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Date : 20141124


Dossier : T‑608‑14

Référence : 2014 CF 1119

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2014

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

SABER & SONE GROUP

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée par Saber & Sone Group (la demanderesse) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a suspendu les privilèges en matière de transmission électronique des déclarations (TED) et de Système électronique de notification de débits (SEND) qui lui avait été conférés en vertu du paragraphe 150.1(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.).

[2]               La demanderesse affirme que la décision est déraisonnable parce que le chef des appels, qui a pris la décision au nom du ministre, n’avait pas été mis au courant de tous les faits pertinents par l’agente des appels qui avait procédé à la révision administrative de la décision de suspendre les privilèges de la demanderesse. La demanderesse affirme que l’agente des appels n’a pas tenu compte de certains facteurs pertinents et notamment du fait que la demanderesse avait obtenu l’autorisation de consulter des renseignements confidentiels, du fait que [traduction] « l’acte répréhensible » reproché était un incident isolé et qu’il existait des circonstances spéciales. La demanderesse affirme également que l’agente des appels ne comprenait pas pleinement son rôle et qu’on ne sait pas avec certitude si elle a pris une décision impartiale ou si elle s’est contentée de confirmer l’opinion des décideurs précédents.

[3]               Le défendeur soutient que la décision était raisonnable. La demanderesse n’a pas été en mesure de produire l’autorisation signée qu’on lui réclamait et, par conséquent, son accès aux renseignements confidentiels n’était pas autorisé et sa conduite était répréhensible et frauduleuse, ce qui constituait une raison valable de lui retirer ses privilèges en matière de TED et de SEND.

[4]               Le défendeur conteste certains des faits allégués par la demanderesse. Le dossier ne clarifie pas suffisamment ces faits et le contre‑interrogatoire dont l’agente des appels a fait l’objet au sujet de son affidavit n’a fait que les embrouiller encore plus.

[5]               La demanderesse et le défendeur ont tous les deux cherché à se servir de renseignements communiqués après la décision en se fondant sur le contre‑interrogatoire en question. Toutefois, la question déterminante est celle de savoir si la décision rendue par le chef des appels, qui a accepté le rapport et la recommandation de l’agente des appels, est raisonnable. Cette conclusion ne peut être tirée qu’en fonction des renseignements qui se trouvaient dans le dossier dont disposaient le chef des appels et l’agente des appels, qui a rédigé le rapport.

[6]               Bien que l’agente des appels, le chef des appels et les décideurs antérieurs se soient à juste titre concentrés sur le respect des politiques de l’ARC pour assurer la protection des renseignements confidentiels, les motifs exposés par l’auteur de la décision et le dossier régulièrement porté à l’attention de la Cour ne permettent pas à celle‑ci de déterminer si l’agente des appels et le chef des appels ont tenu compte de l’ensemble des faits pertinents et de savoir si la décision de retirer à la demanderesse ses privilèges était raisonnable. Par conséquent, la décision devra être réexaminée par un autre agent des appels.

[7]               Pour les motifs plus détaillés qui suivent, la demande est accueillie.

Contexte

[8]               Saber & Sone (la demanderesse) est un cabinet comptable. Il prépare des états financiers et produit des déclarations de revenus pour ses clients.

[9]               La demanderesse explique qu’en mars 2009, elle a obtenu deux formulaires T1013 signés (« Demander ou annuler l’autorisation d’un représentant ») d’Andrea et Darren Carter (les Carter), autorisant Saber & Sone à représenter les Carter ainsi qu’à discuter de leurs affaires personnelles avec l’ARC. Ces formulaires indiquaient que l’autorisation accordée valait pour toutes les années d’imposition (passées, courantes et futures) et comprenaient l’autorisation d’accéder à des renseignements en ligne. Saber & Sone a par la suite produit les déclarations de revenus des particuliers des Carter pour l’année d’imposition 2008 comme elle l’avait fait au cours des années précédentes.

[10]           Andrea Carter est la fille de Mme Saber et la belle‑fille de M. Sone. Darren Carter est son mari. Les Carter sont maintenant séparés de la demanderesse. Les Carter ont quitté le Canada pour l’Australie vers 2009. En juin 2013, M. Sone et Mme Saber ont appris que les Carter étaient revenus au Canada.

[11]           Le 24 juillet 2013, Saber & Sone a utilisé le mot de passe fourni par l’ARC et a accédé par voie électronique aux renseignements fiscaux des Carter en expliquant qu’elle avait obtenu l’autorisation nécessaire. La demanderesse a déclaré qu’elle avait entrepris cette démarche pour vérifier si les Carter étaient rentrés au Canada, pour obtenir leurs coordonnées, pour assurer leur sécurité et, également, pour vérifier s’ils avaient recommencé à préparer leurs déclarations de revenus.

[12]           L’ARC a informé M. Carter que l’accès en ligne à son compte avait été accordé à la demanderesse. Monsieur Carter a ensuite téléphoné à l’ARC pour l’informer que Saber & Sone n’était pas autorisée à accéder à son compte. Le Rapport d’incident relatif à la sécurité de l’ARC versé au dossier indique que M. Carter a également déposé une plainte formelle par lettre et que, lors de conversations téléphoniques ultérieures, il a informé l’ARC que Mme Saber et M. Sone étaient des membres de sa famille avec lesquels ils n’avaient plus de contact et que cette violation de sa vie privée lui causait un stress extrême.

[13]           En septembre 2013, l’ARC a contacté Saber & Sone pour réclamer à M. Carter une copie originale signée du formulaire d’autorisation T1013. L’ARC a également informé le cabinet Saber & Sone que les Carter lui avaient retiré l’autorisation de les représenter.

[14]           Le 24 septembre 2013, Mme Lori Hindy, du Système d’identification du représentant du contribuable de l’ARC (le SIRC) a informé la demanderesse que ses privilèges en matière de TED avaient été suspendus en attendant un examen plus approfondi en raison de son omission de conserver des copies papier de tous les formulaires T1013 transmis par voie électronique pendant six ans après leur production comme l’exigeaient les responsabilités de l’ARC (énumérées sur le site Internet de l’ARC).

[15]           Le 26 septembre 2013, C. Lemieux, du bureau des services fiscaux de l’ARC, a informé Saber & Sone que l’ARC avait supprimé les renseignements relatifs à son représentant autorisé des comptes d’Andrea et de Darren Carter. L’ARC a répondu qu’elle procédait à un examen de l’ensemble des formulaires T1013 que Saber & Sone avait transmis par voie électronique entre le 1er janvier 2011 et le 18 septembre 2013 et qu’elle avait réclamé des copies papier de tous les autres clients de Saber & Sone.

[16]           Le 7 octobre 2013, M. Sone a répondu en réclamant une révision administrative de la décision. Il a expliqué qu’Andrea et Darren Carter étaient parents et qu’ils avaient utilisé l’accès Internet pour retrouver les Carter en soulignant l’anxiété que leur éloignement leur causait. Monsieur Sone a souligné les méthodes normalement convenables et sûres que son cabinet utilisait pour tous les renseignements fiscaux depuis les 40 dernières années et l’importance pour son entreprise de conserver ses privilèges en matière de TED.

[17]           Le 24 octobre 2013, M. Frank LeBreton, du Bureau d’aide TED de l’ARC, a informé le cabinet Saber & Sone que, sur la foi de renseignements récemment obtenus d’un autre service de l’ARC, le Bureau d’aide suspendait sur‑le‑champ les privilèges en matière de TED du cabinet.

Décision à l’examen

[18]           Madame Yvonne Taylor, l’agente des appels, a procédé à la révision administrative. Madame Taylor a expliqué sa méthode d’examen et les facteurs dont elle entendait tenir compte dans une note qu’elle a versée au dossier (la note au dossier) et elle a soumis un résumé dans un rapport portant sur sa révision administrative qu’elle a remis au chef des appels.

[19]           Dans son affidavit qui a été versé au dossier de la Cour, Mme Taylor affirme qu’elle a tenu compte des éléments suivants : le dossier du SIRC, les observations écrites de Saber & Sone, les dossiers informatiques T‑1, les critères de vérification énoncés dans les lignes directrices TED et le Manuel des déclarants par voie électronique de l’ARC. Elle déclare qu’elle a communiqué avec Mme Hindy en vue d’obtenir des renseignements au sujet de sa décision et qu’elle a téléphoné à M. Sone le 5 février 2014. Suivant la note au dossier, M. Sone a admis que son cabinet avait soumis le formulaire T1013 au nom de M. Carter par voie électronique parce qu’il croyait qu’il avait été autorisé les années précédentes à le faire. Il ne croyait pas que son comportement était frauduleux. La note signale qu’il n’était pas en mesure de fournir le formulaire T1013 original signé. La note indiquait également qu’il avait demandé à Mme Taylor une copie de la demande d’annulation de l’autorisation, mais qu’elle lui avait expliqué qu’elle ne pouvait la lui communiquer parce qu’il n’était pas le représentant autorisé de M. Carter.

[20]           Madame Taylor a rédigé son rapport sur la révision administrative et a recommandé que la décision du Bureau d’aide de retirer les privilèges de Saber & Sone en matière de TED et de SEND soit confirmée. Le rapport signalait les éléments suivants : la décision du Bureau d’aide TED, la position de la demanderesse (c.‑à‑d. que Saber & Sone avait de bons antécédents en matière de TED, qu’elle ne souhaitait pas être retirée du programme de dépôt de déclaration par voie électronique et que le système avait été utilisé en vue de retrouver la fille et le gendre dont Mme Saber avait perdu la trace), les motifs possibles de suspension, les objectifs de la vérification de la demanderesse et les circonstances signalées dans les lignes directrices internes suivant lesquelles le défaut de satisfaire aux critères permettant de participer au programme TED.

[21]           Le rapport signalait également qu’en règle générale, les représentants pouvaient transmettre des formulaires T1013 par voie électronique à la condition d’obtenir une copie papier signée et datée du contribuable. Cette copie papier doit être conservée pendant au moins six ans. Suivant les dossiers de l’ARC, Saber & Sone avait transmis par voie électronique une demande d’autorisation le 24 juillet 2013 et avait accédé aux renseignements confidentiels de M. Carter, mais n’avait pas été par la suite en mesure de fournir une copie d’un formulaire d’autorisation signé. Cet incident était à l’origine de la décision du Bureau d’aide en ce qui concerne la TED. Le rapport ajoutait ce qui suit : [traduction« À la suite d’une enquête plus approfondie, le déclarant par voie électronique a admis qu’il n’existait pas de formulaire T1013 signé. Il a accédé aux renseignements confidentiels sans l’autorisation du contribuable. » Madame Taylor a conclu ce qui suit : [traduction« À la suite de notre examen des renseignements contenus dans la base de données, de notre conversation avec le Bureau d’aide TED et de notre conversation avec M. Sone, nous recommandons de confirmer la décision de refuser la participation de la demanderesse au programme de production de déclarations par voie électronique. »

[22]           Le chef des appels, M. Sunil Vijh, a accepté la recommandation de l’agente des appels. Par lettre datée du 17 février 2014, il a informé Saber & Sone qu’à la suite d’une révision administrative, l’ARC avait décidé de confirmer la décision du Bureau d’aide de retirer à Saber & Sone ses privilèges en matière de TED. La chef des appels a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Suivant notre examen, le 24 juillet 2014, Saber & Sone a transmis une demande d’autorisation et a accédé aux renseignements confidentiels d’un contribuable. Le formulaire T1013 peut être transmis par voie électronique à la condition que le représentant ait obtenu du contribuable une copie papier signée et datée. Le formulaire doit être conservé pendant six ans et être fourni sur demande. Vous avez expliqué que vous n’aviez pas de formulaire T1013 signé.

[23]           Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, la décision contestée est le refus du chef des appels. Le rapport de l’agente des appels fait toutefois partie des motifs. Lorsqu’un enquêteur ou un agent procède à une révision, rédige une ébauche d’un rapport et formule une recommandation, et lorsque que le décideur (en l’espèce, le chef des appels) adopte ensuite cette recommandation sans fournir lui‑même de motifs ou en n’exposant que de brefs motifs, les motifs de l’agent ou de l’enquêteur sont assimilés aux motifs de la décision (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392, aux paragraphes 37 et 38).

Affidavit de Mme Taylor

[24]           Le défendeur a soumis l’affidavit de Mme Taylor comme moyen de soumettre les documents pertinents à la Cour pour les besoins du présent contrôle judiciaire. Dans son affidavit, Mme Taylor explique le rôle qu’elle joue en tant qu’agente des appels et explique les renseignements dont elle a tenu compte pour en arriver à sa décision. Il atteste également du contenu de la conversation échangée avec M. Sone qui figure également dans la note de Mme Taylor au dossier.

[25]           La demanderesse a longuement contre‑interrogé Mme Taylor sur son affidavit et a scruté son processus de prise de décision en fonction des pièces jointes à son affidavit.

[26]           La demanderesse et le défendeur s’appuient tous deux des extraits de ce contre‑interrogatoire dans leurs observations. La demanderesse se fonde sur le témoignage de Mme Taylor pour faire ressortir des contradictions entre celui‑ci et sa note au dossier et pour affirmer que Mme Taylor n’a pas tenu compte de tous les renseignements pertinents, qu’elle n’a pas procédé à sa propre évaluation et qu’elle n’a pas rendu une décision impartiale. Le défendeur se fonde sur le témoignage de Mme Taylor pour appuyer le processus décisionnel qui a été suivi ainsi que les critères dont il a été tenu compte.

[27]           Ainsi qu’il a été signalé à l’audience, le témoignage de Mme Taylor est confus en ce qui concerne la distinction, s’il en est, qu’il y a lieu d’établir entre les privilèges permettant de consulter en ligne les renseignements confidentiels et les privilèges en matière de TED, l’obligation qu’un formulaire T1013 revêtu d’une signature soit fourni dans les six mois du traitement et la question de savoir si Mme Taylor était au courant de l’autorisation donnée en 2009 par les contribuables à la demanderesse ou du retrait possible de cette autorisation lorsqu’elle a rendu sa décision. Ce témoignage confus s’explique peut‑être par les questions qui ont été posées à Mme Taylor en vue de clarifier en quoi consistait l’autorisation que devait obtenir le représentant, ainsi que les exigences du programme TED. Quoi qu’il en soit, la Cour ne dispose d’aucun autre élément de preuve lui permettant de clarifier certains des faits pertinents. La Cour ne dispose que des arguments des avocats, qui ne peuvent pas témoigner, ainsi que des renseignements qui se trouvaient déjà régulièrement au dossier dont disposait Mme Taylor au moment où elle a procédé à la révision administrative. Si d’autres documents existent au sujet des décisions prises par le Bureau d’aide TED ou par le SIRC – les décisions que Mme Taylor révisait –, elles n’ont pas été versées au dossier.

[28]           Bien que l’affidavit de Mme Taylor ne vise pas en tant que tel à compléter les motifs de sa décision ou à proposer de nouveaux motifs, le témoignage que Mme Taylor a donné en contre‑interrogatoire a dans une certaine mesure eu cet effet. Dans la mesure où les deux parties se sont fondées sur le témoignage de Mme Taylor pour combler les lacunes du dossier et pour fournir des renseignements dont ne disposait pas Mme Taylor au moment où elle a rédigé son rapport et qui ne se trouvaient pas dans le dossier au moment où le chef des appels a rendu sa décision, il n’a pas été tenu compte de ces renseignements et il ne pouvait pas en être tenu compte (Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, 341 DLR (4th) 710, aux paragraphes 40 et 42). De plus, à mon avis, ce témoignage est tout simplement inutile.

[29]           À l’affidavit de M. Sone était joint le formulaire T1013 signé et daté du 13 mars 2009 par Darren Carter et Andrea Carter. Toutefois, ces renseignements ne se trouvaient pas au dossier dont disposait Mme Taylor au moment où elle a procédé à sa révision.

[30]           Le caractère raisonnable de la décision s’apprécie en fonction du dossier, c’est‑à‑dire en fonction des renseignements dont disposait le décideur, et non en fonction de renseignements communiqués ultérieurement.

Questions en litige

[31]           La demanderesse a soulevé deux questions : celle de savoir si la décision était raisonnable et celle de savoir si elle était impartiale. Bien que la seconde question soit une question d’équité procédurale, les deux questions doivent être examinées ensemble.

Norme de contrôle

[32]           Le refus ou le retrait du privilège de transmission électronique des déclarations ou de l’accès en ligne est une décision fortement discrétionnaire qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Paterson c Canada, 2010 CF 644, 192 ACWS (3d) 665, au paragraphe 12; APL Properties Limited c Canada (Procureur général), 2013 CF 449, 432 FTR 39, au paragraphe 20).

[33]           La Cour doit se demander si la décision « fait partie des “issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59, citant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[34]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, [Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada a explicité les conditions énoncées dans l’arrêt Dunsmuir, en faisant observer que les motifs « doivent être examinés en corrélation avec le résultat et […] doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles », ajourant que la cour de justice peut « si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (aux paragraphes 14 à 16). La Cour a résumé comme suit les consignes à suivre au paragraphe 15 :

En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[35]           L’inverse est également vrai : si les motifs ne permettent pas à la Cour de comprendre la raison pour laquelle le décideur a décidé comme il l’a fait et ne permettent pas à la Cour de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables, les critères de l’arrêt Dunsmuir ne sont pas respectés et l’on ne peut qualifier la décision de raisonnable.

[36]           En ce qui concerne les allégations de la demanderesse suivant lesquelles la décision n’est pas impartiale ou suivant lesquelles il existait une crainte raisonnable de partialité, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Philips c Canada (Procureur général), 2011 CF 448, 388 FTR 158, au paragraphe 22).

La décision de retirer à la demanderesse ses privilèges d’utilisation de la TED était‑elle raisonnable?

Thèse de la demanderesse

[37]           La demanderesse affirme que la décision était déraisonnable parce qu’elle était contradictoire et inintelligible et qu’elle n’était pas transparente.

[38]           La demanderesse soutient que l’agente des appels n’a pas tenu compte de certains renseignements pertinents, et notamment des renseignements contenus dans les lignes directrices de la TED qui énoncent les politiques de l’ARC. L’omission de tenir compte de ces directives rend la décision déraisonnable (Hillier c PGC, 2001 CAF 197, 208 FTR 160, aux paragraphes 25 et 26).

[39]           En particulier, la demanderesse fait observer que, selon les Critères de vérification de l’admissibilité en matière de TED, pour décider s’il y a lieu de permettre à un demandeur qui ne satisfait pas aux critères de continuer à bénéficier des privilèges en matière de TED, le fait que son comportement constitue un incident isolé est un facteur pertinent. La demanderesse affirme que l’agente des appels n’a pas tenu compte du fait que sa conduite constituait un incident isolé et qu’elle possédait sinon de bons antécédents en matière de conformité, et ce, même si, dans son contre‑interrogatoire, Mme Taylor a reconnu que c’était probablement le cas.

[40]           La demanderesse affirme également que l’agente des appels n’a pas tenu compte du fait que c’était Mme Saber et non M. Sone qui avait consulté les renseignements en ligne de M. Carter et que la demanderesse avait reçu cette autorisation d’Andrea Carter et de Darren Carter le 13 mars 2009 et que cette autorisation était valable pour les années à venir jusqu’à ce qu’elle soit retirée. En outre, l’agent des appels n’a pas tenu compte du préjudice que subirait l’entreprise de la demanderesse si les privilèges relatifs à la TED et à l’accès en ligne lui étaient retirés. Dans sa décision, l’agente n’a pas abordé plusieurs des facteurs mentionnés dans la demande de révision administrative de la demanderesse, notamment le fait que les Carter étaient la fille et le gendre de Mme Saber, l’une des deux personnes constituant le Saber & Sone Group, que la demanderesse avait déjà agi pour les Carter et produit leurs déclarations de revenus et que la demanderesse avait eu accès aux renseignements de M. Carter croyant qu’elle était autorisée à le faire et qu’elle le faisait en vue de retrouver le couple.

[41]           La demanderesse soutient que le chef des appels n’avait pas en mains les renseignements pertinents pour prendre une décision en raison des omissions contenues dans le rapport de l’agente des appels. Par exemple, elle affirmait dans son rapport que Saber & Sone n’avait pas été en mesure de fournir une copie de l’autorisation du formulaire T1013 d’autorisation signée pour M. Carter, sans toutefois mentionner que Saber & Sone avait indiqué qu’elle possédait les formulaires d’autorisation remontant à 2009 lui accordant l’accès en ligne aux renseignements d’Andrea et de Darren Carter pour toutes les années d’imposition et qu’elle avait produit leurs déclarations de revenus au cours des années précédentes. Elle ne mentionnait pas dans son rapport le fait que la consultation de juillet 2013 était probablement un incident isolé et que M. Sone produisait de façon générale tous les formulaires exigés selon les règles. Elle n’y mentionnait pas non plus les répercussions que le refus de la TED et de l’accès en ligne aurait sur l’entreprise et sur les employés de Saber & Sone du fait des coûts et du temps qu’impliquerait la production manuelle des déclarations de revenus.

[42]           La demanderesse affirme également que l’agente des appels, Mme Taylor, a fait des déclarations contradictoires lors de son contre‑interrogatoire, ce qui révèle qu’elle ne comprenait pas très bien son rôle et les faits.

[43]           Par exemple, la note au dossier indique que Saber & Sone a accédé aux renseignements fiscaux personnels de M. Carter sans autorisation et qu’elle a ainsi commis une fraude. Contre‑interrogée à ce sujet, Mme Taylor a toutefois laissé entendre que la demanderesse avait perdu ses privilèges en matière de TED parce que, malgré le fait qu’elle possédait déjà un formulaire d’autorisation remontant à 2009, ce formulaire n’avait pas été signé dans les six mois de sa production.

[44]           La demanderesse affirme que, dans son contre‑interrogatoire, Mme Taylor avait déclaré que la fraude commise était très grave parce que M. Sone avait eu accès aux renseignements fiscaux personnels de M. Carter, sans autorisation, et pour des raisons personnelles. Toutefois, dans sa note au dossier, elle signalait que les décideurs précédents avaient conclu que [traduction« M. Sone a commis un manquement à son obligation de confidentialité avec une intention malveillante » et que « le formulaire T1013 soumis par voie électronique était frauduleux ». En d’autres termes, Mme Taylor n’a pas évalué la nature de l’acte commis, mais a admis qu’il s’agissait d’une fraude en se fondant sur l’opinion des décideurs précédents.

[45]           La demanderesse soutient également que l’agente des appels et le chef des appels ont commis une erreur parce qu’ils n’ont pas examiné les solutions de rechange à la suspension pour une période indéterminée des privilèges en matière de TED de la demanderesse.

[46]           De façon plus générale, la demanderesse affirme que la décision est déraisonnable parce qu’on ne trouve dans les motifs aucun mode d’analyse pouvant justifier la décision (Simmonds c Canada (Ministre du revenu national), 2006 CF 130, 289 FTR 15, au paragraphe 14). Même si la demanderesse avait en mains un formulaire T1013 remontant à 2009 qui l’autorisait à représenter Andrea et Darren Carter et lui accordait un accès en ligne pour les années d’imposition à venir, l’agente n’explique pas dans sa décision pourquoi ce document ne suffisait pas pour démontrer que Saber & Sone était autorisée. De plus, l’agente des appels aurait pu vérifier si Saber & Sone avait produit des déclarations de revenus au nom des Carter en 2008 et au cours des années précédentes et aurait pu confirmer que l’autorisation en question avait été accordée.

[47]           En ce qui concerne un éventuel manquement à l’équité procédurale, la demanderesse affirme que l’agente des appels était confuse au sujet de la portée de son rôle et de la révision administrative à laquelle elle procédait. Elle a déclaré lors de son contre‑interrogatoire qu’elle estimait de son devoir d’examiner la décision du Bureau d’aide TED pour s’assurer que la procédure prévue par l’ARC avait été suivie, mais elle avait par la suite déclaré qu’elle était simplement censée vérifier si la décision elle‑même était correcte sans vérifier le processus décisionnel initial ou les documents qui avaient été examinés à l’origine.

[48]           La demanderesse soutient également que l’agente des appels a commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte des renseignements qui avaient amené le SIRC et le Bureau d’aide TED à retirer ses privilèges. La demanderesse affirme que Mme Taylor a admis en contre‑interrogatoire qu’elle n’avait pas examiné les documents dont le Bureau d’aide TED et les autres décideurs avaient tenu compte. D’ailleurs, elle s’était contentée de tenir pour acquises leurs décisions sans vérifier de façon impartiale si ces décisions étaient fondées.

[49]           De plus, la demanderesse a signalé le commentaire formulé par l’agente des appels dans sa note au dossier à la suite de sa conversation avec M. Sone le 5 février dans laquelle ce dernier lui avait mentionné qu’il croyait qu’il avait reçu une autorisation au cours des années précédentes et qu’il ne croyait pas que ses agissements étaient frauduleux. L’agent des appels avait mentionné au dossier [traduction] « le Bureau d’aide TED n’est pas de cet avis ». La demanderesse affirme que cette note démontre que Mme Taylor avait été informée le 5 février par le Bureau d’aide TED que l’accès devait être retiré et que, par conséquent, sa révision administrative n’était pas impartiale.

Thèse du défendeur

[50]           Le défendeur affirme que, dans l’ensemble, la présente décision était raisonnable et qu’elle relevait du pouvoir discrétionnaire du chef des appels en tant que délégué du ministre. La demanderesse n’avait pas été en mesure de produire la copie papier signée du formulaire d’autorisation T1013 et c’est la raison pour laquelle la décision a été rendue et cette raison constituait un motif raisonnable de refuser les privilèges d’utilisation de la TED et d’accès en ligne. Le défendeur rappelle que la Cour est appelée à se prononcer sur le caractère raisonnable de cette décision en se fondant sur le dossier dont disposait le décideur, c’est‑à‑dire Mme Taylor et le chef des appels, et non sur le témoignage complémentaire donné par Mme Taylor lors de son contre‑interrogatoire, une fois la décision rendue.

[51]           Le défendeur souligne que l’accès au programme TED est un privilège et non un droit et que, par l’intermédiaire de ses délégués, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de retirer l’accès à la TED conformément aux critères énumérés dans les lignes directrices en matière de TED.

[52]           Le défendeur conteste certains des faits décrits par la demanderesse. En particulier, le défendeur signale que les versions papier du formulaire T1013 de 2009 produites par les Carter n’avaient pas été soumises à Mme Taylor au moment où elle a établi son rapport. Les formulaires n’ont été soumis qu’avec l’affidavit de M. Sone lors du présent contrôle judiciaire.

[53]           Le défendeur signale que les formulaires en question n’ont été montrés à Mme Taylor que lors de son contre‑interrogatoire et que celle‑ci s’est contentée de faire des conjectures sur la question de savoir si ces formulaires auraient autorisé l’accès en ligne en 2009. Madame Taylor a admis qu’elle n’avait jamais eu en mains les formulaires.

[54]           Le défendeur, dans le but de clarifier certains des faits qui demeurent encore confus, souligne que la demanderesse n’avait peut‑être soumis aucun formulaire d’autorisation T1013 en juillet 2013 parce que le système repose sur la confiance. Dès lors qu’un représentant possède une autorisation déjà traitée par l’ARC, il utilise un mot de passe et confirme qu’il possède l’autorisation requise. Le représentant autorisé doit conserver une copie papier signée du formulaire d’autorisation en mains pendant six ans et la produire au besoin.

[55]           Le défendeur affirme également que, malgré les affirmations contraires faites par Mme Taylor lors de son contre‑interrogatoire, l’obligation de faire signer le formulaire électronique dans les six mois de sa présentation à l’ARC n’était pas en litige. Le défendeur souligne que Mme Taylor n’a reçu aucun formulaire.

[56]           Le défendeur signale que, dans sa correspondance avec l’ARC, M. Sone n’a jamais affirmé avoir en mains les formulaires signés en question, et le défendeur ajoute que la note au dossier de Mme Taylor indique que M. Sone n’avait pas été en mesure de fournir une copie signée des formulaires T1013 qui avaient été soumis par voie électronique. Le défendeur affirme que, si la demanderesse avait les formulaires, elle aurait dû les soumettre à l’ARC et à Mme Taylor.

[57]           Le défendeur soutient que le fait que la demanderesse croyait que ses agissements n’étaient pas frauduleux n’est pas pertinent. La demanderesse n’a pas pu fournir l’autorisation signée et, par conséquent, son accès aux renseignements fiscaux de M. Carter n’était pas autorisé. Cet accès ne visait pas des fins fiscales, mais bien des fins personnelles. Bien que l’agente des appels ait pu considérer qu’il s’agissait d’un incident isolé, ainsi qu’elle l’a expliqué lors de son contre‑interrogatoire, cela ne changeait rien à la gravité du geste.

[58]           Le défendeur reconnaît que les motifs de la décision ne sont pas [traduction] « parfaits », mais soutient que la Cour doit d’abord chercher à les compléter en fonction du dossier avant de tenter de les contrecarrer (Newfoundland Nurses, précité, au paragraphe 12).

[59]           Le défendeur signale par ailleurs que le rapport et la note au dossier de l’agente des appels indiquent que cette dernière a effectivement tenu compte de tous les documents pertinents, des observations formulées par la demanderesse en vue de la révision administrative, des dossiers informatiques T1, des critères de vérification énumérés dans les lignes directrices TED (c.‑à‑d. de l’obligation pour les participants de ne pas recourir à la fraude, la malhonnêteté, l’abus de confiance ou d’autres actes répréhensibles), du Guide de l’ARC sur les déclarants par voie électronique et des documents fournis par Mme Hindy. Elle s’est fondée sur le renseignement suivant lequel Saber & Sone avait accédé à des renseignements confidentiels sans autorisation.

[60]           Le défendeur affirme que le chef des appels a ensuite examiné le rapport de l’agente des appels et conclu de façon raisonnable que Saber & Sone ne satisfaisait pas aux critères de vérification et que, conformément au paragraphe 150.1(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, elle ne devait pas se voir accorder de privilèges en matière de TED.

La décision n’est pas raisonnable

[61]           Comme le fait observer le défendeur, la vérification de l’admissibilité des demandeurs éventuels de privilèges en matière de TED vise des objectifs importants, ainsi qu’il est déclaré dans les lignes directrices TED, à savoir : protéger le système, maintenir au maximum la confiance du public dans l’intégrité de la transmission électronique des déclarations, veiller à ce que tous les participants au programme se conforment à des normes de conduite et d’intégrité professionnelle élevée et évaluer le risque que présente le demandeur en tant que déclarant par voie électronique. L’article 150.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu précise bien qu’il n’existe aucun droit à la transmission électronique des déclarations; il s’agit d’un privilège qui peut être retiré.

[62]           Bien que tous les décideurs antérieurs, l’agente des appels et le chef des appels aient agi en conformité avec les politiques de l’ARC, et bien que certains des arguments de la demanderesse soient mal fondés, la décision ne satisfait pas aux critères de transparence, de justification et d’intelligibilité.

[63]           Je ne souscris pas à l’argument de la demanderesse suivant lequel l’examen de Mme Taylor n’était pas impartial pour le motif invoqué par la demanderesse. La demanderesse a mal interprété les mentions portées au dossier le 5 février par l’agente des appels. Cette note énonce de manière sibylline les renseignements que Mme Taylor avait examinés sans toutefois suggérer que le Bureau d’aide lui avait conseillé de retirer les privilèges de la demanderesse. Sa note relate simplement la séquence des événements ainsi que les décisions antérieures, y compris celles du Bureau d’aide.

[64]           J’ai attentivement examiné l’ensemble du dossier en vue de confirmer la décision plutôt que de la contrecarrer. Toutefois, les motifs et le dossier ne permettent pas de conclure que la décision est raisonnable. En particulier, ils ne me permettent pas de déterminer si la révision administrative portait uniquement sur les exigences procédurales ou si l’agente des appels a examiné les faits et est parvenue à sa propre décision. De plus, les faits essentiels ne sont pas clairs et l’on ne dispose d’aucune explication au sujet de l’origine ou de l’objet de certains des documents versés au dossier que Mme Taylor a examinés. Les observations des parties ont fait ressortir le manque de clarté des formulaires et des autorisations en cause.

[65]           Le défendeur a circonscrit le débat en expliquant que la question en litige reposait simplement sur le fait que la demanderesse devait fournir une copie signée du formulaire d’autorisation T1013 qui avait été soumis par voie électronique et qu’elle n’avait pas pu le faire, ce qui constituait une fraude. Toutefois, on ne sait pas avec certitude quelle autorisation était en cause et si l’agente des appels, qui a conclu à la fraude, ou le chef des appels, qui a rendu la décision finale, ont tenu compte des autres facteurs pertinents.

[66]           Le témoignage de Mme Taylor, qui a été contre‑interrogée au sujet de son affidavit, n’a pas été utile. La demanderesse et le défendeur ont cité des extraits de son témoignage pour appuyer leurs arguments respectifs, qui étaient de toute évidence différents. Bien que je n’aie pas tenu compte de ce témoignage dans la mesure où il ne faisait pas partie du dossier dont disposait Mme Taylor lorsqu’elle a rendu sa décision, il est difficile d’ignorer qu’il confirme le manque de clarté des faits.

[67]           L’argumentation de la demanderesse repose sur l’existence d’une autorisation T1013 fournie par Andrea et Darren Carter en 2009 permettant à Saber & Sone d’accéder à leurs renseignements fiscaux tant que cette autorisation ne serait pas retirée. Il semble que le formulaire original signé n’ait pas été fourni au décideur. On ne sait cependant pas avec certitude si la demanderesse était autorisée ou si cette autorisation a été retirée avant juillet 2013, étant donné que le dossier dont disposait le décideur mentionne uniquement que la demanderesse n’avait pas été en mesure de fournir le formulaire signé original. Le contre‑interrogatoire de Mme Taylor ne fait qu’ajouter à la confusion quant aux renseignements notés au dossier et ne permet pas de savoir si le débat portait sur la question de savoir si l’original signé du formulaire T1013 de 2009 n’avait pas été soumis ou si une nouvelle demande d’autorisation avait été présentée en 2013, mais n’avait pas été signée dans les six mois ou n’avait pas été traitée; s’il n’y avait eu aucune autorisation parce que M. Carter avait retiré l’autorisation de 2009, ou encore si le problème résidait uniquement dans le fait qu’on ne pouvait produire la copie papier signée originale du formulaire T1013.

[68]           L’argument du défendeur suivant lequel le système repose sur la confiance et les représentants autorisés peuvent utiliser leur mot de passe s’ils confirment avoir cette autorisation donne à penser que la demanderesse s’est fondée sur l’autorisation de 2009.

[69]           Vraisemblablement, si le formulaire avait été soumis par voie électronique en 2009, il aurait permis à la demanderesse d’accéder en ligne aux renseignements de M. Carter tant que cette autorisation ne lui était pas retirée. La demanderesse aurait été tenue de conserver les originaux signés. Chose étrange, Mme Taylor a refusé de fournir une copie du retrait à M. Sone et l’a informé que cela n’était pas possible parce qu’il n’était pas un représentant autorisé de M. Carter. Madame Taylor ne précise pas à quel moment l’autorisation a été retirée ou la raison pour laquelle M. Sone n’en a pas été informé. Le dossier ne fait état d’aucun retrait avant 2013. Le Rapport d’incident relatif à la sécurité et les lettres de Mme Hindy et de M. LeBreton indiquent que le nom de M. Sone a été retiré en tant que représentant autorisé de M. Carter en septembre et en octobre 2013, ce qui donne à penser que M. Sone avait déjà été le représentant autorisé et que la suppression de son nom valait pour l’avenir, c’est‑à‑dire à compter de la date de l’avis indiquée dans les lettres de septembre et d’octobre 2013.

[70]           Par exemple, la lettre du 24 septembre écrite par Lori Hindy (de la SIRC) indique ce qui suit : [traduction« Nous avons supprimé les renseignements relatifs à votre représentant autorisé des comptes des contribuables concernés et nous avons suspendu vos privilèges en matière de déclaration par voie électronique T1013 en attendant un examen plus approfondi. » La lettre du 26 septembre de C. Lemieux, du Bureau des services fiscaux, reprend la même phrase et ajoute ceci : [traduction] « Nous avons également suspendu vos privilèges en matière de déclaration par voie électronique T1013 [...] ».

[71]           L’agente des appels a conclu que les agissements de la demanderesse étaient frauduleux. Toutefois, les motifs qu’elle a rédigés démontrent qu’elle ne saisissait pas tout à fait le concept de fraude et qu’elle n’avait pas véritablement vérifié si les agissements de la demanderesse étaient frauduleux. Elle semble s’être fondée sur les conclusions tirées par Mme Hindy et par d’autres personnes suivant lesquelles les agissements de la demanderesse étaient frauduleux. Une allégation de fraude est quelque chose de très sérieux. Les agissements de la demanderesse étaient peut‑être frauduleux si effectivement elle n’était pas autorisée à accéder aux renseignements confidentiels. Toutefois, si la demanderesse avait obtenu une autorisation en 2009 et qu’elle n’avait pas été informée que cette autorisation lui avait été retirée et a agi de bonne foi en croyant qu’elle était toujours autorisée à accéder aux renseignements confidentiels, le fait qu’elle a agi pour d’autres raisons que les raisons fiscales peut rendre sa conduite répréhensible, mais probablement pas frauduleuse.

[72]           Les longs antécédents de conformité de la demanderesse auprès de l’ARC sont également pertinents, tout comme le caractère isolé de cet acte. L’agente des appels ne semble pas avoir estimé que l’on pouvait tenir compte de ces facteurs; elle semble plutôt avoir estimé que l’acte était frauduleux et qu’il était grave et qu’aucun facteur ne pouvait en atténuer la gravité.

[73]           L’agente des appels n’a également pas tenu compte des répercussions de la perte de ces privilèges sur la demanderesse. Bien que la demanderesse ait formulé des observations plus détaillées devant la Cour au sujet de l’ampleur du préjudice en question, elle avait effectivement signalé les conséquences qu’aurait la perte de ces privilèges dans sa demande de révision administrative. Se fondant sur son expérience, l’agente des appels aurait pu être consciente de ce type de conséquence. Rien ne permet toutefois de penser qu’elle en a tenu compte, sauf pour signaler que la demanderesse avait déclaré qu’elle ne voulait pas perdre ses privilèges.

[74]           De plus, la note au dossier ne révèle pas dans quelle mesure l’agente des appels a tenu compte des décisions de Lori Hindy (SIRC) et de Frank Lemieux (Bureau d’aide TED), ou encore du Rapport d’incident relatif à la sécurité ou de la fiche relative aux enjeux nationaux incomplète – qui reprenaient tous essentiellement les mêmes renseignements et conclusions – ou bien si elle a simplement accepté ces décisions en les considérant comme des faits établis et si elle ne s’est est tenue qu’à la question de savoir si la procédure avait été régulièrement suivie au lieu de se demander si ces décisions étaient justifiées.

[75]           L’agente des appels ne mentionnait pas non plus dans son rapport sur la révision administrative à l’attention du chef des appels tous les facteurs pertinents. Elle y mentionnait uniquement la position de la demanderesse – en l’occurrence qu’elle ne croyait pas que sa conduite était frauduleuse et qu’elle s’est par ailleurs conformée – et n’indiquait pas que ces renseignements avaient été examinés.

Conclusion

[76]           La décision de suspendre les privilèges de la demanderesse en matière de TED et de SEND n’était pas raisonnable. Les motifs et le dossier ne justifient pas suffisamment cette décision.

[77]           J’ai tenu compte de l’argument du défendeur suivant lequel il y a lieu de condamner la demanderesse aux dépens même si la demande de contrôle judiciaire est accueillie, parce que la demanderesse aurait dû produire les formulaires T1013 signés de 2009 des Carter en temps utile au lieu d’attendre que la décision soit rendue. Je refuse toutefois de condamner la demanderesse ou le défendeur aux dépens.

[78]           La révision administrative de la décision de suspendre les privilèges de la demanderesse en matière de TED et de SEND doit être réexaminée sans délai par un autre agent des appels.


JUGEMENT

LA COUR :

1.                  ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire;

2.                  DÉCLARE QUE la révision administrative de la décision de suspendre les privilèges de la demanderesse en matière de TED et de SEND doit être réexaminée par un autre agent des appels sans délai.

3.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑608‑14

 

INTITULÉ :

SABER & SONE GROUP c MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 NOVEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 24 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

David Fenig

 

POUR LA demanderesse

 

Kathleen Beahen

Carol Calabrese

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GARFINKLE BIDERMAN LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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