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Date : 20141128


Dossier : IMM-6077-13

Référence : 2014 CF 1150

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

ANASTASIE META THSUNZA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, c 27 (LIPR), de la décision rendue le 15 août 2013 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rejetant la demande d’asile d’Anastasie Meta Thsunza (la demanderesse) et concluant que celle-ci n’a pas la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ou « de personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2]               Le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse indique que le nom de famille de la demanderesse est « Tshiunza ». Cependant, les soumissions de son avocat de même et d’autres documents au dossier indiquent que son nom de famille est « Tshunza ». Bien que cette contradiction soit somme toute mineure, il m’apparaît pertinent de la mentionner par souci de précision.

[3]               Pour les raisons qui suivent, je rejette la présente demande.

II.                Contexte et faits

[4]               La demanderesse est une citoyenne de la République démocratique du Congo (RDC) qui allègue être « réfugiée » au sens de l’article 96 de la LIPR puisqu’elle dit craindre la persécution en tant que femme violée et torturée par les policiers de son pays. Elle affirme également être une « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la LIPR car elle craint d’être torturée à son retour dans son pays sur la base qu’elle fut torturée, détenue, accusée de traîtrise, et agressée sexuellement par les policiers de son pays. La demanderesse affirme également être recherchée par l’Agence nationale de renseignement (ANR).

[5]               La demanderesse a indiqué dans son FRP qu’elle est une éducatrice retraitée et qu’elle a suivi deux ans d’éducation post primaire. Plus précisément, elle soutient avoir été à l’emploi de l’État congolais comme éducatrice pour les femmes ménagères illettrées, mais qu’elle est maintenant retraitée. Le FRP de la demanderesse indique que sa langue maternelle est le tshiluba, mais qu’elle parle aussi le lingala.

[6]               Le 29 juin 2011, la demanderesse accompagne ses sœurs afin de collecter la pension du mari décédé de l’une d’elles. Lorsque le fonctionnaire responsable informe la demanderesse et ses sœurs qu’aucune pension ne sera versée, la demanderesse réagit en criant que le président Joseph Kabila et ses ministres sont des voleurs. Dans son élan de colère, elle affirme également au fonctionnaire en question que les choses allaient être différentes lorsqu’Étienne Tshisekedi, le président de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) (un parti d’opposition), sera élu.

[7]               Plus tard, soit le même jour ou le lendemain (la preuve de la demanderesse est contradictoire), trois policiers ont arrêté la demanderesse et ses sœurs. Ils les ont conduits en prison, où elles auraient été battues et violées. La demanderesse allègue avoir été libérée le 2 juillet 2011, après que son mari eût payé un pot-de-vin. La demanderesse allègue être allée recevoir des soins au centre hospitalier de référence mère et enfant de Ngaba du 4 au 6 juillet 2011.

[8]               La demanderesse a quitté la RDC le 19 septembre 2011 pour l’Afrique du Sud où elle passa deux mois avec ses deux filles. La demanderesse allègue ne pas avoir parlé à ses deux filles du viol dont elle fut victime puisqu’elle soutient que le fait d’être victime de viol est un sujet culturellement tabou.

[9]               La demanderesse est mère de neuf enfants vivants dans différents pays, notamment en Afrique du Sud, au Canada et au Congo.

[10]           Le 15 novembre 2011, la demanderesse est arrivée au Canada avec un visa de visiteur et est allée vivre chez son fils ainé, qui fut reconnu comme réfugié politique par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) en 1997. Afin d’obtenir son visa de visiteur, la demanderesse a affirmé vouloir aller visiter ses petits-enfants au Canada.

[11]           La demanderesse s’est présentée le 30 novembre 2011 aux bureaux de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) afin de demander le statut de réfugié.

[12]           Durant l’audition devant la SPR qui s’est déroulée le 7 août 2013, le témoignage de la demanderesse se déroula dans sa deuxième langue, le lingala, puisque l’interprète ne parlait pas le tshiluba.

III.             Décision

[13]           Dans sa décision, la SPR indique qu’elle a considéré les Directives concernant les femmes qui revendiquent le statut des réfugiés en raison de leur sexe (les Directives). La SPR reconnaît que la demanderesse est une femme alléguant avoir été victime de viol et de violence qui soutient ne pas pouvoir compter sur le gouvernement de son pays pour la protéger.

[14]           La SPR soutient cependant que bien qu’elle a appliqué les directives, elle est en droit d’apprécier la véracité du témoignage de la demanderesse (Solis Morales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1239).

[15]           La SPR soutient que la demanderesse n’est pas crédible pour les raisons suivantes :

1.      La demanderesse est incapable de raconter de façon cohérente les faits allégués.

2.      La demanderesse connaît son récit par cœur, mais semblait embêtée lorsque des questions précises étaient posées. Elle regardait vers le bas lorsque la SPR lui demandait des détails.

3.      La demanderesse a affirmé à l’audience que la police l’a arrêté le 29 juin 2011, soit le même jour que l’incident au Ministère des Finances, alors qu’elle a affirmé dans son FRP que la police l’arrêta le lendemain, soit 30 juin 2011.

4.      La demanderesse a affirmé avoir été soignée au centre médical de Yolo. Or, la demanderesse a soumis un rapport du centre hospitalier de référence mère et enfant de Ngaba. Confronté à cette contradiction, la demanderesse a affirmé que ce centre hospitalier se trouve en fait à côté du cartier de Yolo.

5.      Lorsque la SPR a demandé à la demanderesse où elle avait pris le rapport du centre Hospitalier, celle-ci aurait hésité longuement et cherché du regard son avocat pour finalement affirmer qu’elle avait ce document à la maison et que sont mari lui en a envoyé une copie.

6.      La SPR conclut que le rapport médical envoyé est un faux en raison de la tardiveté de son envoi au Canada et du fait qu’il indiquait que la demanderesse s’est administré une pilule contraceptive alors qu’elle avait 64 ans. La SPR prit également en considération le fait que la demanderesse a fourni une copie du rapport médical et non l’orignal.

[16]           La SPR a également conclu que la demanderesse n’a pas fait la démonstration d'une crainte réelle quant à son retour en RDC. Cette conclusion est basée sur les faits suivants :

1.      La demanderesse a attendu deux mois après son emprisonnement avant de quitter le Congo pour se rendre en Afrique du Sud afin de rejoindre ses filles.

2.      La demanderesse n’a pas demandé l’asile en Afrique du Sud. La SPR conclut que les explications de la demanderesse selon lesquelles elle ignorait le concept de l’asile à son arrivée en Afrique du Sud ne sont pas satisfaisantes. Par ailleurs, la SPR note que bien que les filles de la demanderesse ne savaient pas que leur mère aurait été violée, celles-ci savaient que la demanderesse a été arrêtée et elles auraient donc pu lui suggérer de faire une demande d’asile à son arrivée en Afrique du Sud.

3.      La demanderesse n’a pas demandé l’asile en arrivant au Canada, mais s’est présentée au CIC 15 jours après son arrivée.

[17]           La SPR écarte le rapport psychologique de la demanderesse sur la base qu’elle n’a vu la demanderesse que pour une durée totale d’une heure et vingt minutes.

IV.             Questions en litige

[18]           Il y a deux questions en litige :

1.      La SPR a-t-elle manqué au principe d’équité procédurale en raison de la qualité de l’interprétation?

2.      La SPR a-t-elle erré dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse?

V.                Observations des parties

A.                Observations de la demanderesse

[19]           La demanderesse allègue qu’elle parle tshiluba et un peu le lingala et qu’elle ne pouvait comprendre adéquatement l’interprétation de certains mots traduits par l’interprète du français au lingala. La demanderesse allègue qu’elle a demandé à la SPR de lui fournir un interprète parlant le tshiluba, ce que la SPR a refusé.

[20]           La demanderesse allègue qu’elle n’a pu avoir droit à un interprète, ce qui constitue un déni de justice naturelle. De plus, la demanderesse souligne que la Cour fédérale n’a pas à faire preuve de déférence en cas de manquement d’équité procédurale d’un organisme administratif.

[21]           La demanderesse soulève également que la SPR a erré dans son évaluation de la preuve de sa crédibilité. La demanderesse reconnaît que les conclusions relatives à la crédibilité doivent être jugées selon la norme de la décision raisonnable (Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 773, au para 21 [Elmi]).

[22]           La demanderesse argumente que lorsqu’un demandeur jure que certains faits sont véridiques, il existe une présomption qu’ils le sont, à moins qu’il y ait des raisons valables de douter de leur véracité.

[23]           De plus, lorsque la SPR conclut à un manque de crédibilité en raison d’une mauvaise interprétation de la preuve ou d’une absence de prise en compte de la preuve ou parce que la preuve ne permettait pas d’en arriver à la conclusion tirée, la décision de la SPR peut être renversée (Owusu-Ansah c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1989] FCJ No 442 (FCA) (QL)).

[24]           La demanderesse soutient que la SPR a mal interprété la preuve pour les raisons suivantes :

1.      La SPR mentionne que la demanderesse est une professeure retraitée. Or, dans son FRP, la demanderesse indiquait qu’elle était monitrice dans un centre de formation d’apprentissage pour femmes ménagères illettrées. La demanderesse n’a fait que deux ans d’école post primaire et elle a fréquenté l’école pour la dernière fois en 1961.

2.      La SPR a omis de tenir compte que ce n’est qu’une semaine après son arrivé au Canada, en date du 22 novembre 2011, que la demanderesse a été conseillée par sa belle-fille de faire une demande d’asile. La demanderesse soutient qu’elle ne connaissait pas ce processus avant cette date. Ce conseil de sa belle-fille était fondé, entre autres choses, sur le fait que la demanderesse a appris le 22 novembre 2011 que son mari est ses deux sœurs ont été arrêtés par la police parce qu’elle est sortie du pays sans l’autorisation du commandant de la police. De plus, ce n’est que le 22 novembre que la demanderesse a avoué à sa belle-fille avoir été violée, lorsque cette dernière remarqua que la demanderesse se parlait à elle-même.

3.      La SPR n’a pas évalué la preuve dans sa totalité. Bien que la SPR soutienne qu’elle a appliqué les Directives concernant le sexe, nulle part dans sa décision n’a fait application d’un des principes de ces Directives.

4.      La SPR a, sans fondement, refusé de considérer les aspects culturels de la présente affaire. Si la SPR avait considéré ce facteur, elle aurait compris qu’une mère de culture Luba ne parle pas de choses sexuelles avec ses enfants, il s’agit d’un tabou.

5.      La SPR conclut que la demanderesse n’a pas établi qu’elle a été agressée ou violée. Or, la demanderesse a prouvé à l’aide d’un rapport médical et d’un rapport psychologique qu’elle a été violée. De plus, la demanderesse n’a nullement témoigné de manière contradictoire sur ce viol.

6.      La SPR a conclu que la demanderesse n’a pas été un témoin fidèle, car elle a eu beaucoup de difficulté à répondre aux questions. Or, la demanderesse a, au contraire, répondu avec précision aux questions de la SPR bien qu’elle témoignait dans sa deuxième langue.

[25]           La demanderesse soutient donc que la preuve ne soutient pas les conclusions de la SPR.

[26]           La demanderesse soutient également que si la SPR avait considéré l’entièreté des faits soumis à son attention, elle aurait conclu que la demanderesse a une crainte réelle de persécution et que les faits allégués sont vrais.

[27]           Qui plus est, la demanderesse soulève que l’analyse faite par la SPR de la preuve médicale est erronée.

[28]           Premièrement, la demanderesse soutient que la SPR a erré dans l’évaluation du rapport médical présenté. La SPR aurait erré en considérant que le rapport ne fût pas valide sur la base que la demanderesse a allégué avoir été soigné au centre médical de Yolo alors que le rapport médical provient du centre hospitalier de référence mère et enfant de Ngaba. En indiquant qu’elle s’était fait traiter au centre médical Yolo, la demanderesse indiquait l’emplacement connu du centre.

[29]           Deuxièmement, la demanderesse soutient que la SPR ne pouvait conclure que la copie du rapport médical était fausse sur la base que la demanderesse a hésité en expliquant sa provenance. D’une part, la demanderesse indique que le rapport médical apparaît authentique. D’autre part, la demanderesse soutient que la SPR aurait indiqué à son avocat-conseil qu’il n’était pas nécessaire de produire l’orignal du rapport médical. De plus, la demanderesse soutient qu’en affirmant qu’elle avait le document à la maison elle voulait indiquer qu’elle avait reçu le document en ligne à la maison.

[30]           Finalement, la demanderesse soutient que la SPR a erré en doutant de l’authenticité du rapport médical sur la base qu’il y est indiqué que la demanderesse, alors âgée de 64 ans, s’est vue prescrire une pilule contraceptive.

B.                 Observations du défendeur

[31]           Le défendeur argumente que l’analyse de la crédibilité est sujette à la norme de la décision raisonnable (Uwitonze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 61, au para 26 [Uwitonze]). La Cour doit faire preuve d’une grande retenue face aux conclusions relatives à la crédibilité (Aydin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1329, au para 22). La SPR peut se baser sur des contradictions ou sur l’omission de faits importants dans le récit circonstancié pour juger de la crédibilité d’un demandeur (Ramirez Bernal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1007, au para 19).

[32]           Le défendeur soutient que la demanderesse doit établir les faits essentiels de sa demande d’asile, ce qu’elle n’a pas fait puisqu’elle n’est pas parvenue à démontrer qu’elle a été arrêtée par la police et qu’elle est allée à la clinique de Yolo par la suite.

[33]           Le défendeur soutient également que le comportement de la demanderesse était incompatible avec sa crainte puisqu’elle n’a fait aucune demande d’asile en Afrique du Sud et n’a fait sa demande d’asile que dans les 15 jours suivant son arrivée au Canada. Cela mine la crédibilité de la demanderesse.

[34]           Le défendeur souligne que dans Francis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1078, au para 15 [Francis], cette Cour a jugé que la SPR pouvait à bon droit rejeter une demande d’asile parce que le demandeur avait passé 11 jours aux États-Unis avant de soumettre une demande au Canada.

[35]           Le défendeur soutient que compte tenu de l’ensemble des erreurs au dossier, la SPR n’a pas erré en concluant que la demanderesse n’était pas crédible.

VI.             Analyse

A.                La norme de contrôle applicable

[36]           L’analyse de la crédibilité est sujette à la norme de la décision raisonnable (Uwitonze, au para 26, Elmi, au para 21). Ainsi, la Cour se doit de faire preuve de déférence; l’analyse de la crédibilité étant centrale au rôle de la SPR (Elmi, au para 21). De fait, le rôle de la Cour est limité relativement à la révision des conclusions de la SPR en matière de crédibilité, car celle-ci « a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve » (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 42).

[37]           Cependant, la question relative à la qualité de l’interprétation est une question d’équité procédurale sujette à la norme de la décision correcte (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 267, au para 16; Francis, au para 2).

B.                 La qualité et de l’interprétation et l’équité procédurale

[38]           La demanderesse a indiqué dans son FRP que le tshiluba constitue sa langue maternelle et la langue dans laquelle elle est le plus confortable, mais qu’elle s’exprime aussi en lingala. Dans son FRP la demanderesse a demandé que la traduction à l’audience devant la SPR se fasse en tshiluba ou en lingala.

[39]           Dans Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1161 [Singh], au para 3, le juge Lemieux résume les principes applicables relativement à la qualité de l’interprétation :

Les deux conseils conviennent que la question de la qualité de l’interprétation a été tranchée par la Cour d’appel fédérale dans Mohammadian c. Canada (MCI), 2001 CAF 191 (CanLII), [2001] A.C.F. no 916, suivant la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951. À mon avis, les principes énoncés dans Mohammadian peuvent être brièvement résumés comme suit:

a. L'interprétation doit être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante.

b. Il n’est pas nécessaire de prouver l'existence d'un préjudice réel pour obtenir une réparation.

c. L’interprétation doit être adéquate, mais n’a pas à être parfaite. Le principe le plus important est la compréhension linguistique.

d. Il y a renonciation au droit lorsque la qualité de l’interprétation n’est pas contestée par le demandeur à la première occasion, chaque fois qu'il est raisonnable de s'y attendre.

e. La question de savoir s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'une plainte soit présentée à l’égard de la mauvaise qualité de l’interprétation est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas.

f. Si l'interprète a de la difficulté à parler la langue du demandeur ou à se faire comprendre par lui, il est clair que la question doit être soulevée à la première occasion.

[Soulignements ajoutés]

[40]           Dans l’affaire Licao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 89, les demandeurs avaient indiqué dans leur FRP que leur langue maternelle était le tagalog, mais que le dialecte qu’ils parlaient couramment était le cebuano. Les demandeurs avaient demandé un interprète parlant le cebuano ou le tagalog. À l’audience, le demandeur principal a soutenu qu’il avait besoin d’un interprète en cebuano. Dans cette affaire, la juge Strickland mentionne aux paragraphes 34, 38, 41 :

34. Dans ces circonstances, il s’agit donc en fait de chercher à savoir si, sur un plan pratique, il fallait recourir à un interprète cebuano plutôt qu’à un interprète tagalog pour préserver l’équité procédurale.

[…]

38.En l’espèce, dans son affidavit, l’épouse du demandeur principal ne désigne aucune erreur d’interprétation d’importance qui aurait influé sur la décision, pas plus qu’elle n’indique en quoi les réponses qu’elle a données auraient été différentes si un interprète parlant le cebuano avait été présent. Les demandeurs ne relèvent non plus aucun aspect de l’audience qu’ils aient été incapables comprendre et n’indiquent aucune portion de leurs déclarations qui auraient pu être mieux expliquée par le demandeur principal que par son épouse.

[…]

41. Dans la présente affaire, les demandeurs n’ont pas démontré en quoi l’audition était compromise par l’absence d’un interprète parlant le cebuano. En particulier, ils n’ont pas démontré que la preuve factuelle touchant la seule question abordée à l’audience, à savoir le dépôt tardif des demandes, aurait été différente s’ils avaient eu un interprète s’exprimant en cebuano. De plus, ils n’ont relevé aucune erreur d’interprétation qui aurait influé sur la décision.

[Soulignements ajoutés]

[41]           Il ressort de la jurisprudence qu’il importe, entre autres, de déterminer si les erreurs d’interprétation ont influencé le cœur de la décision de la SPR ou ont, en d’autres mots, donné lieu à une ou des conclusion(s) déterminante(s) (Khatun c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2012 CF 159, au para 51; Fu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 155, au para 10; Francis, au para 6). Bien qu’il n’est pas nécessaire que la traduction soit parfaite et, de fait, elle peut difficilement l’être (Francis, au para 6), des erreurs d’interprétation touchant un aspect centrale des conclusions de la SPR pousseront la Cour à conclure qu’une traduction déficiente constitue un manque d’équité procédurale.

[42]           Dans la présente affaire, la SPR soutient que la demanderesse était incapable de raconter de façon cohérente les faits allégués au cours de l’audience. La SPR juge que la demanderesse connaissait par cœur son récit et qu’elle semblait embêtée lorsqu’une question lui était posée. Ainsi, les hésitations de la demanderesse auraient gravement miné sa crédibilité durant l’audience. De son côté, la demanderesse soutient dans son affidavit qu’elle parlait parfois en tshiluba à l’interprète qui ne parlait pas cette langue et que les erreurs de traductions et les hésitations qui en résultèrent ont poussé la SPR à conclure qu’elle n’était pas crédible. Ainsi, il apparaît que la crédibilité de la demanderesse constitue l’aspect central de la présente affaire et,  de fait, la jurisprudence indique que les questions relatives à la détermination de la crédibilité d’un(e) demandeur(e) d’asile constituent des conclusions déterminantes (Umubyeyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 69, au para 11; Miranda Ramos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 298, au para 10).

[43]           En l’espèce, je reconnais que le procès-verbal d’audience laisse transparaître la possibilité d’une traduction imparfaite. En effet, sa lecture révèle que les réponses de la demanderesse étaient saccadées et qu’à de nombreuses reprises ses réponses étaient inaudibles. Cependant, je note également que la demanderesse, par le biais de son procureur, mentionne dans son mémoire qu’elle a répondu avec précision aux questions d’éclaircissement de la SPR, malgré le fait que le lingala n’est pas sa première langue.

[44]           Ainsi, bien que la traduction soit possiblement imparfaite, rien dans le dossier de la demanderesse ne permet de déduire qu’elle n’a pu répondre adéquatement aux questions du Commissaire. En effet, le procès-verbal révèle plutôt que la demanderesse a su répondre à chacune des questions que le Commissaire lui a posées.

[45]           De plus, la demanderesse ne soulève dans son affidavit aucun aspect précis de son témoignage qui aurait pu être mieux expliqué si la qualité de l’interprétation avait été différente.

[46]           Par ailleurs, je note qu’au début de l’audience le Commissaire a expressément demandé à la demanderesse si elle comprenait bien l’interprète lorsqu’elle lui parlait en lingala. À cette question, la demanderesse a répondu : « oui je comprends ».

[47]           Je note également que lorsque le conseil de la demanderesse a soulevé le problème traduction durant l’audience à l’effet que la demanderesse s’exprimait parfois en lingala et parfois en tshiluba, le Commissaire a mentionné : « Mais à date, on se comprend très bien, Monsieur. On ne peut pas dire qu’il y a des hésitations. Madame répond bien. Il y a rien qui est à côté de la coche là ». De plus, malgré cette intervention de son conseil, la demanderesse a mentionné : « Oui, je vais parler en lingala ».

[48]           En fait, le conseil de la demanderesse n’a pas soulevé qu’elle avait des difficultés à s’exprimer lingala, mais qu’elle s’exprimait parfois en tshiluba. Cela posait principalement problème à l’interprète alors que la demanderesse, elle, pouvait s’exprimer en lingala. La demanderesse n’a jamais demandé que l’audition soit remise ou qu’un traducteur de tshiluba soit fourni.

[49]           Ainsi, le dossier révèle que (i) la demanderesse a elle-même demandé un interprète parlant le « tshiluba ou lingala »; (ii) le conseil de la demanderesse n’a pas soulevé un problème de traduction au début de l’audience; (iii) la demanderesse a répondu avec précision à chacune des questions qui lui furent posées; (iv) la demanderesse a elle-même consentie à parler en lingala durant l’audience; et (v) le Commissaire a questionné la demanderesse à savoir si elle comprenait bien la traduction et celle-ci a répondu qu’elle comprenait.

[50]           À la lumière de ce qui précède, je suis d’avis que l’interprétation, bien qu’imparfaite, n’équivaut pas à un déni de justice naturelle. La demanderesse répondait adéquatement aux réponses du Commissaire et a elle-même demandé que la traduction se fasse en lingala. De plus, la demanderesse se contente de soulever de façon générale que la qualité de l’interprétation a altérée l’analyse de la crédibilité sans expliquer avec précision en quoi le principe de la compréhension linguistique ne fut pas respecté. Je suis d’avis que les soumissions de la demanderesse sont insuffisantes pour conclure que la décision de la SPR de poursuivre l’audience en lingala était incorrecte.

C.                 La crédibilité de la demanderesse

[51]           À mon avis, les principaux faits qui ont conduit la SPR à tirer ses conclusions sont les suivants :

1.      La demanderesse a paru incertaine quant à la date de son arrestation. Elle a témoigné de façon contradictoire quant au fait qu’elle aurait été arrêtée le jour de sa visite chez le ministre ou le lendemain.

2.      Quelques aspects du rapport médical du centre hospitalier de référence mère et enfant de Ngaba permettent de douter sa validité, soit le fait que (i) la demanderesse à désigné ce centre par le mauvais nom (« Centre médical de Yolo »); (ii) le rapport indique que le médecin a administré une pilule contraceptive à la demanderesse qui était alors âgée de 64 ans; (iii) la demanderesse a fourni une copie et non l’original de ce rapport; et (iv) la copie du rapport a été déposée hors délais.

3.      La demanderesse n’a pas quitté la RDC avant le 19 septembre 2011, soit près de deux mois après sa libération, bien qu’elle ait obtenu un visa lui permettant de quitter pour l’Afrique du Sud dès le 11 juillet 2011. De plus, la demanderesse n’a fait aucune démarche concernant sa demande d’asile avant le 30 novembre 2011, soit après avoir passé deux mois en Afrique du Sud et environ deux semaines au Canada.

[52]           Dans la présente décision, je considère ces trois conclusions séparément.

(1)               La date de l’arrestation

[53]           Tel que le mentionne la SPR, la demanderesse semblait incertaine en ce qui concerne le moment de son arrestation durant son témoignage. Durant l’audition, la demanderesse a indiqué à deux reprises (procès-verbal, pp. 13-14) qu’elle fut arrêtée le 29 juin 2011, soit le jour de sa visite au Ministère de Finances. Cependant, la demanderesse a modifié sa réponse lorsque la SPR lui a mentionné que son FRP indiquait qu’elle a été arrêtée le lendemain de sa visite au Ministère des Finances (procès-verbal, p. 16). À la suite de cette remarque de la SPR, la demanderesse a affirmé avoir été arrêtée le 30 juin 2011. Selon ma lecture du procès-verbal, cette confusion ne résulte pas d’un problème de traduction.

[54]           De plus, il est difficile de justifier et d’expliquer l’incertitude de la demanderesse relativement au délai entre l’enlèvement ayant provoqué son arrestation et l’arrestation elle-même et cela, même en considérant les Directives. Je suis d’avis que la conclusion de la SPR sur ce point est raisonnable.

(2)               Le rapport médical

[55]           À première vue, les explications fournies par la demanderesse quant à la validité du rapport médical pourraient sembler raisonnables. Concernant le nom du centre hospitalier, la demanderesse aurait utilisé un nom informel afin de l’identifier. Relativement à l’administration d’une pilule contraceptive, il est possible qu’il s’agisse d’un traitement standard pour les victimes de viol, peu importe leur âge. Finalement, quant au fait d’avoir fourni une copie du rapport au lieu de l’original, je me suis questionné à savoir si, indépendamment de ce fait, il est raisonnable de conclure que le rapport est faux.

[56]           Cependant, puisque la SPR est dans une position privilégiée afin de tirer des conclusions quant à la crédibilité d’un demandeur d’asile, il importe de faire preuve de déférence devant les conclusions de fait (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 46).

[57]           Je suis d’avis que la preuve concernant le rapport médical comprend certaines contradictions : la demanderesse a effectivement mentionné un nom qui n’était pas celui du centre hospitalier de référence mère et enfant de Ngaba pour le désigner et le rapport médical indique qu’elle le médecin qui aurait traité la demanderesse lui a administré une pilule contraceptive malgré son âge. En raison de ces contradictions, la SPR était justifiée de demander une preuve fiable afin de corroborer les allégations de la demanderesse, telle que l’original du rapport médical. Puisque la demanderesse n’a pas soumis l’original du rapport, je suis d’avis que la SPR a raisonnablement conclu que le rapport était faux. La SPR a considéré les faits pertinents et en est arrivée à une conclusion justifiée, transparente et intelligible au regard des faits et du droit. De plus, la SPR peut, dans certains cas, raisonnablement conclure qu’un rapport médical n’est pas authentique sur la base de la crédibilité du demandeur (Yasik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 760, au para 37).

[58]           Finalement, contrairement à l’argument de la demanderesse, je ne trouve aucune indication dans le procès-verbal de la SPR à l’effet que celle-ci aurait indiqué qu’il n’était pas nécessaire que l’original du rapport médical soit déposé. Je constate que le tribunal a indiqué à la fin de l’audience qu’il était trop tard pour fournir l’original du rapport.

(3)               Délai de la demande d’asile

[59]           La demanderesse a expliqué qu’elle ne pouvait pas quitter son pays plus tôt, soit moins de deux mois après avoir été arrêtée, parce qu’elle manquait d’argent pour le billet d’avion. La SPR a considéré l’explication de la demanderesse. Cependant, il semble que la demanderesse n’a pas changé son itinéraire du tout malgré les événements dont elle allègue être victime puisque la demanderesse avait déjà planifié son voyage. Cela peut raisonnablement indiquer que la demanderesse ne craignait pas la persécution en RDC, tel que l’a conclu la SPR.

[60]           De plus, la demanderesse a indiqué qu’elle n’avait aucune connaissance du système d’asile avant le 22 novembre 2011, date à laquelle sa belle-fille lui conseilla de faire sa demande d’asile. Avant cette date, la demanderesse n’a pas divulgué à sa famille qu’elle a été violée, et cela, en raison d’un tabou culturel.

[61]           Même si j’accepte que la demanderesse n’ait pas divulgué le fait qu’elle a été violée, il n’en demeure pas moins que sa famille savait qu’elle a été arrêtée et maltraitée. Comme indiqué par la SPR dans sa décision, il aurait été légitime de s’attendre à ce que ses filles lui suggèrent de faire une demande d’asile alors qu’elle était en Afrique du Sud.

[62]           De plus, il est difficile de concevoir que la mère d’un fils réfugié au Canada depuis 1997 pour des raisons politiques ignorait la possibilité de faire une demande d’asile.

[63]           Je conviens qu’il aurait été préférable que la SPR discute de la preuve indiquant que la demanderesse a conclu qu’elle ne pouvait retourner en RDC au moment où elle fut informée de l’arrestation de son mari et de ses sœurs. Toutefois, je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que la demanderesse ne craint vraisemblablement pas de retourner dans son pays.

[64]           Une brève mention relativement au rapport psychologique. Je suis d’avis qu’il était raisonnable que la SPR ne suive pas l’opinion psychologique selon laquelle la demanderesse a été violée puisque la demanderesse et la psychologue se sont rencontrées pendant peu de temps. De plus, contrairement aux allégations de la demanderesse, le rapport psychologique ne mentionne pas que la demanderesse a parfois des trous de mémoire.

VII.          Conclusion

[65]           La demande d’autorisation de contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6077-13

 

INTITULÉ :

ANASTASIE META THSUNZA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 août 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 novembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Kibondo M. Kilongozi

 

Pour la demanderesse

 

Me Adrian Bieniasiewicz

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kibondo M. Kilongozi

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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