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Date : 20141110


Dossier : IMM-2853-13

Référence : 2014 CF 1056

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2014

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

ZAALI IVANEISHVILI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le demandeur a demandé l’asile au Canada en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Sa demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission). Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]               Le demandeur demande que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué.

I.                   Contexte

[3]               Zaali Ivaneishvili (le demandeur) est un citoyen de la Géorgie originaire de la ville de Koutaïssi. Il est arrivé au Canada le 6 juin 2011 et il a demandé l’asile un mois plus tard. Sa première audience devant la Commission a été ajournée à cause de questions relatives à l’interprétation, mais sa cause a été entendue le 12 mars 2013.

[4]               La demande du demandeur est essentiellement fondée sur sa crainte d’un homme appelé Vakhtang Tsakadze, qui est le chef du service des mesures spéciales de la sécurité constitutionnelle de Koutaïssi (aussi appelé « Zonderi » ou « Forces spéciales » par le demandeur). Le demandeur a allégué que lui et son frère exploitaient une entreprise prospère en 2008, mais les problèmes ont commencé lorsque M. Tsakadze a tenté d’extorquer la moitié des profits au frère du demandeur. Le demandeur affirme que lorsque son frère a refusé, M. Tsakadze l’a piégé et arrêté pour un crime qu’il n’avait pas commis et ne l’a relâché que sur la promesse qu’il le paierait. Son frère s’est plutôt rendu en Espagne.

[5]               Le demandeur s’est donc retrouvé sans emploi, mais il s’est rapidement mis à travailler pour le mouvement démocratique – Géorgie unie, un parti politique opposé au gouvernement. Le demandeur a dit avoir occupé cet emploi pendant plusieurs années, et avoir aidé à organiser une manifestation à Tbilissi, la capitale, en 2011. M. Tsakadze l’a toutefois reconnu lors de la manifestation, et le demandeur a déclaré avoir été enlevé et battu par les Forces spéciales de M. Tsakadze peu après. Il a affirmé avoir téléphoné chez lui pour découvrir que des policiers s’étaient rendus à son domicile dans le but de le tuer, et il a fui le pays peu après.

II.                Décision contrôlée

[6]               La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur dans une décision datée du 18 mars 2013. Pour la Commission, les questions déterminantes étaient la crédibilité, la protection de l’État et la possibilité de refuge intérieur.

[7]               Après avoir exposé quelques‑uns des principes de l’analyse relative à la protection de l’État, la Commission a souligné qu’elle avait plusieurs réserves au sujet de la crédibilité. La lettre que le demandeur a présentée pour montrer son engagement politique disait seulement qu’il était [traduction] « réellement membre du parti politique “mouvement démocratique ‑ Géorgie unie” ». Il n’a pas présenté l’original du document. La lettre était en anglais et elle ne donnait aucun détail sur son poste, sur son rôle ou sur les dates auxquelles remontait son adhésion. La Commission l’a jugée inutile.

[8]               En outre, il a affirmé dans l’exposé circonstancié contenu dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que lui et son frère avaient été victimes d’actes d’extorsion commis par M. Tsakadze, mais il a changé d’idée à l’audience et affirmé que seul son frère l’avait été. Il n’a pu expliquer cette incohérence, qu’il aurait pourtant eu l’occasion de corriger lorsqu’il avait modifié son FRP. Il a également répondu de façon confuse et contradictoire lorsqu’il a été interrogé sur la situation politique en Géorgie, un fait que la Commission a mis sur le compte d’un malentendu et sur lequel elle n’a pas insisté.

[9]               Néanmoins, le demandeur a aussi livré un témoignage confus au sujet des événements qui l’avaient amené à quitter le pays. Même s’il avait auparavant déclaré que M. Tsakadze ne l’avait pas importuné pendant trois ans parce qu’il ne savait pas qu’il était un partenaire à parts égales dans l’entreprise, il a affirmé que M. Tsakadze avait pu le cibler à la manifestation pour se venger. De plus, il a affirmé dans son FRP qu’il avait été arrêté, alors qu’il a seulement dit dans son témoignage qu’il avait été enlevé et battu. De même, il a allégué que l’agression lui avait causé « des fractures aux côtes et à la tête », pour admettre peu après n’avoir eu que des ecchymoses et s’être fait prescrire des analgésiques. La Commission a conclu qu’il avait amplifié la gravité de ses blessures.

[10]           Enfin, le demandeur n’est jamais allé voir la police après avoir été battu, ayant seulement expliqué qu’il savait qu’il ne passerait pas une bonne journée s’il y allait. La Commission a estimé qu’il ne s’agissait pas d’une explication raisonnable. De plus, ses éléments de preuve corroborants n’étaient pas convaincants. La lettre provenant de son organisation politique ne renfermait aucun détail et la lettre de son père n’était ni datée ni signée. Il y était également révélé qu’il était condamné à mort, et le demandeur a reconnu que ce ne pouvait pas être vrai.

[11]           Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas présenté une preuve claire et convaincante permettant de réfuter la présomption de la protection de l’État. De plus, même si la Commission a admis que le demandeur craignait M. Tsakadze, elle n’a pas reconnu qu’il pouvait y avoir des motifs politiques derrière cette crainte.

[12]           S’il l’avait fallu, la Commission aurait également conclu que Tbilissi constituerait une possibilité de refuge intérieur acceptable.

III.             Les questions en litige

[13]           Le demandeur formule la question comme suit : « La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur de fait, commis une erreur de droit, manqué au principe de l’équité procédurale ou outrepassé sa compétence? » Il avance essentiellement que la Commission a commis une erreur de cinq manières : 1) en omettant de trouver un lien à caractère politique; 2) en omettant d’examiner les motifs prévus à l’article 97; 3) en concluant à l’existence d’une protection de l’État; 4) en concluant à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur; 5) en tirant des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité.

[14]           Je reformulerai les questions comme suit :

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

IV.             Les observations écrites du demandeur

[15]           Le demandeur avance que ses éléments de preuve ont montré qu’il était actif au sein d’un parti politique qui s’oppose à celui duquel M. Tsakadze était membre. Bien que la vengeance personnelle eût pu être facteur, les opinions politiques auraient pu en être un autre, de sorte que la Commission a commis une erreur en écartant la possibilité d’un motif mixte. Selon le demandeur, même si le motif avait été la vengeance uniquement, la Commission aurait commis une erreur en n’examinant pas s’il s’agissait d’un risque prévu à l’un ou l’autre des alinéas du paragraphe 97(1).

[16]           En outre, il affirme que la conclusion de la Commission sur la protection de l’État était déraisonnable étant donné que les agents de persécution étaient la police et les Forces spéciales. Comme il l’explique dans son mémoire en réplique, il ne pouvait s’adresser à aucune autre autorité.

[17]           De plus, il apparaît incompréhensible au demandeur que la Commission ait conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur à Tbilissi. C’est à Tbilissi même qu’il a été enlevé et battu. Qui plus est, Tbilissi est située à seulement 200 kilomètres de Koutaïssi. Il affirme qu’il n’y aurait nul endroit où il pourrait se cacher d’un chef des Forces spéciales.

[18]           Par ailleurs, le demandeur reconnaît que la majeure partie de l’analyse de la crédibilité effectuée par la Commission était raisonnable. Toutefois, il s’oppose à sa conclusion selon laquelle ses blessures n’étaient pas graves parce qu’il n’avait pas cherché à obtenir des soins dans l’immédiat. Il affirme que la Commission ne possède pas l’expertise médicale requise pour tirer une telle conclusion.

V.                Les observations écrites du défendeur

[19]           Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[20]           Le défendeur estime que la conclusion relative à la protection de l’État était raisonnable et qu’elle est déterminante en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. Plus précisément, le demandeur n’a fait aucune tentative auprès de l’État pour obtenir sa protection, et il n’a pour ainsi dire fourni aucun élément de preuve clair et convaincant permettant de réfuter la présomption de protection adéquate de l’État.

[21]           En outre, le défendeur affirme que la Commission n’a jamais cru que le demandeur avait été ciblé par M. Tsakadze ou détenu par lui. Selon le défendeur, de telles conclusions concernant la crédibilité étaient nombreuses et convaincantes.

[22]           En ce qui a trait à la possibilité de refuge intérieur, le défendeur affirme qu’il était raisonnable de conclure que Tbilissi serait un endroit sécuritaire. Cette conclusion était superflue puisque les autres motifs permettaient de trancher l’affaire.

VI.             Analyse et décision

A.                Première question – Quelle est la norme de contrôle applicable?

[23]           Je conviens avec le défendeur que tous les arguments avancés par le demandeur soulèvent des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 21 et 22, [2013] ACF no 1099).

[24]           Il s'ensuit que je ne dois pas intervenir si la décision est transparente, justifiable et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables (voir Dunsmuir, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]). Autrement dit, j’annulerai la décision de la Commission seulement si je n’arrive pas à comprendre le fondement de ses conclusions ou comment les faits et le droit applicable étayent l’issue (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). Je ne peux substituer la solution que je juge appropriée à celle qui a été retenue et ne peux réévaluer la preuve (Khosa, aux paragraphes 59 et 61).

B.                 Deuxième question – La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

[25]           Pour ce qui concerne la crédibilité, le demandeur conteste uniquement la conclusion de la Commission selon laquelle les blessures du demandeur n’étaient pas aussi graves qu’il l’a laissé entendre. Il affirme qu’une telle conclusion devait reposer sur une expertise médicale et qu’elle ne constituait donc pas un fondement admissible à une conclusion relative à la crédibilité (voir Iantbelidze c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 932, aux paragraphes 32 et 33, 222 FTR 300; Arsan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1252, au paragraphe 22, 94 Imm LR (3d) 302).

[26]           Cependant, dans ces affaires, la Commission tirait des conclusions sur la santé des personnes d’après leurs activités. Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. La Commission a plutôt suivi le raisonnement suivant :

Lorsque des questions lui ont été posées sur la nature de ses blessures, le demandeur d’asile a répondu qu’il avait eu des [traduction] « fractures aux côtes et à la tête ». Pourtant, lorsque d’autres questions lui ont été posées, il a affirmé qu’il n’avait pas été traité, jusqu’à ce qu’il se rende à Luthuania [sic] quelques jours plus tard et que des analgésiques lui soient prescrits pour soulager la douleur attribuable à ses ecchymoses. La Commission conclut que le demandeur d’asile tentait de justifier davantage le bien‑fondé de sa demande d’asile.

[27]           Bien que ce ne soit pas tout à fait clair, la Commission n’entendait pas par là que ses blessures n’étaient pas graves parce qu’il avait attendu avant de se faire soigner. La Commission voulait plutôt comparer l’affirmation du demandeur selon laquelle il avait des fractures aux côtes et à la tête avec sa déclaration ultérieure selon laquelle il n’avait eu que des ecchymoses et aucune fracture. Elle en a déduit qu’il avait fait des exagérations en premier lieu pour justifier davantage le bien‑fondé de sa demande. Il s’agit d’une conclusion raisonnable.

[28]           En ce qui concerne la protection de l’État, la décision de la Commission était raisonnable. Dans Ruszo, aux paragraphes 32 et 33, le juge en chef Paul Crampton s’est fondé sur une jurisprudence abondante pour formuler les observations suivantes :

32        Le demandeur d’asile doit démontrer qu’il n’a ménagé aucun effort objectivement raisonnable afin d’épuiser tous les recours auxquels il a raisonnablement accès avant de demander l’asile à l’étranger (arrêt Hinzman, précité, au paragraphe 46; Dean c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 772, au paragraphe 20; décision Salamon, précitée, au paragraphe 5). Pour ce faire, les demandeurs d’asile sont notamment tenus « de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée » (arrêt Ward, précité, au paragraphe 25; Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1126, au paragraphe 10 [Kim]; Hassaballa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 489, aux paragraphes 20‑22); Camacho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 830, au paragraphe 10; Del Real c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 140, au paragraphe 44; Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1214, au paragraphe 28; Stojka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1371, au paragraphe 3; Ruiz Coto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1211, au paragraphe 11; Matthews c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 535, aux paragraphes 43‑45; Kotai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 693, au paragraphe 31; Muli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 237, aux paragraphes 17‑18; Ndoja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 163, aux paragraphes 16‑18 et 25; Dieng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 450, au paragraphe 32).

 

33        À cet égard, remettre en doute l’efficacité de la protection de l’État sans vraiment la mettre à l’épreuve ou simplement faire valoir une réticence subjective à faire intervenir l’État ne suffit pas à réfuter la présomption de protection de l’État (décisions Ramirez et Kim, précitées). En l’absence d’une explication convaincante, le défaut de prendre des mesures raisonnables pour épuiser toutes les avenues raisonnablement existantes dans l’État d’origine avant de demander l’asile à l’extérieur, est généralement considéré comme un fondement raisonnable pouvant justifier la SPR de conclure qu’un demandeur d’asile n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante (décision Camacho, précitée).

[29]           En l’espèce, le demandeur a choisi de ne pas signaler l’agression à la police. La Commission lui a demandé pourquoi dans l’échange reproduit ci‑après :

[traduction]

COMMISSAIRE :      Êtes‑vous allé voir la police?

DEMANDEUR :        Non.

COMMISSAIRE :      Pourquoi non?

[…]

DEMANDEUR :        Je ne lui faisais pas confiance.

COMMISSAIRE :      Pourquoi ne lui faisiez‑vous pas confiance?

DEMANDEUR :        Je savais que si j’allais voir la police, je ne passerais pas une bonne journée.

COMMISSAIRE :      Que voulez‑vous dire par là?

DEMANDEUR :        Tsakadze avait donné l’ordre de me détruire et c’est pourquoi je ne pouvais pas aller voir la police.

(Transcription de l’audience [12 mars 2013], à la page 40.)

[30]           Le demandeur critique le fait que la Commission estimait qu’il aurait dû aller voir la police, affirmant que la police et les Forces spéciales étaient les agents de persécution.

[31]           Cependant, le dossier ne permet pas de savoir clairement quel type d’agence sont les Forces spéciales ni quel est leur lien avec la police. Le demandeur utilisait généralement les mots de façon interchangeable. Par exemple, dans l’exposé circonstancié du FRP, il déclare que, après l’agression, son père lui a dit que [traduction] « la police avait fait une descente à [leur] domicile ce jour‑là parce qu’elle [le] cherchait et qu’elle avait menacé de [le] tuer ». Toutefois, dans la lettre censée provenir de son père, celui‑ci relate les faits comme suit : [traduction] « Les employés des Forces spéciales sont venus. Ils se sont enquis des allées et venues de mon fils. »

[32]           Même en admettant que M. Tsakadze contrôlât la police, le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il était le chef seulement dans sa ville, Koutaïssi (transcription de l’audience [12 mars 2013], aux pages 37 et 38). Il a également affirmé que les personnes qui l’avaient saisi formaient un [traduction] « groupe spécial de gens masqués » qui, selon lui, [traduction] « provenaient de [sa] ville, des membres de la police et le chef, qui est le chef de […] Tsakadze » (transcription de l’audience [12 mars 2013], à la page 43.

[33]           Le crime a cependant été commis à Tbilissi, et le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve clair et convaincant montrant que M. Tsakadze exerçait quelque influence à Tbilissi. Il a simplement déclaré qu’il ne pensait pas qu’il passerait une bonne journée s’il signalait le crime à cet endroit. Cela démontre tout au plus une réticence subjective à solliciter la protection de l’État, et il était raisonnable pour la Commission de ne pas en avoir été convaincue.

[34]           Le demandeur avance également que la preuve documentaire montrait que la police agissait en toute impunité, citant le Country Reports en Human Rights Practices for 2011 – Georgia du Département d’État des États‑Unis, aux pages 2, 9 et 10. Cependant, ce document dresse un constat nuancé à cet égard, car il fait aussi état des sanctions prises contre des policiers qui avaient commis des abus. Elle n’est pas convaincante au point où il aurait été objectivement déraisonnable que le demandeur fasse une simple tentative auprès de l’État pour obtenir son aide (voir Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 724, 103 DLR (4th) 1; Ruszo, au paragraphe 45).

[35]           Par conséquent, l’analyse de la Commission concernant la protection de l’État était raisonnable, ce qui enlève toute pertinence aux autres plaintes formulées par le demandeur.

[36]           Après tout, une crainte de persécution n’est pas fondée si une protection de l’État existe (Ward, à la page 712), de telle manière que l’existence d’un lien avec des opinions politiques est sans importance. Quoi qu’il en soit, la Commission n’a pas écarté la possibilité qu’il y ait eu un motif mixte. Elle a expressément conclu que « l’agent du préjudice n’agit pas selon des motifs politiques, mais cherche plutôt à se venger ».

[37]           En outre, une exigence relative à la protection de l’État est prévue au sous‑alinéa 97(1)b)(i).

[38]           En ce qui concerne le danger de torture dont il est fait état à l’alinéa 97(1)a), le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve montant que M. Tsakadze agissait à titre officiel, et la Commission a expressément conclu que M. Tsakadze était motivé par un désir personnel de vengeance. Il est donc évident que la Commission a conclu qu’il n’existait aucun danger que le demandeur soit soumis à la torture au sens de la définition de l’article 1.1 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, 1465 RTNU 85.

[39]           La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’a pas réfuté la présomption d’une protection de l’État permettait donc de trancher l’affaire, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner si sa conclusion quant à une possibilité de refuge intérieur était également raisonnable.

[40]           Par conséquent, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire.

[41]           Aucune des parties n’a souhaité soumettre à mon examen une question grave de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 


ANNEXE

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, 1465 RTNU 85

PREMIERE PARTIE

PART I

Article premier

Article 1

1.  Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.

1.  For the purposes of this Convention, the term “torture” means any act by which severe pain or suffering, whether physical or mental, is intentionally inflicted on a person for such purposes as obtaining from him or a third person information or a confession, punishing him for an act he or a third person has committed or is suspected of having committed, or intimidating or coercing him or a third person, or for any reason based on discrimination of any kind, when such pain or suffering is inflicted by or at the instigation of or with the consent or acquiescence of a public official or other person acting in an official capacity. It does not include pain or suffering arising only from, inherent in or incidental to lawful sanctions.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-2853-13

 

INTITULÉ :

ZAALI IVANEISHVILI c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 JuIn 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 NovembrE 2014

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Catherine Vasilaros

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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