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Date : 20141023


Dossier : IMM-1217-14

Référence : 2014 CF 1009

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 23 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Beaudry

ENTRE :

BADRA ALY DIARRA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR] en date du 23 janvier 2014. La SAR a confirmé la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR] le 25 septembre 2013 selon laquelle le demandeur n’avait ni qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.

[2]               La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs suivants.

Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen du Mali. Il est arrivé au Canada en 2009, muni d’un visa d’étudiant.

[4]               En mars 2012, après un coup d’état survenu au Mali, le domicile de la famille du demandeur et le commerce de son beau‑père ont été saccagés par des militaires en raison des contrats commerciaux que le beau‑père avait passés avec le gouvernement du Mali.

[5]               Le demandeur affirme que son beau‑père, un Néerlandais, a envoyé son épouse et ses enfants aux Pays‑Bas. Le beau‑père est resté au Mali pendant quelques mois avant d’aller rejoindre sa famille là‑bas.

[6]               Étant donné que sa famille avait quitté le pays pour le Mali, le demandeur a cessé de recevoir de l’argent de son beau‑père, entre autres pour le paiement de ses droits de scolarité.

[7]               Le demandeur a présenté une demande d’asile en juillet 2013.

[8]               La SPR a instruit la demande d’asile du demandeur le 23 septembre 2013 et elle a rendu sa décision et ses motifs le 25 septembre 2013. Essentiellement, la SPR ne remettait pas en question les faits allégués qui seraient survenus à la suite du coup d’état en mars 2012, mais faisait remarquer qu’un climat de violence avait sévit de façon générale pendant une courte période de temps. Elle n’estimait pas crédibles les allégations subséquentes du demandeur. La SPR a aussi conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’il avait qualité de réfugié ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[9]               Le demandeur affirme avoir reçu le 24 septembre 2013 une lettre de son beau‑père corroborant son exposé des faits (dossier du tribunal, à la page 40).

[10]           Le 27 septembre 2013, le demandeur a transmis cette lettre à la SPR. La lettre lui a toutefois été renvoyée, car la SPR avait déjà rendu sa décision.

[11]           Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR et présenté la lettre de son beau‑père à titre de nouvel élément de preuve. Par la suite, le demandeur a demandé qu’une audience soit tenue devant la SAR en application du paragraphe 110(6) de la LIPR.

[12]           La SAR a rendu sa décision le 23 janvier 2014.

[13]           Dans sa décision, la SAR a souligné que la recevabilité des nouveaux éléments de preuve était déterminée par le paragraphe 110(4) de la LIPR. Elle a ensuite indiqué qu’au moment où la décision avait été rendue, il n’existait pas de jurisprudence portant sur l’application du paragraphe susmentionné; par conséquent, elle s’était fondée sur l’interprétation d’une disposition pertinente de la LIPR faite par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], soit l’alinéa 113a) traitant de l’examen des risques avant renvoi [ERAR]. La SAR a considéré que le libellé et l’effet de l’alinéa 113a) étaient semblables à ceux du paragraphe 110(4).

[14]           Sur la base des critères exposés dans Raza, la SAR a conclu que la lettre du beau‑père ne répondait pas à deux critères, soit ceux de la crédibilité et du caractère substantiel. La SAR a tiré cette conclusion parce que la lettre n’était pas adressée précisément au tribunal, et que l’adresse du beau‑père n’y figurait pas. De plus, la lettre n’avait pas été notariée et elle n’aurait pas influé sur la décision de la SPR si elle avait été admise comme élément de preuve avant que le tribunal ne rende sa décision de rejeter la demande du demandeur.

[15]           Compte tenu de cette conclusion, la SAR a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’instruire l’appel du demandeur.

[16]           La SAR a ensuite traité de la question de la norme de contrôle. Elle a souligné que la SAR n’effectue pas un contrôle judiciaire de la décision de la SPR. L’affaire dont la SAR est saisie ressemble plutôt à une procédure d’appel devant une cour. Toutefois, compte tenu de l’absence de directives claires dans la jurisprudence, la SAR a appliqué les principes énoncés dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Elle a conclu que puisque l’affaire soulevait des questions de crédibilité, la norme de contrôle applicable en l’espèce était celle de la décision raisonnable.

[17]           La SAR a ensuite analysé les conclusions de la SPR en gardant à l’esprit la norme de la décision raisonnable et confirmé que la décision était raisonnable.

[18]           Le demandeur soulève plusieurs questions, mais une seule d’entre elles suffit à renvoyer l’affaire pour qu’il soit procédé à un nouvel examen, soit celle de la norme de contrôle adoptée par la SAR.

Position des parties

[19]           La question du rôle de la SAR dans l’appel d’une décision de la SPR est centrale en l’espèce. Dans les derniers mois, la Cour a rendu des décisions dans lesquelles elle décrivait différentes approches à suivre pour déterminer la norme selon laquelle les appels devant la SAR devaient être tranchés.

[20]           La première approche, qui est préconisée par la SAR en l’espèce, consiste à suivre les principes de contrôle judiciaire utilisant la norme de la décision raisonnable pour évaluer la décision de la SPR. Cette approche a été rejetée par la Cour dans Alyafi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 952, au paragraphe 39 [Alyafi].

[21]           La deuxième approche consiste à utiliser la norme de contrôle que doivent appliquer les cours d’appel et qui est énoncée dans Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235, qui est celle de l’« erreur manifeste et dominante ». Une telle approche a été adoptée dans Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 702 [Alvarez].

[22]           La troisième approche proposée dans Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica], préconise une forme d’appel hybride.

[23]           Après avoir d’abord argumenté en faveur de la norme de la décision correcte, le demandeur fait valoir, à la lumière de récentes décisions, que la SAR devrait adopter une forme d’appel hybride pour évaluer les appels interjetés à l’encontre de décisions de la SPR.

[24]           En revanche, le défendeur estime que la SAR n’a pas commis d’erreur en examinant l’analyse de la crédibilité effectuée par la SPR d’après la norme de la décision raisonnable. À l’appui de cette position, le défendeur nous demande de tenir compte de la décision de la Cour dans Njeukam c Canada (Citoyeneté et Immigration), 2014 CF 859, où le juge Locke a déclaré ce qui suit :

[14] Sauf dans les cas où la crédibilité d’un témoin est critique ou déterminante, ou lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier vis‑à‑vis la SAR afin de tirer une conclusion spécifique, la SAR ne doit faire preuve d’aucune déférence à l’endroit de l’analyse de la preuve faite par la SPR : voir Huruglica, aux paras 37 et 55. La SAR a autant d’expertise que la SPR, et peut‑être plus relativement à l’analyse des documents pertinents et des représentations des parties.

[…]

[18] La question de la norme de contrôle n’est pas déterminante dans ce cas‑ci, parce que la conclusion décisive de la SPR concerne la crédibilité de la demanderesse. Donc, même suivant Huruglica, la SAR avait raison de déférer à la conclusion de la SPR.

[25]           De plus, le défendeur affirme que d’après la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Front des artistes canadiens c Musée des beaux‑arts du Canada, 2014 CSC 42, il était raisonnable pour la SAR d’appliquer la norme de la décision raisonnable pour analyser la décision de la SPR.

[26]           Quoi qu’il en soit, le défendeur affirme que la décision devrait être maintenue, sans égard à la norme de contrôle appliquée par la SAR.

Analyse

[27]           Dans Alyafi, le juge Martineau établit clairement qu’en appliquant la norme de contrôle judiciaire de la décision raisonnable, la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle; voir le paragraphe 46. La SAR n’est pas saisie du contrôle judiciaire des décisions de la SPR. Le commissaire de la SAR a reconnu ce fait en l’espèce dans la section consacrée aux motifs contestés, au paragraphe 35, où il a déclaré :

Bien que la SAR ne procède pas à un contrôle judiciaire des décisions de la SPR, mais qu’elle agisse plutôt en instance d’appel, au sein du même tribunal administratif qu’est la CISR, j’estime qu’à défaut d’indications plus directes des tribunaux supérieurs, il est possible d’appliquer à la SAR les principes développés dans l’affaire Dunsmuir.

[28]           Cependant, le commissaire a effectué un contrôle judiciaire de la décision de la SPR au moyen de la norme de la décision raisonnable telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Dunsmuir.

[29]           Par conséquent, la SAR a commis une erreur en appliquant la norme de la décision raisonnable et, pour ce seul motif, l’affaire doit être renvoyée à la SAR.

[30]           De plus, la Cour souligne que les deux mêmes questions concernant le rôle de la SAR dans l’examen des appels interjetés à l’encontre des décisions de la SPR ont été certifiées dans les affaires Huruglica et Spasoja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 913.

[31]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier. La Cour de sa propre initiative aurait certifié une question grave de portée générale portant sur la conclusion que la SAR aurait pu tirer relativement aux appels interjetés à l’encontre des décisions de la SPR. Cette question a été soulevée dans les deux affaires susmentionnées. Par conséquent, la Cour ne certifie pas de question sur ce même point.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1217-14

 

INTITULÉ :

BADRA ALY DIARRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 OctobrE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 OctobrE 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Jessica Lipes

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Lynne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Jessica Lipes

Avocate

Montréal (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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