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Date : 20141117


Dossier : IMM-7217-13

Référence : 2014 CF 1084

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ABDELKRIM ALLALOU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé les conclusions tirées par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) rejetant ainsi la demande d’asile présentée par le demandeur.

II.                Le contexte

[2]               Le demandeur est un homosexuel qui dit qu’il craint d’être persécuté en Algérie, son pays d’origine, en raison de son orientation sexuelle. C’est sur ce fondement que le demandeur sollicite l’asile au Canada. Le demandeur allègue les faits qui suivent à l’appui de sa demande.

[3]               Le demandeur, dont on dit qu’il a apporté la honte et le déshonneur à sa famille, a été obligé de mener une double vie afin de cacher son orientation sexuelle aux membres de sa famille qui ne tolèrent pas l’homosexualité. Le demandeur craint pour sa vie, s’il devait retourner en Algérie.

[4]               Le demandeur prétend qu’il a eu plusieurs expériences homosexuelles avec des hommes au cours de sa vie. Lorsqu’il avait 19 ans, le père du demandeur a appris que celui‑ci avait eu des relations sexuelles avec un autre homme, pendant l’heure du dîner, derrière le bâtiment du centre de formation professionnelle que le demandeur fréquentait en tant qu’étudiant. En conséquence, le père du demandeur l’a attaqué et a menacé de le tuer s’il avait une autre relation homosexuelle.

[5]               À la suite de cet incident, le père du demandeur et d’autres membres de sa famille ont commencé à surveiller et harceler le demandeur. Ils ont aussi commencé à avoir des doutes quant aux voyages du demandeur. Se sentant stressé et déprimé, le demandeur a quitté l’Algérie. Grâce à l’aide de son frère qui vit à Montréal, le demandeur est arrivé au Canada et a demandé l’asile.

[6]               À la suite d’une audience, la SPR a rejeté la demande du demandeur au motif qu’il manquait de crédibilité. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi de crainte fondée de persécution, et qu’elle n’avait pas cru que le demandeur était un homosexuel (décision de la SAR, au paragraphe 7). Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR à la SAR.

III.             La décision soumise au contrôle

[7]               Dans une décision datée du 24 octobre 2013, la SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de « personne à protéger », au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[8]               Au début de sa décision, la SAR a déclaré que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de la SPR est celle de la décision raisonnable (décision de la SAR, aux paragraphes 13 à 18).

[9]               La SAR a ensuite décidé que les conclusions suivantes tirées par la SPR relativement à la crédibilité étaient raisonnables :

a)      L’allégation du demandeur selon laquelle il a eu des relations sexuelles avec un autre homme derrière l’immeuble du centre de formation professionnelle pendant l’heure du dîner est incohérente avec le comportement d’une personne qui prétend cacher son homosexualité, ce qui mine sa crédibilité;

b)      L’exposé circonstancié du demandeur et son témoignage relativement à l’incident pendant lequel son père l’a attaqué ne sont pas cohérents, ce qui mine sa crédibilité;

c)      L’exposé circonstancié du demandeur et son témoignage relativement à ses relations sexuelles avec d’autres hommes dans différentes villes sont incohérents, ce qui mine sa crédibilité;

d)     Le profil en ligne du demandeur, qui décrit le demandeur comme étant un homme à la recherche d’une femme est incompatible avec sa prétendue homosexualité, ce qui mine sa crédibilité quant à son orientation sexuelle. Les explications du demandeur selon lesquelles il a maintenu un tel profil parce qu’il avait peur que les membres de sa famille découvrent son profil en ligne, et qu’il a néanmoins réussi à rencontrer des hommes en leur envoyant des messages privés, ont été rejetées par la SPR.

IV.             Les dispositions légales applicables

[10]           Les dispositions légales suivantes sont pertinentes :

Appel

Appeal

110. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

110. (1) Subject to subsections (1.1) and (2), a person or the Minister may appeal, in accordance with the rules of the Board, on a question of law, of fact or of mixed law and fact, to the Refugee Appeal Division against a decision of the Refugee Protection Division to allow or reject the person’s claim for refugee protection.

Fonctionnement

Procedure

         (3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

        (3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

Éléments de preuve admissibles

Marginal note: Evidence that may be presented

         (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

        (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

Audience

Hearing

         (6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

        (6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

Décision

Decision

111. (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111. (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

V.                La position du demandeur

[11]           Le demandeur estime que la question suivante est déterminante de l’issue de la présente demande :

La SAR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a appliqué la norme de la décision raisonnable aux conclusions de la SPR?

[12]           Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a examiné les conclusions de la SPR selon la norme de la décision raisonnable, plutôt que selon la norme de la décision correcte, ce qui justifie ainsi l’intervention de la Cour. Le demandeur avance que la SAR aurait dû examiner la décision de la SPR à la loupe, en particulier dans le contexte de la question de l’évaluation d’une demande fondée sur l’orientation sexuelle, et les difficultés d’évaluer de telles demandes (Ogunrinde c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 760, au paragraphe 42). Le demandeur est aussi d’avis que la SPR devrait accorder peu de retenue, voire aucune retenue, aux conclusions tirées par la SPR.

VI.             Analyse

[13]           Le choix effectué par la SAR quant à l’application de la norme de contrôle adéquate à l’audience d’un appel trouve son origine directement dans le mandat que la loi lui confère et il appartient ainsi à son domaine d’expertise spécialisé et a trait à son existence même ou à sa raison d’être (voir Alyafi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 952, au paragraphe 12 [Alyafi]).

[14]           La Cour a récemment dû se pencher sur la question de la portée de l’examen et de la norme de contrôle adéquate applicable lorsqu’elle contrôle une décision de la SPR examinée en appel par la SAR (voir Alyafi,précitée; Triastcin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 975 (Triastcin); Spasoja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 913 (Spasoja); Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799 (Huruglica); G.L.N.N. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 859 (G.L.N.N.); Iyamuremye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 494 (Iyamuremye); Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 702; Eng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 711).

[15]           Dans certains cas, la Cour a conclu que le défaut de la SAR d’appliquer le cadre analytique adéquat à la conclusion de la SPR peut être suffisant pour que la Cour annule la décision (voir Alyafi, précitée; Triastcin, précitée; Spasoja, précitée; Huruglica, précitée; Iyamuremye, précitée).

[16]           Toutefois, la demande ne se prête pas à une telle conclusion.

[17]           La SAR, qui statue en appel, et non pas en contrôle judiciaire, doit généralement mener une analyse indépendante dans l’audition d’un appel, en conformité avec le cadre légal énoncé dans la LIPR. À cet égard, l’article 110 et le paragraphe 111(1) de la LIPR disposent que la SAR peut, soit confirmer la décision de la SPR, soit casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue relativement à une question de droit, une question de fait ou une question mixte de fait et de droit. En tant que juge des faits, la SPR évalue les témoins et elle est la première à observer la preuve relative à la crédibilité du demandeur, au vu de la preuve dans son ensemble. Compte tenu des décisions récentes, la Cour est d’avis que la SAR doit accorder divers degrés de retenue à la décision de la SPR, en fonction de la question de savoir si la SAR entend un appel portant sur des questions de crédibilité ou autrement. À cet égard, le juge Yvan Roy a indiqué au paragraphe 40 de la décision Spasoja, précitée :

[40]      Mon collègue le juge Phelan aura préféré, dans Huruglica, précité, appliquer la norme de la raisonnabilité aux questions de crédibilité (para 37). Ceci dit avec égards, j’ai toujours cette crainte au sujet de la confusion des genres. Il me semblerait préférable de s’en tenir à la norme d’erreur manifeste et dominante en appel sur les questions de fait. Il n’y a rien de nouveau à la proposition qu’une instance d’appel fait preuve de retenue lorsque l’organisme dont la décision est en appel procède d’une discrétion importante comme l’examen de la crédibilité. La Loi est claire : la SAR n’entend des témoins que dans des cas très exceptionnels et particuliers. La crédibilité à donner aux témoins entendus par la SPR est l’apanage de celle-ci et la SAR, en appel, doit faire preuve de retenue (Lensen c Lensen, [1987] 2 RCS 672; R c Burke, [1996] 1 RCS 474).

[18]           Au paragraphe 37 de la récente affaire Huruglica, précitée, le juge Michael L. Phelan a déclaré qu’il est d’avis que la SAR doit faire preuve de retenue au sujet des conclusions de la SPR portant sur la crédibilité et qui sont décisives ou déterminantes de l’issue de la décision de la SPR. Certains facteurs découlant du schéma légal de la SAR appuient cette conclusion. Par exemple, contrairement à la SPR, la SAR n’est pas toujours obligée de tenir une audience. Dans la décision Huruglica, précitée, le juge Phelan déclare :

[55]      Lorsque la SAR effectue son examen, elle peut reconnaître et respecter la conclusion de la SPR sur des questions comme la crédibilité et/ou lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier pour tirer une conclusion, mais elle ne doit pas se borner, comme doit le faire une cour d’appel, à intervenir sur les faits uniquement lorsqu’il y a une « erreur manifeste et dominante ».

 

[19]           Une telle approche variable a aussi été adoptée par le juge George J. Locke dans la décision G.L.N.N. et dans la décision Yetna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 858. En particulier, le juge Locke a conclu que « [s]auf dans les cas où la crédibilité d’un témoin est critique ou déterminante, ou lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier vis-à-vis la SAR afin de tirer une conclusion spécifique, la SAR ne doit faire preuve d’aucune déférence à l’endroit de l’analyse de la preuve faite par la SPR » (G.L.N.N., au paragraphe 14).

[20]           Ainsi, étant donné que la décision de la SPR est uniquement fondée sur des conclusions de crédibilité, la SAR a fait preuve du degré de retenue adéquat relativement aux conclusions de la SPR portant sur la crédibilité du demandeur.

VII.          Dispositif

[21]           Par conséquent, la Cour est d’avis que le demandeur a adéquatement bénéficié de l’appel auquel il avait droit selon la LIPR, compte tenu du mandat de la SAR. Ainsi, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

L. Endale

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7217-13

 

INTITULÉ :

ABDELKRIM ALLALOU

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 novembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 17 novembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Jessica Lipes

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Pavol Janura

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jessica Lipes

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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