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Date : 20141201


Dossier : IMM-3972-13

Référence : 2014 CF 1155

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2014

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

JOZSEF SZTOJKA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), à l’égard d’une décision (la décision) rendue le 24 mai 2013 par laquelle J.M. McCabe, commissaire (le commissaire) de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, a déterminé que Jozsef Sztojka (le demandeur) est interdit de territoire pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)c) de la LIPR.

[2]               Le demandeur aurait agressé sexuellement une personne mineure. Il s’agit là de l’allégation sous‑jacente à la décision. Bien que le demandeur ait soulevé plusieurs questions dans son mémoire des faits et du droit, son avocat a indiqué à l’instruction de la présente demande qu’une seule serait présentée devant la Cour : le commissaire a commis une erreur en rejetant l’affirmation du demandeur selon laquelle l’allégation d’agression sexuelle formulée à son endroit avait été inventée de toutes pièces. Cet argument est fondé essentiellement sur trois allégations : i) les problèmes psychologiques de la présumée victime; (ii) l’hostilité manifestée par la mère de la victime à l’égard du demandeur; (iii) l’hostilité manifestée par la police à l’endroit du demandeur.

[3]               Pour les motifs présentés ci‑après, je n’accepte pas les arguments du demandeur et je rejette la présente demande.

II.                Faits

[4]               Le demandeur est un citoyen hongrois de 72 ans d’origine ethnique rom. Il est arrivé au Canada avec sa conjointe de fait en décembre 2011 et a demandé l’asile au motif d’une persécution alléguée en raison de son origine ethnique rom.

[5]               En 2009, le domicile d’une famille d’origine ethnique rom, des voisins du demandeur, a été incendié par un cocktail Molotov dans la ville hongroise de Dabas. Le père et son fils de cinq ans ont été la cible de nombreux coups de feu et ont été tués alors qu’ils fuyaient leur maison en flammes. Le demandeur soutient que, malgré l’abondance de preuves à l’appui de la thèse d’un meurtre, la police de Dabas a conclu que le père et son fils avaient perdu la vie après avoir inhalé de la fumée.

[6]               C’est lorsque la conjointe du demandeur, Lidia Horvath, a commencé à exiger publiquement que l’affaire fasse l’objet d’une enquête en bonne et due forme et que les auteurs soient traduits en justice que les policiers de Dabas auraient commencé à manifester de l’hostilité envers le demandeur.

[7]               Le demandeur soutient qu’il y a par la suite eu un complot visant à enlever et à tuer Mme Horvath et un autre visant à incendier son domicile. Peu après, le domicile du demandeur a effectivement été détruit par un incendie. Le demandeur soutient que les pompiers ne sont pas intervenus. Le demandeur et sa conjointe ont ensuite été accusés d’avoir eux‑mêmes allumé l’incendie. Ils ont été accusés de fraude et d’incendie criminel. Le procès concernant ces accusations était en cours lorsque le demandeur et Mme Horvath ont fui la Hongrie, disant craindre de ne pas avoir droit à un procès équitable et faire l’objet d’un nombre grandissant de menaces et de mauvais traitements de la part de la police de Dabas.

[8]               L’allégation d’agression sexuelle qui pèse contre le demandeur est fondée sur une plainte déposée en octobre 2011 par Tamaya Chekosh, la mère de la présumée victime, Tamaya Lazar, qui était âgée de 9 ans à l’époque. Cette plainte renfermait des allégations formulées par la fille selon lesquelles cette dernière aurait subi des attouchements sexuels de la part du demandeur. La police de Dabas a ensuite lancé un mandat d’arrestation visant le demandeur.

[9]               Selon la plaidoirie de l’avocat du demandeur, le fait que l’infraction présumée peut constituer un motif à une conclusion d’interdiction de territoire pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)c) de la LIPR n’est pas contesté.

III.             Décision

[10]           Le commissaire a conclu que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité. Pour tirer cette conclusion, il a tenu compte des éléments suivants : i) la plainte déposée auprès de la police de Dabas; ii) le témoignage de Mme Horvath et celui de son neveu Robert Horvath au sujet des problèmes psychologiques de la présumée victime; iii) le rapport du psychologue sur la présumée victime; (iv) une lettre rédigée par la mère de la présumée victime par laquelle elle retire sa plainte; (v) le mandat d’arrestation visant le demandeur.

[11]           Dans ses motifs exposés de vive voix, le commissaire a entre autres mentionné que « l’état des relations entre le service de police, l’appareil judiciaire de Dabas, [et le demandeur] » ne concernait pas directement l’affaire à trancher (décision, à la page 7). Le commissaire a rejeté l’argument du demandeur selon lequel il ne devrait pas accorder de poids aux renseignements provenant du service de police de Dabas parce que l’avocat n’a offert aucune « raison impérieuse pour justifier sa proposition » (décision, à la page 7).

[12]           Le commissaire a souligné que la plainte avait été signée par la mère de la présumée victime et déposée auprès du service de police de Dabas. Il a ajouté que le document exposant la plainte comporte des mises en garde quant aux conséquences d’une fausse déclaration.

[13]           En ce qui concerne l’hostilité qu’aurait manifestée la mère de la présumée victime à l’endroit du demandeur (et de Mme Horvath), le commissaire a indiqué que la seule preuve à cet égard est une conjecture non corroborée.

[14]           Pour ce qui est de la lettre qui aurait été écrite par la mère de la présumée victime et par laquelle cette dernière aurait retiré sa plainte, le commissaire a affirmé qu’il n’accordait pas « une pleine valeur » au document puisqu’il « n’est pas notarié et [qu’il] est pratiquement impossible de confirmer l’identité de l’auteur ». Le commissaire a décidé qu’il fallait accorder une plus grande valeur à la plainte initiale étant donné que celle‑ci fait état d’événements précis liés à l’agression sexuelle présumée. Le commissaire a ajouté que la lettre demandant le retrait de la plainte ne nie pas que l’agression a eu lieu.

[15]           Le commissaire a examiné le rapport du psychologue portant sur la présumée victime. Il a conclu que le psychologue n’avait pas exprimé d’opinion selon laquelle il ne fallait pas croire la présumée victime ou que cette dernière présentait un problème psychologique quelconque qui remettrait en doute ses déclarations.

[16]            Le commissaire a également accordé une pleine valeur au mandat émis par la police « pour établir que certains actes constituent une infraction là où ils ont été commis ».

IV.             Question à trancher

[17]           La seule question à trancher est celle de déterminer si le commissaire a commis une erreur en concluant que la preuve appuie la conclusion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur a agressé sexuellement Tamaya Lazar.


V.                Analyse

A.                Norme de contrôle

[18]           La question de savoir si le commissaire a commis une erreur dans son appréciation de la preuve est une question de fait et une question mixte de fait et de droit qui doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53 [Dunsmuir]). Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47 :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

B.                 Le commissaire a‑t‑il commis une erreur dans son appréciation de la preuve?

[19]           Au moment de décider si un étranger est interdit de territoire pour grande criminalité, le commissaire doit déterminer s’il existe des « motifs raisonnables de croire » qu’un acte visé par l’article 36 de la LIPR a été commis. Au paragraphe 114 de  l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 [Mugesera], la Cour suprême du Canada a déclaré que « [l]a croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi ». La norme de « motifs raisonnables de croire » exige davantage qu’un simple soupçon, mais reste moins stricte que la prépondérance des probabilités (Mugesera, au paragraphe 114).

[20]           La plaidoirie de l’avocat du demandeur portait principalement sur l’allégation d’agression sexuelle en soi, y compris les questions suivantes :

i.        le rapport du psychologue au sujet de la présumée victime;

ii.      un témoignage portant sur les éventuelles raisons motivant l’invention des allégations, y compris les problèmes psychologiques allégués de la victime et l’hostilité prétendument manifestée par la mère de la victime;

iii.    la lettre écrite au nom de la mère de la victime par laquelle cette dernière retire l’allégation d’agression sexuelle.

[21]           À mon avis, le demandeur a été bien avisé de ne pas maintenir son argument fondé sur l’hostilité de la police de Dabas à son endroit. Le commissaire a jugé que cette question était secondaire (« ne concern[ait] pas directement [l’affaire] »). J’estime que cette conclusion est raisonnable. L’allégation d’agression sexuelle tire son origine d’une plainte déposée auprès de la police et non d’une plainte déposée par la police. Rien n’indique que la plainte a été déposée sous la contrainte de la police, et tout argument en ce sens ne serait qu’une conjecture. Quoi qu’il en soit, c’est la crédibilité de l’allégation d’agression sexuelle et non celle de la police qui est au cœur de la présente affaire. Je suis convaincu que le commissaire était conscient de ce fait et qu’il en a tenu compte de façon raisonnable.   

[22]           Après avoir lu le rapport du psychologue, j’estime qu’il était raisonnable que le commissaire conclue que le rapport en question ne soutient pas la théorie selon laquelle la présumée victime aurait inventé son histoire ou qu’elle présenterait des problèmes psychologiques l’ayant poussée à inventer une telle histoire.

[23]           Le commissaire a tenu compte des témoignages au sujet des problèmes psychologiques allégués de la présumée victime formulés par des témoins qui connaissent cette dernière. Toutefois, ces témoignages ne l’ont pas convaincu. À mon avis, il était raisonnable que le commissaire conclue qu’« aucun de ces traits de caractère n’est repris dans le rapport [du psychologue] ».

[24]           Le commissaire a également agi de façon raisonnable en concluant qu’il n’y avait aucune preuve, autre que des conjectures, à l’appui de l’allégation selon laquelle la mère de la victime aurait inventé l’allégation d’agression sexuelle en raison de son hostilité envers le demandeur et Mme Horvath.

[25]           Par ailleurs, il était raisonnable que le commissaire doute de l’authenticité de la lettre provenant de la mère de la victime par laquelle cette dernière retirait la plainte et qu’il souligne le fait que cette lettre ne niait pas que l’agression sexuelle alléguée avait eu lieu. J’estime également qu’il était raisonnable que le commissaire tienne compte de l’importance de la mise en garde au sujet des fausses déclarations figurant sur le formulaire de la plainte.

[26]           Dans le cadre d’une décision récente, mon collègue le juge Henry Brown a annulé une autre décision de  la Section de l’immigration concernant la conjointe du demandeur, Mme Horvath, par laquelle cette dernière avait elle aussi été interdite de territoire (Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-6254-13, 21 octobre 2014). À mon avis, il y a des raisons d’établir une distinction entre cette affaire et celle en l’espèce ainsi que des raisons de ne pas appliquer la même décision. Tout d’abord, l’interdiction de territoire dont il est question dans l’affaire concernant Mme Horvath porte sur des accusations selon lesquelles cette dernière aurait commis une fraude et un incendie criminel, accusations faisant l’objet d’un procès en cours en Hongrie. L’allégation visant le demandeur en l’espèce diffère des accusations susmentionnées. Dans la décision contestée, on a refusé de tenir compte des antécédents d’hostilité manifestée par la police de Dabas, malgré le fait que l’interdiction de territoire prononcée contre Mme Horvath était fondée sur des allégations appuyées par des éléments de preuve recueillis par ce même corps policier. Dans ce cas, on a estimé, dans le cadre de la décision contestée, qu’il aurait fallu s’opposer à la preuve déposée pour la défense de Mme  Horvath.

[27]           En revanche, l’interdiction de territoire visant le demandeur en l’espèce est fondée sur une plainte déposée par une tierce partie. De plus, même si le commissaire a affirmé que l’état des relations entre le demandeur et les autorités n’était pas « directement » en cause, il a tout de même commenté ces allégations et a affirmé ce qui suit : « [é]tant donné la nature de votre relation avec le service de police de Dabas et les autorités de Dabas, il existe de sérieux doutes quant à la fiabilité de toute allégation qu’ils pourraient formuler ». À mon avis, il était raisonnable que le commissaire porte principalement son attention sur les allégations précises qui lui ont été présentées.

VI.             Conclusion

[28]           Je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE ce qui suit :

1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Il n’y a aucune question grave d’importante générale à certifier.

« George R. Locke »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3972-13

 

INTITULÉ:

JOZSEF SZTOJKA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 NovembrE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er DÉcembrE 2014

 

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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