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Date : 20141110


Dossier : IMM-493-14

Référence : 2014 CF 1053

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

GWENDOLYN VERBINA MATTHIAS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), et visant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision rendue le 10 janvier 2014 par laquelle un agent principal d’immigration a rejeté la demande présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi par la demanderesse, qui souhaitait que sa demande de résidence permanente soit examinée au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2]               La demanderesse sollicite l’annulation de la décision et demande que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour une nouvelle décision.

[3]               À mon avis, la demande de la demanderesse doit être rejetée pour les motifs suivants.

II.                Faits

[4]               La demanderesse est une femme de 42 ans née à Saint-Vincent-et-les-Grenadines (Saint‑Vincent). Elle est arrivée au Canada le 26 juin 1993, où elle réside depuis, sauf pour une période de trois mois, de septembre à décembre 2000. La demanderesse a toujours résidé avec sa sœur et ses deux nièces.

[5]               Le 21 décembre 1998, sa demande d’asile a été refusée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La Cour fédérale a refusé sa demande de contrôle judiciaire.

[6]               La demanderesse a présenté une première demande pour motifs d’ordre humanitaire le 11 juillet 2011, qui a été refusée.

[7]               Le 2 août 2013, elle a présenté une autre demande pour motifs d’ordre humanitaire qui s’est soldée par le refus qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[8]               Au fil des ans, la demanderesse a noué des liens étroits avec quatre enfants. Elle joue maintenant un rôle prépondérant dans l’éducation de ses deux nièces et, selon sa sœur, elle aide la famille sur le plan financier. En outre, elle travaille comme employée de maison dans un endroit où elle a participé à l’éducation de deux enfants (maintenant adultes) depuis leur tendre enfance.

[9]               La demanderesse fait aussi du bénévolat dans sa collectivité, dans le cadre du programme Après l’école de la Maison Saint Columba.

III.             Décision

[10]           L’agent a mentionné tous les éléments factuels susmentionnés. Il a en outre fait remarquer que le solde du compte bancaire de la demanderesse s’élevait à 9 062,44 $.

[11]            L’agent a ensuite souligné que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle était plus que moyennement établie au Canada. Il a reconnu que la demanderesse avait probablement des liens plus forts au Canada qu’à Saint‑Vincent parce qu’elle occupe un emploi et qu’elle fait du bénévolat dans sa collectivité. Il n’a toutefois pas été établi que la demanderesse éprouverait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait retourner dans son pays de citoyenneté pour demander le statut de résidente permanente. De plus, l’agent a souligné que la demanderesse ne possédait aucun bien d’importance au Canada.

[12]           L’agent s’est alors penché sur la question de l’intérêt supérieur des enfants. Il a souligné les éléments factuels susmentionnés quant aux liens unissant la demanderesse et les enfants. Il a aussi fait remarquer que la demanderesse avait fourni des lettres de sa sœur et de ses nièces où elles soulignent le rôle important qu’elle joue dans leur vie. Enfin, il mentionne que la demanderesse soutient qu’elle aide sa sœur sur le plan financier.

[13]           L’agent a aussi pris en compte de nombreux facteurs liés aux difficultés causées par la séparation géographique des membres de la famille et à celles que pourrait éprouver la demanderesse si elle retourne à Saint‑Vincent. J’ai résumé l’analyse comme suit :

1.                  La demanderesse est considérée comme un membre de la famille de sa soeur.

2.                  La sœur de la demanderesse compte sur cette dernière pour bien des choses, dont pour s’occuper de ses enfants.

3.                  Une séparation géographique causerait des souffrances morales à cette famille, qui devra vivre une période d’ajustement, mais la demanderesse n’a pas établi que l’intérêt supérieur des enfants serait compromis dans ce cas. En particulier :

         la demanderesse n’a pas présenté d’information suffisante quant à la façon dont elle contribue financièrement au bien‑être de ses nièces. Elle n’a pas démontré qu’elle ne pourrait pas fournir de soutien financier à ses nièces à partir de Saint‑Vincent. De plus, elle n’a pas présenté d’information suffisante permettant de conclure que sa sœur ne parviendrait pas à subvenir aux besoins de ses enfants;

         il est vrai que la demanderesse ne serait pas effectivement présente dans la vie de ses nièces, mais elle n’a pas démontré qu’elle ne pourrait pas entretenir une relation significative avec ses nièces grâce à la technologie. De plus, elle n’a pas établi que ses nièces ne pourraient pas venir la voir à Saint‑Vincent.

4.                  La demanderesse n’a pas démontré que ses trois frères et sœurs à Saint‑Vincent ne seraient pas en mesure de l’aider temporairement ou disposés à le faire.

5.                  En déménageant au Canada à un jeune âge, la demanderesse a démontré qu’elle pouvait s’adapter, mais elle n’a pas établi qu’elle ne serait pas capable de reprendre sa vie à Saint‑Vincent.

IV.             Questions

[14]           En l’espèce, les questions sont les suivantes :

1.                  L’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a évalué l’intérêt supérieur des enfants?

2.                  L’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a évalué les conséquences de la séparation des membres de la famille?

Il est possible de répondre à ces questions dans une seule analyse.

V.                Dispositions applicables

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act SC 2001, c 27

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected. Non-application of certain factors

[…]

[…]

Non-application de certains facteurs

Non-application of certain factors

(1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe (1) d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face.

(1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements related to the hardships that affect the foreign national.

VI.             Observations des parties

A.                Observations de la demanderesse

[15]           La demanderesse soutient que l’agent a effectué son analyse sans prendre en compte son allégation portant que son dossier était visé par la section 12.8 du Guide opérationnel IP‑5 de Citoyenneté et Immigration Canada. Ainsi, l’agent a rendu une décision sans prendre en compte ce qui lui avait été présenté et a commis une erreur susceptible de contrôle. En effet, selon la section 12.8, l’agent doit évaluer la situation de chacun des membres de la famille, une attention particulière étant accordée à l’intérêt et à la situation de tout enfant à charge ayant un statut légitime au Canada. Selon la demanderesse, le fait que l’agent n’a pas tenu compte de la section 12.8 du Guide opérationnel IP‑5 rend sa décision déraisonnable (Davis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1243, au paragraphe 23).

[16]           La demanderesse soutient que l’agent a aussi ignoré, à tort, la lettre de sa sœur où celle‑ci dit que, pour elle et ses filles, l’absence de la demanderesse serait « terrible » sur les plans financier et émotif. Ainsi, les conclusions de l’agent selon lesquelles la demanderesse n’a pas présenté d’information suffisante permettant de conclure que sa sœur ne parviendrait pas à subvenir aux besoins de ses enfants en l’absence de la demanderesse sont déraisonnables. De plus, l’agent a fait abstraction des liens étroits unissant la demanderesse à sa sœur et à ses nièces.

B.                 Observations du défendeur

[17]           Au début de son mémoire, le défendeur présente certains des principes fondamentaux du contrôle judiciaire d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[18]           Le défendeur mentionne tout d’abord que le processus de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire établi au paragraphe 25(1) de la Loi est très discrétionnaire et constitue une mesure exceptionnelle. La demanderesse a le fardeau de prouver qu’elle serait aux prises avec des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait solliciter la résidence permanente à partir de Saint‑Vincent, (Mirza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 50, aux paragraphes 2 et 16). Ces difficultés seraient, dans la plupart des cas, le résultat de circonstances échappant au contrôle de la demanderesse et auraient des répercussions disproportionnées pour celle‑ci, compte tenu des circonstances qui lui sont propres (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 11, au paragraphe 19). Toutefois, « les difficultés inhérentes au fait de quitter le Canada ne suffisent pas en soi pour exempter un demandeur aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR » (Singh Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 835, au paragraphe 28).

[19]           Le défendeur souligne qu’il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions d’un agent dans les affaires de demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Ainsi, « la cour devrait s’abstenir de procéder à un nouvel examen du poids accordé par un agent aux différents facteurs » (Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 265, aux paragraphes 19 et 20).

[20]           Le défendeur fait ensuite valoir que l’évaluation de l’agent à l’égard de l’intérêt supérieur des enfants était raisonnable. En réponse à l’allégation de la demanderesse selon laquelle l’agent n’a pas estimé, au moment d’évaluer l’intérêt supérieur des enfants, que la présente affaire était visée par la section 12.8 du Guide opérationnel IP‑5, le défendeur a avancé que ce n’est pas parce que la situation de la demanderesse est visée par le guide opérationnel que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sera automatiquement accueillie. De plus, ce guide opérationnel n’a pas force de loi (Jnojules c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 531, au paragraphe 41 [Jnojules]). Néanmoins, selon le défendeur, les motifs de l’agent montrent qu’il a bel et bien (i) pris en compte les circonstances prévues à la section 12.8 du Guide opérationnel IP‑5, (ii) évalué l’intérêt supérieur des nièces et (iii) évalué les difficultés entraînées par la séparation des membres de la famille.

[21]           Le défendeur soutient en outre que la demanderesse a présenté des preuves insuffisantes pour établir qu’il serait contraire à l’intérêt supérieur des enfants qu’elle soit tenue de présenter sa demande de résidence permanente depuis Saint‑Vincent.

[22]           Le défendeur affirme que, contrairement à ce qu’avance la demanderesse au sujet de la lettre de sa soeur, l’agent en a bel et bien tenu compte. L’agent a toutefois conclu que la demanderesse n’avait pas réussi, faute de preuve suffisante, à établir qu’elle contribuait financièrement au bien‑être de ses nièces.

[23]            Le défendeur soutient que l’analyse de la décision de l’agent montre qu’il a reconnu les difficultés qu’éprouverait la famille de la demanderesse. Il conclut toutefois que l’insuffisance de la preuve présentée à l’appui de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire justifie la décision de l’agent. Le défendeur fait valoir que la décision de l’agent appartient aux issues possibles acceptables et que l’agent a évalué adéquatement tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis.

[24]           Le défendeur souligne qu’il incombe à la demanderesse de prouver le bien‑fondé de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 38, au paragraphe 5; Persaud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1133, aux paragraphes 63 et 64). En effet, le demandeur doit présenter sa cause sous son meilleur jour et veiller à ce que sa « situation personnelle de même que les risques qu’[il] courai[t] soient clairement expliqués à l’agente chargée d’examiner [sa] demande » (Wazid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1415, au paragraphe 24).

[25]           Le défendeur soutient en outre que la demanderesse demande essentiellement à la Cour de réexaminer la preuve. Toutefois, à moins que l’agent en soit arrivé à une conclusion déraisonnable, il n’appartient pas à la Cour de le faire.

[26]           Selon le défendeur, bien que l’agent ait été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt des enfants, il ne faut pas que cet intérêt supplante toutes les autres considérations au moment d’évaluer une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 75 [Baker]). De plus, « [c]e n’est pas parce que l’intérêt des enfants voudra qu’un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada […] que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent » (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 12). La demanderesse ne devrait pas être récompensée pour avoir passé du temps au Canada.

[27]           Enfin, le défendeur fait valoir que la demanderesse n’a pas établi que les difficultés qu’elle éprouverait dépassent les conséquences inhérentes à l’expulsion. En effet, la procédure d’expulsion entraîne normalement des difficultés et une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne doit être acceptée que lorsque ces difficultés dépassent les conséquences inhérentes à l’expulsion (Alexander c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 634, au paragraphe 14).

VII.          Norme de contrôle

[28]           La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’accorder ou non une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18 [Kisana]; Mangru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 779, au paragraphe 10; Toney c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 904, au paragraphe 66) [Toney]).

[29]           La demanderesse soutient qu’appliquer le mauvais critère ou ignorer les facteurs pertinents au moment d’évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant est une question à examiner en fonction de la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mathew, 2007 CF 685, au paragraphe 22). Toutefois, comme il est expliqué ci‑après, je suis d’avis qu’en l’espèce, l’intérêt supérieur des enfants a fait l’objet d’une évaluation et qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable (Toney, aux paragraphes 68 et 69; Jnojules, aux paragraphes 16 et 41).

[30]           Dans une décision portant sur une affaire semblable à celle qui nous occupe, le juge O’Reilly a examiné selon la norme de la décision raisonnable si une agente avait suffisamment tenu compte de l’établissement de la demanderesse au Canada et des répercussions que son départ aurait sur l’intérêt supérieur d’une douzaine d’enfants (John c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 96, aux paragraphes 18 et 19). De plus, dans la décision Frank c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 270, au paragraphe 15, le juge Martineau a appliqué la norme de la décision raisonnable dans une affaire où le demandeur s’appuyait sur le Guide opérationnel IP‑5 pour faire valoir que la décision d’une agente devait être annulée.

VIII.       Analyse

[31]           Je souscris dans l’ensemble aux arguments du défendeur.

[32]           Avant de procéder à l’analyse de la présente affaire, il convient d’examiner les indications du juge Martineau dans la décision Frank, aux paragraphes 20 et 21, quant au recours à ce guide opérationnel :

[20]      Dans sa demande, le demandeur s’appuie largement sur le Guide opérationnel IP-5 Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (le Guide opérationnel IP-5) et sur la décision John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 85 (CanLII), au paragraphe 7 (John), rendue récemment par notre Cour, pour faire valoir que l’agente aurait dû examiner précisément sa situation familiale de fait puisqu’elle avait été clairement soulevée par les faits tels qu’ils lui avaient été présentés.

[21]      Bien qu’il ait été établi à plusieurs reprises que les guides opérationnels n’ont pas force de loi et ne sont pas contraignants, ils constituent néanmoins des lignes directrices utiles aux agents d’immigration lorsqu’ils exercent leurs fonctions (John, précitée, au paragraphe 7).

 [Mon soulignement.]

[33]           Selon la demanderesse, l’agent n’a pas évalué adéquatement la situation de tous les membres de sa famille et l’intérêt supérieur des enfants. Elle soutient en outre que l’agent n’a pas analysé tous les éléments de preuve qu’elle a fournis, en particulier la lettre de sa sœur.

[34]           Selon moi, la décision de l’agent montre qu’il a soupesé tous les éléments de preuve et pris en compte les facteurs liés à l’intérêt supérieur des enfants. Je souscris à l’affirmation du défendeur selon laquelle une simple lecture de la décision confirme qu’elle a été rendue après une analyse complète de la preuve ainsi que de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et des observations de la demanderesse. Les passages suivants se trouvant à la page 4 de la décision de l’agent me convainquent que les principaux facteurs ont été pris en compte :

[traduction]

La demanderesse a fourni des lettres de sa sœur et de ses nièces où elles mentionnent le rôle qu’elle joue dans leur vie. La demanderesse affirme aussi qu’elle aide sa sœur sur le plan financier et s’occupe de ses nièces au besoin.

Je suis conscient de la relation qu’entretient la demanderesse avec ses nièces et sa sœur. La demanderesse est considérée comme un membre de la famille et sa sœur compte sur elle pour l’aider. […] Toutefois, je ne dispose pas d’information quant à la façon dont la demanderesse contribue financièrement au bien‑être de ses nièces. En outre, il est probable qu’une séparation géographique entre elle et ses nièces entraîne des difficultés pour tous les membres de la famille, mais je ne dispose pas assez d’information pour conclure que l’intérêt supérieur des enfants de la sœur de la demanderesse serait compromis si cette dernière était tenue de présenter sa demande de résidence permanente au Canada depuis Saint‑Vincent. Dans cette situation, la demanderesse ne pourrait pas être effectivement présente dans la vie de ses nièces, mais je ne dispose pas assez d’information pour conclure qu’elle ne pourrait pas entretenir une relation significative avec ses nièces grâce à la technologie actuelle […].

La demanderesse éprouvera certes des difficultés si elle est séparée de sa sœur et de ses nièces […], mais elle n’a pas démontré qu’elle ne serait pas en mesure de maintenir un lien et d’entretenir une relation avec ses êtres chers ou d’aider financièrement sa sœur au besoin […]. De plus, aucune information à ma disposition ne semble indiquer que la sœur de la demanderesse ne pourrait pas subvenir aux besoins de ses enfants.

[Mon soulignement.]

[35]           J’ai examiné la décision de l’agent et j’estime qu’il était attentif, réceptif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants. Conformément à la section 12.8 du Guide opérationnel IP‑5, il a pris en compte la situation de chacun des membres de la famille en accordant une attention particulière à l’intérêt des enfants. L’agent a reconnu et soupesé les souffrances morales qu’éprouverait la famille de la demanderesse. L’agent a néanmoins conclu que les preuves étaient insuffisantes pour établir que l’intérêt supérieur des enfants serait compromis.

[36]           Il est bien établi en droit que l’intérêt supérieur des enfants est un facteur important dont doit tenir compte l’agent d’immigration dans une affaire comme celle‑ci, mais il n’appartient pas à la Cour de réexaminer le poids accordé aux différents éléments de preuve, pourvu que l’agent ait été réceptif, attentif et sensible à ce facteur (Kisana, au paragraphe 23; Baker, au paragraphe 75). Comme le mentionne le juge Nadon dans l’arrêt Kisana, au paragraphe 24, « un demandeur ne peut s’attendre à une réponse favorable à sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire simplement parce que l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur de ce résultat ».

[37]           En outre, il incombait à la demanderesse de prouver les allégations figurant dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Kisana, au paragraphe 35). J’estime qu’il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent de conclure que la demanderesse ne s’était pas acquittée de ce fardeau de preuve. Contrairement à ce qu’elle avance, je ne pense pas que l’agent a ignoré la lettre de sa sœur. En effet, l’agent a fait remarquer que la demanderesse avait [traduction] « fourni des lettres de sa sœur et de ses nièces où elles mentionnent le rôle qu’elle joue dans leur vie », mais a conclu qu’elle n’avait pas réussi, faute de preuve suffisante, à établir que les besoins financiers de ses nièces ne seraient pas comblés si elle devait solliciter la résidence permanente depuis Saint‑Vincent.

[38]           Comme l’a fait valoir le défendeur, la demanderesse aurait pu présenter des pièces justificatives objectives de sa contribution financière, comme des relevés bancaires ou des factures d’électricité, mais elle ne l’a pas fait. L’allégation figurant dans la lettre de la sœur de la demanderesse ne donnait pas assez de détails sur l’aide financière que cette dernière fournissait à la famille. Outre la simple affirmation dans cette lettre, aucune preuve objective n’établit que la sœur ne serait pas en mesure de subvenir aux besoins de ses enfants. L’agent a donc raisonnablement conclu que l’information produite à l’appui de cette allégation était insuffisante.

IX.             Conclusions

[39]           Pour les motifs susmentionnés, la demande doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR :

1.      rejette la demande de contrôle judiciaire;

2.      ne certifie aucune question de portée générale.

« George R. Locke »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Yves Labrecque, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-493-14

 

 

INTITULÉ :

GWENDOLYN VERBINA MATTHIAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 2 SEPTEMBre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

le 10 NOVEMBre 2014

 

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszcynski

 

POUR La DEMANDEresse

 

Margarita Tzavelakos

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gruszczynski Romoff

Avocats

Westmount (Québec)

 

POUR La DEMANDEresse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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