Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20141125


Dossier : IMM-249-14

Référence : 2014 CF 1128

Montréal (Québec), le 25 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

JEAN BRUNEL ETIENNE

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], datée du 12 novembre 2013, d’exécuter un cautionnement de 15 000 dollars pour lequel le demandeur est garant, découlant du bris des conditions de mise en liberté de son fils.

[2]               Le demandeur allègue que le processus décisionnel de l’ASFC en exécutant la caution à son encontre est vicié par un manque d’équité procédurale.

[3]               La Cour estime que le refus de l’ASFC d’accorder au demandeur une prolongation de délai raisonnable a pour effet de rendre son droit effectif de soumettre des observations théorique.

II.                Faits

[4]               Le fils du demandeur, un citoyen d’Haïti, est visé par une mesure d’expulsion en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR pour cause de criminalité.

[5]               Le 10 octobre 2012, le demandeur s’est engagé envers l’ASFC à verser le montant de 15 000 dollars en tant que cautionnement pour la libération conditionnelle de son fils. Entre le 23 avril et le 7 mai 2013, le fils du demandeur a été arrêté et détenu par l’ASFC, pour ensuite être libéré sous conditions. À ce moment, la caution garantie par le demandeur n’a pas été exécutée.

[6]               Le 7 octobre 2013, l’ASFC a fait parvenir au demandeur une lettre réclamant le montant de 15 000 dollars qu’il avait offert en caution en mai 2013. Dans cette lettre, l’ASFC précise que le fils du demandeur aurait manqué à plusieurs conditions de libération et que le demandeur devait communiquer ses observations dans un délai de 30 jours afin de contester l’exécution de la caution.

[7]               Dans une lettre datée du 4 novembre 2013, le demandeur a soumis à l’ASFC une demande de délai supplémentaire de 90 jours afin de lui permettre de soumettre ses observations. Le 8 novembre 2013, l’ASFC a informé le demandeur que sa demande de prolongation était refusée.

III.             Décision

[8]               Le 12 novembre 2013, l’ASFC a informé le demandeur que la caution était désormais exigible, à défaut de quoi le montant serait saisi. Cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

IV.             Points en litige

[9]               Les points en litige sont les suivants :

a)      Est-ce qu’une prorogation de délai ainsi qu’un sursis d’exécution de la caution devaient être accordés?

b)      Est-ce que le refus de l’ASFC d’accorder une prorogation de délai au demandeur constitue un manquement aux principes d’équité procédurale?

c)      Est-ce que la demande justifie l’attribution des dépens?

V.                Dispositions législatives

[10]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002/227 sont pertinentes :

Confirmation des conditions

Acknowledgment of consequences of failure to comply with conditions

49. (1) La personne qui fournit une garantie d’exécution confirme par écrit :

49. (1) A person who pays a deposit or posts a guarantee must acknowledge in writing

a) qu’elle a été informée des conditions imposées;

(a) that they have been informed of the conditions imposed; and

b) qu’elle a été informée que le non-respect de l’une des conditions imposées entraînera la confiscation de la somme donnée en garantie ou la réalisation de la garantie.

(b) that they have been informed that non-compliance with any conditions imposed will result in the forfeiture of the deposit or enforcement of the guarantee.

Non-respect des conditions

Breach of condition

      (4) En cas de non-respect, par la personne ou tout membre du groupe de personnes visé par la garantie, d’une condition imposée à son égard, la somme d’argent donnée en garantie est confisquée ou la garantie d’exécution devient exécutoire.

      (4) A sum of money deposited is forfeited, or a guarantee posted becomes enforceable, on the failure of the person or any member of the group of persons in respect of whom the deposit or guarantee was required to comply with a condition imposed.

VI.             Norme de contrôle

[11]           D’abord, le contrôle judiciaire de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’ASFC est une question mixte de fait et de droit, dont la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Domitlia c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 419 au para 27 [Domitlia]; Kang c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 652 au para 13 [Kang]; Hussain c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 234 [Hussain]; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 au para 41).

[12]           D’une part, la décision de l’ASFC engage une déférence et cette Cour ne doit pas intervenir si « le pouvoir discrétionnaire prévu par la loi a été exercé de bonne foi et en conformité avec les principes de justice naturelle […] » (Uanseru c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 428 au para 25 [Uanseru], cité dans Khalife c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 221 [Khalife]).

[13]           D’autre part, la Cour doit également analyser si la décision de l’ASFC est conforme aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale, compte tenu de l’ensemble des circonstances (Pusat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 428 au para 14; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Chir c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 765 au para 16; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 aux para 52 et 53 [Sketchley]).

[14]           L’analyse quant au respect de l’obligation d’équité procédurale n’engage pas de déférence de cette Cour envers la décision de l’ASFC. Ce principe est énoncé par le juge Richard G. Mosley dans Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461 (voir aussi Rivas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 317 :

[44]      Toutefois, comme le note le juge Blanchard dans la décision Thamotharem, au paragraphe 15, il n'est pas nécessaire que la Cour effectue une analyse pragmatique et fonctionnelle lorsqu'elle examine des allégations de manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale : Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29. La Cour doit plutôt examiner les circonstances particulières de l'affaire et décider si le tribunal en cause s'est conformé à son obligation d'agir équitablement. Si elle arrive à la conclusion qu'il y a eu manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale, elle n'est pas tenue de faire montre de déférence et elle doit annuler la décision de la CISR.

VII.          Position du demandeur

[15]           Le demandeur allègue que la décision de l’ASFC entraîne une obligation d’équité procédurale lui donnant droit à l’octroi d’un délai raisonnable de 90 jours supplémentaires pour soumettre ses observations quant à l’exécution de la caution à son encontre. Selon le demandeur, le refus de l’ASFC d’octroyer une telle prolongation équivaut à une négation de son droit réel de répondre aux allégations, ainsi que son droit d’être entendu, justifiant l’intervention de la Cour. Le demandeur soutient que le refus de l’ASFC de lui accorder une prolongation, en tant que tiers, rend toute contestation de l’exécution de la caution illusoire. Finalement, le demandeur allègue que l’ASFC a agi de mauvaise foi, justifiant l’octroi de dépens.

VIII.       Analyse

1.                  Prorogation du délai et sursis d’exécution

[16]           En premier lieu, puisque la demande a été présentée au-delà du délai de 15 jours prévu à l’alinéa 72(2)b) de la LIPR, la Cour doit examiner si les critères applicables, tels qu’énoncés dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Hennelly, (1999) 244 NR 399 (CAF) au para 3 [Hennelly], justifient qu’une prolongation de délai soit accordée. Le fardeau incombe au demandeur de démontrer :

(a)    une intention constante de poursuivre sa demande;

(b)   que la demande est bien fondée;

(c)    que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai, et;

(d)   qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

[17]           La Cour considère que les critères élaborés dans Hennelly, ci-dessus, justifient l’octroi d’une prolongation de délai, afin de faire justice aux parties (Khalife, ci-dessus au para 15; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, [1997] ACF 1726). La Cour constate que le demandeur a fourni des explications raisonnables justifiant son retard, qu’il a démontré une intention continue de poursuivre cette demande et a démontré que sa demande est bien fondée.

[18]           Ensuite, quant à la demande de sursis, le demandeur doit démontrer qu’il existe une question sérieuse à juger, qu’il subirait un préjudice irréparable en l’absence de l’octroi de sursis et que la prépondérance des inconvénients favorise un tel octroi (Toth v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1988] FCJ 587).

[19]           L’existence d’une question d’équité procédurale mène la Cour à conclure à l’existence d’une question sérieuse à juger. De plus, au vu de la preuve présentée, les critères du préjudice irréparable et de la prépondérance des probabilités favorisent l’octroi d’un sursis de l’exécution de la caution.

2.                  Obligation de l’équité procédurale

a)      Le caractère raisonnable de la décision de l’ASFC d’exécuter la caution

[20]           Le mécanisme de cautionnement est fondamental à la mise en œuvre de la libération conditionnelle, dans le contexte de l’immigration. Tel qu’énoncé par la juge Anne L. Mactavish dans Uanseru, ci-dessus au para 18 : « La raison d’être du recours aux cautionnements est de permettre la mise en liberté d’immigrants détenus en assortissant leur mise en liberté de conditions garantissant qu’ils se conformeront à la législation en matière d’immigration » (voir Ferzly c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1064).

[21]           La Cour constate que la procédure de confiscation d’un cautionnement est exécutée en deux étapes. En premier lieu, l’exécution d’une caution est recommandée par un agent de l’ASFC. À ce stade, la section 7.8 du Guide opérationnel ENF-8 intitulé « Garanties » [le Guide] indique qu’en conformité avec les « règles d’équité en matière procédurale » l’ASFC doit accorder à une personne visée par l’exécution d’une caution souscrite par un tiers la possibilité de faire des observations par écrit. Donc, la personne garante de la caution est informée de son droit de réplique, lui permettant de faire parvenir des explications quant aux allégations qui sous-tendent l’exécution de la caution.

[22]           En deuxième lieu, l’ASFC exerce son pouvoir discrétionnaire d’exiger le remboursement de la caution, s’il est jugé que le non-respect des conditions est « suffisamment grave » pour justifier une telle exécution.

[23]           Dans cette vue, il ne fait pas de doute que le demandeur est lié par sa promesse d’exécuter la caution de 15 000 dollars en cas de violation de l’une des conditions de mise en liberté de son fils. Compte tenu de la déférence exigée par cette Cour envers la décision de l’ASFC, la Cour constate qu’il était raisonnable pour l’ASFC d’exécuter la caution à l’encontre du demandeur.

b)      La conformité de la décision de l’ASFC quant à l’équité procédurale

[24]           L’équité procédurale concerne la manière dont l’ASFC est parvenue à sa décision. Un manquement à l’obligation d’équité procédurale mène à l’annulation de la décision révisée (Sketchley, ci-dessus au para 54). Ce n’est que lorsque le résultat d’un manquement à l’équité procédurale n’a pas d’incidence sur la décision ou lorsqu’il est qualifié d’inéluctable, qu’un tel manquement ne justifie pas le renvoi d’une décision devant un nouveau décideur (Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283 au para 40; Mobil Oil Canada Ltd. c Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202).

[25]           Les faits entourant les conditions de mise en liberté du fils du demandeur, ainsi que les allégations de manquement à ces conditions portées contre lui sont plutôt complexes. La lettre de l’ASFC parvenue au demandeur le 7 octobre 2013, l’invitant à soumettre ses observations dans un délai de 30 jours et engageant sa responsabilité en tant que tiers garant, contient peu d’information concernant les allégations portées contre son fils.

[26]           La Cour estime que le délai de 90 jours revendiqué par le demandeur est raisonnable afin de lui permettre d’enquêter et de répondre adéquatement aux allégations qui sous-tendent l’exécution de la caution. De plus, la Cour constate que le demandeur a soumis sa demande de prolongation à l’intérieur du délai de 30 jours lui ayant été accordé. De plus, dans sa lettre demandant la prolongation de 90 jours, le défendeur a soulevé plusieurs points justifiant la nécessité d’une telle prolongation, en partie reproduits ci-dessous :

[N]ous demandons à l’Agence des services frontaliers de nous accorder un délai supplémentaire afin de soumettre nos explications. En effet d’une part, nous sommes en attente de la transcription des motifs de la décision prise par la Section de l’immigration lors de la révision récente des motifs de détention de M. Jean Bruno Étienne. D’autre part, certains des éléments invoqués dans votre lettre font présentement l’objet d’un procès devant la Cour du Québec – chambre criminelle dans le district de Joliette. L’issue de ce procès est déterminante pour les observations que nous pourrions vous en faire. Enfin, d’autres affaires en lien avec votre correspondance sont également l’objet de procédures judiciaires et nous croyons que pour avoir un éclairage complet sur les motifs que nous pourrions invoqu[er] et que vous devriez considérer, il est préférable d’attendre l’issue de ces affaires.

Vu le délai de trente jours dans lequel nous devons agir, il ne sera pas possible de contester cette saisie valablement sans cette information. Nous sollicitons donc un délai de 90 jours supplémentaires pour vous faire part de nos observations à votre correspondance.

(Pièce P-4, Affidavit de Jean Brunel Étienne, Dossier du demandeur, p 20)

[27]           Le défendeur soutient que l’ASFC détient le pouvoir discrétionnaire de décider d’exécuter la garantie et n’est pas liée par les instances en cours devant la Section d’Immigration ou la Cour du Québec. Pour illustrer ce point, le défendeur évoque le raisonnement dans Domitlia, ci-dessus au para 30 :

Rien dans la loi n’oblige l’agent à attendre que la personne qui est accusée de bris de condition soit trouvée coupable ou plaide coupable avant de déterminer s’il y a eu non-respect d’une des conditions imposées à son égard.

[28]           La Cour estime que bien que l’ASFC ne soit pas liée par les procès parallèles relatifs aux conditions de mise en liberté du fils du demandeur, puisqu’ils sont distincts, elle est toutefois liée par le Guide, qui énonce que l’ASFC ne peut pas recommander l’exécution d’une garantie souscrite par un tiers « avant que cette personne ne puisse faire une observation par écrit à propos de la décision en instance » et doit « examiner chaque cas en fonction de son bien-fondé » (Sections 7.5 et 7.8 du Guide).

[29]           Le Guide fournit des directives aux agents de Citoyenneté et Immigration Canada et de l’ASFC relatives à l’exercice de leurs fonctions en ce qui concerne l’exécution d’une garantie. Bien que ces directives n’aient pas la force d’une loi ou d’un règlement contraignant, la jurisprudence reconnaît que ces directives permettent à la Cour d’évaluer si l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire est valide (Hussain, ci-dessus au para 10; Kang, ci-dessus au para 37).

[30]           La section 7.8 du Guide indique :

7.8. Garantie fournie par un tiers

Les règles d’équité en matière de procédure veulent qu’un agent de CIC ou de l’ASFC ne recommande pas la confiscation d’un dépôt de garantie ou l’exécution d’une garantie d’exécution souscrite par un tiers avant que cette personne ne puisse faire une observation par écrit à propos de la décision en instance.

Les gestionnaires et agents de CIC et de l’ASFC possèdent le pouvoir discrétionnaire de décider si le non-respect des conditions est suffisamment grave pour justifier la confiscation du dépôt de garantie ou la réalisation de la garantie d’exécution. Toutefois, les gestionnaires et agents de CIC ou de l’ASFC ne possèdent pas le pouvoir discrétionnaire de réduire ou de modifier autrement le montant du dépôt de garantie ou de la garantie d’exécution.

Quand une violation des conditions peut avoir pour conséquence la confiscation d’un dépôt de garantie ou l’exécution d’une garantie d’exécution, le déposant ou le garant doit être informé par écrit de l’infraction aux conditions et d’une possible confiscation ou exécution et doit se voir accorder la possibilité de présenter ses observations par écrit. Si la décision finale vise la confiscation du dépôt ou la réalisation de la garantie d’exécution, le déposant ou le garant sera tenu responsable de l’intégralité du montant du dépôt ou de la garantie.

[31]           Dans l’arrêt Khalife, ci-dessus, le juge Mosley se penche sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire des agents lorsque la personne garante est une personne tierce aux actes déclenchant l’exécution d’une caution :

[35]      Comme on peut le constater, lord Denning parlait d'une situation où un tiers fournit un cautionnement pour garantir que l'accusé sera présent à son procès. Si l'accusé ne comparaît pas, le tribunal saisi d'une demande de confisquer doit se demander dans quelle mesure la caution est fautive ou a négligé de s'acquitter de ses obligations.

[…]

[37]      La situation décrite par lord Denning et lord Widgery peut aussi se présenter en matière d'immigration, où une garantie d'exécution est donnée par un parent ou un ami de la personne détenue. Mais ce n'est pas le cas pour M. Khalife. Dans la présente affaire, la confiscation contestée concernait directement la personne qui n'a pas respecté ses conditions, et non un tiers. La personne la mieux placée pour éviter le non-respect des conditions était le demandeur, M. Khalife. Sa culpabilité pour la violation ne fait aucun doute et la question de sa capacité de payer le montant confisqué n'a pas été soulevée dans la présente instance.

[32]           Il découle de l’arrêt Khalife que le fait qu’une personne agissant comme caution soit tierce à la personne détenue est un facteur pertinent lors de l’exercice du pouvoir discrétionnaire des agents de l’ASFC d’exécuter ou non la caution. Contrairement à la situation dans Khalife, le demandeur est tiers aux actes commis par son fils. La preuve démontre que les bris de condition du fils du demandeur ne peuvent être attribués au demandeur et la preuve n’établit pas que le demandeur aurait été fautif.

[33]           Relativement à la discrétion accordée à l’ASFC en ce qui concerne l’exécution d’un cautionnement, la juge Mactavish énonce, dans Uanseru, ci-dessus :

[20]      Dans l'affaire Gayle, la seule raison invoquée pour justifier la confiscation du cautionnement était le défaut de respecter une des conditions de la mise en liberté. Le juge Dawson a expliqué que, bien que le défaut de se conformer à une condition de la mise en liberté constitue une condition préalable à l'exercice par l'agente de son pouvoir discrétionnaire, ce motif n'établit pas que l'agente se soit consacrée à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ou qu'elle se soit arrêtée aux principes qui devraient guider l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Sa décision devait donc être annulée.

[…]

[23]      […] depuis le prononcé des décisions Gayle et Bcherrawy, l'agent dispose toujours d'une certaine latitude pour décider s'il y a lieu à la confiscation dans un cas donné et que, pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, l'agent a le droit de tenir compte de l'ensemble des faits de l'affaire.

[24]      Cette façon de voir correspond aux directives consignées dans le Guide d'exécution de la loi de Citoyenneté et Immigration Canada. Il est précisé à l'article 7.5 du chapitre 8 du Guide que, lorsque les agents exercent le pouvoir que la Loi leur confère en matière de confiscation de cautionnements, chaque cas est un cas d'espèce. Le Guide précise que lorsque des mesures sont prises en vue de confisquer le cautionnement, la caution doit être informée par écrit des motifs de la confiscation.

[Je souligne.]

[34]           Le défendeur prétend que le délai de 30 jours accordé au demandeur pour soumettre des explications est raisonnable. Cependant, la Cour constate qu’un délai strict de 30 jours n’est mandaté ni par la loi, ni par le Guide, ce qui indique que la définition d’un « délai raisonnable » dépend des circonstances et de facteurs tels que la nature des allégations et de la disponibilité de la preuve.

[35]           La Cour conclut que compte tenu de l’ensemble des circonstances, le droit du demandeur de soumettre des explications à l’encontre de l’exécution de la caution est rendu illusoire en l’absence d’une prorogation de délai. La demande de prolongation raisonnable de 90 jours du demandeur est en conformité avec les principes d’équité procédurale et la règle audi alteram partem.

3.                  Dépens

[36]           Le demandeur allègue que le défendeur aurait fait preuve de mauvaise foi, notamment par son refus d’accorder une prolongation de délai raisonnable et par son acharnement à poursuivre l’exécution de la caution, malgré les recours intentés par le demandeur.

[37]           Le fait que l’ASFC ait commis une erreur ne constitue pas une raison spéciale justifiant l’adjudication de dépens (Tsang  c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 474). La Cour conclut que les faits et la preuve ne portent pas à conclure que des dépens devraient être accordés.

IX.             Conclusion

[38]           En l’espèce, le refus de l’ASFC d’accorder une prolongation de délai raisonnable au demandeur afin de lui permettre une possibilité réelle de soumettre ses observations consiste en un manquement aux principes d’équité procédurale. Ce vice dans le processus décisionnel de l’ASFC a effectivement empêché de faire valoir son droit d’être entendu.

[39]           La Cour conclut que la demande doit être accordée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit accueillie;

2.         Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-249-14

 

INTITULÉ :

JEAN BRUNEL ETIENNE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 novembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 novembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Andres Miguel Pareja

 

Pour la PARTIE demanderesse

 

Suzanne Trudel

 

Pour la PARTIE défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Hugues Langlais

Montréal (Québec)

 

Pour la PARTIE demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la PARTIE défenderesse

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.