Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20141106


Dossier : T-2064-13

Référence : 2014 CF 1052

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

TONY TESTAWICH

demandeur

et

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA DUNCAN’S FIRST NATION

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               M. Testawich, le demandeur, est membre de la Duncan’s First Nation, située sur les terres du Traité no 8 dans le Nord‑Ouest de l’Alberta. Le 15 juillet 2013, il a été élu au poste de conseiller. Le 18 novembre 2013, le Comité d’appel de la Duncan’s First Nation (le Comité) lui a retiré cette charge. M. Testawich a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision. Pour les motifs exprimés oralement à l’audience et énoncés ci‑dessous, la demande sera accueillie, et M. Testawich sera rétabli dans la charge pour laquelle il a été élu.

II.                Les faits

[2]               Après les élections et l’assermentation du chef et des conseillers nouvellement élus, M. Denis Knott – un candidat non élu – a interjeté un appel devant le Comité au moyen d’une lettre datée du 7 août 2013. Il alléguait que le demandeur avait contrevenu à la division 4(B) du Duncan’s First Nation Custom Election Regulations (le Règlement), lequel avait été fourni à l’ensemble des candidats avant les élections. Il a joint à l’appui de sa plainte quatre courtes lettres d’autres membres de la Duncan’s First Nation. Dans ces lettres, les auteurs ne faisaient qu’affirmer qu’ils avaient voté pour M. Testawich, mais qu’ils ne savaient pas qu’il avait contrevenu au Règlement.

[3]               Le 4 septembre 2013, le demandeur a reçu un courriel de Conroy Sewepagaham, le gérant de bande, l’informant que le Comité tiendrait une audience sur cette question. En examinant le Règlement sous le régime duquel les élections s’étaient déroulées, le demandeur a découvert qu’il différait de celui utilisé lors des élections antérieures, qu’il avait conservé dans ses dossiers. Il a obtenu la bonne version d’Affaires autochtones et Développement du Nord Canada et a porté cela à l’attention du chef et du conseil. Un avis juridique fut demandé et obtenu, selon lequel les divergences entre la bonne version du Règlement et celle utilisée lors des élections n’étaient pas importantes; on y ajoutait qu’il n’était pas nécessaire de tenir de nouvelles élections.

[4]               Le 10 septembre 2013, le président du Comité a envoyé un courriel à M. Sewepagaham, l’avisant que le Comité ne pouvait entendre l’appel et que le Comité avait lui‑même mis fin à ses fonctions la veille.

[5]               Le 1er octobre 2013, M. Knott a fait parvenir une autre lettre au Comité, dans laquelle il déclarait qu’il [traduction] « faisait de nouveau appel des élections ». Pour ce faire, M. Knott invoquait sa lettre de plainte du 7 août ainsi que sur les quatre lettres qu’il avait déjà présentées à l’appui de son appel.

[6]               Pour l’essentiel, la plainte de M. Knott était fondée sur la division 4(B) de la version du Règlement utilisée pour les élections. La division 4(B), qui est le paragraphe 4.1(2) de la bonne version, énonce ce qui suit :

[traduction]

Un candidat aux élections pour le poste de chef ou un poste de conseiller peut obtenir du président d’élection une liste des noms des électeurs ainsi que les adresses de ceux qui ont consenti à ce que leur adresse soit communiquée aux candidats.

[7]               M. Knott alléguait que le demandeur avait communiqué avec des électeurs qui n’avaient pas donné ce consentement et les avait harcelés.

[8]               Le Comité a tenu une audience le 16 novembre 2013. Il n’existe aucun compte rendu écrit de cette audience. M. Testawich était présent et a fait des observations orales. Le président a invité les membres de la bande à formuler des commentaires, et un certain nombre l’a fait de vive voix. M. Testawich allègue que le président a perdu le contrôle de la réunion et a rejeté ses demandes répétées pour qu’il impose l’ordre et prenne des notes par écrit.

[9]               Le 18 novembre 2013, le demandeur a reçu une copie de la décision du Comité (la Décision). Le libellé complet de la Décision se lit ainsi :

[traduction]

Le Comité d’appel en matière d’élections de la Duncan’s First Nation a tenu aujourd’hui, le 16 novembre 2013, une audience relative à l’appel. Voici la décision rendue par le Comité :

Après avoir entendu et examiné toute la preuve qui nous a été présentée, nous croyons que celle‑ci étaye bel et bien la conclusion suivante :

Aux termes de l’article 12.I.2, il y a eu une violation du règlement sur les élections qui peut avoir influencé les résultats des élections.

La décision du Comité d’appel est de déclarer le retrait immédiat de la charge de Tony Testawich; entrée en vigueur le 18 novembre 2013. Les mesures prises par Tony Testawich avant, pendant et après les élections ont donné lieu au présent retrait de sa charge de conseiller de bande de la Duncan’s First Nation.

Par conséquent, le Comité d’appel a annulé l’élection partielle pour la charge de conseiller qui était détenue par Tony Testawich. Cette élection partielle doit suivre le Duncan’s First Nation Custom Election Regulations, daté du 12 janvier 2006.

Aux termes de la division 12(L), la décision du Comité d’appel est définitive et n’est pas susceptible d’appel.

Signé le 17e jour de novembre 2013.

[Non souligné dans l’original.]

[10]           Il n’y a aucune preuve au dossier concernant l’allégation de [traduction] « mesures prises par Tony Testawich avant, pendant et après les élections », hormis ce qui est allégué dans la lettre de plainte de M. Knott.

[11]           Dans une lettre du chef datée du 18 novembre 2013, M. Testawich a été avisé qu’il était éligible et qu’il pouvait se présenter lors de l’élection partielle. M. Testawich allègue qu’on l’a empêché de le faire. Un autre candidat fut élu pour combler la charge vacante le 7 mars 2014.

III.             Les questions en litige

[12]           À part les différences de numérotation, le libellé de la version du Règlement qui a été utilisée pour les élections du 15 juillet 2013 est identique à celui de la bonne version. Les avocats n’ont pas pu m’indiquer sur quel fondement on pouvait conclure que l’erreur était importante. Par conséquent, je ne traiterai pas davantage de cette question.

[13]           Je suis également d’avis que la plainte de M. Knott n’était pas prescrite, comme le soulignait le demandeur, puisqu’elle avait d’abord été présentée dans le délai de 45 jours prescrit par le Règlement. À la lumière de ma conclusion sur la question de la préclusion ci‑dessous, bien que M. Knott ait qualifié sa lettre subséquente de [traduction] « nouvel appel » [« re‑appeal » en anglais], il n’en demeure pas moins que le Comité n’avait pas rendu de décision sur le fond quant à la première plainte, mais avait simplement sursis à l’examen de l’affaire.

[14]           Les questions qui restent à trancher sont les suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle appropriée?

2.                  Était‑il interdit au Comité de rendre la Décision en raison de la préclusion fondée sur la cause d’action ou du principe de la chose jugée?

3.                  Lorsqu’il a rendu la Décision, le Comité a‑t‑il commis des erreurs dans son interprétation et son application du Règlement?

4.                  Le Comité a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale qu’il avait à l’égard du demandeur?

5.                  Quelles sont les réparations appropriées?

IV.             Analyse

V.                La norme de contrôle

[15]           Il n’est pas contesté que la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), au paragraphe 129; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Metansinine c Première nation d’Animbiigoo Zaagi’igan Anishinaabek, 2011 CF 17, au paragraphe 16.

[16]           Le demandeur, citant Première nation no 195 de Salt River c Martselos, 2008 CAF 221, au paragraphe 32, soutient que l’interprétation, par un comité d’appel en matière d’élections, de règlements sur les élections est aussi susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Toutefois, comme le soulignent les défendeurs, l’arrêt Martselos ne constitue plus un fondement solide pour la norme applicable à l’interprétation des règlements sur les élections. Dans deux arrêts plus récents, la Cour d’appel fédérale a jugé que la norme de la décision raisonnable devait s’appliquer : Première nation de Fort McKay c Orr, 2012 CAF 269 (Orr), aux paragraphes 10 et 11; D’Or c St Germain, 2014 CAF 28 (St Germain), aux paragraphes 5 et 6. Voir aussi Bande indienne de Lower Nicola c York, 2013 CAF 26, au paragraphe 6; Tsetta c Conseil de bande de la Première Nation des Dénés Couteaux‑Jaunes, 2014 CF 396, au paragraphe 22; Ferguson c Lavallee, 2014 CF 569, au paragraphe 63.

A.                Était‑il interdit au Comité de rendre la Décision en raison de la préclusion fondée sur la cause d’action ou du principe de la chose jugée?

[17]           Les défendeurs prétendent que le demandeur ne peut soulever la préclusion fondée sur la cause d’action ou le principe de la chose jugée comme motif de réparation, puisque cela n’est pas clairement énoncé dans son avis de demande modifié. Je ne suis pas d’accord.

[18]           L’alinéa 301e) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, exige que l’avis de demande contienne « un énoncé complet et concis des motifs invoqués ». Les demandeurs ne sont pas autorisés à soulever des motifs de contrôle qui n’ont pas été communiqués dans l’avis de demande ou dans les affidavits à l’appui : République de Chypre (Industrie et Commerce) c International Cheese Council of Canada, 2011 CAF 201, aux paragraphes 11 à 15; Conseil national des femmes métis c Canada (Procureur général), 2005 CF 230, au paragraphe 49, confirmée sans commentaires sur ce point par 2006 CAF 77. Toutefois, l’avis de demande ne constitue pas un acte de procédure et ne doit pas être examiné avec la même rigueur qu’une déclaration : Aventis Canada Inc c Canada (Ministre de la santé), 2005 CF 1396, au paragraphe 21.

[19]           Le demandeur n’emploie pas explicitement les expressions « préclusion fondée sur la cause d’action » ou « principe de la chose jugée » dans son avis de demande, mais je suis convaincu qu’il y a fait suffisamment allusion dans son avis modifié et que le fait que le demandeur a soulevé ces arguments dans son mémoire n’a pas causé de préjudice aux défendeurs. Ceux‑ci ont eu l’occasion de répondre et ont, en réalité, présenté des observations détaillées à la Cour.

[20]           Toutefois, après avoir réfléchi et appliqué les critères énoncés dans Beattie c Canada, 2001 CAF 309, aux paragraphes 27 à 31, et dans Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, au paragraphe 25, je ne suis pas convaincu que le demandeur a démontré que la préclusion fondée sur la cause d’action ou la préclusion pour même question en litige s’applique dans la présente cause. Pour que l’une ou l’autre s’applique, il faut qu’une décision judiciaire définitive ait été rendue. La décision du Comité de mettre un terme à l’affaire ne peut être interprétée comme une décision juridictionnelle définitive sur le fond de la plainte de M. Knott. Le Comité a rendu une décision de nature procédurale de surseoir à l’affaire. Sa décision subséquente – de faire renaître l’appel – était, à mon avis, inéquitable à l’égard du demandeur dans les circonstances, mais ce n’est pas sa décision antérieure qui empêchait le Comité de faire cela.

B.                 Lorsqu’il a rendu la Décision, le Comité a‑t‑il commis des erreurs dans son interprétation et son application du Règlement?

[21]           Comme il a déjà été mentionné, il faut contrôler l’interprétation et l’application du Règlement par le Comité selon la norme de la décision raisonnable. Comme chacun le sait, la Cour suprême a déclaré dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47 :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[22]           Comme les défendeurs l’admettent, le Comité n’étaye pas sa conclusion selon laquelle le demandeur a violé le Règlement par quelque référence à des dispositions spécifiques qu’il pourrait avoir violées, ni par une analyse quelconque de la preuve. Cela ne constitue pas, en soi, un fondement suffisant pour conclure que la Décision était déraisonnable. Selon la Cour suprême du Canada, une cour de révision doit apporter [traduction] « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 48; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (Newfoundland Nurses), au paragraphe 12 [non souligné dans l’original].

[23]           Je conviens avec les défendeurs que, lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard des conclusions factuelles tirées par le décideur. Cela s’applique particulièrement aux décisions rendues par les Premières nations lorsqu’elles interprètent leur règlement électoral et les coutumes de la bande. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a établi que les lois électorales de la bande devaient être interprétées en employant les principes généraux de l’interprétation des lois ainsi que la méthode moderne : Boucher c Fitzpatrick, 2012 CAF 212, au paragraphe 25. Ainsi, lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation : Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54, au paragraphe 10.

[24]           Les défendeurs soutiennent que le demandeur a communiqué de manière inappropriée avec certains membres de la Première nation, contrevenant ainsi à division 4(B) du Règlement. Le Comité pouvait alors accueillir l’appel et annuler les élections, aux termes du paragraphe 12(1).

[25]           Le demandeur soutient que le Comité a commis une erreur dans son interprétation de la division 4(B) du Règlement. Le libellé de cette disposition est précis et non équivoque. Il prévoit qu’un candidat peut obtenir les noms et adresses des électeurs qui ont consenti à la divulgation de ces renseignements – [traduction] « rien de plus, rien de moins ». La division 4(B) ne donne d’aucune façon à penser qu’il est interdit aux candidates de parler aux électeurs qui n’ont pas consenti à la communication de ces renseignements.

[26]           Le demandeur affirme qu’il n’a pas obtenu de renseignements au sujet de candidats qui n’avaient pas donné leur consentement. Il a simplement joint les électeurs qu’il connaissait déjà, principalement des amis et des membres de la famille. Il avait déjà le courriel et les coordonnées Facebook des personnes qu’il aurait, selon M. Knott, harcelées au cours de la campagne.

[27]           La Duncan’s First Nation comprend environ 300 membres. Rien au dossier ne prouve que le demandeur ait obtenu les noms et adresses des électeurs qu’il ne connaissait pas personnellement et qu’il ait sollicité leur appui à l’encontre de leur volonté exprimée.

[28]           La seule chose sur laquelle la Cour peut se baser pour interpréter la Décision est la plainte de M. Knott. Celui‑ci a allégué que le demandeur avait contrevenu à la division 4(B) du Règlement. Il s’agit de la seule allégation que le Comité ait jamais portée à l’attention du demandeur. La Cour peut tirer, et tire effectivement, l’inférence selon laquelle le Comité a appuyé sa décision sur cette disposition en particulier, contrairement à quelque autre allégation qui n’a jamais été divulguée.

[29]           La question est de savoir si le Comité aurait pu justifier sa décision au moyen d’une interprétation et une application raisonnables de la division 4(B). Je souscris à la position du demandeur quant à l’interprétation de la division 4(B).

[30]           La position des défendeurs – selon laquelle toute communication entre un candidat et un électeur n’ayant pas donné de consentement aux termes de la division 4(B) est inappropriée et interdite – ne peut s’appuyer d’aucune manière sur le texte du Règlement. Il est de plus déraisonnable, dans le contexte d’élections démocratiques, d’imposer une interdiction d’une aussi grande portée quant aux communications entre un candidat et les électeurs.

[31]           Le Comité n’a offert aucune explication intelligible pour cette approche, ce qui fait que sa décision de retirer à M. Testawich sa charge n’est pas justifiée au regard des faits et du droit.

C.                 Le Comité a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale qu’il avait à l’égard du demandeur?

[32]           Les parties ne contestent pas le fait que le Comité a une obligation d’équité à l’égard du demandeur. Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Baker), aux paragraphes 21 à 28, la Cour suprême du Canada a énoncé les facteurs pertinents qu’il fallait examiner :

1.      la nature de la décision recherchée;

2.      la nature du régime législatif;

3.      l’importance de la décision pour les personnes visées;

4.      les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

5.      les choix de procédure que le tribunal fait lui‑même.

[33]           Les défendeurs reconnaissent que le demandeur n’a pas reçu d’avis de l’avis de la manière envisagée par le Règlement (courrier recommandé). Les documents d’appel ont été glissés sous les portes de bureau du chef et des conseillers. Toutefois, les défendeurs soutiennent que le demandeur a bel et bien eu un avis de l’audience et des documents à l’appui. Les défendeurs ajoutent que le Règlement n’exige pas du Comité qu’il conserve un dossier écrit des audiences d’appel ou qu’il fournisse des motifs, de sorte que son défaut de faire une de ces choses ne peut constituer un manquement à l’obligation d’équité. Le demandeur était présent lors de l’audience et il a présenté des observations orales. Il a donc choisi de se prévaloir des droits procéduraux qui lui convenaient : Bighetty c Première nation de Barren Lands, 2014 CF 171 (Bighetty), aux paragraphes 52 et 53.

[34]           À mon avis, les facteurs Baker favorisent une obligation se situant à l’extrémité la plus rigoureuse du spectre. Premièrement, le Comité en est arrivé à sa décision au moyen d’un processus ressemblant à celui d’une cour, puisqu’il a la tâche de résoudre des plaintes en se référant au Règlement, lequel établit des droits et des obligations. La Cour suprême du Canada a déclaré que de telles décisions justifiaient un degré élevé d’équité procédurale : Baker, précité, au paragraphe 23. Le fait qu’il n’y a pas d’appel interne dans le régime législatif milite aussi dans cette direction: Baker, au paragraphe 24.

[35]           En soi, la Décision n’a pas d’incidence sur les droits à la liberté et à la sécurité du demandeur et a, par conséquent, une importance moyenne. Toutefois, cela a eu des répercussions sur sa réputation au sein de la collectivité et a aussi privé les membres de la Première nation de leur représentant élu. Le demandeur soutient qu’il s’attendait à ce que l’audience soit équitable sur le plan de la procédure et que le Comité tienne un dossier de l’instance et qu’il fournisse des motifs écrits de sa décision.

[36]           Le défaut de donner un avis formel de la procédure d’appel n’a pas contrevenu à l’obligation d’équités, puisque le demandeur avait effectivement été avisé le 4 septembre et le 4 novembre 2013. L’obligation ne requiert pas l’usage d’une procédure en particulier.

[37]           Toutefois, à mon avis, le Comité a causé un préjudice important au demandeur en omettant de tenir un dossier écrit de l’audience et de la preuve. Cela, ajouté au libellé minimaliste de la décision ultime, a empêché le demandeur de comprendre pourquoi on lui avait retiré sa charge au conseil. En plus, le demandeur allègue que la conduite de l’audience ne s’était pas faite équitablement et qu’elle avait tourné au chaos, parce que le président n’avait pas maintenu l’ordre. La Cour ne peut pas décider si cela s’est réellement produit, en raison de la décision du Comité de ne pas tenir de dossier écrit. Si on avait suivi cette simple procédure, le processus d’appel aurait été plus équitable – et aurait semblé plus équitable – pour chacune des personnes concernées.

[38]           Contrairement aux observations des défendeurs, le simple respect du Règlement ne garantit pas l’équité. La Cour doit examiner l’essentiel de la procédure administrative et s’interroger quant à savoir si cela était conforme aux principes fondamentaux de justice naturelle. Les défendeurs ne peuvent pas non plus invoquer la décision Bighetty, précitée, à l’appui de la proposition selon laquelle le demandeur s’était prévalu des droits procéduraux qui lui convenaient en formulant des observations orales lors de l’audience. Dans la décision Bighetty, la demanderesse avait contesté la validité de la procédure administrative employée contre elle et avait refusé d’accepter la signification des documents pertinents. En l’espèce, le demandeur affirme qu’il a demandé à plusieurs reprises que le président prenne des notes par écrit et impose l’ordre. Les défendeurs n’ont pas expressément contredit cette prétention. Il semble donc que le Comité a nié au demandeur les droits dont il voulait se prévaloir.

[39]           La Cour suprême du Canada a clarifié la situation en déclarant que l’omission de fournir des motifs devrait être contrôlée dans le contexte de l’analyse du caractère raisonnable de la décision même, plutôt que comme un manquement à l’équité procédurale : Newfoundland Nurses, précité, aux paragraphes 21 et 22. En l’espèce, l’insuffisance des motifs du Comité a contribué à ma conclusion selon laquelle la Décision était déraisonnable.

D.                Quelles sont les réparations appropriées?

[40]           Le demandeur sollicite les mesures de redressement suivantes :

1.      une ordonnance déclarant que ses droits procéduraux ont été violés;

2.      une ordonnance annulant la décision du Comité d’appel en raison d’une erreur de droit;

3.      une ordonnance déclarant que l’élection partielle est nulle;

4.      une ordonnance redonnant au demandeur sa charge de conseiller avec une rémunération rétroactive à compter du jour où on lui a retiré sa charge au conseil;

5.      les dépens sur la base procureur‑client ou, subsidiairement, les dépens partie‑partie.

[41]           Les défendeurs soutiennent que le redressement consistant à redonner la charge est inapproprié, en raison de la méfiance qui s’est maintenant installée entre le demandeur et le chef, le conseil ainsi que la Première nation. En outre, les défendeurs affirment que le demandeur a atténué son préjudice en occupant un emploi depuis la Décision, de sorte qu’une rémunération rétroactive complète le placerait dans une meilleure situation que celle dans laquelle il aurait été si on ne lui avait pas retiré la charge de conseiller.

[42]           Je souscris à la proposition selon laquelle il serait approprié d’ordonner l’annulation de la décision du Comité d’appel, de déclarer nulle l’élection partielle et de redonner au demandeur la charge de conseiller. Je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une affaire où il y aurait lieu d’adjuger les dépens sur la base procureur‑client. Le fait que le demandeur ait cherché et obtenu un autre emploi est, à mon avis, sans importance. Il ne s’agit pas d’une action dans laquelle le demandeur aurait une obligation d’atténuer son préjudice. Quoi qu’il en soit, dans la mesure où le demandeur peut tirer quelque avantage du résultat, on lui refusera les dépens sur la base d’une indemnisation complète et cela compensera, dans une certaine mesure, pour les avantages reçus.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      la demande est accueillie;

2.      la décision du Comité d’appel datée du 18 novembre 2013 est annulée;

3.      l’élection partielle tenue le 7 mars 2014 est déclarée nulle;

4.      le demandeur est rétabli dans la charge pour laquelle il a été élu le 15 juillet 2013 et il recevra la rémunération et les avantages auxquels il aurait eu droit depuis cette date si on ne lui avait pas retiré sa charge;

5.      les dépens sont adjugés au demandeur, à l’encontre des défendeurs.

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-2064-13

INTITULÉ :

TONY TESTAWICH c LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA DUNCAN’S FIRST NATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 OCTOBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 6 NOVEMBRE 2014

COMPARUTIONS :

Denis Lefebvre

POUR Le demandeur

Gary Zimmerman

POUr Les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Denis Lefebvre

Durocher Simpson Koehli & Erler LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

POUr Le demandeur

Gary Zimmerman

Avocat

Edmonton (Alberta)

POUr Les défendeurs

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.