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Date : 20141103


Dossier : T-2088-13

Référence : 2014 CF 1035

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Toronto (Ontario), le 3 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

MUHAMAD MIRI MANSUR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   La nature de l’instance

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision d’une juge de la citoyenneté datée du 1er novembre 2013, par laquelle elle rejetait la demande de citoyenneté présentée par M. Muhamad Miri Mansur [le demandeur] au motif qu’il était sous le coup d’une mesure de renvoi et qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence de résidence pour l’obtention de la citoyenneté.

[2]               Compte tenu de l’analyse ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

II.                Les faits

[3]               Le demandeur a 43 ans, il est citoyen des États‑Unis et il a le statut de résident au Liban. Son épouse est une citoyenne canadienne qui vit avec leurs enfants au Liban.

[4]               Le demandeur est venu au Canada à titre de résident permanent le 28 septembre 2006.

[5]               Le demandeur a voyagé dans divers pays au cours des ans, autant pour des impératifs d’affaires que pour des raisons personnelles. Suivant l’un de ses retours au Canada (le 5 novembre 2012), une mesure de renvoi a été prise contre lui, en raison du fait qu’il ne satisfaisait pas à l’obligation de résidence pour l’obtention du statut de résident permanent (cette obligation est différente de celle relative à la citoyenneté). Cette mesure de renvoi fait l’objet d’une demande distincte de contrôle judiciaire qui est en instance et qui était aussi en instance lors de l’audience devant la juge de la citoyenneté le 10 juillet 2013, laquelle a conduit à la décision faisant l’objet du contrôle dans le cadre de la demande en l’espèce.

[6]               De 1998 à 2000, le demandeur travaillait au Texas pour la société Telscape International. De 2000 à 2005, le demandeur travaillait à Boston pour la société Sonus Networks [Sonus]. De 2006 à 2012, le demandeur était travailleur autonome (consultant en télécommunications) au Canada. Le demandeur allègue qu’il est retourné travailler pour la société Sonus en 2012.

[7]               Le 8 septembre 2010, le demandeur a présenté une demande en vue d’obtenir la citoyenneté canadienne. Conformément à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 [la Loi], le demandeur devait, dans les quatre ans qui ont précédé le 8 septembre 2010, résider au Canada pendant au moins trois ans en tout (1 095 jours). Le demandeur allègue qu’il a résidé 1 163 jours au Canada en tout au cours de cette période.

[8]               Comme il a été mentionné, le demandeur s’est présenté devant la juge de la citoyenneté le 10 juillet 2013 pour son audience. Compte tenu de l’existence de la mesure de renvoi contre le demandeur, la juge de la citoyenneté l’a informé qu’elle devait rejeter sa demande de citoyenneté. Au cours de l’audience, lorsque le demandeur a offert à la juge de la citoyenneté de produire des éléments de preuve supplémentaires quant à sa résidence au cours de la période pertinente (en réponse aux préoccupations qu’elle avait quant à la crédibilité de ses allégations, ainsi que pour démontrer que la mesure de renvoi était irrégulière), la juge de la citoyenneté a mentionné que cela était inutile, parce que la mesure de renvoi l’empêchait d’obtenir la citoyenneté.

[9]               Le demandeur allègue que, au cours de l’audience, la juge de la citoyenneté a examiné certains documents qu’elle avait obtenus de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] relativement à la mesure de renvoi, mais qu’elle ne les lui avait jamais montrés. Le demandeur allègue que ces documents contenaient des renseignements erronés à propos de lui et de sa famille et que la juge de la citoyenneté s’était fondée sur ces documents pour rendre sa décision.

[10]           Le 27 août 2013, la juge de la citoyenneté a rendu sa décision par laquelle elle rejetait la demande de citoyenneté du demandeur, au titre des alinéas 5(1)c) (n’a pas résidé assez de jours au Canada) et de l’alinéa 5(1)f) (mesure de renvoi) de la Loi. Le 1er novembre 2013, le demandeur a été informé que sa demande avait été rejetée.

III.             La décision

A.                Les motifs de la décision datée du 27 août 2013

[11]           La juge de la Citoyenneté a tout d’abord constaté que le demandeur alléguait être resté 1 163 jours en tout au Canada. Par conséquent, elle a conclu que le demandeur, à première vue, répondait au seuil minimal de 1 095 jours exigé par l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

[12]           Dans sa décision, la juge de la citoyenneté a mentionné que [traduction] « le cas du demandeur était loin d’être habituel », parce qu’il était sous le coup d’une mesure de renvoi. Elle a aussi mentionné qu’elle avait reçu un rapport [traduction] « de l’Immigration », qui faisait mention de certains faits concernant la résidence du demandeur (faits que le demandeur réfute). Ce rapport contient des renseignements portant que, à son arrivée au Canada en novembre 2012, le demandeur aurait prétendument mentionné aux agents de l’ASFC, entre autres, que (i) il ne vit pas au Canada, mais que sa femme y vit; (ii) il vit au Liban avec son épouse qui a la citoyenneté canadienne et leurs deux enfants depuis 2004, et (iii) il vit aux Émirats arabes unis et il y travaille pour Sonus.

[13]           La juge de la citoyenneté a ensuite fait remarquer que, bien que l’estampille qui figure sur le deuxième passeport du demander indique qu’il est retourné au Canada le 24 septembre 2009, le demandeur n’a pas déclaré cette absence. La juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur avait omis de divulguer au moins un voyage à l’étranger. La juge de la citoyenneté a de ce fait conclu que le demandeur n’avait pas produit suffisamment de renseignements pour lui permettre d’effectuer une analyse quantitative du nombre de journées qu’il avait passées à l’extérieur du Canada. Elle a ensuite conclu, à la lumière des contradictions exposées ci‑dessus, que le demandeur ne pouvait pas être considéré comme étant crédible.

[14]           En dernier lieu, la juge de la citoyenneté a fait remarquer que le demandeur n’était pas admissible à l’obtention de la citoyenneté parce qu’il était sous le coup d’une mesure de renvoi.

B.                 La lettre datée du 1er novembre 2013 qui informe le demandeur de la décision

[15]           Dans une lettre datée du 1er novembre 2013, la juge de la citoyenneté a informé le demandeur que sa demande en vue d’obtenir la citoyenneté canadienne avait été rejetée. Cette lettre mentionnait que le demandeur ne satisfaisait pas à l’obligation de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, et qu’il n’avait pas produit la documentation supplémentaire qu’on lui avait demandée. La lettre l’informait aussi que sa demande en vue d’obtenir la citoyenneté canadienne avait été rejetée du fait qu’il était sous le coup d’une mesure de renvoi.

[16]           En dernier lieu, la juge de la citoyenneté a mentionné dans cette lettre que le demandeur [traduction] « n’a pas produit de documentation à l’appui d’une recommandation favorable quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire » au titre du paragraphe 5(4) de la Loi. Le paragraphe 5(4) prévoit que le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire d’attribuer la citoyenneté à toute personne, malgré le fait que cette dernière ne se conforme pas aux exigences de la Loi. Ce pouvoir discrétionnaire peut être exercé suivant la recommandation d’un juge de la citoyenneté.

IV.             Les questions en litige

[17]           Le demandeur soulève plusieurs questions en litige dans la présente affaire; toutefois, il n’est nécessaire de trancher qu’une seule d’entre elles :

1.      La juge de la citoyenneté a‑t‑elle commis une erreur en refusant de faire une recommandation favorable au titre du paragraphe 5(4) de la Loi.

[18]           Les parties semblent convenir qu’une mesure de renvoi est en vigueur et que l’existence d’une mesure de renvoi, même si elle fait l’objet d’un contrôle judiciaire, ne donne à la juge de la citoyenneté d’autre choix que de conclure que les exigences exposées à l’alinéa 5(1)f) de la Loi n’ont pas été satisfaites. Toute mésentente quant au nombre de jours de résidence n’est donc pas pertinente en l’espèce, parce que la mesure de renvoi a de toute manière pour effet de bloquer l’octroi la citoyenneté. La juge de la citoyenneté n’a pas le pouvoir d’interrompre son instance ou d’y surseoir dans l’attente du contrôle judiciaire de la mesure de renvoi. La seule question qui reste est celle de savoir si la demande de citoyenneté du demandeur peut être sauvegardée par le paragraphe 5(4) de la Loi. 

[19]           Plus précisément, le demandeur prétend que la juge de la citoyenneté, lorsqu’elle a refusé de faire la recommandation pour qu’on lui accorde la citoyenneté conformément au paragraphe 5(4) de la Loi, a omis de tenir compte de l’irrégularité alléguée de la mesure de renvoi. À l’appui de cet argument, le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté ne disposait pas de tous les renseignements pour tirer une conclusion quant à la question de savoir si la mesure de renvoi était irrégulière (parce qu’elle avait refusé de lui permettre de produire de tels renseignements à l’audience), et effectivement, la juge de la citoyenneté avait même refusé de se pencher sur la question de savoir si le renvoi était régulier.

V.                Les dispositions applicables

Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29

(Note : Version antérieure : en vigueur entre le 17 avr. 2009 et le 5 févr. 2014)

Citizenship Act, L.C. R.S.C., 1985, c. C-29 (Note: Previous version: in force between Apr 17, 2009 and Feb 5, 2014)

2. (2) Pour l’application de la présente loi :

2. (2) For the purposes of this Act,

c) une mesure de renvoi reste en vigueur jusqu’à, selon le
cas :

(c) a person against whom a removal order has been made remains under that order

(i) son annulation après épuisement des voies de recours devant la section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada,

(i) unless all rights of review by or appeal to the Immigration Appeal Division of the Immigration and Refugee Board, the Federal Court of Appeal and the Supreme Court of Canada have been exhausted with respect to the order and the final result of those reviews or appeals is that the order has no force or effect, or

(ii) son exécution.

(ii) until the order has been executed.

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[…]

[…]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

[…]

[…]

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

[…]

[…]

(4) Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d’ordonner au ministre d’attribuer la citoyenneté à toute personne qu’il désigne; le ministre procède alors sans délai à l’attribution.

(4) In order to alleviate cases of special and unusual hardship or to reward services of an exceptional value to Canada, and notwithstanding any other provision of this Act, the Governor in Council may, in his discretion, direct the Minister to grant citizenship to any person and, where such a direction is made, the Minister shall forthwith grant citizenship to the person named in the direction.

14. (1) Dans les soixante jours de sa saisine, le juge de la citoyenneté statue sur la conformité — avec les dispositions applicables en l’espèce de la présente loi et de ses règlements — des demandes déposées en vue de :

14. (1) An application for

a) l’attribution de la citoyenneté, au titre des paragraphes 5(1) ou (5)

(a) a grant of citizenship under subsection 5(1) or (5),

 

[…]

 

shall be considered by a citizenship judge who shall, within sixty days of the day the application was referred to the judge, determine whether or not the person who made the application meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application.

VI.             Analyse

A.                La norme de contrôle applicable

[20]           La question de savoir si la juge de la citoyenneté a commis une erreur dans sa décision de ne pas faire la recommandation portant que le gouverneur en conseil exerce son pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 5(4) de la Loi est une question susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Zahra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 444, au paragraphe 9). Il convient de faire preuve d’une grande déférence à l’égard de la juge de la citoyenneté dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 5(4) de la Loi (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 593, au paragraphe 9).

[21]           Cependant, en l’espèce, le différend ne se rapporte pas à l’exercice par la juge de la citoyenneté de son pouvoir discrétionnaire. En fait, il concerne surtout son omission (i) d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, et (ii) de même tenir compte de tous les renseignements accessibles et nécessaires pour se pencher sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Cela semble être une question d’équité procédurale, qui devrait être contrôlée selon la norme de la décision correcte (Uluk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 122, au paragraphe 16; El-Kashef c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1151, au paragraphe 11).

B.                 La juge de la citoyenneté a‑t‑elle commis une erreur en refusant de faire une recommandation favorable au titre du paragraphe 5(4) de la Loi?

[22]           Le demandeur prétend que, dans l’appréciation de la question de savoir si une recommandation favorable devrait être faite au titre du paragraphe 5(4), la juge de la citoyenneté aurait dû (i) lui donner l’occasion, au cours de l’audience, de répondre à ses préoccupations à propos de la conformité à l’obligation de résidence; (ii) tenir compte de la preuve qu’il a produite à l’audience pour démontrer qu’il avait  résidé au Canada pendant plus que 1 095 jours entre le 28 septembre 2006 (lorsqu’il est devenu résident permanent), et le 8 septembre 2010 (lorsqu’il a présenté sa demande de citoyenneté); (iii) lui donner la possibilité de présenter des commentaires au sujet des notes reçues par la juge de la citoyenneté qui provenaient de l’ASFC au sujet de la mesure de renvoi et d’y répondre, et (iv) se pencher sur la question de savoir si la mesure de renvoi avait été prise de manière irrégulière.

[23]           Évidemment, tout cela peut être pertinent quant à la présente demande uniquement si l’irrégularité d’une mesure de renvoi pouvait être un exemple valide de « situation particulière et inhabituelle de détresse » au sens du paragraphe 5(4) de la Loi.

[24]           Aucun précédent traitant directement de ce sujet n’a été invoqué. Le juge Russell a expliqué, dans la décision Ayaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 701, aux paragraphes 50 et 51 [Ayaz], la portée et le sens de l’expression « une situation particulière et inhabituelle de détresse »:

La jurisprudence se rapportant à la « situation particulière et inhabituelle de détresse » au titre du paragraphe 5(4) de la Loi n’est pas aussi bien établie par exemple que celle qui concerne les difficultés au sens du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Bien qu’il n’existe aucun critère fermement établi relatif aux « situation[s] particulière[s] et inhabituelle[s] de détresse » au titre du paragraphe 5(4) de la Loi, les observations suivantes du juge Walsh dans la décision Re Turcan (T-3202, 6 octobre 1978, CFPI), qu’il a reproduites dans la décision Naber-Sykes (Re), [1986] 3 CF 434, 4 FTR 204 (Naber-Sykes) demeurent valides et sont un bon point de départ :

Naturellement, l’appréciation de ce qui constitue « une situation particulière et exceptionnelle de détresse » est une appréciation subjective et il se peut que cette appréciation soit différente selon qu’elle émane des juges de la citoyenneté, des juges de la Cour de céans, du Ministre ou du gouverneur en conseil. Certes, le simple fait de ne pas avoir la citoyenneté canadienne ou d’avoir à attendre plus longtemps avant de l’acquérir n’est pas en soi une situation « particulière et exceptionnelle de détresse », mais dans les cas où ce retard entraîne la séparation des familles, la perte d’un emploi, l’inutilisation de compétences professionnelles et de talents spéciaux et où le Canada est privé de citoyens désirables et hautement qualifiés, il semble qu’après avoir rejeté la demande par suite d’une interprétation nécessairement stricte et des conditions de résidence prévues par la Loi, lesquelles n’ont pu être remplies pour des raisons indépendantes de la volonté du requérant, le juge doit recommander au ministre de faire intervenir le gouverneur en conseil […]

[…]

La Cour doit plutôt se demander aussi si les conséquences d’une application stricte de ces exigences, et donc le refus de la citoyenneté, imposeraient au demandeur ou à sa famille des difficultés allant au-delà de l’octroi tardif de la citoyenneté ellemême. Par exemple, dans l’affaire Naber‑Sykes, la demanderesse, qui avait vécu, étudié et travaillé au Canada pendant près de dix ans, mais qui n’était que récemment devenue résidente permanente, ne pouvait obtenir sa licence pour pratiquer sa profession (d’avocate) sans la citoyenneté. Le juge Walsh a conclu que le juge de la citoyenneté n’avait pas dûment examiné les difficultés que cela impliquait.

[Non souligné dans l’original.]

[25]           En l’espèce, le demandeur n’a pas produit une preuve suffisante pour établir qu’il serait victime d’une « situation particulière et inhabituelle de détresse » dans l’éventualité où il devait attendre la décision définitive concernant la mesure de renvoi. Selon la preuve dont disposait la juge de la citoyenneté, le demandeur a la citoyenneté américaine ainsi que le statut de résident au Liban, et il travaille surtout à l’étranger. Sa famille vit au Liban et il a maintenant des liens avec divers pays, dont le Canada. Le demandeur est un homme polyvalent et il peut travailler dans plusieurs pays. Rien ne laisse entendre qu’il sera victime « d’une situation particulière et inhabituelle de détresse » dans l’éventualité où sa demande de citoyenneté devait être rejetée. Je comprends que le fait, pour le demandeur, de présenter une nouvelle demande de citoyenneté après qu’une décision définitive eut été rendue relativement à la mesure de renvoi puisse lui entraîner certaines difficultés, en raison du fait qu’il semble avoir passé un nombre considérable de journées à l’étranger au cours des dernières années. Cependant, comme il a été mentionné dans la décision Ayaz, le simple fait de ne pas avoir la citoyenneté n’est pas en soi une situation particulière de détresse.

[26]           De plus, même si le demandeur avait eu la possibilité de produire la preuve mentionnée ci‑dessus, la décision de la juge de la citoyenneté selon laquelle il ne serait pas approprié de faire une recommandation favorable au titre du paragraphe 5(4) de la Loi serait quand même raisonnable. Je ne suis pas convaincu que le paragraphe 5(4) de la Loi puisse être invoqué avec succès pour sauvegarder une demande de citoyenneté à l’égard de l’interdiction entraînée par la mesure de renvoi, même lorsque la validité d’une telle mesure de renvoi est contestée dans une autre instance. Selon moi, permettre aussi facilement d’invoquer le paragraphe 5(4) à cette fin anéantirait l’objectif de l’alinéa 5(1)f) de la Loi. Cela aurait aussi pour effet d’inciter la présentation de contestations frivoles à l’égard des mesures de renvoi. Si la citoyenneté devait être octroyée en vertu du paragraphe 5(4), en se fondant sur le fait que la mesure de renvoi qui bloque l’octroi de la citoyenneté semble être irrégulière, l’une des conséquences importantes de cette situation serait que, si la validité de la mesure de renvoi contestée était plus tard confirmée, le demandeur aurait tout de même sa citoyenneté, sans jamais avoir répondu aux obligations prévues relativement à l’octroi de la citoyenneté. Par conséquent, tout recours au paragraphe 5(4) pour surmonter une situation particulière et inhabituelle de détresse découlant du fait que la citoyenneté n’a pas été accordée en raison d’une mesure de renvoi devrait être réservé aux cas où l’invalidité de la mesure de renvoi est évidente. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

VII.          Conclusion

[27]           La demande est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.
  2. Les dépens sont adjugés au défendeur.

« George R. Locke »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2088-13

 

INTITULÉ :

MUHAMAD MIRI MANSUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 SeptembRe 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 3 NovembrE 2014

 

COMPARUTIONS :

M. Dan Bohbot

 

POUR LE DEMANDEUR

 

M. Guillaume Bigaouette

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dan M. Bohbot

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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