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Date : 20141125


Dossier : IMM‑3545‑13

Référence : 2014 CF 1105

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2014

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

CHRISTOPHER OSA EVBUOMWAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               En 2012, M. Christopher Evbuomwan, craignant d’être persécuté en raison de son orientation sexuelle, a fui le Nigeria et a présenté une demande d’asile au Canada. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a jugé sa demande crédible, mais l’a pourtant refusée au motif qu’il n’avait pas fourni de preuve adéquate de son identité.

[2]               M. Evbuomwan soutient que la Commission n’a pas appliqué la norme de preuve appropriée, qu’elle a écarté des éléments de preuve pertinents et qu’elle lui a reproché à tort de ne pas avoir réussi à obtenir un passeport nigérian. Il me demande d’ordonner à la Commission de conclure qu’il est un réfugié ou, subsidiairement, d’ordonner à un autre tribunal de réexaminer la question de l’identité. M. Evbuomwan sollicite également une ordonnance condamnant le ministre aux dépens.

[3]               J’estime que la Commission a traité la question de l’identité d’une manière déraisonnable et je ferai donc droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Cependant, je renverrai l’affaire à un autre tribunal de la Commission en vue d’un réexamen; je ne restreindrai pas la portée des questions que celui‑ci aura à trancher, ni ne lui donnerai de directives sur l’issue à donner à la demande d’asile de M. Evbuomwan. Par ailleurs, je ne rendrai pas d’ordonnance concernant les dépens.

[4]               Bien que M. Evbuomwan ait soulevé un certain nombre de questions distinctes, j’estime que je dois essentiellement déterminer si la décision de la Commission était déraisonnable.

II.                La décision de la Commission

[5]               En ce qui concerne l’identité, la seule preuve documentaire que M. Evbuomwan ait fournie à la Commission était son acte de naissance. Ce document atteste qu’il est né au Nigeria en 1993, mais ne prouve pas, selon la Commission, qu’il est actuellement citoyen de ce pays.

[6]               La Commission a aussi noté que M. Evbuomwan n’avait pas obtenu une meilleure preuve de sa citoyenneté, comme un passeport ou une carte d’identité nationale. Elle a précisé dans ses motifs qu’elle lui avait accordé, après l’audience, un délai de trois semaines pour se procurer cette meilleure preuve qui pouvait prendre la forme d’un passeport nigérian délivré par le Haut‑Commissariat à Ottawa, et peut‑être aussi des documents scolaires nigérians.

[7]               M. Evbuomwan a fourni des documents scolaires, mais pas de passeport. Pour la Commission, ces documents confirmaient sa présence au Nigeria pendant un certain nombre d’années, mais n’établissaient pas de manière définitive sa citoyenneté nigériane. Comme il n’avait pas fourni le passeport demandé, ni expliqué pourquoi il n’avait pas réussi à l’obtenir, la Commission a conclu que M. Evbuomwan n’avait pas prouvé sa citoyenneté. Il n’était donc pas nécessaire de se demander s’il avait droit à la protection accordée aux réfugiés.

III.             La décision de la Commission était‑elle déraisonnable?

[8]               Le ministre soutient que la Commission a correctement décrit le fardeau qui incombait au demandeur et a raisonnablement conclu que M. Evbuomwan n’avait pas établi sa citoyenneté nigériane.

[9]               Je ne suis pas d’accord. La décision de la Commission pose problème à trois égards.

[10]           Premièrement, même si elle n’a pas appliqué la mauvaise norme de preuve, la Commission a mal décrit le fardeau dont devait s’acquitter M. Evbuomwan. Elle n’a donc pas commis d’erreur de droit, mais elle a déraisonnablement écarté la preuve qui était favorable à M. Evbuomwan. (Pour une analyse de la distinction entre la charge ultime et la charge de présentation, voir Flores Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, aux paragraphes 16 à 30.)

[11]           La Commission a déclaré que M. Evbuomwan ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir sa citoyenneté. Elle a correctement décrit la charge ultime qui lui incombait – la norme civile habituelle –, mais a aussi affirmé qu’il n’avait pas fourni [TRADUCTION] « tous les éléments de preuve pertinents » de sa citoyenneté, et que ses documents scolaires ne constituaient pas une preuve [TRADUCTION] « définitive ». À mon avis, la Commission a mal expliqué la charge de présentation qui incombait à M. Evbuomwan. Ce dernier devait fournir des « documents acceptables » relatifs à son identité (d’après les règles en vigueur au moment de l’audience, Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, article 7 – voir l’annexe). Vraisemblablement, des « documents acceptables » sont des documents qui sont authentiques et qui ont une valeur probante pour ce qui est de la question de la citoyenneté. En l’espèce, M. Evbuomwan a fourni des documents acceptables, mais n’a de toute évidence pas fourni [TRADUCTION] « tous les documents pertinents » quant à sa citoyenneté, ni des documents constituant une preuve [TRADUCTION] « définitive » à cet égard.

[12]           À mon avis, la Commission a déraisonnablement exagéré la charge de présentation qui revenait à M. Evbuomwan en lui demandant de produire [TRADUCTION] « tous les documents pertinents » relatifs à son identité et une preuve [TRADUCTION] « définitive » pour l’établir.

[13]           Deuxièmement, il semble que la Commission n’ait pas examiné toute la preuve relative à la citoyenneté de M. Evbuomwan. Comme nous l’avons indiqué, elle a conclu que ses documents scolaires n’étaient pas définitifs. Mais elle n’a manifestement pas pris en compte ces documents, non plus que l’acte de naissance de M. Evbuomwan, l’exposé écrit dans lequel il expliquait que ses parents étaient tous deux citoyens nigérians, et son témoignage non contredit à l’audience. Selon la constitution nigériane, dont une copie figure au dossier de preuve soumis à la Commission, est citoyen du Nigeria toute personne qui y est née et dont au moins l’un des parents est citoyen de ce pays. À mon avis, la Commission devait considérer l’ensemble de la preuve concernant l’identité avant de conclure que M. Evbuomwan n’avait pas réussi à établir celle‑ci.

[14]           Troisièmement, la Commission a reproché à M. Evbuomwan de ne pas avoir obtenu de passeport nigérian bien qu’elle lui ait accordé du temps pour ce faire après l’audience. En fait, d’après la transcription de l’audience, la Commission a déclaré à deux reprises à M. Evbuomwan qu’il bénéficierait d’un délai pour obtenir [TRADUCTION] « des documents scolaires ou un passeport ou les deux » (non souligné dans l’original). M. Evbuomwan a obtenu les documents scolaires, mais pas le passeport.

[15]           La directive de la Commission donnait raisonnablement à penser que les documents scolaires dissiperaient ses préoccupations concernant l’identité de M. Evbuomwan, sans doute parce qu’ils montreraient qu’il n’était pas seulement né au Nigeria, mais aussi qu’il y avait passé une grande partie de sa vie. Il était donc déraisonnable de la part de la Commission d’affirmer dans sa décision que M. Evbuomwan aurait dû fournir un passeport pour établir son identité alors qu’elle lui a spécifiquement indiqué qu’il pouvait produire soit des documents scolaires soit un passeport. Il était également déraisonnable de sa part de diminuer sans explication la valeur probante des documents scolaires, alors qu’elle avait laissé entendre qu’ils constitueraient une preuve adéquate de citoyenneté.

IV.             Conclusion et décision

[16]           La Commission a traité la question de l’identité de M. Evbuomwan d’une manière qui n’était ni transparente ni justifiable ni intelligible. Par conséquent, je dois faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

[17]           Cependant, je ne peux pas accorder à M. Evbuomwan les mesures de réparation qu’il demande – une ordonnance qui obligerait la Commission à conclure qu’il a la qualité de réfugié ou qui limiterait le réexamen de sa demande à la question de l’identité. Bien que la preuve fournie par M. Evbuomwan à l’appui de sa demande d’asile ait été jugée crédible, il reste à déterminer que celle‑ci était fondée. À mon avis, l’affaire doit être renvoyée à la Commission pour qu’elle rende cette décision.

[18]           Par ailleurs, je ne vois aucune raison particulière d’adjuger des dépens. Le défendeur s’est opposé à la demande de prorogation de délai de M. Evbuomwan ainsi qu’à la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, comme il était en droit de le faire. L’affirmation de M. Evbuomwan selon laquelle sa demande s’est heurtée à une opposition acharnée, indue ou de mauvaise foi, me semble dénuée de fondement. Le fait que le défendeur aurait pu accélérer l’instance et qu’il ne l’a pas fait ne justifie pas l’adjudication de dépens.

[19]           Enfin, aucune partie n’a proposé de question de portée générale à certifier et aucune ne sera énoncée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il la réexamine.

2.                          Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.                          Aucune question à certifier n’est énoncée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.

 


Annexe

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 (en vigueur entre le 22 mars 2006 et le 14 décembre 2012)

Refugee Protection Division Rules, SOR/2002‑228 (in force between March 22, 2006 and December 14, 2012)

Documents d’identité et autres éléments de la demande

Documents establishing identity and other elements of the claim

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3545‑13

 

INTITULÉ :

CHRISTOPHER OSA EVBUOMWAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 OCTOBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Richard A. Odeleye

 

POUR LE demandeur

 

Prathima Prashad

 

pour LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Babalola, Odeleye

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

 

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