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Date : 20141121


Dossier : T‑1656‑13

Référence : 2014 CF 1108

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2014

En présence de M. le juge Russell

ENTRE :

KELSEY JACKO

demandeur

et

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA COLD LAKE FIRST NATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, de la décision (la Décision) du comité d’appel de la Cold Lake Fisrt Nation (la CLFN) de destituer Kelsey Jacko (le demandeur) de son poste de conseiller de la CLFN vu qu’il était inéligible à un poste du conseil de la bande au titre de la loi électorale de la CLFN du 27 mars 1986 (la Loi électorale).

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur est membre de la CLFN. Le 26 juin 2013, il a été présenté comme candidat à l’élection de 2013 à la CLFN. Le chef et les conseillers de la CLFN sont choisis selon les coutumes de cette dernière, qui sont codifiées dans la Loi électorale.

[3]               Dans le cadre du processus de mise en candidature, le demandeur a fait une déclaration sous serment selon laquelle il satisfaisait aux exigences d’éligibilité. Son nom a été inscrit sur la liste des candidats à l’élection au conseil de la bande qui a été affichée dans les locaux de ce dernier le 27 juin 2013. Le 4 juillet 2013, le demandeur a été élu au poste de conseiller.

[4]               À une date inconnue, le directeur des élections a reçu une plainte selon laquelle le demandeur était inéligible à un poste du conseil de la bande parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi électorale en matière de résidence. Le comité d’appel a tenu une audience le 30 juillet 2013. Le demandeur allègue avoir été empêché d’y assister.

[5]               Dans une lettre datée du 7 août 2013, le comité d’appel a informé le demandeur que la question de son inéligibilité avait fait l’objet d’un examen par suite de l’audience du 30 juillet 2013 et de rencontres avec le directeur général des élections. Le comité d’appel lui a demandé les documents suivants : copie du permis de conduire; copie d’un compte d’électricité, de gaz ou de téléphone portant son adresse et son nom; lettre du service du logement confirmant que le demandeur avait bien son lieu de résidence dans la réserve. Il a été demandé au demandeur de fournir les documents en question au plus tard le 9 août 2013; il n’a pas donné suite à cette demande.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[6]               La Décision et les motifs sont exposés dans deux lettres rédigées par le comité d’appel.

[7]               La première lettre avait été envoyée au demandeur le 23 août 2013. Le demandeur y était informé qu’il n’était pas éligible à un poste du conseil de la bande parce qu’il avait omis de répondre à la demande de production de documents datée du 7 août 2013. La lettre précisait aussi que le demandeur était inéligible lors de l’élection partielle de 2013 à la CLFN.

[8]               La seconde lettre avait été envoyée au chef et au conseil de la CLFN le 9 septembre 2013. La lettre précisait que le demandeur avait été informé de sa destitution du conseil de la bande et de la réception par le comité d’appel, le 6 septembre 2013, de certains documents envoyés par le demandeur. Il était précisé dans la lettre que les documents envoyés avaient été examinés, mais qu’il ne s’agissait pas de ceux qui avaient été demandés, et que le comité d’appel confirmait sa décision de destituer le demandeur.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[9]               Le demandeur soulève un certain nombre de questions. À partir de ses observations écrites, je les ai reformulées en les simplifiant :

1.      Faut‑il accorder du poids à l’affidavit du président du comité d’appel dans la présente instance?

2.      En rendant la Décision, le comité d’appel a‑t‑il outrepassé sa compétence?

3.      Le comité d’appel a‑t‑il commis une erreur dans son interprétation de la Loi électorale?

4.      Le paragraphe 5(C) de la Loi électorale enfreint‑il l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 (la Charte)?

5.      Le comité d’appel a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[10]           La Cour suprême du Canada a statué, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans chaque instance. Si la question de la norme de contrôle applicable à une question donnée dont est saisie la cour de révision est établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, elle peut adopter cette norme de contrôle. C’est uniquement lorsque cette recherche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision examine les quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[11]           Le demandeur soutient que c’est la décision correcte qui s’applique au contrôle de la Décision. En effet, il affirme que la Cour d’appel fédérale a conclu que l’interprétation qu’effectue un comité d’appel électoral de ses règlements électoraux doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Première Nation no 195 de Salt River c Martselos, 2008 CAF 221, au paragraphe 32 (Martselos). Les questions d’équité procédurale font aussi l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Metansinine c Première Nation d’Animbiigoo Zaagi’igan Anishinaabek, 2011 CF 17, au paragraphe 16. Quant au contrôle relatif à des questions constitutionnelles, il se fait selon la norme de la décision correcte : Dunsmuir, précité, au paragraphe 58.

[12]           Le défendeur soutient que la Décision du comité d’appel doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En effet, le comité d’appel est un tribunal spécialisé qui a pour tâche d’interpréter et d’appliquer la Loi électorale. La Cour suprême a soutenu que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’interprétation que fait un tribunal administratif de sa loi constitutive : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 39.

[13]           Les questions deux et trois visent la compétence du comité d’appel et l’interprétation de la Loi électorale. Je souligne que, dans l’arrêt Première Nation de Fort McKay c Orr, 2012 CAF 269, aux paragraphes 9 à 12, la Cour d’appel fédérale est revenue sur sa conclusion relative à la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Martselos, précité. Vu l’évolution de la jurisprudence relative à la norme de contrôle, la Cour d’appel fédérale a estimé que l’interprétation d’une loi électorale était plutôt une question d’interprétation législative qu’une véritable question de compétence. La Cour d’appel a effectué le contrôle de l’interprétation que faisait le comité de sa loi électorale selon la norme de la décision raisonnable. La Cour a par la suite appliqué la norme de la décision raisonnable au contrôle de l’interprétation par un comité électoral de sa loi électorale : voir Ferguson c Lavallee, 2014 CF 569, aux paragraphes 62 à 64; Tsetta c Conseil de Bande de la Première Nation des Dénés Couteaux‑Jaunes, 2014 CF 396, au paragraphe 23; Yellowdirt c Comité d’appel en matière électorale de la première Nation Alexander, 2013 CF 26, au paragraphe 12. Par conséquent, les questions deux et trois feront l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[14]           La question cinq en est une d’équité procédurale et elle fera l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : SCFP c Ontario (Canadian Region), 2003 CSC 29, au paragraphe 100; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 53.

[15]           Les première et quatrième questions soulèvent des questions de droit que la Cour devra trancher; aucune norme de contrôle ne s’applique à ces dernières.

[16]           Dans le cadre du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la Décision était déraisonnable en ce sens qu’elle se situait à l’extérieur des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[17]           Les dispositions ci‑après de la Loi électorale s’appliquent en l’espèce :

[traduction]

1. DÉFINITIONS

[…]

C. CANDIDAT : Lors d’une assemblée de mise en candidature, un électeur de la Cold Lake First Nation peut accepter d’être porté candidat à une élection au poste de chef ou de conseiller.

[…]

I. ÉLECTEUR : L’électeur est âgé d’au moins 21 ans, est sain d’esprit, a résidé sur le territoire de la Cold Lake First Nation dans les six (6) mois précédant immédiatement l’élection et il est citoyen de plein droit de la Cold Lake First Nation.

[…]

5. ÉLIGIBILITÉ À UN POSTE DU CONSEIL

[…]

C. Doit avoir résidé dans le territoire de la réserve (numéroté 149, 149A ou 149B) de la Cold Lake First Nation pendant au moins cinq (5) ans avant d’avoir le droit d’être mis en candidature.

[…]

7. ASSEMBLÉES DE MISE EN CANDIDATURE

[…]

P. Le directeur des élections affiche dans les trois (3) jours les noms des personnes qui souhaitent se présenter aux postes de chef et de conseillers.

Q. Toute contestation de l’éligibilité d’une personne doit être effectuée lors de l’assemblée de mise en candidature. Si une personne n’est pas présente à l’assemblée de mise en candidature et souhaite contester une mise en candidature, elle doit le faire dans les quarante‑huit (48) heures suivant l’assemblée de mise en candidature.

R. Toute contestation postérieure à la période de quarante‑huit (48) heures est jugée invalide.

S. Dans les sept (7) jours de l’assemblée de mise en candidature, il y a élection au poste de chef.

T. Dans les sept (7) jours de l’élection du chef et de l’assemblée de mise en candidature pour les postes de conseillers, il y a élection au conseil.

U. Toutes les décisions du directeur des élections sont définitives.

[…]

8. DIRECTEUR DES ÉLECTIONS

[…]

I. Tout appel relatif à une élection doit être présenté par écrit au directeur des élections dans les trente (30) jours de l’élection.

J. Le directeur des élections renvoie l’appel au comité d’appel pour examen.

[…]

14. APPELS

A. Toute contestation concernant l’élection au poste de chef et de conseiller doit être faite dans les trente (30) jours de l’élection.

B. La contestation est présentée par écrit au directeur des élections.

C. Toute contestation doit être assortie de motifs d’appel fondés sur la loi électorale traditionnelle de la Cold Lake First Nation.

D. Un affidavit signé doit accompagner la lettre de contestation.

E. La preuve des irrégularités doit accompagner la lettre et l’affidavit signé.

F. Le directeur des élections prend possession de la lettre et de l’affidavit et présente un rapport au comité d’appel pour examen.

G. Tous les appels sont définitifs à l’issue de l’examen du comité.

H. Les décisions relatives aux appels sont rendues dans les trente (30) jours suivant l’élection.

I. Les appels déposés après la période de trente (30) jours sont frappés de nullité.

J. Pour déposer un appel, une personne doit figurer sur la liste des électeurs.

15. COMITÉ D’APPEL

A. Le comité d’appel doit respecter et appliquer la Loi électorale de la Cold Lake First Nation.

[…]

VII.          ARGUMENTS

A.                Demandeur

1)         Affidavit du président du comité d’appel

[18]           Le demandeur demande à la Cour d’accorder peu ou pas de valeur à l’affidavit de M. Makokis. Ce dernier était président du comité d’appel. En effet, selon le demandeur, un décideur ne peut étoffer ses motifs après le fait en déposant un affidavit lors d’une procédure de contrôle judiciaire : Sellathurai c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CAF 255, aux paragraphes 45‑47; Simmonds c Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CF 130, au paragraphe 22. Dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 41, la Cour d’appel fédérale n’a accordé aucun poids à l’affidavit d’une personne qui était l’auteur de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire.

2)         Compétence du comité d’appel

[19]           Le demandeur soutient que le comité d’appel n’avait pas compétence pour examiner la plainte relative à son lieu de résidence.

[20]           Les pouvoirs du comité d’appel lui sont octroyés par la Loi électorale : Grandbois c Cold Lake First Nation, 2013 CF 1039, au paragraphe 23 (Grandbois). Dans l’arrêt Boucher c Fitzpatrick, 2012 CAF 212, au paragraphe 25, la Cour d’appel fédérale a conclu que les lois électorales doivent être interprétées selon les principes d’interprétation législative qui sont énoncés dans l’ouvrage de E.A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, adoptés dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27.

[21]           Le demandeur soutient que les paragraphes 7(Q) et (R) de la Loi électorale disposent de façon claire et non équivoque que les contestations de l’éligibilité d’une personne doivent être effectuées lors de l’assemblée de mise en candidature ou dans les 48 heures de cette dernière (dossier du demandeur, aux pages 37 et 38).

[22]           Le demandeur soutient que le moment auquel la plainte a été déposée importe peu, étant donné que le directeur des élections n’y a pas donné suite. Les décisions du directeur des élections relatives à la contestation de mise en candidatures sont définitives suivant le paragraphe 7(U) de la Loi électorale (dossier du demandeur, à la page 38). Aucune disposition de la Loi électorale ne prévoit que la décision du directeur des élections de ne pas donner suite à une plainte puisse faire l’objet d’un appel devant le comité d’appel.

[23]           L’article 14 de Loi électorale prévoit que le comité d’appel reçoit les plaintes relatives à des [traduction] « irrégularités » du processus électoral (dossier du demandeur, à la page 41). Le demandeur soutient que le comité d’appel a commis une erreur en décrivant l’objet de la plainte comme une [traduction] « irrégularité » au titre de la Loi électorale. En effet, la contestation d’une mise en candidature ne peut viser une [traduction] « irrégularité » parce que les mises en candidatures tombent sous le coup d’un article distinct de la Loi électorale qui prévoit que les décisions du directeur des élections sont définitives.

[24]           Le demandeur soutient aussi que cette interprétation est conforme à l’objet de la Loi électorale et à l’intention de ses rédacteurs : [traduction« les rédacteurs de la loi voulaient établir un processus qui permettrait d’éviter le gaspillage de temps et de ressources, puisqu’une autre élection (ou une élection partielle comme c’était le cas en l’espèce) devrait être organisée s’il était constaté par la suite qu’un candidat ne satisfaisait pas aux exigences » (dossier du demandeur, à la page 150).

3)         Interprétation de la Loi électorale

[25]           Selon le demandeur, le comité d’appel a commis une erreur en interprétant la Loi électorale de façon à exiger d’un candidat qu’il réside sur le territoire de la réserve pendant les cinq années précédant immédiatement la présentation de sa candidature.

[26]           Le demandeur estime que le libellé de la Loi électorale est précis et non équivoque, de sorte que son interprétation doit reposer principalement sur le sens ordinaire des mots. Le paragraphe pertinent est libellé ainsi :

[traduction]

5. ÉLIGIBILITÉ À UN POSTE DU CONSEIL

[…]

C. Doit avoir résidé dans le territoire de la réserve (numéroté 149, 149A ou 149B) de la Cold Lake First Nation pendant au moins cinq (5) ans avant d’avoir le droit d’être mis en candidature.

[27]           Selon le demandeur, il ressort du sens ordinaire des mots qu’une personne est éligible à un poste du conseil si elle a résidé sur le territoire de la CLFN pendant cinq ans. Le demandeur soutient qu’il n’existe aucune limite quant au moment où doivent s’inscrire ces cinq années ou à la question de savoir si elles doivent être consécutives.

[28]           Le demandeur ajoute que, si les rédacteurs de la loi avaient voulu que le paragraphe 5(C) soit interprété de façon à ce que les cinq années en question doivent précéder immédiatement la présentation de la candidature, le même libellé qui figure dans d’autres articles de la Loi électorale aurait été utilisé. Le demandeur cite trois extraits dans lesquels les rédacteurs de la Loi électorale ont assorti de restrictions des périodes d’une certaine durée (dossier du demandeur, aux pages 34 à 36) :

[traduction]

2. QUALITÉ D’ÉLECTEUR

[…]

C. Pour avoir qualité d’électeur, une personne doit avoir été résidente du territoire électoral de la Cold Lake First Nation pendant les six (6) mois précédant immédiatement l’assemblée de mise en candidature.

[…]

4. ÉLIGIBILITÉ AU POSTE DE CHEF

[…]

K. Une personne déclarée coupable d’une infraction criminelle au cours des cinq (5) années précédentes n’est pas éligible au poste de chef.

[…]

5. ÉLIGIBILITÉ À UN POSTE DU CONSEIL

[…]

H. Une personne déclarée coupable d’une infraction criminelle au cours des cinq (5) années précédentes n’est pas éligible à un poste du conseil.

[29]           Selon le demandeur, l’interprétation que fait le comité d’appel de l’article en question ne se justifie pas dans le contexte de la Loi électorale.

[30]           Le demandeur soutient aussi que l’interprétation du comité d’appel est contraire aux objets de la Loi électorale. En effet, il estime que ces objets sont de [traduction« garantir la représentation des membres de la CLFN par des candidats dûment élus et le déroulement harmonieux des élections, de favoriser la participation communautaire et de faire en sorte que le plus de personnes possible participent à la gouvernance de la bande » (dossier du demandeur, page 152).

4)         Article 15 de la Charte

[31]           Le demandeur soutient que l’interprétation que fait le comité d’appel du paragraphe 5(C) est inconstitutionnelle parce qu’elle contrevient à l’article 15 de la Charte et qu’elle n’est pas justifiée au regard de l’article premier de la Charte.

[32]           L’examen de la question de savoir si une disposition législative enfreint l’article 15 de la Charte comprend deux étapes (R c Kapp, 2008 CSC 41, aux paragraphes 17 et 18) :

1) La loi crée‑t‑elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue? 

2) La distinction crée‑t‑elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes?

Dans l’arrêt Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203, au paragraphe 62, la Cour suprême a conclu que la « qualité de membre hors réserve d’une bande indienne » est un motif analogue au titre de l’article 15 de la Charte.

[33]           Selon le demandeur, l’interprétation du comité d’appel prévoit que seuls les membres de la bande qui vivent dans la réserve sont éligibles à un poste du conseil. Cette mesure constitue un acte discriminatoire à l’encontre des membres hors réserve parce qu’elle leur interdit, à cause de leur lieu de résidence, de participer à la gouvernance de la CLFN en exerçant les fonctions de chef ou de conseiller.

[34]           Le demandeur ajoute que la Loi électorale ne peut pas maintenue en vertu de l’article premier de la Charte parce que l’interdiction faite à des membres de la bande qui sont des non‑résidents de participer à la gouvernance de la bande ne peut pas satisfaire à l’exigence de l’atteinte minimale.

[35]           Le demandeur invoque aussi des affaires dans le cadre desquelles la Cour et la Cour d’appel fédérale ont jugé inconstitutionnelles des obligations de résidence sur le territoire d’une réserve pour limiter l’éligibilité au conseil de la bande : Joseph c Première Nation Dzawada’enuxw (Tsawataineuk), 2013 CF 974, au paragraphe 92; Thompson c Première Nation Leq’á:mel, 2007 CF 707, au paragraphe 25; Canada (Procureur général) c Esquega, 2008 CAF 182, au paragraphe 8.

[36]           Le demandeur soutient aussi que le comité d’appel était tenu d’établir lui‑même la constitutionnalité de la disposition de la Loi électorale en question. En effet, le comité d’appel avait déjà conclu que l’exclusion de la liste électorale des membres non résidents de la bande était une mesure inconstitutionnelle et qu’elle n’était pas sauvegardée par l’article premier de la Charte : Grandbois, précitée, au paragraphe 5.

5)         Équité procédurale

[37]           Selon le demandeur, il incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui touchent les droits, les privilèges ou les biens d’une personne de satisfaire à l’obligation d’équité procédurale : Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, au paragraphe 38 (Mavi). Le contenu de l’obligation d’équité procédurale varie selon les circonstances et le contexte : Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653, à la page 669; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, à la page 837; Mavi, précité, au paragraphe 39.

[38]           Le demandeur affirme que le comité d’appel n’a pas suivi la procédure prévue à l’article 14 de la Loi électorale et qu’il a commis les erreurs de procédure ci‑après (dossier du demandeur, à la page 156) :

[traduction]

a.    la contestation n’a jamais été accompagnée d’un affidavit établi sous serment;

b.    le plaignant n’a jamais déposé de preuve. En fait, il précise dans sa lettre que l’impression qu’il avait de la situation était fondée sur ce qu’il avait entendu dire dans la collectivité;

c.    rien ne démontre que le directeur des élections ait établi un rapport;

d.    à ce jour, le demandeur ne connaît pas l’identité du plaignant. Ce renseignement n’a pas non plus été fourni par le comité d’appel dans son dossier d’appel;

e.  le demandeur n’a pas assisté à l’audience;

f.   il n’existe pas de compte rendu de l’audience elle‑même.

B.                 Défendeur

1)         Affidavit du président du comité d’appel

[39]           Le défendeur soutient que l’affidavit de M. Makokis ne contient pas d’éléments qui permettraient de compléter ou d’améliorer le processus de décision du comité d’appel. En effet, le défendeur affirme que l’affidavit ne fait que répondre à l’allégation du demandeur selon laquelle le comité d’appel lui a refusé l’occasion d’être entendu et de formuler des observations au sujet de sa résidence.

2)         Interprétation du comité d’appel

[40]           Le défendeur soutient que le comité d’appel a interprété de façon raisonnable le paragraphe 5(C) en concluant que les candidats doivent être des résidents de la réserve au moment de leur mise en candidature. En contre‑interrogatoire au sujet de son affidavit, le demandeur a dit qu’il avait lui aussi compris que la Loi électorale exigeait d’un candidat qu’il soit résident de la réserve au moment de sa mise en candidature (dossier du demandeur, aux pages 77 et 78).

3)         Article 15 de la Charte

[41]           Le défendeur soutient que la Cour devrait refuser d’examiner les arguments du demandeur fondés sur la Charte. En effet, le demandeur a soulevé cet argument pour la première fois dans son mémoire des faits et du droit. Le défendeur estime qu’il subirait un préjudice si la Cour devait examiner cet argument sans lui donner l’occasion de présenter une défense pleine et entière.

[42]           Le défendeur ajoute que le demandeur, sans avoir fourni d’éléments de preuve, demande quand même à la Cour de trancher la question de la constitutionnalité de la Loi électorale dans un vide factuel. Or, la Cour suprême a conclu que « [l]es décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel » : MacKay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357, à la page 361.

[43]           La jurisprudence invoquée par le demandeur, dans laquelle d’autres codes électoraux ont été jugés inconstitutionnels, ne permet pas d’établir que la Loi électorale en cause est inconstitutionnelle. De plus, la décision du comité d’appel relative à la constitutionnalité de l’exigence de résidence dans la réserve comme préalable à l’obtention de la qualité d’électeur a été annulée lors d’un contrôle judiciaire : Grandbois, précitée.

[44]           Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve qui démontrerait l’existence d’une violation de l’article 15 de la Charte.

4)         Réparations

[45]           Le défendeur demande à la Cour de s’abstenir d’accorder une réparation qui n’était pas évoquée dans la demande du demandeur.

[46]           Dans son avis de demande, le demandeur cherchait à obtenir une ordonnance selon laquelle il y avait eu violation de l’obligation d’équité procédurale et que le comité d’appel avait commis une erreur de droit. Selon le défendeur, une déclaration de ce type entraînerait la nullité ab initio de la décision du comité d’appel. C’est bien différent d’une ordonnance de certiorari qui accorderait au demandeur ce qu’il cherche à obtenir dans son mémoire des faits et du droit.

[47]           Le défendeur soutient que le demandeur tente de modifier sa demande sans déposer une requête, comme l’exige pourtant le paragraphe 75(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑105. Le défendeur affirme que, si la requête avait été déposée, il aurait été en mesure de fournir des éléments de preuve démontrant le préjudice qu’il subirait par suite d’une telle modification.

[48]           Le défendeur demande à la Cour de limiter son intervention à une déclaration relative à l’équité procédurale ou à l’interprétation de la Loi électorale qui permettrait au demandeur de se présenter à une élection future à un poste du conseil sans mettre en cause les décisions prises par le chef et les conseillers actuels ou entraîner des inconvénients pour des tiers.

[49]           Le défendeur soutient aussi que la Cour n’a pas le pouvoir, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’accorder les dommages‑intérêts que le demandeur cherche à obtenir : Al‑Mhamad c Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2003 CAF 45, au paragraphe 3.  

VIII.       ANALYSE

A.                Introduction

[50]           Il n’existe pas de réponse claire et évidente à la question centrale soulevée par la présente demande. Il en est ainsi parce qu’il semble que le demandeur se soit présenté à l’élection au conseil de la bande tout en sachant que, pour être éligible, il devait être résident de la réserve de la CLFN et qu’il n’avait pas cette qualité. Quant à la Loi électorale qui est censée régir cette situation, elle est ambiguë et difficile à appliquer; de plus, nous manquons d’éléments de preuve quant à certaines des questions importantes. La Cour doit donc tirer le meilleur parti possible d’un dossier très incomplet.

B.                 Nouveaux motifs

[51]           Le demandeur soulève de nouveaux motifs et de nouveaux arguments dans son mémoire des faits et du droit qui dépassent les motifs énoncés dans sa demande. Le défendeur s’oppose à l’incorporation au dossier de l’instance de ces nouveaux motifs fondés sur la Charte et il allègue avoir été pris par surprise et risquer de subir un préjudice. En effet, il affirme que la Cour est invitée à se prononcer dans un vide factuel sur la constitutionnalité de la Loi électorale.

[52]           Dans l’arrêt République de Chypre (Industrie et Commerce) c International Cheese Council of Canada, 2011 CAF 201, il a été conclu qu’un demandeur ne peut pas soulever un argument qui n’est pas exposé dans son avis de demande et que, pour invoquer un nouveau motif, un demandeur doit déposer une requête en modification de l’avis de demande en question. Il est alors possible de débattre de la pertinence de la modification et, s’il y a lieu, d’évaluer les mesures requises pour éviter que l’une des parties subisse un préjudice.

[53]           Lors de l’instruction de la présente affaire, la Cour a donné au demandeur la possibilité d’obtenir un ajournement afin qu’il puisse modifier son dossier de façon à y incorporer les nouveaux motifs mentionnés dans son mémoire des faits et du droit. Cependant, le demandeur a choisi de ne pas chercher à obtenir une modification et a demandé que l’audience se poursuive selon les motifs invoqués au départ.

C.                 Affidavit de M. Makokis

[54]           L’affidavit de M. Makokis a pour objet principal de décrire la procédure suivie dans le traitement du demandeur en réponse aux allégations de manquement à l’équité procédurale formulées par ce dernier. À ce titre, il fait partie à bon droit du dossier de l’instance. La Décision figure dans des documents séparés.

D.                Manquement à l’équité procédurale

[55]           Le demandeur allègue qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale pour les motifs ci‑après (dossier du demandeur, à la page 156) :

[traduction]

a.   la contestation n’a jamais été accompagnée d’un affidavit établi sous serment;

b.  le plaignant n’a jamais déposé de preuve. En fait, il précise dans sa lettre que l’impression qu’il avait de la situation était fondée sur ce qu’il avait entendu dire dans la collectivité;

c.   rien ne démontre que le directeur des élections ait établi un rapport;

d.  à ce jour, le demandeur ne connaît pas l’identité du plaignant. Ce renseignement n’a pas non plus été fourni par le comité d’appel dans son dossier d’appel;

e.   le demandeur n’a pas assisté à l’audience;

f.    il n’existe pas de compte rendu de l’audience elle‑même.

[56]           L’examen du dossier révèle que, bien que la Loi électorale n’ait pas été suivie à la lettre, le demandeur avait été informé oralement et par écrit que son élection au poste de conseiller était contestée parce qu’il y avait des doutes au sujet de sa résidence et qu’il lui avait été demandé de fournir certains documents pour démontrer qu’il était résident de la réserve de la CLFN et, par conséquent, éligible à un poste de conseiller. Le demandeur n’a pas fourni les documents en question et il n’a pas démontré d’une autre façon qu’il était un résident. Le demandeur a aussi choisi de ne pas assister à l’audience relative à l’appel ou, à tout le moins, il n’a pas fait d’efforts en ce sens. En contre‑interrogatoire, le demandeur a déclaré qu’au moment de l’élection, il savait très bien qu’il devait être un résident pour se présenter à une élection au poste de conseiller ou pour être élu (dossier du demandeur, aux pages 77 et 78). Vu l’ensemble des circonstances de l’espèce, même si la Loi électorale n’a pas été strictement respectée, je conclus que le demandeur avait été très bien informé de ses obligations et de ce que le comité d’appel attendait de sa part (c’est‑à‑dire produire : son permis de conduire; un compte d’électricité, de gaz ou de téléphone; et une lettre du service du logement dans le but de faire la preuve de son statut de résident) et qu’il a eu l’occasion raisonnable de faire valoir ses arguments sur la question. À l’époque où a été prise la Décision qui a entraîné sa destitution du conseil, le demandeur avait déjà été très bien informé du problème relatif à sa résidence et des éléments dont le comité d’appel avait besoin pour établir sa résidence. Le demandeur a omis de répondre à la demande de renseignements ou d’établir qu’il était un résident au moment de l’élection, même s’il savait que le statut de résident constituait un préalable à l’obtention de la qualité de candidat à l’élection. C’est le fondement de la Décision. Je ne peux pas dire qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. La preuve d’une irrégularité n’a pas été fournie au comité d’appel en conformité avec la Loi électorale. Le comité d’appel a cependant choisi de traiter le problème en se contentant d’inviter le demandeur à fournir des documents bien précis qui démontreraient qu’il avait bien le statut de résident. Je ne vois pas de quelle façon le demandeur a subi un préjudice en raison de cette façon de procéder alors qu’il savait que la résidence constituait une exigence à respecter.

E.                 La question centrale

[57]           À mon avis, les seules questions essentielles soulevées par le demandeur sont que le comité d’appel a commis une erreur dans son interprétation de la Loi électorale et que sa destitution du conseil outrepassait les pouvoirs du comité.

[58]           Le demandeur affirme que la Décision était fondée sur le paragraphe 5(C) de la Loi électorale. Selon la plainte, le demandeur n’avait pas été un résident de la réserve pendant les six mois qui précédaient l’élection (dossier du demandeur, à la page 28). Cette remise en question de son statut de résident semble s’appuyer sur les paragraphes 1(C) et 1(I) de la Loi électorale :

[traduction]

1. DÉFINITIONS

[…]

C. CANDIDAT : Lors d’une assemblée de mise en candidature, un électeur de la Cold Lake First Nation peut accepter d’être porté candidat à une élection au poste de chef ou de conseiller.

[…]

I. ÉLECTEUR : L’électeur est âgé d’au moins 21 ans, est sain d’esprit, a résidé sur le territoire de la Cold Lake First Nation dans les six (6) mois précédant immédiatement l’élection et il est citoyen de plein droit de la Cold Lake First Nation.

[…]

[59]           En contre‑interrogatoire sur son affidavit, le président du comité d’appel a laissé entendre que l’irrégularité venait du fait que le demandeur n’avait pas été un résident de la réserve pendant les cinq années qui avaient précédé l’élection (dossier du demandeur, aux pages 128 et 129). Cette affirmation semble fondée sur le paragraphe 5(C) de la Loi électorale :

[traduction]

5. ÉLIGIBILITÉ AU CONSEIL

[…]

C. Doit avoir résidé dans le territoire de la réserve (numéroté 149, 149A ou 149B) de la Cold Lake First Nation pendant au moins cinq (5) ans avant d’avoir le droit d’être mis en candidature.

[60]           Cette disposition est reproduite sur les formulaires de présentation de candidature établis sous serment par le demandeur.

[61]           Malgré les dispositions en question, dans sa lettre envoyée au demandeur le 7 août 2013, le comité d’appel s’est contenté d’inviter le demandeur à lui fournir la preuve de son éligibilité et de son statut de résident de la réserve en lui transmettant certains documents. Peu importe si le comité d’appel cherchait à établir l’existence d’une période de résidence de six mois ou de cinq ans, la lettre invitait simplement le demandeur à démontrer qu’il était éligible en tant que résident. Le demandeur a omis de répondre et n’a pas établi qu’il était un résident de la réserve de la CLFN, peu importe la période en cause, même s’il a reconnu savoir qu’il ne pouvait se présenter à l’élection que s’il était un résident de la réserve.

[62]           Les documents et les renseignements fournis par le demandeur en contre‑interrogatoire nous donnent à penser que, bien que le demandeur puisse estimer qu’il a son domicile dans la réserve, il n’est pas possible de dire raisonnablement qu’il en était un résident à l’époque en cause, peu importe la durée de la période de résidence exigée par la Loi électorale. J’estime que le demandeur le savait parce qu’il a déclaré de façon inexacte être un résident de la réserve dans les documents de présentation de candidature qu’il a remplis. Le demandeur vivait à Edmonton depuis 16 ou 17 ans et y avait travaillé pendant les six ou sept années précédentes. Selon ses dires, après avoir été élu, il avait quitté son emploi à Edmonton et était retourné dans la réserve. De plus, il a faussement déclaré dans ses documents de présentation de candidature que « 912 CLFN » était l’[traduction]« adresse de sa résidence permanente ». Or, c’était l’adresse de son oncle, et le demandeur n’y avait habité que de façon occasionnelle. En fait, le conseil de la bande avait adopté une résolution qui lui interdisait d’habiter dans la maison de son oncle.

[63]           Tout ce qui précède m’amène à conclure que le demandeur devait savoir, au moment où il a accepté sa mise en candidature, que son statut de résident posait problème et il a reconnu sans ambages qu’il savait que les dispositions de la Loi électorale de la CLFN exigeaient qu’un candidat à l’élection au conseil ait qualité de résident. Le demandeur ne peut pas faire comme si ces faits n’existaient pas en s’abritant derrière les formalités prévues par la Loi électorale.

[64]           Donc, à mon avis, la seule question sur laquelle la Cour doit se pencher est celle de savoir si le comité d’appel avait le pouvoir de le destituer de son poste comme il l’a fait.

[65]           Le demandeur soutient, pour l’essentiel, que la Loi électorale permet uniquement de contester l’éligibilité d’une personne dans le cadre du processus de mise en candidature. Voici les extraits pertinents de l’article 7 :

[traduction]

7. ASSEMBLÉES DE MISE EN CANDIDATURE

[…]

P.   Le directeur des élections affiche dans les trois (3) jours les noms des personnes qui souhaitent se présenter aux postes de chef et de conseillers.

Q.  Toute contestation de l’éligibilité d’une personne doit être effectuée lors de l’assemblée de mise en candidature. Si une personne n’est pas présente à l’assemblée de mise en candidature et souhaite contester une mise en candidature, elle doit le faire dans les quarante‑huit (48) heures suivant l’assemblée de mise en candidature.

R.  Toute contestation postérieure à la période de quarante‑huit (48) heures est jugée invalide.

S.   Dans les sept (7) jours de l’assemblée de mise en candidature, il y a élection au poste de chef.

T.   Dans les sept (7) jours de l’élection du chef et de l’assemblée de mise en candidature pour les postes de conseillers, il y a élection au conseil.

U.  Toutes les décisions du directeur des élections sont définitives.

[66]           Voici le libellé de l’article de la Loi électorale qui concerne les appels, soit l’article 14 :

[traduction]

14. APPELS

A.  Toute contestation concernant l’élection au poste de chef et de conseiller doit être faite dans les trente (30) jours de l’élection.

B.  La contestation est présentée par écrit au directeur des élections.

C.  Toute contestation doit être assortie de motifs d’appel fondés sur la loi électorale traditionnelle de la Cold Lake First Nation.

D.  Un affidavit signé doit accompagner la lettre de contestation.

E.  La preuve des irrégularités doit accompagner la lettre et l’affidavit signé.

F.   Le directeur des élections prend possession de la lettre et de l’affidavit et transmet un rapport au comité d’appel pour examen.

G.  Tous les appels sont définitifs à l’issue de l’examen du comité.

H.  Les décisions relatives aux appels sont rendues dans les trente (30) jours suivant l’élection.

I.   Les appels déposés après la période de trente (30) jours sont frappés de nullité.

J.   Pour déposer un appel, une personne doit figurer sur la liste des électeurs.

[67]           Il est aussi prévu dans la Loi électorale que « [l]e comité d’appel doit respecter et appliquer la Loi électorale de la Cold Lake First Nation » (paragraphe 15(A)).

[68]           Le demandeur soutient que les [traduction] « irrégularités » abordées par le comité d’appel ne peuvent pas comprendre une irrégularité en matière de résidence parce que l’inéligibilité liée au statut de résident ne peut être prononcée que dans le contexte du processus de mise en candidature. Si c’était le cas, cela signifierait qu’une personne qui n’est pas éligible pour une raison liée à la résidence pourrait être élue à un poste de conseiller (comme cela semble avoir été le cas en l’espèce) et qu’elle ne pourrait pas ensuite être destituée par le comité d’appel pour cause d’inéligibilité. Selon cette interprétation, une personne qui, par exemple, a établi sous serment des documents de présentation de candidature contenant de faux renseignements et qui n’a fait l’objet d’aucune contestation pendant le processus de mise en candidature pourrait être élue au conseil sans être visée par quelque contestation que ce soit.

[69]           La Loi électorale ne définit pas le terme [traduction] « irrégularités ». Cependant, de prime abord, le terme semble désigner [traduction« [t]oute contestation d’une élection », soit les termes utilisés au paragraphe 14(A). Quant au terme [traduction] « contestation », il n’est pas défini et, à mon avis, aucune disposition de la Loi électorale ne donne à penser qu’il serait impossible de saisir le comité d’appel d’une contestation fondée sur une question d’éligibilité.

[70]           Il est vrai qu’une [traduction« contestation de l’éligibilité d’une personne doit être effectuée lors de l’assemblée de mise en candidature » ou « dans les quarante‑huit (48) heures suivant l’assemblée de mise en candidature » (paragraphe 7(Q)) et que [traduction« [t]oute contestation postérieure à la période de quarante‑huit (48) heures est jugée invalide » (paragraphe 7(R)). Cependant, le champ d’application de cette disposition n’est pas défini avec précision. Il serait possible de conclure, comme l’affirme le demandeur, que, si l’éligibilité n’est pas contestée de façon convaincante lors du processus de mise en candidature, elle ne peut pas l’être par la suite dans le cadre du processus d’appel. Cela pourrait aussi signifier que toute contestation relative à l’éligibilité d’un candidat qui est effectuée au cours du processus de mise en candidature doit être abordée lors de l’assemblée de mise en candidature, ou dans les 48 heures suivant cette dernière. Si la contestation de l’éligibilité n’aboutit pas à ce moment‑là, les candidats pourront se présenter à l’élection. Il n’en résulte pas nécessairement qu’une personne inéligible qui a franchi l’étape du processus de mise en candidature ne peut pas ensuite faire l’objet d’une contestation dans le cadre d’un appel. Nous pouvons facilement imaginer des situations lors desquelles le statut de résident peut faire problème, mais que, dans la pratique, il ne serait pas possible d’aborder rapidement le problème dans le cadre du processus de mise en candidature. Cela pourrait se produire, par exemple, lorsque des documents de présentation de candidature contenant de faux renseignements sont établis sous serment et que la fraude n’est découverte qu’après l’élection. L’article 7 de la Loi électorale traite des contestations relatives à [traduction« une mise en candidature ». Des considérations relatives à l’éligibilité pourraient bien être abordées, mais il n’y est question que du processus de mise en candidature.

[71]           La Loi électorale prévoit que [traduction« [t]out appel relatif à une élection doit être déposé par écrit au directeur des élections dans les trente (30) jours de l’élection » (paragraphe 8(I)) et que le [traduction« directeur des élections renvoie l’appel au comité d’appel pour examen » (paragraphe 8(J)). À mon avis, rien, en l’espèce, n’exclut les appels relatifs à l’éligibilité visant des problèmes qui n’ont pas été décelés et abordés dans le cadre du processus de mise en candidature.

[72]           En l’espèce, le directeur des élections a traité la plainte visant le demandeur comme un appel et, avec une série d’autres plaintes, elle s’est retrouvée devant le comité d’appel.

[73]           Il s’agit là de l’un des aspects où la preuve est insuffisante. À mon avis, aucun des éléments de preuve dont je suis saisi ne nous donne à penser que la Loi électorale n’autorise pas cette façon de procéder ou qu’il ne s’agit pas de la façon dont la Loi électorale a été constamment interprétée dans la pratique. Le fait qu’une personne puisse être déclarée inéligible par le directeur des élections au stade de la mise en candidature ne signifie pas qu’un appel fondé sur l’inéligibilité ne peut pas être formé devant le comité d’appel après une élection.

[74]           Le respect et l’application de la Loi électorale ne reposent pas nécessairement sur une seule interprétation possible de cette loi et je ne peux pas dire, compte tenu de la preuve dont je suis saisi, que le comité d’appel a agi de façon déraisonnable en interprétant la Loi électorale et en exerçant sa compétence comme il l’a fait concernant le traitement de la plainte visant le demandeur.

[75]           Je souligne que, dans la décision Grandbois, précitée, la Cour a tiré une conclusion différente relative à la compétence et aux pouvoirs d’un comité d’appel. Contrairement à ce qui était le cas dans cette affaire, je suis saisi en l’espèce d’éléments de preuve qui donnent à penser que le rôle du comité d’appel n’est pas seulement « de nature administrative ou consultative » (Grandbois, précitée, au paragraphe 26). En contre‑interrogatoire, le président du comité d’appel, M. Makokis, a témoigné au sujet des pouvoirs du comité d’appel à la fois selon la Loi électorale et la pratique traditionnelle de la CLFN (dossier du demandeur, aux pages 132 à 134). Je ne dispose d’aucun élément de preuve du demandeur qui permettrait de réfuter le témoignage de M. Makokis au sujet de la compétence et des pouvoirs traditionnels du comité d’appel de la CLFN. Le chef et les conseillers de la Cold Lake First Nation ont de toute évidence l’impression que le comité d’appel dispose de ce pouvoir parce qu’ils s’opposent à la présente demande.

[76]           Par conséquent, je ne peux pas dire que le demandeur a fait la preuve de l’existence d’une erreur susceptible de révision. Je dois donc rejeter la demande.

[77]           Cela ne signifie pas que le demandeur s’est comporté de façon déraisonnable en déposant la présente demande. En effet, la Loi électorale est très ambiguë et elle a grandement besoin de précisions et de modifications. Par exemple, la signification des paragraphes 1(C), 1(I) et 5(C) n’est pas évidente à mes yeux. Est‑ce que l’éligibilité est acquise après une période de résidence de six mois ou de cinq ans et à partir de quel moment débute la période de cinq ans? En l’espèce, le comité d’appel a simplement demandé une preuve d’éligibilité et de résidence; est‑ce que cela signifie que la Loi électorale exige simplement qu’un candidat soit résident au moment de l’élection? Et, étant donné les contestations fondées sur la Charte qui auraient pu être menées en l’espèce dans le contexte d’une demande modifiée, est‑ce que l’obligation de résider sur le territoire de la réserve de la CLFN peut être considérée comme un préalable légitime d’une candidature au poste de chef ou de conseiller? À cause de ces ambiguïtés, les candidats pourraient, sans agir pour autant de façon déraisonnable, interpréter la Loi électorale de la façon dont le demandeur l’a fait. Il est injuste de placer les candidats dans une telle position. Le défendeur ne devrait pas continuer à utiliser une Loi électorale très ambiguë qui pourrait placer les candidats dans des situations difficiles. Pour cette raison, je refuse d’adjuger les dépens à l’une ou à l’autre des parties.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande est rejetée sans frais.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

M.-C. Gervais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1656‑13

 

INTITULÉ :

KELSEY JACKO c LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE COLD LAKE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 OCTOBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Denis Lefebvre

 

POUR Le demandeur

 

Daniel Hagg

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Durocher Simpson Koehli & Erler LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR Le demandeur

 

Daniel Hagg

Avocat

Edmonton (Alberta)

 

POUR Le défendeur

 

 

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