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Date : 20141110


Dossier : IMM-2640-13

Référence : 2014 CF 1057

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2014

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

YANYAN MA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La demanderesse s’est vu refuser l’asile au Canada par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Elle demande à la Cour le contrôle judiciaire de cette décision en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]               La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l’affaire à un tribunal différemment constitué.

I.                   Contexte

[3]               Yanyan Ma est une citoyenne chinoise. Elle est arrivée au Canada le 9 octobre 2011 et elle a demandé l’asile peu après. Elle déclare craindre d’être persécutée parce qu’elle est une adepte du Falun Gong. Sa première audience a dû être interrompue en raison de questions relatives à l’interprétation, mais elle a eu une seconde audience le 12 mars 2013.

II.                Décision contrôlée

[4]               La Commission a rejeté sa demande dans une décision datée du 20 mars 2013.

[5]               La Commission a conclu que la demanderesse avait menti au sujet de sa pratique du Falun Gong pour obtenir une protection. Elle ne prêtait pas foi à son récit pour les motifs suivants :

1.                  La demanderesse a affirmé qu’elle ne savait rien sur la pratique du Falun Gong au départ, sinon que le gouvernement avait déclaré que c’était un « culte du mal ». Néanmoins, elle s’était immédiatement mise à le pratiquer après qu’une amie lui eut dit que cette méthode pouvait guérir une maladie cardiaque. La Commission n’estimait pas crédible qu’une personne aussi instruite que la demanderesse croie une telle allégation sans aucune preuve.

2.                  La demanderesse était évasive.

3.                  La demanderesse a donné des réponses contradictoires lorsqu’il lui a été demandé si elle pensait que la pratique du Falun Gong était sécuritaire, répondant parfois qu’il était nécessaire d’affecter des guetteurs, mais n’ayant admis qu’après un certain temps que ce qu’ils craignaient était les descentes du Bureau de la sécurité publique. En outre, elle avait initialement affirmé qu’elle ne savait rien du rôle des guetteurs, mais elle avait par la suite décrit en détail ce qu’ils faisaient.

4.                  La demanderesse a livré un témoignage confus sur ce qu’elle savait des conséquences que pouvait avoir la pratique du Falun Gong pour elle et pour ses parents.

5.                  Au sujet de la descente qui aurait été opérée contre son groupe de pratique, la demanderesse a affirmé qu’elle n’avait entendu personne lui crier de s’arrêter lorsqu’elle avait pris la fuite. Elle n’avait pas remarqué non plus si quelqu’un d’autre s’était enfui et rendu jusqu’à la route principale. La Commission a affirmé que cette possibilité semblait faible.

6.                  La Commission a conclu que l’assignation à comparaître que la demanderesse lui avait soumise n’était probablement pas authentique, car le motif de l’assignation n’était pas inscrit dans le document.

7.                  Même si la demanderesse affirme qu’elle avait retenu les services d’un passeur pour quitter clandestinement le pays peu après la prétendue descente en avril 2011, elle n’a pas quitté le pays avant le mois d’octobre de la même année. La Commission n’a pas cru qu’un passeur clandestin aurait attendu si longtemps, d’autant plus que le visa frauduleux allait arriver à expiration sous peu. De plus, la demanderesse a allégué que le passeur lui avait permis de garder avec elle son passeport et le visa obtenu frauduleusement. Or, ces documents auraient pu permettre de retrouver l’agent des douanes qui les avait aidés, et la Commission a estimé qu’aucun passeur n’exposerait son complice à un tel risque.

[6]               La Commission a admis que la demanderesse avait réellement commencé à pratiquer le Falun Gong à son arrivée au Canada et qu’elle avait correctement répondu aux questions à ce sujet. Cependant, parce qu’elle doutait de sa crédibilité, la Commission a conclu qu’elle s’y était mise à la seule fin de renforcer sa demande frauduleuse. Qui plus est, aucun élément de preuve tangible ne permettait de penser que le Bureau de la sécurité publique serait au fait de ses pratiques au Canada ou qu’il la soupçonnerait d’être une adepte du Falun Gong si elle retournait en Chine.

[7]               Par conséquent, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas droit à la protection offerte au titre de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la LIPR.

III.             Questions en litige

[8]               La présente demande ne soulève que deux questions :

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 La Commission a‑t‑elle fait une évaluation déraisonnable de la crédibilité de la demanderesse?

IV.             Observations écrites de la demanderesse

[9]               La demanderesse n’aborde pas la question de la norme de contrôle, mais reconnaît implicitement qu’il s’agit de celle de la décision raisonnable. Elle souligne cependant que la Cour peut tout de même renverser des conclusions relatives à la crédibilité lorsque la preuve ne corrobore pas les motifs. En l’espèce, la demanderesse affirme que les conclusions de la Commission étaient purement hypothétiques et découlaient d’une analyse microscopique.

[10]           Plus précisément, elle affirme qu’il était abusif pour la Commission de mettre en doute la profonde croyance spirituelle de la demanderesse à l’égard du pouvoir de guérison du Falun Gong.

[11]           De plus, la demanderesse estime que ses réponses au sujet de la sécurité du groupe de pratique n’étaient pas contredites par son affirmation selon laquelle ils avaient affecté des guetteurs. Elle avait simplement expliqué que le groupe était en sécurité grâce à la prise de mesures de précautions comme celle‑là. De plus, il n’y a rien d’invraisemblable dans le fait que la demanderesse savait qu’il pouvait y avoir des conséquences, mais ignorait lesquelles.

[12]           La demanderesse critique aussi les motifs de la Commission qui concernent la descente. Le commissaire n’était pas présent, de sorte que son hypothèse selon laquelle d’autres adeptes se seraient mis à courir vers la route ne constituait pas un fondement légitime pour discréditer la demanderesse.

[13]           Par ailleurs, la preuve documentaire montre que les documents d’assignation ne doivent pas obligatoirement présenter les motifs et que les autorités suivent souvent des procédures irrégulières. En effet, le fait même que l’assignation à comparaître a été remise à des membres de sa famille plutôt qu’à elle directement était inapproprié. Selon la demanderesse, la Commission avait tort de supposer que l’assignation aurait été remise dans le respect de la procédure.

[14]           S’agissant du fait que la demanderesse a tardé à quitter la Chine après la descente, celle‑ci affirme qu’elle n’avait aucun contrôle sur le calendrier du passeur. La Commission ne possède aucune expertise à l’égard du passage de clandestins, et la demanderesse fait valoir que bon nombre de raisons pourraient expliquer pourquoi la période écoulée avait été si longue.

[15]           Enfin, la demanderesse affirme qu’il était abusif pour la Commission de ne pas prendre en compte sa connaissance des pratiques du Falun Gong. Cette piste de questionnement n’était qu’un exercice futile étant donné que sa demande serait rejetée, que ses connaissances soient exactes ou non.

V.                Observations écrites du défendeur

[16]           Le défendeur avance que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable et que les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité commandent la retenue. Le défendeur justifie ensuite la décision de la Commission en examinant les arguments de la demanderesse.

[17]           Premièrement, la Commission n’a pas rejeté la croyance de la demanderesse. Elle a plutôt fait observer qu’il était invraisemblable qu’une femme intelligente comme la demanderesse soit convaincue que le Falun Gong pouvait guérir une maladie cardiaque seulement parce que son amie l’avait affirmé.

[18]           Deuxièmement, le défendeur affirme que le témoignage de la demanderesse était évasif et confus. À plusieurs reprises, elle s’est rétractée et contredite et n’a pas répondu directement aux questions portant sur la sécurité de son groupe et sur les guetteurs auxquels le groupe recourait. La demanderesse avait en outre fait dix‑huit années d’études et fréquenté la Shenyang Broadcasting and Television University. Selon le défendeur, il était invraisemblable qu’elle ne sache rien des actes commis par le gouvernement à l’encontre des adeptes du Falun Gong, et le seul argument à l’effet contraire avancé par la demanderesse n’est rien de plus qu’une simple affirmation.

[19]           Troisièmement, le défendeur souligne que quinze membres se trouvaient dans l’immeuble lorsque le groupe avait fait l’objet de la prétendue descente. Il affirme que la Commission pouvait raisonnablement présumer que certains d’entre eux se seraient aussi rendus sur la route principale en quête d’un moyen de transport. Par conséquent, sa conclusion selon laquelle la demanderesse manquait de crédibilité parce qu’elle ne les avait pas remarqués est inattaquable; la Commission est en droit de tirer des conclusions relatives à l’invraisemblance.

[20]           Quatrièmement, la Commission a expressément reconnu que la procédure pour délivrer une assignation n’était pas uniformisée dans l’ensemble de la Chine. Toutefois, le défendeur affirme que l’argument de la demanderesse ne tient pas compte du fait que la Commission avait vu des centaines d’assignations, et que les motifs d’assignation s’y trouvaient toujours.

[21]           Cinquièmement, le défendeur conteste l’argument avancé par la demanderesse au sujet du passeur. Même si la demanderesse affirme que de multiples raisons auraient pu expliquer pourquoi le passeur avait tardé, le défendeur souligne que la demanderesse n’en a nommé aucune à l’audience. La demanderesse n’a jamais contesté la conclusion de la Commission selon laquelle un passeur n’aurait pas exposé son complice à un risque en laissant la demanderesse conserver son passeport.

[22]           Enfin, le défendeur affirme que l’ensemble de la preuve a montré que la demanderesse avait commencé à pratiquer le Falun Gong au Canada dans le seul but d’étayer sa demande d’asile. Il s’agit d’une conclusion raisonnable à la lumière de laquelle il n’est plus pertinent, à juste titre, d’évaluer sa capacité à répondre à des questions simples sur ses croyances.

VI.             Analyse et décision

A.                Première question – Quelle est la norme de contrôle applicable?

[23]           Les deux parties reconnaissent que la norme de contrôle à l’égard des conclusions de la Commission relatives à la crédibilité est celle de la décision raisonnable. Toutes deux ont raison (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL), au paragraphe 4, 160 NR 315 [Aguebor]). La décision de la Commission ne devrait pas être modifiée si elle est justifiée, transparente, intelligible et si la solution retenue se justifie au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47). Autrement dit, j’annulerai la décision du tribunal seulement si je n’arrive pas à comprendre le fondement de ses conclusions ou comment les faits et le droit applicable étayent l’issue (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708).

[24]           En ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité, l’éventail des issues raisonnables est souvent assez vaste. Comme le juge Luc Martineau l’a fait observer, « l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur constitue l’essentiel de la compétence de la Commission » (voir Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, au paragraphe 18, [2003] 4 CF 771 [Mohacsi]). Dans Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 42, [2012] ACF no 369 [Rahal], la juge Mary Gleason affirme que la raison en est que « le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve ». Par conséquent, ses conclusions ne devraient pas être modifiées à la légère.

[25]           Cela dit, la demanderesse a raison d’affirmer qu’elles ne sont toutefois pas à l’abri d’un contrôle (voir Yada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 37 (QL), au paragraphe 25, 140 CFPI 264; Mohacsi, aux paragraphes 18 à 22; Rahal, aux paragraphes 41 à 46).

B.                 Deuxième question – La Commission a‑t‑elle fait une évaluation déraisonnable de la crédibilité de la demanderesse?

[26]           Malgré certains arguments valables avancés par la demanderesse, je souscris en définitive à la position du défendeur selon laquelle la décision de la Commission était raisonnable.

[27]           Tout d’abord, je conviens avec la demanderesse que les suppositions de la Commission au sujet de la descente posaient problème. Même s’il est possible que d’autres membres de son groupe de pratique se soient enfuis en courant vers la route principale, il n’est pas surprenant qu’une personne en état de panique n’y ait pas porté attention. Mais le plus important est qu’il s’agit de détails mineurs qui n’ont aucun lien réel avec sa demande.

[28]           Or, une erreur de cette nature ne suffit pas nécessairement pour établir le caractère déraisonnable d’une décision. Comme la juge Judith Snider l’explique dans Konya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 975, au paragraphe 22, 63 Admin LR (5th) 27, « une analyse microscopique est une analyse dans le cadre de laquelle la Commission examine un fait qui n’est pas très pertinent pour un point quelconque, a moins de poids que d’autres éléments de preuve et ne joue pas un rôle fondamental dans les questions qui sont en litige dans l’affaire, mais dont on se sert pour trancher cette dernière ». La Commission ne s’est pas servie de la conclusion selon laquelle d’autres membres du groupe se seraient rendus sur la route pour trancher l’affaire, et il ne s’agissait que d’un élément mineur dans une conclusion générale quant à la crédibilité qui, du reste, était raisonnable pour les raisons suivantes.

[29]           Tout d’abord, à l’appui de son argument au sujet de la mise en doute de ses croyances par la Commission, la demanderesse renvoie à un extrait de Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 346, au paragraphe 7, 9 Imm LR (4th) 78. Dans ce passage, le juge Donald Rennie déclare que « [l]a Commission n’a pas le droit de faire des conjectures sur la vraisemblance des bienfaits personnels tirés par un revendicateur d’une pratique religieuse ou spirituelle, encore moins de parvenir à une conclusion défavorable sur la crédibilité sur le fondement de telles conjectures ».

[30]           Ce n’est cependant pas ce qui s’est produit en l’espèce. Dans son témoignage, la demanderesse a plutôt affirmé que tout ce qu’elle avait entendu auparavant au sujet du Falun Gong était qu’il s’agissait d’un « culte du mal ». Or, elle a déclaré qu’elle avait immédiatement cru que cette méthode avait guéri la maladie cardiaque de son amie, sur la foi de la déclaration de cette dernière seulement. La Commission a estimé peu vraisemblable que la conversion d’une personne aussi instruite que la demanderesse repose sur une preuve aussi faible. Je ne puis affirmer que cette conclusion était déraisonnable (arrêt Aguebor, au paragraphe 4).

[31]           Quant à son argument suivant, je conviens avec la demanderesse du fait que les affirmations selon lesquelles un groupe est sûr et qu’il a recours à des guetteurs ne sont pas nécessairement incohérentes. La Commission a semblé interpréter la déclaration de la demanderesse selon laquelle il était sûr comme une déclaration signifiant qu’il était généralement sécuritaire de pratiquer le Falun Gong, mais on peut à tout le moins soutenir qu’elle affirmait simplement que son groupe était sûr parce qu’il prenait des précautions, comme avoir recours à des guetteurs.

[32]           Cependant, le fait qu’une autre interprétation du témoignage de la demanderesse puisse aussi être raisonnable ne signifie pas que la décision du commissaire était déraisonnable. Il était présent. Il a observé la demanderesse lorsqu’elle répondait aux questions, et elle a donné des réponses confuses et détournées. Il a qualifié son attitude d’évasive. Il apparaît, à la lumière de la transcription, qu’il s’agissait d’une conclusion raisonnable qu’il lui était loisible de tirer.

[33]           En ce qui concerne les conséquentes précises pour elle et ses parents, je peux comprendre le point de vue de la demanderesse. Il n’est pas si invraisemblable qu’un citoyen moyen ne connaisse pas les conséquences précises que peut entraîner la perpétration d’un acte criminel donné. Toutefois, la Commission a souligné que la demanderesse n’était pas une citoyenne moyenne, qu’elle avait fait dix‑huit années d’études et fréquenté la Shenyang Broadcasting and Television University. La Commission a jugé qu’il était invraisemblable qu’une personne ayant de tels antécédents adopte une pratique qu’elle savait être illégale sans jamais se préoccuper des conséquences possibles. Par ailleurs, la Commission a estimé qu’elle était évasive sur ce point également. À la lumière de ce qui précède, la conclusion de la Commission était raisonnable.

[34]           Le traitement des assignations par la Commission l’était tout autant. La Commission a rejeté les assignations parce qu’elles ne faisaient pas mention des motifs de leur délivrance et parce qu’elle a conclu qu’il était « raisonnable de supposer que l’assignation devrait contenir au moins le motif de sa délivrance ». La Commission avait en outre vu des centaines d’assignations authentiques, et l’infraction commise y était toujours mentionnée.

[35]           La demanderesse critique cette conclusion, faisant observer que la preuve documentaire montre que les assignations doivent seulement mentionner « le nom de la personne, de même que l’heure et le lieu de l’interrogation » (Direction des recherches, Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, RDI CHN42444.EF, Chine : information sur les circonstances dans lesquelles une assignation est délivrée et les autorités responsables de la délivrance (1er juin 2004)). Cependant, ce critère ne vise que les simples assignations (zhuanhuan), tandis que le document soumis par la demanderesse était censément une assignation assortie d’un mandat d’arrestation (juzhuan zheng). Celles‑ci sont délivrées selon une procédure différente, sur présentation d’une demande qui « énoncera clairement, preuves crédibles à l’appui, qu’un crime a été commis, que la personne devant être arrêtée, celle convoquée à l’interrogation, est liée à ce crime et que le suspect risque de ne pas se présenter ». Par conséquent, la Commission était justifiée de supposer que l’assignation délivrée dans le cadre d’un tel processus mentionnerait aussi certains de ces éléments d’information.

[36]           De plus, la Commission a déclaré que la procédure établie n’était pas suivie dans certains endroits en Chine, ce qui a amené la demanderesse à critiquer la Commission pour avoir supposé que l’assignation avait été délivrée selon la procédure habituelle, alors qu’elle ne lui avait même pas été signifiée en personne. Toutefois, comme elle avait constaté que le document était frauduleux, la Commission n’a manifestement pas cru qu’il avait été signifié à la famille de la demanderesse par un agent du Bureau de la sécurité publique. Par conséquent, il n’y a pas lieu de tirer une conclusion de la façon dont la signification aurait été faite.

[37]           Cela dit, le traitement de l’assignation par la Commission posait certains problèmes pour une autre raison. En général, les documents censés avoir été émis par un État étranger sont présumés valides (voir Azziz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 663, au paragraphe 67, 368 FTR 281). La Commission pouvait se fonder sur son expertise pour réfuter cette présomption, mais le commissaire n’a jamais dans les faits précisé à la demanderesse pourquoi l’assignation soulevait des préoccupations. Il a essentiellement tiré des conclusions de fait fondées sur sa propre connaissance auxquelles la demanderesse n’aurait pu s’attendre à répondre, ce qui était injuste. Cependant, compte tenu de mon analyse exposée précédemment, je conclus que le résultat n’aurait pas pu en être influencé.

[38]           Pour ce qui est de l’opération de passage de clandestins, la Commission n’a pas besoin d’être experte en la matière pour conclure qu’un passeur voudrait faire sortir du pays une personne recherchée le plus rapidement possible. Je ne puis affirmer que c’était déraisonnable, et la demanderesse n’a pas contesté les conclusions tirées par la Commission au sujet du passeport.

[39]           Puisque la Commission a raisonnablement conclu que la demanderesse mentait au sujet de sa pratique du Falun Gong en Chine, sa conclusion selon laquelle la demanderesse avait adhéré au mouvement au Canada à la seule fin de renforcer sa demande d’asile frauduleuse était raisonnable. La Commission avait donc raison de ne pas tenir compte de la connaissance du Falun Gong de la demanderesse, car celle‑ci aurait pu l’acquérir au Canada.

[40]           La demanderesse estime que, pour cette raison, les questions de la Commission sur le sujet n’étaient qu’une mascarade futile. Ce n’est pas le cas. Ces questions se sont révélées non pertinentes, mais rien ne permet de penser que la Commission avait pris sa décision avant la fin de l’entrevue. La Commission n’a pas commis d’erreur en posant des questions qui auraient pu être pertinentes pour sa décision, mais qui avec le recul ne l’étaient pas.

[41]           Par conséquent, les conclusions quant à la crédibilité étaient justifiables, et je comprends les motifs qui ont amené la Commission à les tirer.

[42]           Je rejette donc la présente demande de contrôle judiciaire.

[43]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale en vue de sa certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise


ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-2640-13

 

INTITULÉ :

YANYAN MA c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUIN 2014

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 NovembrE 2014

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Monmi Goswami

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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