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Date : 20141126


Dossier : IMM-844-14

Référence : 2014 CF 1134

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

AZIZI MOHAMMAD NAEEM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur conteste la légalité d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la Commission], en date du 5 décembre 2013, par laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni celle de « personne à protéger » en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et a aussi conclu que la demande était dénuée d’un minimum de fondement, au sens du paragraphe 107(2) de la LIPR.

[2]               Le demandeur allègue qu’il est un citoyen de l’Afghanistan arrivé au Canada le 16 juillet 2013 ou autour de cette date. Il a demandé l’asile le 1er août 2013. Sa demande était fondée sur l’allégation selon laquelle des éléments antigouvernementaux l’auraient agressé et s’en seraient pris à ses biens à Kaboul. Le demandeur allègue qu’il était propriétaire de deux boulangeries à Kaboul, situées près du Parlement et du palais présidentiel, et que bon nombre de ses clients étaient des députés du Parlement afghan ou des employés du gouvernement. Le fait qu’il est perçu comme un partisan du gouvernement pourrait expliquer pourquoi il a été la cible d’éléments antigouvernementaux.

[3]               La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur pour un certain nombre de motifs, tous rattachés à son évaluation de la preuve. La présente affaire ne soulève aucune question de droit. Les deux parties s’entendent sur le fait que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, car les questions en litige soulèvent des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 20 à 22).

[4]               J’ai examiné les observations formulées par les deux parties dans leurs plaidoiries écrites et présentées oralement par leurs conseils à l’audience tenue le 17 novembre 2014. Étant donné que la question de l’identité est déterminante pour la présente demande de contrôle judiciaire, je n’ai pas jugé nécessaire de reproduire ou d’examiner dans les présents motifs tous les arguments qui ont été formulés au sujet des conclusions quant à la crédibilité tirées par la Commission.

[5]               La question de l’identité est décisive dans une demande d’asile. Si un demandeur ne peut montrer à la cour de révision que la Commission a agi de manière déraisonnable dans l’évaluation de l’identité, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée (Najam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 425, au paragraphe 16; Hang Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 680, au paragraphe 14; Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 4; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 47 [Rahal]; Diallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 471, au paragraphe 17).

[6]               La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’a pas réussi à établir son identité de façon satisfaisante repose sur la preuve. Pour prouver son identité, le demandeur a seulement présenté une photocopie d’une taskera – la carte d’identité nationale – sur laquelle figurait apparemment son nom (bien que le demandeur allègue que le traducteur a fait des fautes dans son nom). Même si la Commission a accordé une prorogation à l’audience le 7 octobre 2013, et si l’audience suivante a été fixée au 5 décembre 2013, le demandeur n’a fourni d’exemplaire original d’aucun de ses documents d’identité. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas expliqué raisonnablement l’absence de documents acceptables ou montré qu’il avait pris des mesures raisonnables pour obtenir les documents, car son explication selon laquelle il avait demandé à plusieurs reprises à sa famille en Afghanistan de lui fournir les documents originaux mais n’avait reçu que des copies n’était pas raisonnable.

[7]               La Commission est mieux placée que la Cour pour déterminer si la photocopie d’une taskera est suffisante pour établir l’identité du demandeur et si des mesures raisonnables ont été prises en vue d’obtenir l’original manquant. Il est écrit ce qui suit à l’article 106 de la LIPR :

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

 

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

[8]               Quoi qu’il en soit, le demandeur fait valoir que l’article 106 de la LIPR n’exige pas qu’un demandeur fournisse les documents originaux, seulement des documents acceptables, et souligne que la Commission n’a pas expliqué en quoi une photocopie d’un document d’identité afghan en apparence authentique n’était pas acceptable. Le demandeur avance en outre que la Commission n’a pas mené une analyse approfondie fondée sur l’article 106 et qu’elle a commis une erreur parce qu’elle n’avait pas expliqué pourquoi elle jugeait déraisonnable l’explication du demandeur au fait qu’il n’avait pas obtenu certains documents d’identité et parce qu’elle n’avait pas fait état des autres mesures qu’il aurait pu prendre dans les circonstances.

[9]               Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas présenté de documents acceptables, parce qu’il devait fournir ses documents d’identité originaux. De plus, les réponses données par le demandeur au sujet des personnes auprès de qui il avait tenté d’obtenir les originaux et du moment où il l’avait tenté étaient contradictoires et confuses, et le demandeur n’avait pu fournir aucun détail à la Commission. Le défendeur estime qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas de documents d’identité acceptables et n’avait pas fourni d’explication raisonnable de la situation.

[10]           Premièrement, je rejette l’allégation formulée par le demandeur selon laquelle la Commission aurait commis une erreur susceptible de contrôle en n’acceptant pas la photocopie de la taskera. Les dispositions de la règle 42 des Règles de la Section de la protection des réfugiés se lisent comme suit :

42. (1) La partie transmet à la Section l’original de tout document dont elle lui a transmis copie :

42. (1) A party who has provided a copy of a document to the Division must provide the original document to the Division

 

 

a) sans délai, sur demande écrite de la Section;

 

(a) without delay, on the written request of the Division; or

 

b) sinon, au plus tard au début de la procédure au cours de laquelle le document sera utilisé.

 

(b) if the Division does not make a request, no later than at the beginning of the proceeding at which the document will be used.

 

[…]

[…]

 

[11]           Si une photocopie peut être un document acceptable au sens du paragraphe 31(2) des Règles, une partie doit tout de même transmettre l’original sur demande écrite officielle, sinon, au plus tard, à l’audience devant la Commission (alinéa 42(1)b) des Règles; voir aussi Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1138, au paragraphe 7). La question de la preuve d’identité inacceptable a en effet été soulevée par la Commission dans une lettre datée du 10 septembre 2013. Le demandeur était représenté par un conseil. Il ne s’agit pas d’un cas dans lequel le demandeur affirmerait que l’original de sa carte d’identité est perdu ou inaccessible. Le demandeur a affirmé que sa taskera se trouvait chez sa famille. Or, la première demande que le demandeur a faite auprès de sa famille en Afghanistan pour obtenir le document original remonterait au 4 octobre 2013, soit seulement trois jours avant l’audience. En l’espèce, le demandeur n’a soumis aucun document original, même s’il savait que l’identité constituait un enjeu important et même si deux mois avaient séparé les deux audiences.

[12]           Deuxièmement, il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas expliqué de manière raisonnable pourquoi les documents adéquats n’avaient pas été transmis. Le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’il avait demandé dix fois à sa famille de lui faire parvenir l’original du document d’identité, mais il ne pouvait pas expliquer pourquoi il ne les avait pas encore reçus, suggérant seulement que ses enfants n’avaient peut-être pas compris sa requête étant donné leur jeune âge. Or, même cette explication est confuse et contradictoire, étant donné qu’il avait précédemment déclaré en avoir aussi fait la demande à son frère, qu’il est incapable de dire à quels moments précisément il avait demandé de se faire envoyer le document, et qu’il a déclaré à la fois que les membres de sa famille n’avaient pas compris sa demande et qu’ils ne voulaient pas lui envoyer l’original pour qu’il ne se perde pas.

[13]           De plus, contrairement à ce qu’allègue le demandeur, la Commission a bel et bien expliqué pourquoi elle avait rejeté l’explication du demandeur. La Commission a souligné que le demandeur avait déclaré que les originaux des documents d’identité existaient et qu’il pouvait se les faire envoyer, mais qu’il n’avait pas pu expliquer pourquoi il ne les avait pas reçus même s’il avait demandé à plusieurs reprises aux membres de sa famille de les lui envoyer. Il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas fourni une explication raisonnable au fait que les documents étaient manquants, et la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas établi son identité est raisonnable. Les motifs ne doivent pas nécessairement être parfaits, et la Cour est autorisée à examiner le dossier. En fait, le demandeur affirme dans son formulaire « Fondement de la demande d’asile » qu’il ne connaît les dates de naissance d’aucun de ses quatre enfants, ni la date de son mariage, ni les dates de naissance de ses parents. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[14]           Soit dit en passant, même si je supposais que le demandeur avait produit une preuve d’identité acceptable, j’aurais néanmoins conclu que les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la Commission constituaient une issue acceptable. Il ne s’agit pas d’un appel, mais bien d’un contrôle judiciaire. Le demandeur estime que la Commission n’a pas examiné le fondement de sa demande et que les contradictions ou les lacunes relevées par la Commission sont secondaires et ne justifient pas un rejet. Je ne suis pas d’accord. Ces éléments combinés sont assez importants pour semer de sérieux doutes. De plus, le fait que le demandeur n’a pas inscrit son frère sur le formulaire « Fondement de la demande d’asile » n’est certes pas une omission mineure, car le frère en question est mentionné deux fois dans l’exposé circonstancié. Cette omission importante amène à se demander s’il y a lieu de croire le demandeur lorsqu’il allègue dans son exposé circonstancié qu’il vivait à Kaboul avec son frère au moment des incidents allégués. De plus, certains éléments de preuve étayaient le raisonnement de la Commission, et il n’y a pas d’incohérence patente entre la preuve au dossier et la conclusion de la Commission (Rahal, précitée, au paragraphe 60). Par conséquent, la conclusion générale défavorable quant à la crédibilité tirée par la Commission était raisonnable.

[15]           Enfin, le demandeur avance que la conclusion d’absence d’un minimum de fondement est déraisonnable étant donné que le commissaire a reconnu que le demandeur parle le dari et a une certaine connaissance de l’Afghanistan, et que la preuve documentaire produite par le demandeur corrobore sa demande, même si elle ne contient pas les originaux des documents. Encore une fois, je ne puis conclure que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle à cet égard. Pour conclure à l’absence d’un minimum de fondement, le seuil à franchir est élevé (Ramón Levario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314, aux paragraphes 18 et 19). Cependant, comme le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve documentaire crédible montrant qu’il était visé par des extrémistes antigouvernementaux, et compte tenu des conclusions de la Commission sur l’identité et le manque de crédibilité, il était raisonnable pour la Commission de conclure à l’absence d’un minimum de fondement de la demande d’asile. De plus, la photocopie d’un document d’identité et le fait que le demandeur a une certaine connaissance de l’Afghanistan ne sont pas suffisants en droit pour que le statut de réfugié lui soit reconnu, ce qui signifie que la Commission pouvait raisonnablement conclure que la demande était dépourvue d’un minimum de fondement (Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, aux paragraphes 27 à 30).

[16]           La présente demande doit être rejetée. Les conseils n’ont proposé aucune question de portée générale aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-844-14

 

INTITULÉ :

AZIZI MAHOMMAD NAEEM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 NovembrE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Michael Bossin

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sarah Sherols

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Services juridiques communautaires

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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