shall be authorized predominantly to supply the domestic market.

Notice

(3) The Commissioner shall notify the patentee of any use of the patented invention that is authorized under this section.

Payment of remuneration

(4) Where the use of the patented invention is authorized, the authorized user shall pay to the patentee such amount as the Commissioner considers to be adequate remuneration in the circumstances, taking into account the economic value of the authorization.

Termination of authorization

(5) The Commissioner may, on application by the patentee and after giving all concerned parties an opportunity to be heard, terminate the authorization if the Commissioner is satisfied that the circumstances that led to the granting of the authorization have ceased to exist and are unlikely to recur, subject to such conditions as the Commissioner deems appropriate to protect the legitimate interests of the authorized user.

Authorization not transferable

(6) An authorization granted under this section is not transferable.

Void in certain cases, or valid only for parts

53. (1) A patent is void if any material allegation in the petition of the applicant in respect of the patent is untrue, or if the specification and drawings contain more or less than is necessary for obtaining the end for which they purport to be made, and the omission or addition is wilfully made for the purpose of misleading.

Exception

(2) Where it appears to a court that the omission or addition referred to in subsection (1) was an involuntary error and it is proved that the patentee is entitled to the remainder of his patent, the court shall render a judgment in accordance with the facts, and shall determine the costs, and the patent shall be held valid for that part of the invention described to which the patentee is so found to be entitled. […]

Crown Liability and Proceedings Act, RSC 1985, c C-50

Saving in respect of prerogative and statutory powers

8. Nothing in sections 3 to 7 makes the Crown liable in respect of anything done or omitted in the exercise of any power or authority that, if those sections had not been passed, would have been exercisable by virtue of the prerogative of the Crown, or any power or authority conferred on the Crown by any statute, and, in particular, but without restricting the generality of the foregoing, nothing in those sections makes the Crown liable in respect of anything done or omitted in the exercise of any power or authority exercisable by the Crown, whether in time of peace or of war, for the purpose of the defence of Canada or of training, or maintaining the efficiency of, the Canadian Forces.

Declaration of rights

22. (1) Where in proceedings against the Crown any relief is sought that might, in proceedings between persons, be granted by way of injunction or specific performance, a court shall not, as against the Crown, grant an injunction or make an order for specific performance, but in lieu thereof may make an order declaratory of the rights of the parties.

Servants of Crown

(2) A court shall not in any proceedings grant relief or make an order against a servant of the Crown that it is not competent to grant or make against the Crown.

Federal Courts Rules, SOR/98-106

If no genuine issue for trial

215. (1) If on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

Genuine issue of amount or question of law

(2) If the Court is satisfied that the only genuine issue is

(a) the amount to which the moving party is entitled, the Court may order a trial of that issue or grant summary judgment with a reference under rule 153 to determine the amount; or

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

Powers of Court

(3) If the Court is satisfied that there is a genuine issue of fact or law for trial with respect to a claim or a defence, the Court may

(a) nevertheless determine that issue by way of summary trial and make any order necessary for the conduct of the summary trial; or

(b) dismiss the motion in whole or in part and order that the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, proceed to trial or that the action be conducted as a specially managed proceeding.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-806-12

 

INTITULÉ :

LOUIS BROWN et 2202240 ONTARIO INC. faisant affaire sous le nom de NOR ENVIRONMENTAL INTERNATIONAL c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et HDT TACTICAL SYSTEMS, INC. faisant affaire sous le nom de HDT ENGINEERED TECHNOLOGIES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 MARS 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 AOÛT 2014

 

COMPARUTIONS :

John Simpson

 

POUR LES DEMANDEURS

(intimés)

 

Jacqueline Dais-Visca

Abigail Browne

pour les défenderesses

(Sa Majesté la Reine, requérante)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shift Law

IP and New Media Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

(intimés)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour les défenderesses

(Sa Majesté la Reine, requérante)

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.