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Date : 20141105


Dossier : T-1957-13

Référence : 2014 CF 1042

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2014

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

STEPHANIE DELIOS

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par le procureur général du Canada [le demandeur] au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, qui vise la décision Delios c Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 133, rendue par l’arbitre David P. Olsen de la Commission des relations de travail dans la fonction publique [la Commission], le 1er novembre 2013, par laquelle il accueillait le grief présenté par Mme Stephanie Delios [la défenderesse] à l’égard de la décision de rejeter sa demande de congé personnel d’une journée.

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les motifs exposés ci‑dessous.

II.                Les faits

[3]               À titre d’employeur distinct, l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] négocie ou établit les conditions d’emploi de ses employés de manière distincte et séparée du reste de la fonction publique fédérale.

[4]               L’ARC compte approximativement 45 000 employés, dont environ 40 000 sont syndiqués. Environ 28 000 des employés syndiqués font partie d’une unité de négociation représentée par l’Alliance de la fonction publique du Canada [l’AFPC], et environ 12 000 appartiennent à l’unité de négociation représentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada [IPFPC]. Il existe une convention collective entre l’ARC et l’AFPC, et une autre entre l’ARC et l’IPFPC.

[5]               L’ARC fait l’objet, chaque année, d’environ 5 000 opérations de dotation temporaires et permanentes qui ont lieu avec les agents négociateurs et qui font en sorte que des employés passent d’une unité de négociation représentée par l’AFPC à celle représentée par l’IPFPC, et vice‑versa.

[6]               Au moment de la naissance du présent différend, les membres de chaque syndicat avaient droit à 7,5 heures de congé personnel « au cours de chaque année », sous le régime de l’une ou l’autre des conventions collectives. La présente demande a trait à l’effet juridique, s’il en est, de cette stipulation contractuelle. Le salaire moyen des employés représentés par l’IPFPC est de 327,71 $ par jour, et celui des employés représentés par l’AFPC est de 262,54 $ par jour.

[7]               Les renseignements contextuels (nombre d’employés, nombre d’employés syndiqués, nombre de mesures de dotation temporaires et permanentes entre agents négociateurs qui ont lieu chaque année au sein de l’ARC et salaire moyen journalier des employés de l’ARC) qui figurent aux paragraphes 4 à 6 ont été fournis dans un affidavit déposé par le demandeur en l’espèce. La recevabilité de certaines parties de cet affidavit fait l’objet d’un différend. Il n’y a aucun différend concernant l’exactitude des renseignements et leur recevabilité à titre de renseignements contextuels généraux, mais il y en a un en ce qui concerne leur admissibilité dans le cadre de l’analyse relativement au « résultat absurde ».

[8]               La défenderesse a occupé un poste de vérificatrice de l’impôt (PM-02) au sein de l’ARC du 14 novembre 2005 au 31 octobre 2007. Le 1er novembre 2007, le poste a été converti en un poste classifié aux groupe et niveau SP-05 et était ainsi visé par la convention collective des Services des programmes et de l’administration conclue entre l’ARC et l’AFPC [la convention collective ARC-AFPC].

[9]               Le 4 janvier 2008, la défenderesse a pris 7,5 heures de congé personnel, congé prévu à la clause 54.02 de la Convention collective ARC-AFPC.

[10]           La défenderesse a accepté d’occuper un poste de vérificatrice de l’impôt sur le revenu (AU‑01) à l’ARC à compter du 29 janvier 2008. Ce poste était visé par la Convention collective du groupe Vérification, finance et science (VFS) conclue entre l’ARC et un autre syndicat, soit l’IPFPC [la Convention collective ARC-IPFPC].

[11]           Le 20 mars 2008, la défenderesse a demandé au chef d’équipe de la Vérification de lui accorder une journée de congé personnel pour le 31 mars 2008, en vertu de la clause 17.21 de la Convention collective ARC-IPFPC.

[12]           Le 25 mars 2008, le gestionnaire de la Vérification a rejeté la demande, formulée par la défenderesse, en vue d’obtenir une journée de congé personnel, au motif qu’elle avait déjà pris une journée de congé personnel lors de l’exercice 2007‑2008. L’exercice 2007‑2008 commençait le 1er avril 2007 et se terminait le 31 mars 2008.

[13]           Un grief relatif à la décision prise le 25 mars 2008 a été présenté par la défenderesse le 28 mars 2008. Ce grief a été rejeté au premier palier le 25 avril 2008, au 3e palier le 19 juin 2008 ainsi qu’au 4e (et dernier) palier le 5 janvier 2010.

[14]           Un arbitre a été nommé pour rendre une décision quant au grief de la défenderesse, ce qu’il a fait en se fondant sur un exposé convenu des faits et sur les observations écrites présentées par les parties.

[15]           Dans une décision datée du 1er novembre 2013, la Commission a accueilli le grief de la défenderesse. Le demandeur a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire relativement à cette décision le 26 novembre 2013.

III.             La décision visée par la demande de contrôle judiciaire

[16]           La Commission devait trancher la question de savoir si la défenderesse avait droit à 7,5 heures de congé personnel payé en vertu de la clause 17.21 de la Convention collective ARC‑IPFPC, et ce, malgré le fait qu’elle avait déjà pris 7,5 heures de congé personnel payé précédemment en vertu de la Convention collective ARC-AFPC au cours du même exercice.

[17]           La Commission a constaté, et les parties conviennent, que la défenderesse était une « employée » au sens de l’alinéa 2.01j) de la Convention collective ARC-IPFPC :

(j) « employé » désigne l’employé tel que l’entend la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et qui fait partie de l’unité de négociation […]

Le titre anglais de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique a été modifié depuis (le Public Service Staff Relations Act est dorénavant intitulé Public Service Labour Relations Act), mais cela n’a aucun effet important quant à la présente demande.

[18]           La Commission a accueilli le grief de la défenderesse pour les motifs suivants.

[19]           Premièrement, la Commission a relevé que le congé personnel tire sa source de la Convention collective ARC-IPFPC elle‑même, ce qui signifie que l’expression « au cours de chaque année financière », que l’on retrouve à l’alinéa 17.21a) a trait au droit d’obtenir le congé prévu par cet alinéa et s’applique à tous les employés régis par la Convention collective. Le fait que la défenderesse avait bénéficié d’un type de congé similaire en vertu d’une autre convention collective n’était, selon la Commission, pas particulièrement important.

[20]           Deuxièmement, en raison du fait que d’autres restrictions étaient prévues dans différentes clauses de la Convention collective ARC-IPFPC en ce qui concerne l’accumulation des droits de congé en vertu de conventions collectives, et que ces restrictions n’étaient pas prévues à la clause 17.21, la Commission a jugé qu’elle n’avait pas de raison d’aller au‑delà du sens ordinaire du libellé de la clause 17.21.

[21]           La Commission a conclu que retenir la thèse de l’employeur équivalait à inclure dans la clause 17.21 de la Convention collective ARC-IPFPC, ce qui est interdit par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art. 229 [la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique].

[22]           Selon la Commission, toute iniquité ou injustice découlant de l’application de la convention collective devrait être réglée à la table de négociation.

IV.             Les questions en litige

[23]           Le présent contrôle judiciaire soulève la question de savoir si la décision de la Commission était raisonnable. Il soulève aussi une question secondaire, soit celle de savoir si certains éléments de preuve supplémentaires devraient être examinés par la Cour en l’espèce.

V.                La norme de contrôle applicable

[24]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire de procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle applicable dans les cas où « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

[25]           Il est bien établi que l’interprétation de conventions collectives et l’application de celles‑ci, par la Commission, aux faits à l’origine de griefs devraient être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité : Chan c Canada (PG), 2010 CF 708, au paragraphe 17, conf. par 2011 CAF 150; Alliance de la fonction publique du Canada c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2005 CAF 366, au paragraphe 18.

[26]           Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a expliqué en ces termes la tâche de la cour de révision lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VI.             Les dispositions pertinentes

[27]           L’article 54.02 de la convention collective ARC-AFPC est ainsi libellé :  

54.02   Congé personnel

Sous réserve des nécessités du service déterminées par l’Employeur et sur préavis d’au moins cinq (5) jours ouvrables, l’employé-e se voit accorder, au cours de chaque année financière une seule période d’au plus sept virgule cinq (7,5) heures de congé payé pour des raisons de nature personnelle.

Ce congé est pris à une date qui convient à la fois à l’employé-e et à l’Employeur. Cependant, l’employeur fait tout effort raisonnable pour accorder le congé à la date demandée par l’employé-e.

[Non souligné dans l’original.]

[28]           La clause 17.21 de la convention collective ARC-IPFPC est ainsi libellée :

17.21   Congé personnel

(a)        Sous réserve des nécessités du service déterminées par l’Employeur et sur préavis d’au moins cinq (5) jours ouvrables, l’employé se voit accorder, au cours de chaque année financière, sept virgule cinq (7,5) heures de congé payé pour des raisons de nature personnelle.

(b)        Ce congé est pris à une date qui convient à la fois à l’employé et à l’Employeur. Cependant, l’employeur fait tout son possible pour accorder le congé à la date demandée par l’employé.

[Non souligné dans l’original.]

VII.          Observations des parties et analyse

A.                Question préjudicielle : Production de nouveaux éléments de preuve dans le cadre du contrôle judiciaire

[29]           La défenderesse fait valoir que la Cour ne devrait pas tenir compte des faits allégués par le demandeur en ce qui concerne l’analyse des répercussions des conséquences sur le plan financier de la décision de la Commission (paragraphes 5 à 8 de l’affidavit souscrit par Todd Burke; paragraphes 40(iii), (iv), (v), (vi), 41 et 42 du mémoire des faits et du droit du demandeur), parce que la Commission ne disposait pas de ces renseignements lorsque le grief en l’espèce a été examiné. Cependant, la défenderesse lors de l’audience a circonscrit son opposition à l’analyse relative au « résultats absurdes ».

[30]           La défenderesse se fonde sur la décision Première nation d’Ochapowace c Canada (PG), 2007 CF 920, au paragraphe 9, conf. par 2009 CAF 124, autorisation de pourvoi à la CSC refusée [2009] ACSA no 262, dans lequel la Cour a conclu ainsi :

[…] Il est bien établi en droit que, dans une demande de contrôle judiciaire, les seules pièces qui doivent être considérées sont celles que le décideur avait devant lui […]. Les seuls cas où cette règle souffre une exception sont les suivants : lorsque la preuve nouvelle est produite au soutien d’un argument intéressant l’équité procédurale ou la compétence […], et lorsque les pièces nouvellement soumises sont considérées comme des renseignements généraux susceptibles d’aider la Cour […].

[31]           Par conséquent, il existe trois catégories d’éléments de preuve supplémentaires qui sont acceptables : les éléments de preuve à l’appui d’un argument intéressant l’équité procédurale, ou la compétence, et les éléments de preuve consistant en des renseignements généraux susceptibles d’aider à la Cour.

[32]           La Commission disposait de l’exposé convenu des faits entre l’IPFPC et l’ARC, des observations écrites de la défenderesse, des observations écrites de l’employeur et de la réponse du syndicat à l’égard des observations écrites de l’employeur.

[33]           Je commencerai par faire une revue du contexte dans lequel s’inscrit la preuve contestée. Essentiellement, il s’agit de renseignements non contestés contenant les détails de l’un des arguments formulés devant la Commission. En résumé, la preuve supplémentaire étoffe les observations formulées par les parties devant la Commission.

[34]           En fait, c’est la défenderesse qui, la première, a mis de l’avant l’argument relatif à l’incidence économique. Dans ses arguments écrits déposés auprès de la Commission, le syndicat de la défenderesse a prétendu, à la page 5, que sa thèse [traduction] « n’impose pas un fardeau trop onéreux sur les épaules de l’employeur, parce que le cas d’espèce ne s’applique qu’au nombre relativement peu élevé d’employés au sein de l’Agence qui changent d’unité de négociation au cours d’une année donnée ».

[35]           L’ARC a répondu à la thèse de la défenderesse en mentionnant ce qui suit dans ses arguments écrits, aux paragraphes 31 et 34 :

[traduction]

31.       Il ne fait aucun doute que toute autre interprétation occasionnerait un résultat absurde et injuste.

[…]

34.       […] l’interprétation du Syndicat ne respecte pas le principe de neutralité des coûts. Il est important de reconnaître le principe de neutralité des coûts, parce que les parties n’avaient pas l’intention d’exiger que l’employeur accorde un avantage – en l’espèce, doubler le congé payé accordé à l’employé au cours d’une année financière – à un nombre restreint d’employés au sein de la fonction publique. Une fois de plus, les parties n’ont pas envisagé un tel résultat.

[36]           L’ARC a ajouté ce qui suit aux paragraphes 45 à 47 :

[traduction]

45.       Le libellé similaire employé dans les dispositions relatives à l’ensemble des congés payés d’avance signifie que toute décision se rapportant à l’interprétation de la clause relative au congé personnel qui figure dans la Convention collective ARC-IPFPC aura une incidence directe sur l’interprétation et l’application que l’on fera à l’avenir quant aux clauses relatives au congé pour obligation familiale et au congé de bénévolat.

46.       En d’autres termes, si le tribunal souscrit à l’interprétation du Syndicat au sujet de l’alinéa 17.21b), un employé qui a utilisé tous ses congés à l’avance sous le régime d’une convention collective antérieure n’aura pas seulement « droit » à 7,5 heures additionnelles de congé personnel payé, il aura aussi « droit » au maximum de 75 heures de congé payé pour obligation familiale prévu à la clause 17.13 et, en vertu de la clause 17.22, de 7,5 heures additionnelles de congé payé pour bénévolat, en vertu de la clause 17.22. Dans un tel cas, l’employeur aurait l’obligation d’accorder à cet employé 105 heures de congé payé au cours d’un exercice.

47.       Il ne fait aucun doute que les conséquences financières découlant de l’interprétation du Syndicat seraient plutôt importantes et onéreuses pour l’employeur, surtout lorsque l’on tient compte du fait que le libellé employé dans les clauses susmentionnées quant au congé non accumulé est le même que celui qui figure dans nombre d’autres conventions collectives de la fonction publique. Il s’ensuit que l’employeur doit rejeter l’argument du Syndicat voulant que ce résultat n’impose pas un fardeau onéreux à l’employeur et qu’il ne s’appliquerait qu’au « nombre relativement peu élevé » d’employés qui changent d’unités de négociation au cours d’une année donnée.

[37]           Le demandeur soutient, contrairement à ce que la défenderesse affirme, que les paragraphes 5 à 8 de l’affidavit souscrit par Todd Burke, ainsi que les paragraphes 40(iii), (iv), (v), (vi), 41 et 42 de son mémoire des faits et du droit sont essentiellement fondés sur les éléments de preuve dont disposait la Commission et que la Cour ne devrait pas en faire abstraction. Le demandeur est d’avis qu’il s’agit là de renseignements contextuels généraux et que ceux‑ci seraient utiles pour la Cour.

[38]           Il convient aussi de mentionner que l’affidavit souscrit par M. Neil Harden en appui à la défenderesse contient des renseignements contextuels similaires en ce qui concerne l’adhésion à l’IPFPC.

[39]           Comme il a été mentionné précédemment, les parties à l’audience n’étaient pas en désaccord quant à l’exactitude des éléments de preuve contestés. En fait, la défenderesse a reconnu que les éléments de preuve constituaient des renseignements contextuels généraux, mais elle prétendait que ceux‑ci ne devraient pas être invoqués dans le cadre d’une analyse relative au « résultat absurde ».

[40]           Je conclus que les éléments de preuve supplémentaires sont d’une certaine utilité. Il ne fait aucun doute que les conséquences financières de cette décision sont importantes, contrairement à ce qu’affirme la défenderesse. La thèse de la défenderesse, si elle est retenue, pourrait clairement avoir pour conséquence que les droits au congé en cause des employés de l’ARC qui changent d’unité de négociation au cours d’un même exercice seraient doublés. Ce fait en soi peut ne pas avoir une grande importance. Cependant, lorsque l’on traduit cela en coûts réels, on se rend compte qu’il s’agit de coûts importants pouvant s’élever à plus d’un million de dollars par année.

[41]           Le critère applicable est celui de savoir si les renseignements contextuels généraux seraient utiles pour la Cour, et je conclus que c’est le cas selon la décision Chopra c Canada (Conseil du Trésor) (1999), 168 FTR 273, au paragraphe 9 (CF). La défenderesse est au courant de ces renseignements; ceux‑ci sont crédibles et leur exactitude n’a pas été contestée, ils ont été communiqués rapidement et ils n’occasionnent aucun préjudice à la défenderesse. De plus, ces renseignements contextuels généraux aident la Cour, car ils permettent de voir la décision de la Commission sous une optique juste, très différente de celle de la défenderesse, portant que la décision n’aura une incidence que sur « un nombre relativement peu élevé » d’employés. L’admission en preuve de ces éléments de preuve généraux permet d’instruire la présente affaire sur une bonne base. Dans les circonstances, je ne vois pas de raison de limiter l’admissibilité de ce que les parties reconnaissent comme étant des renseignements contextuels généraux. Par conséquent, la preuve par affidavit produite par le demandeur est recevable à tous égards.

B.                 La décision de la Commission était-elle raisonnable?

[42]           La décision d’un tribunal peut être jugée déraisonnable lorsqu’elle fait fi du sens ordinaire d’un terme employé dans une convention collective (Lamothe et al c Canada (AG), 2009 CAF 2, au paragraphe 13 [Lamothe]), et lorsqu’elle interprète une convention collective de manière à produire une absurdité (Saint John (City) c Saint John Firefighters’ Assn, 2011 NBCA 31, aux paragraphes 41 et 45 [Saint John Firefighters’ Association]).

[43]           Les deux parties se fondent sur le droit applicable en matière d’interprétation des conventions collectives, tel qu’exposé dans l’arrêt Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada c Irving Pulp & Paper Ltd, 2002 NBCA 30, au paragraphe 10 :

[traduction]

Il est admis que la tâche d’interpréter une convention collective ne diffère pas de celle qui incombe aux autres décideurs qui interprètent des lois ou des contrats privés […] . Dans le contexte contractuel, il faut partir du principe que l’objectif fondamental de l’interprétation est de déterminer l’intention des parties. Par ailleurs, la présomption veut que ce que les parties ont dit soit censé refléter leur intention et qu’il faille d’abord chercher le sens d’une clause d’une convention collective dans son libellé explicite. Selon les auteurs de doctrine, quand ils cherchent à déterminer l’intention des parties, les arbitres partent généralement du principe que la clause en question doive être interprétée dans son sens normal ou ordinaire, sauf si cette interprétation est susceptible d’entraîner une absurdité ou une incompatibilité avec d’autres clauses de la convention […] Pour résumer, les termes d’une convention collective doivent recevoir leur sens ordinaire, sauf s’il existe une raison valable pour en adopter un autre. Par ailleurs, les termes doivent être interprétés dans leur contexte immédiat et dans celui de l’ensemble de la convention. Sinon, l’interprétation en fonction du sens ordinaire peut entrer en conflit avec une autre clause.

[44]           La défenderesse déclare que la Commission a interprété correctement la convention collective. Elle allègue que la Commission a seulement résisté à l’ajout de conditions qui n’avaient pas été introduites par les parties et qu’elle a, à bon droit, fait mention des dispositions divergentes figurant dans la convention collective, le tout dans le but de ne pas donner effet à l’expression « au cours de chaque année financière » que l’on retrouve en l’espèce à la clause 17.21.

[45]           Le demandeur soutient que la Commission a omis de tenir compte de la véritable intention des parties lorsque celles‑ci ont conclu la convention collective et qu’elle a mal interprété le sens ordinaire de la clause 17.21 de la convention collective ARC-IPFPC, qu’elle n’a pas envisagé la possibilité que son interprétation crée des résultats absurdes et qu’elle n’a pas tenu compte des précédents similaires applicables. Selon le demandeur, ces erreurs, prises isolément ou ensemble, rendent la décision de la Commission déraisonnable.

VIII.       Analyse

[46]           Selon moi, la décision de la Commission devrait être annulée, et ce, pour trois motifs : la Commission n’a pas appliqué le sens ordinaire des mots choisis par les parties, elle a omis d’interpréter les mots employés dans la convention collective en se fondant sur leurs définitions et a créé un résultat qui était absurde, et parce que la décision de la Commission va à l’encontre de la jurisprudence pertinente.

A.                Le sens ordinaire

[47]           En ce qui a trait à l’application du sens ordinaire des mots « au cours de chaque année financière », je suis d’avis que la Commission a tiré plusieurs conclusions déraisonnables pour parvenir à sa décision. Tout d’abord, elle n’a pas appliqué le sens ordinaire de la clause aux circonstances de l’espèce, lesquelles consistaient à n’accorder aux employés de l’ARC qu’une seule journée de congé personnel « au cours de chaque année financière », comme le prévoyait expressément la convention collective de l’AFPC et de l’IPFPC en litige en l’espèce. Deuxièmement, la Commission a estimé à tort que son devoir était de résister à la demande de l’employeur de voir dans la convention collective une restriction qui n’y figurait pas, alors que dans les faits, elle a fait abstraction des termes établissant une restriction figurant dans la convention collective, termes qui avaient été négociés et insérés par les parties et qui avaient pour effet de limiter les employés de l’ARC à une journée de congé personnel « au cours de chaque année financière ».

[48]           Le point de départ dans toute analyse d’une convention collective est de déterminer l’intention des parties. Il existe une présomption selon laquelle l’intention des parties concorde avec ce qu’elles ont dit, et que le sens d’une clause d’une convention collective doit d’abord être établi en fonction de son libellé. Les arbitres, dans leur recherche de l’intention des parties, ont généralement tenu pour acquis que la clause en question devrait être interprétée dans son sens normal ou ordinaire, à moins que cette interprétation ne conduise à une absurdité ou à une incompatibilité avec les autres clauses de la convention collective. Selon moi, il s’agit du bon critère et, de plus, ce critère produira un résultat raisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir.

[49]           En l’espèce, la clause 17.21 de la convention collective conclue entre les parties donne droit, « au cours de chaque année financière », à chaque employé étant régi par celle‑ci, entre autres choses, à 7,5 heures de congé payé pour des raisons personnelles (ou une journée personnelle). En l’espèce, l’avantage est le même que celui prévu par la convention collective conclue entre l’employeur et l’AFPC. La clause 17.21 contient, juste avant la description de l’avantage en question, des mots qui limitent sa portée, soit, « au cours de chaque année financière ».

[50]           Le sens ordinaire de la clause 17.21 est le suivant : chaque employé a droit à une journée de congé personnel payé « au cours de chaque année financière ». Une interprétation selon laquelle un même employé a droit à deux, ou peut‑être même trois ou quatre journées de congé personnel par année n’est pas ordinaire et elle n’appartient pas aux issues possibles raisonnables au sens de l’arrêt Dunsmuir.

[51]           La Commission semble être parvenue à ce résultat déraisonnable en partie parce qu’elle a examiné d’autres clauses de la convention collective et y a trouvé d’autres mots restrictifs dans les clauses qui créaient d’autres droits, et qu’elle s’est ensuite demandé si ces mots devraient être « intégrés par interprétation » dans la clause 17.21, de manière à y exclure l’expression « au cours de chaque année financière ». Il n’agissait pas d’une approche raisonnable et cela ne faisait pas partie des tâches de la Commission. La Commission avait comme tâche d’interpréter l’article en question et de l’appliquer à l’affaire dont elle était saisie. En l’espèce, l’employée avait déjà pris une journée de congé personnel au cours de l’année financière en question. Par conséquent, elle n’avait pas droit à une deuxième journée de congé personnel. La Commission n’aurait pas dû modifier la décision rendue au quatrième (et dernier) palier de la procédure de grief.

[52]           En ce qui a trait à la soi-disant décision de la Commission de refuser d’interpoler un point en litige, un élément soulevé par la défenderesse et la Commission, je fais remarquer ce qui suit. Il est vrai que des mots établissant une restriction sont employés dans la convention collective, notamment à l’article 14.08 ( « un congé a déjà été porté à son crédit en vertu des conditions d’une autre convention collective »); de plus, l’avocat a renvoyé aux clauses 17.11c) (les mots établissant une restriction sont « durée totale de son emploi dans la fonction publique ») et 17.14b) (les mots établissant une restriction sont « période d’emploi total dans la fonction publique »). Bien que chacune de ces clauses contienne des mots établissant une restriction, l’expression « au cours de chaque année financière » ne figure pas dans celles-ci. Selon moi, se fonder sur les mots établissant une restriction que l’on retrouve ailleurs dans la convention collective pour exclure les termes retenus par les parties n’était pas nécessaire et ne constituait pas une approche raisonnable. Chaque ensemble de mots établissant une restriction figurant dans les nombreuses clauses accordant des droits vise un objet, c’est‑à‑dire, qu’il doit être appliqué aux circonstances visées, selon son libellé. Par conséquent, selon le principe du sens ordinaire, il convient de donner effet à chaque mot établissant une restriction, selon son libellé.

[53]           En l’espèce, plutôt que d’appliquer les mots utilisés dans la convention collective et de conclure que l’employée, du fait qu’elle avait pris une journée de congé personnel au cours de cet exercice financier, n’avait pas droit à une deuxième journée de congé personnel au cours du même exercice, la Commission a choisi d’exclure de la convention collective les mots « au cours de chaque année financière ». Cependant, ceux‑ci ont été inclus dans la convention collective par les parties, à la suite de négociations. L’on doit tenir pour acquis que ces mots constituent l’expression du consentement explicite des parties, et rien ne donne à penser le contraire. Le sens ordinaire de ces mots est le suivant : le nombre précis d’heures de congé personnel dont un employé dispose, et ce, « au cours de chaque année financière ».

[54]           L’interprétation de la Commission allait à l’encontre, de manière déraisonnable, des intentions expresses des parties. La Commission n’a pas comme tâche de réécrire la convention collective en y excluant des mots établissant des restrictions insérés de manière expresse par les parties au cours de leurs négociations. Comme il a été mentionné ci‑dessus, la convention collective prévoit ce qui suit :

17.21   Congé personnel

(a)        Sous réserve des nécessités du service déterminées par l’Employeur et sur préavis d’au moins cinq (5) jours ouvrables, l’employé se voit accorder, au cours de chaque année financière, sept virgule cinq (7,5) heures de congé payé pour des raisons de nature personnelle.

[Non souligné dans l’original.]

[55]           Lorsqu’elle a fait abstraction de l’expression « au cours de chaque année financière », la Commission a tenté de justifier sa position en mentionnant qu’elle tentait de ne pas introduire par interprétation de nouveaux mots dans la clause. Comme l’a expliqué la Commission, les nouveaux mots qui n’auraient [traduction] « pas été interpolés dans la clause » étaient des mots établissant une restriction ayant le même effet juridique anticipé que l’on retrouvait dans plusieurs autres clauses relatives au congé des employés de la même convention collective, mais qui ne figurait pas dans la clause 17.21. Selon moi, la décision de la Commission d’exclure ces mots importants n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, au sens de l’arrêt Dunsmuir.

B.                 La véritable interprétation des termes de la convention collective

[56]           Le demandeur soutient, et je conviens, que la Commission a aussi commis une erreur dans son interprétation du sens ordinaire du fait qu’elle a omis d’appliquer la définition du mot « employé » qui figure à l’alinéa 2.01j) de la convention collective (« employé » désigne l’employé tel que l’entend la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et qui fait partie de l’unité de négociation), et en faisant fi des expressions « up to » [dans la version anglaise uniquement] et « au cours de chaque année financière » que l’on retrouve à la clause 17.21 de la convention collective ARC-IPFPC.

[57]           Le demandeur estime, tout comme moi, que si la Commission :

a) avait utilisé correctement la définition expresse du mot « employé » prévue dans la convention collective, laquelle reprend partiellement celle énoncéee au paragraphe 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique :

« fonctionnaire » Sauf à la partie 2, personne employée dans la fonction publique, à l’exclusion de toute personne :

“employee”, except in Part 2, means a person employed in the public service, other than

a) nommée par le gouverneur en conseil, en vertu d’une loi fédérale, à un poste prévu par cette loi;

(a) a person appointed by the Governor in Council under an Act of Parliament to a statutory position described in that Act;

b) recrutée sur place à l’étranger;

(b) a person locally engaged outside Canada;

c) qui n’est pas ordinairement astreinte à travailler plus du tiers du temps normalement exigé des personnes exécutant des tâches semblables;

(c) a person not ordinarily required to work more than one third of the normal period for persons doing similar work;

d) qui est membre ou gendarme auxiliaire de la Gendarmerie royale du Canada, ou y est employée sensiblement aux mêmes conditions que ses membres;

(d) a person who is a member or special constable of the Royal Canadian Mounted Police or who is employed by that force under terms and conditions substantially the same as those of one of its members;

e) employée par le Service canadien du renseignement de sécurité et n’exerçant pas des fonctions de commis ou de secrétaire;

(e) a person employed in the Canadian Security Intelligence Service who does not perform duties of a clerical or secretarial nature;

f) employée à titre occasionnel;

(f) a person employed on a casual basis;

g) employée pour une durée déterminée de moins de trois mois ou ayant travaillé à ce titre pendant moins de trois mois;

(g) a person employed on a term basis, unless the term of employment is for a period of three months or more or the person has been so employed for a period of three months or more;

h) employée par la Commission;

(h) a person employed by the Board;

i) occupant un poste de direction ou de confiance;

(i) a person who occupies a managerial or confidential position; or

j) employée dans le cadre d’un programme désigné par l’employeur comme un programme d’embauche des étudiants.

(j) a person who is employed under a program designated by the employer as a student employment program.

b) avait utilisé correctement la définition d’« employeur » prévue à l’alinéa 2.01i) de la convention collective ARC-IPFPC :

« Employeur » désigne Sa Majesté du chef du Canada représentée par l’Agence du revenu du Canada (ARC) et désigne aussi toute autre personne autorisée à exercer les pouvoirs de l’Agence du revenu du Canada

c) avait utilisé correctement la définition du terme « exercice » prévue à l’alinéa 37(1)b) de la Loi d’interprétation LRC 1985, c I-21 :

« exercice » s’entend, en ce qui a trait aux crédits votés par le Parlement, au Trésor, aux comptes et aux finances du Canada ou aux impôts fédéraux, de la période commençant le 1er avril et se terminant le 31 mars de l’année suivante

“financial year” or “fiscal year” means, in relation to money provided by Parliament, or the Consolidated Revenue Fund, or the accounts, taxes or finances of Canada, the period beginning on April 1 in one calendar year and ending on March 31 in the next calendar year

La Commission aurait interprété la clause 17.21 de la convention collective ARC-IPFPC de la manière suivante :

[traduction]

Sous réserve des nécessités du service déterminé par l’Agence du revenu du Canada, et sur préavis d’au moins cinq (5) jours ouvrables, la personne employée dans la fonction publique (et qui n’est pas exclue par l’article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique) et qui est membre de l’unité de négociation se voit accorder, au cours de la période commençant le 1er avril et se terminant le 31 mars de l’année suivante, sept virgule cinq (7,5) heures de congé payé pour des raisons de nature personnelle.

[58]           Si la Commission avait fait cela, elle aurait interprété la clause comme limitant le nombre d’heures de congé personnel qu’un employé peut prendre à « une fois au cours de chaque année financière », sans égard à la question du transfert entre l’unité de négociation. Cette erreur a aussi eu comme conséquence que la décision n’appartenait pas aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit, au sens de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada.

C.                 Les résultats absurdes

[59]           Le demandeur soutient de plus que même si l’interprétation du sens ordinaire de la clause 17.21 faite par la Commission était raisonnable, ce qui, selon moi, n’était pas le cas, la Commission a commis une erreur en n’allant pas au-delà du libellé ordinaire de la convention collective et que son omission de ce faire l’avait conduite à un résultat ambigu, incongru ou absurde.

[60]           Selon moi, cela soulève une question préjudicielle quant à savoir s’il est nécessaire de faire une analyse relative au « résultat absurde » dans le contexte moderne du contrôle judiciaire, soit depuis l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada. Selon moi, la nouvelle approche de contrôle judiciaire fondée sur les « issues possibles acceptables » établie dans l’arrêt Dunsmuir remplace l’approche du « résultat absurde » autrefois utilisée dans la jurisprudence dans le contexte des contrôles judiciaires comme celui en l’espèce. Selon moi, un résultat absurde est simplement une façon de qualifier un résultat en particulier conformément à la nouvelle approche établie dans Dunsmuir. Il est probable que toutes les décisions comportant une interprétation créant un résultat absurde constituent des décisions déraisonnables pour les besoins du contrôle judiciaire, parce que je considère qu’un résultat absurde constitue un cas extrême de déraisonnabilité. À cet égard, je remarque que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Pointe‑Claire (Ville) c Québec (Tribunal du travail) [1997] 1 RCS 1015, soit avant l’arrêt Dunsmuir, a statué que le concept d’une interprétation conduisant à un « résultat absurde » avait été utilisé à bon droit à l’appui d’une conclusion de déraisonnabilité dans une affaire dans laquelle il était question d’une interprétation faite par le Tribunal du travail de sa loi habilitante.

[61]           Parce que j’ai conclu que la conclusion de la Commission était déraisonnable, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin dans le cadre du présent contrôle judiciaire quant à l’analyse relative au « résultat absurde ».

[62]           Cependant, si ma thèse exposée ci-dessus est erronée, je suis d’avis que l’interprétation de la Commission a conduit à un résultat absurde. Les facteurs me conduisant à cette conclusion sont ceux exposés ci‑dessus, à savoir l’omission de respecter les conditions explicites négociées par les parties et celle de cerner et d’examiner correctement le véritable sens de la clause. Je rajouterai que l’interprétation de la Commission a conduit aux résultats absurdes suivants : la plupart des employés jouiraient d’une seule journée de congé personnel par année, mais que ceux qui changent d’unité de négociation au cours d’une année financière jouiraient de deux congés de ce type, ce qui aurait pour résultat un cadeau non justifié; la multiplication par deux, très importante, des coûts liés au congé personnel pour la défenderesse, puisque les employés « doubleront » leurs congés en changeant d’unité de négociation; une grande imprévisibilité sur le plan financier pour la défenderesse en ce qui a trait au congé et aux coûts afférents/liés au salaire, ainsi que la possibilité que d’autres congés puissent être obtenus en double lorsque les employés changent d’unité de négociation si le raisonnement de la Commission est appliqué ailleurs dans les conventions collectives auxquelles l’ARC est assujetti. En l’espèce, rien ne démontre que les parties envisageaient un tel résultat, et comme il a été mentionné, les parties elles‑mêmes ont expressément prévu exactement le contraire dans la convention collective.

[63]           Le point de départ dans une analyse quant aux résultats possiblement absurdes est le fait que, si l’analyse de la Commission est correcte, les employés qui changent d’unité de négociation n’ont plus une journée de congé personnel (par « année financière »), mais bien deux. Cela peut ne sembler pas très important, donc non absurde, et, à première vue, peut sembler raisonnable, c’est‑à‑dire que le résultat appartient aux résultats possibles recherchés par le processus de négociation collective. Cependant, cette analyse est erronée, et ce, pour trois motifs.

[64]           Premièrement, et comme on peut le constater à la lecture des éléments de preuve contextuels, environ 5 000 employés changent d’unité de négociation, et ce, chaque année. Chacun de ces 5 000 employés a le droit à deux fois plus de journées de congé personnel que ce à quoi ont droit leurs collègues. Dans ce scénario, le résultat est 5 000 journées supplémentaires en termes de rémunération, ce qui s’élève, en tout, à plus d’un million de dollars.

[65]           Deuxièmement, si l’approche de la Commission est confirmée et que les parties négocient des journées de congé supplémentaires, les employés qui passent d’un syndicat à l’autre verront leurs journées de congé personnel multipliées. Cela serait un avantage non mérité par rapport à celui dont bénéficient leurs collègues.

[66]           En dernier lieu, selon moi, il est pertinent de se pencher sur l’incidence que cette situation aurait sur les autres avantages liés au congé, notamment les 75 heures de congé payé pour obligation familiale au titre de la clause 17.13, et les 7,5 heures de congé payé pour bénévolat au titre de la clause 17.22. L’approche de la Commission qui consiste à faire abstraction des mots « au cours de l’année financière » ouvre la porte à une discrimination encore plus généralisée en raison des gains fortuits non partagés, ainsi qu’à une situation d’iniquité et de déséquilibre entre les employés au sein de l’ARC.

[67]           La défenderesse a soutenu que la partie visée par ces problèmes devrait les régler à la table des négociations. La réponse à cette opposition est que c’est exactement ce que les parties ont fait dans la convention collective, et ce, dans des termes explicites qu’elles ont choisis et qu’elles ont inscrits dans la convention collective elle‑même. Il n’est pas nécessaire de tenir d’autres négociations sur une question réglée en termes clairs et simples par les parties.

D.                Les précédents et la jurisprudence

[68]           En dernier lieu, les précédents applicables appuient la thèse du demandeur. Dans l’arrêt Lamothe, la Cour d’appel fédérale se penchait sur une situation manifestement analogue, dans laquelle la Commission aurait attribué un sens différent au sens ordinaire et non ambigu du libellé d’une clause d’une convention collective, ce qui avait abouti à une décision erronée et déraisonnable. La Cour d’appel fédéral a annulé cette décision : voir les paragraphes 9 à 15, ci‑dessus :

[9]        Les appelants prennent position que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique en l’espèce.

[10]      L’intimé est d’avis que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique dans la présente affaire suivant les principes établis dans Dunsmuir.

[11]      Que ce soit la norme de contrôle de la décision correcte ou de la décision raisonnable qui s’applique, l’arbitre en est arrivée à une décision incorrecte et déraisonnable.

[12]      Pour plus de précision, même si le degré de déférence nous permet de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision de l’arbitre et d’appliquer la norme de la raisonnabilité, nous ne pouvons conclure que, considérée dans son ensemble, la décision de l’arbitre était raisonnable.

[13]      Concernant le temps de déplacement lorsqu’un fonctionnaire se rend à des cours de formation, l’arbitre a ignoré les règles concernant l’interprétation des conventions collectives en donnant un sens différent à l’énoncé clair, ordinaire et sans ambiguïté de la clause B7.08 qui prévoit :

Aux termes du présent article, la rémunération n’est pas versée pour le temps que met l’employé à se rendre à des cours, à des séances de formation, à des conférences et à des colloques, sauf indications contraires à l’article « Promotion professionnelle ».

[14]      Cette clause est claire; l’employé qui se déplace pour les fins d’une formation ne sera pas rémunéré pour le temps qu’il met à se rendre à des séances de formation.

[15]      Concernant le temps de déplacement entre le lieu de séjour une fois à destination et le centre de formation, l’arbitre a omis de tenir compte des clauses de la convention collective qui précisent, sans équivoque, les circonstances dans lesquelles le temps de déplacement est rémunéré. En particulier, l’arbitre a omis de ternir compte de l’article B7.02 de la convention collective qui prévoit la rémunération lorsqu’un employé voyage entre son domicile (en anglais : residence) et son lieu de travail, de l’article B7.01 qui traite de la rémunération seulement lorsque l’employé voyage pour exécuter ses fonctions hors de sa région du lieu d’affectation et aussi de l’article B7.07 qui inclut comme du temps de déplacement le temps obligatoirement passé à chaque halte, d’une durée maximale de trois heures.

[69]           Je suis aussi d’avis que la décision rendue dans l’affaire Institut professionnel de la fonction publique du Canada c Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 46, est directement à propos. Dans cette affaire, l’IPFPC a tenté de transformer un droit prévu à la convention collective, à savoir un congé annuel de 37,5 heures en de multiples congés de 37,5 heures, lesquels prenaient naissance chaque fois qu’un employé changeait d’unité de négociation. Il s’agit d’une situation analogue à celle en l’espèce. Dans cette affaire, la Commission a cependant rejeté, à bon droit, les arguments de l’IPFPC, dans des termes qui sont à propos en l’espèce :

43        Si je respecte l’intention apparente des parties que le congé de 37,5 heures prévu dans la clause 15.18 de la convention collective est un droit « une seule fois » à un congé, comment par exemple devrais-je régler la situation de l’employé qui a préalablement obtenu le même droit à un congé de 37,5 heures sous le régime d’une autre convention collective et qui a conservé ce droit en tant que nouveau membre du groupe AV en vertu de la clause 14.02 de sa convention collective? Si je retiens l’argument de l’agent négociateur, ce même employé obtient ainsi deux droits « une seule fois » à un congé en même temps, tous deux étant sanctionnés par la même convention collective (l’un par la clause 15.18 et l’autre par la clause 14.02). À mon humble avis, il est difficile de croire que c’est le résultat que souhaitaient les parties

44        Mon analyse m’a plutôt mené à conclure que l’interprétation par l’employeur de la clause 15.18 est davantage conforme à l’architecture de la convention collective dans son ensemble, bien que peut-être pas pour toutes les raisons qu’il invoque. Par la clause 15.03, les parties ont intentionnellement lié l’application de la disposition sur le congé annuel à une définition de « service » qui s’applique à l’échelle de la fonction publique. En vertu de la clause 15.03, le processus d’accumulation du service aux fins des congés annuels ne vise pas uniquement le groupe AV. Les autres dispositions de l’article 15 doivent être interprétées en harmonie avec cet élément clé du régime des congés annuels négocié par les parties. La clause 14.02, qui renforce le point de vue selon lequel c’est de la fonction publique en général dont il est question, doit aussi être conciliée avec les autres dispositions de la convention collective.

45        Dans ce contexte, je ne crois pas qu’il soit raisonnable et cohérent d’interpréter la clause 15.18 de la convention collective d’une manière qui permet qu’un droit conféré une seule fois puisse être invoqué à plusieurs reprises. À mon sens, le renvoi à « une seule fois » à la clause 15.18 puise son sens dans le contexte de l’accumulation unique d’années de service continu à l’échelle de la fonction publique aux fins du congé annuel ainsi qu’il est prévu à la clause 15.03. Le long de ce continuum, les employés accumulent de nouveaux crédits ou des crédits supplémentaires de congés annuels. Leur position sur le continuum — au chapitre de l’accumulation d’années de service — n’est pas modifiée lorsqu’ils passent d’une unité de négociation à une autre. Comme le révèlent les conventions collectives produites en preuve en l’espèce, il existe sur le continuum un point fixé en commun — deux années de service — où les employés obtiennent un droit spécial à un congé annuel de 37,5 heures décrit en commun. Chaque employé franchit cette étape des deux années de service une fois seulement. Compte tenu de ces paramètres, je ne crois pas qu’un droit une seule fois à un congé puisse se reproduire.

[70]           En l’espèce, il n’y a pas d’ambiguïté, de confusion ou d’incertitude découlant de la limitation de l’avantage (congé personnel) à une seule journée au cours de l’année financière, comme le prévoit la convention collective.

IX.             Les dépens

[71]           J’ai demandé aux avocats de me donner un montant des dépens; le demandeur a demandé 2 500 $, alors que la défenderesse a demandé 2 000 $.

X.                Conclusion

[72]           La Cour accueille la demande de contrôle judiciaire parce que la décision de la Commission était déraisonnable, car elle n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, s’il est nécessaire de tirer une conclusion à cet égard, l’interprétation retenue par la Commission entraîne une absurdité. Par conséquent, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre arbitre. La défenderesse versera au demandeur la somme de 2 500 $ à titre de dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire relativement à la décision 2013 CRTFP 133 rendue par l’arbitre David P. Olsen de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, datée du 1er novembre 2013 et accueillie;

2.      La décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre arbitre pour nouvelle décision;

3.      Des dépens, d’une somme de 2 500 $, sont adjugés au demandeur.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A .Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1957-13

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c STEPHANIE DELIOS

 

LIEU DE L’AUDIENCE:

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 SeptembRe 2014

 

motifs du JUgeMENT et jugement :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 novembRe 2014

 

COMPARUTIONS :

Talitha Nabbali

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Patrizia Campanella

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Welchner Law Office

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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