Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20141031


Dossier : T-1410-13

Référence : 2014 CF 1033

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2014

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

GREGORY SAILSMAN

demandeur

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F‑7, d’une décision rendue par le ministre du Revenu national, agissant par l’intermédiaire de l’Agence du revenu du Canada (ARC), et ayant pour effet de refuser au demandeur une prolongation du délai pour produire une déclaration d’impôt sur le revenu des non‑résidents en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi) qui lui éviterait de payer la pénalité associée à un dépôt tardif. 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Contexte

A.                Les arrangements fiscaux de M. Sailsman à l’époque où il résidait hors du Canada

[3]               Aux environs du mois de décembre 2007, M. Sailsman s’est établi aux Bermudes avec sa femme et son fils. Il a alors pris des dispositions pour que son père agisse comme son agent et qu’il produise des déclarations d’impôt en son nom et que toute la correspondance connexe lui soit envoyée. Dans une lettre du 30 mars 2009, M. Sailsman a été informé par l’ARC qu’il était considéré comme un non‑résident et qu’il pourrait être assujetti à la retenue d’impôt des non‑résidents sur les revenus de location de source canadienne.

[4]               Aux termes du paragraphe 212(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, un non‑résident doit payer un impôt sur le revenu de 25 % sur toute somme qu’une personne résidant au Canada lui paie ou porte à son crédit. Le non‑résident a la possibilité d’opter pour un mode de paiement de cet impôt différent en produisant, dans les six mois qui suivent la fin de sa dernière année d’imposition, une déclaration d’impôt sur le revenu en vertu de la Partie 1 de la Loi, et plus précisément du paragraphe 216(4).  Selon le mode de paiement, l’impôt est calculé en fonction du revenu de location net et non du revenu de location brut.

[5]               M. Sailsman a donc présenté le formulaire NR6, « Engagement à produire une déclaration de revenus par un non‑résident touchant un loyer de biens immeubles ou réels ou une redevance forestière », que l’ARC a reçu le 4 février 2010 et qu’elle a supposé devoir appliquer à l’année d’imposition 2010.

[6]               En soumettant le formulaire NR6, M. Sailsman s’est engagé à produire, conformément au paragraphe 216(4) de la Loi, une déclaration du revenu de location provenant de sources canadiennes pour l’année d’imposition 2010 (la déclaration du revenu de location de 2010).  La date limite pour produire la déclaration était le 30 juin 2011.

B.                 Le divorce de M. Sailsman pendant sa résidence aux Bermudes

[7]               Aux environs du 6 avril 2010, M. Sailsman s’est vu signifier par son épouse une demande de divorce, qui l’aurait pris complètement au dépourvu. Une lutte pour la garde de leur fils unique s’est ensuivie. Enfin, aux environs du 22 septembre 2010, la Cour suprême des Bermudes a ordonné le retour au Canada de son fils. M. Sailsman et son fils sont ainsi repartis pour le Canada le 25 septembre 2010.  L’ex-épouse du demandeur est restée aux Bermudes, quoiqu’elle vive maintenant en Jamaïque, et a continué son action judiciaire pour obtenir la garde de son fils et la compensation des éléments d’actifs. En 2013, ces poursuites n’étaient pas encore terminées. Entre-temps, M. Sailsman a perdu son emploi à IBM au mois de mars 2012.

C.                Le retour de M. Sailsman au Canada

[8]               Dans une lettre datée du 31 décembre 2010, M. Sailsman a voulu informer l’ARC qu’il était de retour au Canada et qu’il n’était plus un non‑résident en soumettant le formulaire NR4, « État des sommes payées ou créditées à des non-résidents du Canada ». Il y a joint un chèque de 180,00 $ et demandé que son compte de non‑résident soit fermé.

[9]               En février 2011, le père de M. Sailsman a téléphoné à l’ARC pour demander si le formulaire NR4 de son fils avait bien été reçu et demander que le compte de non‑résident soit fermé lorsque le formulaire NR4 aurait été traité. Le père de M. Sailsman a appris que le formulaire avait bien été reçu, mais pas encore traité.

[10]           Le 26 septembre 2011, l’ARC a écrit à M. Sailsman pour l’informer qu’il avait négligé de soumettre sa déclaration de revenu de location de 2010 avant la date limite du 30 juin 2011 à laquelle il s’était engagé dans son formulaire NR6. L’ARC l’a donc avisé qu’il devait acquitter un impôt de non‑résident de 25 % sur son revenu de location canadien. La somme à payer s’élevait à 7 920,00 $, plus l’intérêt applicable.

D.                La demande de M. Sailsman visant à faire admettre sa déclaration de revenu de location de 2010 malgré le dépôt tardif

[11]           Dans une lettre du 9 octobre 2011, le père de M. Sailsman a fait savoir à l’ARC que M. Sailsman ignorait qu’il devait présenter une déclaration de revenu de location de 2010 en plus du formulaire NR4. Il a joint la déclaration de revenu prévue au paragraphe 216(4) à sa lettre en demandant que l’ARC l’accepte sans imposer de pénalité.

[12]           Le 2 février 2012, l’ARC a accusé réception de la lettre du 9 octobre 2011 et informé M. Sailsman que sa demande serait renvoyée au comité chargé de l’allègement fiscal. Le 1er mars 2012, M. Sailsman a été avisé que sa demande serait traitée par le comité chargé de l’allègement fiscal comme une demande de prorogation aux termes du paragraphe 220(3) de la Loi, lequel habilite le ministre du Revenu national à proroger, en tout temps, le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la Loi.

[13]           Dans une lettre du 12 mars 2012, l’ARC a informé M. Sailsman que sa demande de prorogation avait été rejetée.

E.                 La demande de réexamen de M. Sailsman

[14]           Le 28 mars 2012, M. Sailsman a écrit au directeur du Bureau international des services fiscaux de l’ARC de réexaminer la décision du 12 mars 2012. Il a réitéré que s’il avait compris quels documents il devait produire avec ses déclarations du revenu de 2010, il les aurait présentés étant donné qu’il n’y avait pas de raison logique d’en produire un et pas l’autre. Il a également réitéré que sa situation [traduction] « ne pouvait être attribuable qu’à la façon dont [il avait] compris les exigences, et qu[‘il ne pouvait imputer] qu’à [son] état d’esprit de l’époque ». Il a ajouté que [traduction] « les complexités du processus de dépôt des documents et la difficulté d’obtenir des renseignements au sujet de [ses] déclarations ont également joué en [sa] défaveur ». M. Sailsman a conclu en faisant « appel à la clémence »  et a souligné qu’en dépit des quelques erreurs qu’il avait commises, il avait [traduction] « fait ce qu[‘il croyait] devoir faire à l’époque ».

[15]           La demande de réexamen de M. Sailsman a été confiée à un agent chargé de l’allègement fiscal du Bureau international des services fiscaux. Dans une lettre du 23 août 2012, M. Sailsman a appris que sa demande avait été rejetée. Il a engagé alors une procédure de contrôle judiciaire de cette décision.  Il a abandonné sa demande de contrôle lorsque le directeur du Bureau international des services fiscaux a accepté de renvoyer sa demande de réexamen à un agent de l’ARC qui ne s’était pas déjà occupé de l’affaire.

F.                 La deuxième demande de réexamen de M. Sailsman et la décision contestée

[16]           Le 23 juillet 2013, la deuxième demande de réexamen de M. Sailsman a été rejetée au  motif qu’aucune circonstance particulière ne semblait l’avoir empêché de produire sa déclaration de revenu de location de 2010 avant la date limite du 30 juin 2011.

[17]           La décision du 23 juillet 2013 (la décision contestée) passait en revue chacune des raisons qu’avait données M. Sailsman pour expliquer son défaut de produire la déclaration de 2010 dans les délais. Elle peut se résumer comme suit :

a.              Le régime fiscal canadien étant fondé sur l’autocotisation, c’est au contribuable qu’il incombe de s’informer de ses responsabilités fiscales, et le fait d’avoir mal compris les exigences relatives au dépôt des déclarations ne constitue pas une raison valide de demander un allègement.

b.             Bien que l’action en divorce et la bataille pour obtenir la garde de son enfant auxquelles M. Sailsman était partie puissent être perçues comme des circonstances exceptionnelles, ces procédures étaient terminées à la fin de 2010, et le demandeur aurait dû avoir le temps de produire sa déclaration de 2010 avant le 30 juin 2011.

c.              Le fait que M. Sailsman allait retourner au Canada pour y reprendre sa vie normale avec son fils le 1er novembre 2010 n’aurait pas dû l’empêcher de produire sa déclaration avant le 30 juin 2011.

d.             Il n’incombe pas au représentant du contribuable de produire les déclarations d’impôt et il n’incombe pas non plus aux agents des services téléphoniques de l’ARC de fournir au représentant ou au contribuable des renseignements qui débordent la nature de l’information demandée.

e.              M. Sailsman a produit une déclaration d’impôt sur le revenu le 17 mai 2011 pour l’année d’imposition 2010, ce qui signifie qu’il aurait dû pouvoir produire la déclaration du revenu de location de 2010 dans les délais prescrits un mois et demi plus tard.

[18]           M. Sailsman a entamé la procédure de demande de contrôle judiciaire le 21 août 2013.

II.                Questions à trancher

[19]           La demande de contrôle judiciaire de M. Sailsman comporte deux volets. Tout d’abord, M. Sailsman se plaint du défaut de l’ARC de lui fournir des renseignements clairs et opportuns lorsqu’il a demandé son aide à son retour au Canada au cours de l’automne 2010. Il attribue son non‑respect des exigences au retard que l’ARC a mis à répondre à ses lettres, à la longueur de temps qu’il lui a fallu patienter au téléphone avant de pouvoir parler avec un agent de l’ARC, et à l’insuffisance alléguée d’informations que lui ont fournies ces agents. Il soutient que, ce faisant, l’ARC [traduction] « a manqué au principe de l’équité procédurale ».   

[20]           Ensuite, M. Sailsman met en question le caractère raisonnable de la décision contestée au motif que l’ARC n’a pas convenablement tenu compte des circonstances exceptionnelles de sa situation, à savoir le stress aigu qu’il subissait et qu’il subit encore en raison de l’écroulement abrupt de son union en avril 2010. Bien qu’il eût reconnu que [traduction] « c’est au contribuable qu’il incombe de prendre toutes les mesures raisonnables dans la gestion de ses affaires fiscales », il affirme avoir « fait tout [son] possible » à cet égard.  

III.             Analyse

A.                L’argument de l’équité procédurale

[21]           Cet argument qu’avance M. Sailsman découle d’une méconnaissance de la nature de la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire. Ce qui est contesté ici c’est la décision de l’ARC de ne pas proroger le délai dont M. Sailsman disposait en vertu de la Loi pour déposer sa déclaration de revenu de location de 2010. Par conséquent, une contestation quant à l’équité procédurale qui serait pertinente en l’espèce tiendrait à la façon dont la demande que M. Sailsman a présentée le 9 octobre 2011 afin que sa déclaration de revenu de location soit acceptée sans pénalité avait été traitée, du point de vue de la procédure, par l’ARC et ses fonctionnaires.

[22]           Mais ce n’est pas ce que conteste M. Sailsman. L’argument du manquement à l’équité procédurale qu’il avance est plutôt lié à la façon dont l’ARC a traité ses formulaires NR4 et NR6 et pris la décision qu’il avait négligé de produire sa déclaration de revenu de location de 2010 dans les délais prescrits. Cet argument fait partie du fond de sa prétention selon laquelle l’ARC aurait dû proroger le délai en vertu du paragraphe 220(3) de la Loi et met en évidence les faits qui, auraient dû inciter l’ARC à accepter sa déclaration tardive du revenu de location de 2010. Il met du coup en question le caractère raisonnable de la décision contestée, et non son caractère légal sur le plan de l’équité procédurale. 

[23]           Quoi qu’il en soit, le processus décisionnel de l’ARC qui a donné lieu à la décision contestée n’a pas manqué d’équité procédurale. Comme nous l’avons déjà mentionné, aux termes du paragraphe 220(3) de la Loi, le ministre du Revenu national « peut en tout temps proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi ». Le pouvoir qui est conféré au ministre est purement discrétionnaire (Sixgraph Informatique Ltée c le Ministre du Revenu national), 2004 CF 759).  Aucun cadre législatif ou procédural ne régit les demandes présentées en vertu du paragraphe 220(3) de la Loi.

[24]           Dans ces circonstances, M. Sailsman pouvait s’attendre à ce qu’on lui donne la possibilité de présenter des observations pour soutenir sa demande de prorogation et que ses observations seraient prises en compte par l’ARC. La preuve au dossier montre clairement que la décision contestée était équitable sur le plan de la procédure : M. Sailsman a eu la possibilité de plaider sa cause, et l’ARC a réexaminé sa demande de prorogation à deux reprises à chacune des étapes de son traitement.

B.                 La décision de l’ARC de ne pas proroger l’échéance du dépôt de la déclaration du revenu de 2010 était raisonnable.  

[25]           M. Sailsman soutient que la décision qu’il conteste est déraisonnable parce que l’ARC n’a pas convenablement tenu compte des circonstances exceptionnelles créées par son éprouvante rupture conjugale. Il soutient aussi que la décision contestée est susceptible de contrôle au motif que l’ARC n’a pas convenablement tenu compte du fait qu’il n’a pas pu se prévaloir de renseignements clairs et opportuns lorsqu’il les a demandés à son retour au Canada au cours de l’automne 2010, et plus précisément des réponses tardives à ses lettres, du temps qu’il a dû patienter au téléphone avant de parler à des agents des services téléphoniques de l’ARC et des informations insuffisantes que lui ont données ces agents.  

[26]           Il est bien établi en droit que c’est la norme du caractère raisonnable, la norme de contrôle qui commande la plus grande déférence, qui s’applique généralement aux conclusions de fait et aux décisions discrétionnaires (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 53 et 54).  Dans la décision Sixgraph, précitée, la Cour fédérale a jugé qu’une décision prise en conformité du paragraphe 220(3) de la Loi devait être contrôlée selon la norme du caractère « manifestement déraisonnable  ». Avant l’arrêt Dunsmuir, cette norme était celle qui commandait la plus grande déférence et après l’arrêt Dunsmuir, elle a été remplacée par la norme de la décision raisonnable (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 45).

[27]           En l’espèce, la décision contestée était discrétionnaire et a été fondée sur les circonstances particulières de M. Sailsman. C’est donc la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Cette norme de contrôle s’appuie sur le principe qu’il existe pour chaque cas tout un éventail d’issues acceptables et qu’un décideur ne peut être blâmé d’en choisir une plutôt qu’une autre. Cela signifie que la Cour ne peut réexaminer les faits de l’espèce et substituer sa propre conclusion à la décision contestée, et qu’elle ne peut intervenir que si la décision contestée ne fait pas ressortir « [la] justification, [la] transparence et [l]’intelligibilité du processus décisionnel » et si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

[28]           En l’espèce, je conclus que la décision contestée est raisonnable : l’ARC énonce les motifs de sa décision dans la lettre qu’elle a envoyée à M. Sailsman le 23 juillet 2013, elle passe en revue chacun des points soulevés par M. Sailsman dans la demande de dépôt tardif de sa déclaration de revenu de location de 2010 et précise les raisons pour lesquelles la prorogation ne peut être accordée; elle énonce les faits pertinents et explique les raisons pour lesquelles les circonstances invoquées par le demandeur ne suffisent pas à accorder une prorogation.

[29]           Tous les points présentés par M. Sailsman pour expliquer pourquoi il n’a pas déposé ses déclarations à temps et pourquoi il conviendrait de lui accorder une prorogation ont été examinés.

[30]           Premièrement, l’ARC a conclu que le fait de ne pas avoir bien compris les obligations légales de produire une déclaration ne constituait pas une raison valable d’accorder une prorogation.  Elle explique dans sa décision contestée que, le régime fiscal canadien étant fondé sur l’autocotisation, les contribuables sont tenus de s’informer convenablement de leurs responsabilités en matière fiscale.

[31]           Deuxièmement, l’ARC a conclu que même si M. Sailsman était occupé par des procédures de divorce et de garde en 2010, il aurait dû avoir suffisamment de temps pour présenter sa déclaration de revenu de location de 2010. Dans sa décision contestée, l’ARC signale que, selon la preuve que M. Sailsman avait lui‑même présentée, les procédures de divorce et de garde se sont terminées vers la fin de 2010; comme il avait jusqu’au 30 juin 2011 pour produire sa déclaration de 2010, l’ARC a considéré qu’il en aurait eu amplement le temps.

[32]           Troisièmement, l’ARC a estimé que le fait que M. Sailsman eut repris le cours normal de sa vie au Canada à compter du 1er novembre 2010 et que le traumatisme psychique dont avait souffert son fils par suite des procédures de divorce et de garde n’étaient pas des raisons acceptables de passer outre à l’échéance du 30 juin 2011 fixée  pour le dépôt de sa déclaration de revenu de location de 2011. L’ARC a fait savoir qu’elle établirait une période d’ajustement pour lui-même et son fils, mais que M. Sailsman n’avait pas expliqué comment tout cela l’avait empêché de produire sa déclaration à temps.

[33]           Quatrièmement, l’ARC a estimé que le fait que le père de M. Sailsman n’avait pas été avisé de l’obligation de produire une déclaration de revenu de location ne constituait pas non plus une raison valable de lui accorder une prorogation. L’ARC a déclaré qu’il incombait à M. Sailsman de déclarer ses revenus de location, et non à son père. De plus, l’ARC a fait remarquer que le père de M. Sailsman n’avait pas cherché à s’informer précisément des obligations fiscales lorsqu’il s’était entretenu avec un fonctionnaire de l’ARC au téléphone et que ses questions étaient plutôt d’ordre général.

[34]           Cinquièmement, l’ARC a conclu que le fait que M. Sailsman n’avait pas été avisé des exigences relatives au dépôt des déclarations lorsqu’il s’est informé au sujet du formulaire NR4 et de son statut de résident ne constituait pas une raison valable de lui accorder une prorogation. L’ARC a expliqué que lorsqu’un de ses agents répond à une question d’ordre général au téléphone, il n’est pas tenu de fournir des renseignements sur des exigences particulières à moins que son interlocuteur ne lui donne des précisions, telles que le fait que M. Sailsman tirait un revenu de la location d’une propriété au Canada pendant qu’il était non‑résident. M. Sailsman n’a pas fourni cette information en l’espèce. Cet élément de preuve n’a pas été contesté par M. Sailsman.

[35]           Enfin, l’ARC a signalé que, puisque M. Sailsman avait produit le 17 mai 2011 une déclaration d’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2010, il aurait pu produire sa déclaration de revenu de location de 2010 pour le 30 juin 2011.

[36]           En résumé, M. Sailsman a été informé en février 2011 que son formulaire NR4 n’avait pas encore été traité. Il a quand même présumé qu’il n’était pas tenu de produire, au plus tard le 30 juin  2011, la déclaration de revenu de location de 2010 qu’il s’était engagé à produire avec le formulaire NR6 qu’il avait présenté l’année précédente. Comme il l’a déclaré, s’il avait su quels documents présenter, il aurait présenté les déclarations requises à temps. Cependant, dans un régime fiscal fondé sur l’autocotisation comme celui du Canada, c’est à lui de s’informer de ses obligations fiscales. Rien n’indique que l’ARC l’a induit en erreur à cet égard.

[37]           M. Sailsman a présumé qu’il n’avait plus à produire sa déclaration de revenu de location de 2010. Sa supposition était erronée. Puisqu’il a produit sa déclaration de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2010 le 17 mai 2011, s’il n’avait pas fait cette supposition erronée, il aurait très bien pu produire aussi sa déclaration de revenu de location de 2010 en dépit de l’état d’esprit dans lequel il a dit se trouver à l’époque.

[38]           En conséquence, tous ces points pris dans leur ensemble, je conclus que la décision contestée est justifiée, transparente et intelligible et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables. Autrement dit, rien dans la décision contestée ne justifie l’intervention de la Cour.   

[39]           M. Sailsman reconnaît dans ses observations écrites qu’il incombe aux contribuables [traduction] « de prendre tous les moyens raisonnables pour s’acquitter de leurs obligations fiscales ». À cet égard, il déclare avoir [traduction] « fait tout en [son] possible] ». Cependant, ce n’est pas le critère qu’il devait respecter. Il devait plutôt convaincre l’ARC que des circonstances spéciales allaient l’empêcher de respecter la date limite du 30 juin 2011. L’ARC a conclu qu’il n’avait pas établi que des circonstances spéciales pesaient sur lui. Au vu du dossier dont je dispose, je conclus que cette issue était acceptable et défendable au regard des faits et du droit. 

[40]           Tout au long de son plaidoyer devant la Cour, M. Sailsman a sans cesse répété qu’il se serait attendu à un bien meilleur service de la part de l’ARC, un service du genre de celui que les institutions financières fournissent à leurs clients. Ses attentes étaient tout simplement inopportunes.

[41]           Contrairement aux institutions financières, l’ARC n’est pas une entreprise commerciale qui offre des produits et des services sur un marché ouvert et concurrentiel. L’ARC a été créée par le législateur et a le mandat d’administrer un régime d’impôt sur le revenu qui est fondé sur la déclaration volontaire des contribuables. La Loi confère à cette fin à l’ARC de vastes pouvoirs de supervision du système de cotisation et de vérification des contribuables. À cet égard, l’ARC et les contribuables ont des intérêts opposés. On ne saurait donc charger l’ARC de protéger les contribuables des pertes occasionnées par leurs cotisations (Leighton c Canada (Procureur général), 2012 BCSC 961, au paragraphe 54). L’ARC et les contribuables ont une relation de débiteur‑créancier, gouvernée par la loi et, en un sens, conflictuelle. Par conséquent, sauf abus de ses pouvoirs légaux, l’ARC n’est tenue à l’égard d’un contribuable que d’agir conformément à la loi et aux fins prévues par la loi (Humby c Central Springs Ltd., 2013 CF 1136, aux paragraphes 118 à 122).

[42]           Bien que M. Sailsman n’ait pas réclamé le remboursement des dépens dans sa demande de contrôle judiciaire, l’ARC l’a fait. Conformément à l’article 400 des Règles des Cours fédérales,  la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant et la répartition des dépens et de désigner les personnes à qui ils doivent être payés. En règle générale, les dépens devraient suivre l’issue de la cause, et il en sera ainsi en l’espèce. Cependant, étant donné que M. Sailsman n’est pas représenté par un conseil, qu’il a fait preuve de bonne foi et que nous avons affaire ici à un cas plutôt simple, j’ai décidé d’adjuger à l’ARC des dépens de 500 $ qui comprennent les débours et qui seront versés en un paiement forfaitaire.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Des dépens de 500 $ qui comprennent tous les débours sont adjugés au défendeur.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1410-13

INTITULÉ :

GREGORY SAILSMAN c MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 SEPTEMBRE 2014

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 31 OCTOBRE 2014

COMPARUTIONS :

Gregory Sailsman

DEMANDEUR

Ricky Tang

Andrea Jackett

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.