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Date : 20141031


Dossier : DES-5-08

Référence : 2014 CF 1034

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

ENTRE :

MOHAMED HARKAT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE S. NOËL

[1]               Comme il l’avait fait auparavant au début de l’été 2013, M. Mohamed Harkat (M. Harkat) demande à la Cour de modifier ses conditions de mise en liberté en vertu du paragraphe 82.2(4) et de l’alinéa 82(5)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2]               En vue du présent examen des conditions de mise en liberté, M. Harkat demande les modifications suivantes :

  1. Autoriser M. Harkat à utiliser un téléphone mobile doté d’une carte SIM et d’une connexion Internet (sous la surveillance de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC);
  2. Autoriser M. Harkat à posséder un ordinateur portatif ou une tablette avec connexion Internet (sous la surveillance de l’ASFC comme ci‑dessus) pouvant être utilisé partout;
  3. Aux fins d’un emploi, autoriser M. Harkat à utiliser un ordinateur avec connexion Internet et un téléphone (sans la surveillance de l’ASFC);
  4. Réduire le cautionnement versé par Mme Pierrette Brunette et par M. Philippe Parent, qui passerait dans chaque cas de 50 000 $ à 25 000 $;
  5. Annuler la condition qui oblige M. Harkat à se présenter en personne à l’ASFC une fois par semaine et lui demander plutôt de téléphoner à l’ASFC une fois par semaine. À titre subsidiaire, M. Harkat demande une combinaison des deux conditions de manière à ce qu’il puisse se présenter en personne à l’ASFC une fois par mois et téléphoner à l’ASFC les autres semaines du mois;
  6. Modifier la condition actuelle qui oblige M. Harkat à donner à l’ASFC un préavis écrit de cinq jours et l’itinéraire détaillé de tout déplacement à l’extérieur de la région de la capitale nationale, et lui demander plutôt de fournir un préavis écrit de 24 heures à l’ASFC indiquant seulement la destination finale et la date de retour;
  7. Clarifier les conditions 7d) et 7e) qui concernent l’accès mensuel de l’ASFC à l’ordinateur de M. Harkat et l’inspection de cet ordinateur.

[3]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (les ministres ou les défendeurs) s’opposent à toutes les modifications demandées, mais ils accepteraient que M. Harkat puisse utiliser un téléphone conventionnel à fil aux fins d’un emploi et qu’il se présente en personne aux deux semaines à l’ASFC plutôt que chaque semaine. En général, les ministres n’acceptent pas l’utilisation d’une carte SIM ou la connexion Internet parce que M. Harkat pourrait avoir des contacts non autorisés et qu’il serait impossible de surveiller le respect des conditions. Les ministres affirment également que M. Harkat n’a pas présenté d’éléments de preuve établissant son besoin d’utiliser un ordinateur portatif ou une tablette avec connexion Internet et font remarquer qu’il a accès à un ordinateur connecté à Internet à sa résidence aux termes de ses conditions de mise en liberté actuelles. Il en va de même pour la demande faite par M. Harkat en ce qui concerne l’utilisation d’un ordinateur avec accès Internet aux fins d’un emploi. Les ministres soutiennent également qu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour justifier pourquoi les cautionnements que Mme Brunette et M. Parent avaient tous deux accepté de verser passeraient de 50 000 $ à 25 000 $ et qu’aucune circonstance nouvelle ne commande cette réduction. En outre, les défendeurs estiment qu’un préavis de déplacement de 24 heures n’est pas possible, parce que l’ASFC n’a pas les ressources nécessaires pour organiser de la surveillance à si court préavis. Enfin, les ministres affirment que l’inspection de l’ordinateur de M. Harkat faite par l’ASFC est clairement énoncée à la condition 7d) comme étant une inspection mensuelle ne nécessitant pas l’autorisation d’un juge désigné, mais que l’autorisation d’un juge désigné serait requise s’il devait y avoir une autre inspection dans le mois.

[4]               L’ASFC a mis à jour l’évaluation du risque en septembre 2014. La dernière évaluation datait de janvier 2012. Selon cette récente évaluation du risque, qui confirme en grande partie les résultats de celle de 2012, le risque est de niveau moyen ou moyen à faible. Exception faite de l’utilisation de techniques de contre‑surveillance, ce qui ne constitue pas en soi un manquement aux conditions de mise en liberté, M. Harkat a respecté les conditions imposées et n’a commis aucun manquement. L’évaluation du risque de l’ASFC rappelle au lecteur que la surveillance est un facteur clé qui lui permet de conclure que les conditions ont bien été respectées depuis le dernier contrôle des motifs de détention.

[5]               À la suite du précédent examen des conditions de mise en liberté, mentionné au premier paragraphe, les motifs de l’ordonnance datés du 17 juillet 2013 (et modifiés le 3 septembre 2013) ont été rendus, et l’ordonnance du 7 octobre 2013 a été prononcée (voir Harkat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2013] ACF no 869 [Harkat] et ordonnance DES-5-08). À ce moment-là, la Cour avait décidé d’apporter d’importantes modifications aux conditions de mise en liberté. Dans les paragraphes qui suivent, la Cour met à jour ses motifs à la lumière des plus récentes observations présentées et de la nouvelle évaluation du risque de 2014 faite par l’ASFC.

Analyse

[6]               Depuis l’examen précédent, il y a un peu plus d’un an, quels sont les changements survenus qui pourraient justifier ou non d’autres modifications des conditions de mise en liberté? La Cour suprême du Canada a maintenu entre autres la décision du 10 décembre 2009 par laquelle la Cour fédérale avait conclu que le certificat de sécurité contre M. Harkat était raisonnable (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37, [2014] ACS no 37). Une nouvelle évaluation du risque effectuée par l’ASFC confirme essentiellement les résultats de celle faite en janvier 2012. Il a été conclu encore que le risque de non-respect des conditions de mise en liberté de M. Harkat est de niveau moyen ou moyen à faible depuis 2013 et qu’aucun manquement aux conditions de mise en liberté n’a été commis. Enfin, près de 15 mois ont passé depuis le dernier contrôle des motifs de détention, et l’écoulement du temps favorise l’assouplissement de certaines conditions de mise en liberté.

[7]               Rappelons brièvement que les principes juridiques entrant en ligne de compte consistent à savoir si la mise en liberté de M. Harkat constitue un danger pour la sécurité du Canada et si les conditions de mise en liberté neutralisent ou non ce danger. Enfin, si des conditions doivent être imposées, il faut alors se demander si ces conditions sont proportionnelles à l’importance du danger (voir Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 RCS 350, aux paragraphes 119, 72 à 87, 108 et 109). Aux fins de cet exercice, une liste de facteurs peut être passée en revue, par exemple l’appréciation du danger, l’historique des faits concernant M. Harkat, la décision relative au caractère raisonnable du certificat, l’écoulement du temps, etc. […] (voir Harkat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 416, [2007] ACF no 540, au paragraphe 9). Enfin, il incombe aux ministres d’établir qu’un danger existe et que la mise en liberté doit être assortie de conditions pour neutraliser ce danger (voir Mahjoub (Re), 2013 CF 10, [2013] ACF no 77, au paragraphe 14).

[8]               Je n’entends pas passer en revue tous les facteurs, car j’estime que, en grande partie, les motifs de l’ordonnance du 17 juillet 2013, qui traitent de tous ces facteurs (voir Harkat, précitée) s’appliquent toujours, sous réserve des remarques suivantes.

[9]               Au cours du dernier contrôle, j’ai évalué que le danger posé par M. Harkat se situait dans la portion inférieure du spectre et, pour cette raison, j’ai décidé d’assouplir nettement les conditions de mise en liberté (voir Harkat, précitée, au paragraphe 32). La surveillance par GPS de M. Harkat a été éliminée, l’accès à un ordinateur de bureau doté d’une connexion Internet à sa résidence, sous la surveillance de l’ASFC, a été autorisé, et l’accès à un téléphone mobile sans carte SIM ni connexion Internet a également été offert. En cas de déplacement à l’extérieur de la région de la capitale nationale, M. Harkat devait donner un préavis de cinq jours et fournir un itinéraire détaillé, et communiquer tout changement apporté à l’itinéraire.

[10]           Ayant examiné la récente évaluation du risque de 2014 faite par l’ASFC, à la lumière des importantes conclusions tirées dans la décision relative au caractère raisonnable du certificat et compte tenu du comportement de M. Harkat ces 15 derniers mois, je parviens à la conclusion que le danger posé par M. Harkat demeure dans la portion inférieure du spectre, mais qu’il n’est pas plus faible que la dernière fois. Je tire cette conclusion parce que je n’ai trouvé aucune circonstance qui justifierait un abaissement du degré de danger.

[11]           Cela dit, j’estime important de rappeler que la supervision exercée par l’ASFC demeure une composante importante de l’actualisation des conditions de mise en liberté. Comme il a été dit dans la décision Harkat, précitée, au paragraphe 54, la supervision des activités de M. Harkat est importante eu égard à l’existence des conditions de mise en liberté.

[12]           S’il y avait une façon acceptable pour l’ASFC de superviser l’utilisation d’un téléphone mobile doté d’une carte SIM et d’un accès Internet, la Cour pourrait examiner favorablement une modification en ce sens. La même chose s’applique à l’ordinateur portatif ou à la tablette. Il faut préciser que la supervision de l’ASFC devrait être pratique et réalisable. En outre, M. Harkat devrait également présenter des éléments de preuve pour établir qu’il a besoin de ces dispositifs. La Cour comprend les besoins quotidiens que ces dispositifs créent et sait qu’il peut s’agir [traduction] « d’un obstacle non négligeable dans la société contemporaine », mais elle doit en parallèle tenir compte des conclusions présentées dans les motifs concernant le caractère raisonnable du certificat. Il reste que, depuis octobre de l’an dernier, M. Harkat a accès à Internet depuis son ordinateur de bureau à sa résidence.

[13]           Quant à la demande concernant le travail, la Cour examinera tout besoin particulier si jamais M. Harkat avait une réelle occasion d’occuper un emploi. À l’heure actuelle, la demande demeure théorique puisque aucune occasion ne s’est présentée. La Cour a noté que les ministres ont autorisé M. Harkat à utiliser un téléphone conventionnel à fil dans le cadre d’un travail à l’extérieur.

[14]           Pour ce qui est de faire rapport à l’ASFC par téléphone, la Cour a noté que l’ASFC a accepté que M. Harkat puisse se présenter en personne aux deux (2) semaines. C’est acceptable.

[15]           La demande concernant le préavis de 24 heures en cas de déplacement à l’extérieur de la région de la capitale nationale et l’itinéraire limité au point de destination plutôt que l’itinéraire détaillé n’est pas claire. La Cour a lu les observations présentées par M. Harkat à cet égard, mais elle n’a pas été convaincue. La réponse donnée par l’ASFC à cette demande est instructive et a du poids pour l’instant. Il pourrait y avoir ultérieurement des moyens d’améliorer cette condition sans oublier le rôle de supervision de l’ASFC.

[16]           Par ailleurs, j’ai examiné les affidavits de Mme Brunette et de M. Parent à la lumière de la demande de M. Harkat, qui souhaite que leurs cautionnements respectifs soient réduits de 50 000 $ à 25 000 $. Aucun élément de preuve à l’appui de cette demande n’a été présenté.

[17]           Pour ce qui est de la clarification demandée par les deux parties concernant l’accès de l’ASFC à l’ordinateur de bureau de M. Harkat, l’alinéa 7d) des conditions de mise en liberté est clairement rédigé. M. Harkat doit donner accès à son ordinateur chaque mois à l’ASFC, sur demande. La condition 7e) s’applique si l’ASFC a déjà exercé son droit d’accès mensuel à l’ordinateur, mais qu’elle souhaite y avoir encore accès dans une même période de trente (30) jours. L’ASFC doit alors obtenir l’autorisation judiciaire.

[18]           Je conclus que, sous réserve des deux modifications qui seront apportées (se présenter en personne aux deux semaines et avoir accès à un téléphone conventionnel à fil aux fins d’un emploi) et de la clarification devant être insérée à l’alinéa 7d) des conditions, à la convenance des parties, les conditions telles qu’elles existent neutralisent le danger défini dans les présents motifs, mais aussi dans ceux de juillet 2013. Elles sont proportionnelles au danger en question.

[19]           À la lumière des remarques précédentes, j’ai demandé aux avocats de rédiger une nouvelle version des conditions et de la présenter pour approbation. Une nouvelle ordonnance assortie d’une annexe énonçant les conditions de mise en liberté sera alors signée.

« Simon Noël »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 31 octobre 2014

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

DES-5-08

 

INTITULÉ :

MOHAMED HARKAT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE (TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE) :

 

Ottawa (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 octobRE 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE S. NoËl

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 OctobRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Norman D. Boxall

Leonardo Russomano

Meaghan Thomas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

David Tyndale

Nadine Silverman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bayne, Sellar, Boxall

Avocats

Ottawa (Ontario)

Webber, Schroeder, Goldstein, Abergel, Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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