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Date : 20141023


Dossier : IMM-7279-14

Référence : 2014 CF 1011

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

CHIFRA ORASSIN

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur se présente devant cette Cour avec une demande de sursis à l’encontre de l’ordonnance de mise en liberté émise par un commissaire de la Section de l’immigration [SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[2]               Le commissaire a ordonné la libération de la défenderesse sous deux conditions : de fournir son adresse de résidence et de se rapporter à l’Agence des services frontaliers du Canada une fois par semaine, sans aucun cautionnement ou garantie. Le commissaire n’a pas démontré de façon claire et convaincante les raisons pour lesquelles il a entièrement mis de côté le raisonnement antérieur de ses collègues sans changement de la situation ni des circonstances de la partie défenderesse.

I.                   Question sérieuse

[3]               La défenderesse n’a pas satisfait aux conditions antérieures à l’égard de son dossier criminel et elle a évité de donner son adresse aux autorités.

[4]               Par le passé, la défenderesse ne s’est pas présentée pour son renvoi et elle a fourni une fausse identité lors de son arrestation par la police. De plus, une garantie de mille dollars (1 000 $) acceptée antérieurement par son garant a été saisie suite au non-respect des conditions par la défenderesse. (Décision du 6 octobre 2014 de la SI, dossier de requête, page 28).

[5]               Le commissaire aurait pu rendre une décision autre que rendue antérieurement s’il aurait expliqué par des justifications les raisons pour lesquelles il s’éloignait des raisonnements antérieurs à l’égard de la défenderesse.

[6]               La Cour d’appel fédérale, dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 RCF 572, a spécifié comment aborder un contrôle des motifs de détention en s’assurant que des décisions antérieures sont prises en considération. Donc, pour écarter un raisonnement antérieur de la SI, un commissaire est obligé de rendre des motifs clairs et convaincants démontrant une justification pour son éloignement d’une détermination antérieure.

[24]      Les motifs de la juge Gauthier sont énoncés de façon logique et claire. Je suis entièrement convaincu qu'elle a correctement appliqué aux conclusions tirées par M. Iozzo les normes de contrôle appropriées et qu'elle a correctement interprété le droit applicable. Je réponds à la question certifiée de la façon suivante :

Lors de tout contrôle des motifs de la détention effectué suivant les articles 57 et 58 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, la Section de l'immigration doit rendre une nouvelle décision quant à la question de savoir si une personne détenue devrait être maintenue en détention. Bien que le fardeau de preuve puisse être déplacé pour incomber au détenu une fois que le ministre a établi prima facie qu'il y a lieu de maintenir la détention, il incombe en fin de compte toujours au ministre, lors de tels contrôles des motifs de la détention, d'établir que la personne détenue constitue un danger pour la sécurité publique au Canada ou qu'elle risque de se soustraire à la justice. Cependant, les décisions antérieures ordonnant la détention d'une personne doivent être prises en compte lors de contrôles subséquents et la Section de l'immigration doit énoncer des motifs clairs et convaincants pour pouvoir aller à l'encontre des décisions antérieures

[7]               La décision du commissaire a écarté des décisions antérieures sans démontrer une justification claire et convaincante.

[8]               La défenderesse par le passé ne s’est pas présentée pour son renvoi. Elle est rentrée au Canada à l’époque illégalement en travaillant également illégalement comme danseuse sachant en plus qu’elle a déclaré une fausse identité lors de son arrestation par la police. Le commissaire a entièrement ignoré cette preuve au dossier.

[9]               La Cour d’appel fédérale a déjà rendu une décision (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Li, 2009 CAF 85) à l’égard des décideurs qui spéculent plutôt qu’ils n’analysent la preuve devant eux.

[62]      En toute déférence, je ne crois pas qu'il était convenable, de la part de la Commission, lors du contrôle des motifs de détention du 11 septembre 2008, de fonder son estimation de la durée prévue de la détention sur une simple opinion préliminaire alors que la décision finale ne pouvait être connue qu'un mois plus tard et qu'un contrôle des motifs de détention a lieu chaque mois. Cette opinion a amené la Commission à présumer que la Cour fédérale autoriserait l'introduction d'une demande de contrôle judiciaire et qu'un appel serait nécessairement interjeté à la Cour d'appel. Elle s'est alors estimée justifiée de réviser son estimation de temps précédente pour tenir compte de la période supplémentaire attribuable à cette hypothèse.

[63]      Cette hypothèse reposait sur des spéculations quant à la future décision d'ERAR du ministre. Compte tenu du fait qu'un autre contrôle devait avoir lieu un mois plus tard, il n'était ni nécessaire ni raisonnable à ce moment-là de se livrer à ce genre de spéculation et de formuler ce type d'hypothèse. Comme nous le verrons plus loin, l'évaluation de la durée future de la détention qui s'en est suivie était spéculative et prématurée.

[…]

[66]      Désormais, toutefois, aux termes du paragraphe 57(2) de la LIPR, il y a un contrôle des motifs justifiant le maintien en détention "au moins tous les trente jours suivant le contrôle précédent". Ce court délai de 30 jours maximum entre les contrôles permet d'effectuer une estimation fondée sur les faits concrets et les procédures en instance, au lieu de s'en remettre à une estimation fondée sur des spéculations portant sur des faits et des procédures éventuels

[67]      Tous les trente jours, l'autorité qui procède au contrôle obtient un portait fidèle de la situation en ce qui concerne la détention. Elle peut tenir compte du temps effectivement passé en détention et des instances en cours. Elle peut également tenir compte de l'état d'avancement de ces instances et de leur déroulement et estimer ainsi de façon réaliste la durée anticipée du prolongement de la détention en se fondant sur des faits existants plutôt que sur des hypothèses. Elle peut ensuite compter la durée du temps passé en détention et l'ajouter au temps nécessaire pour traiter des instances actuelles en cours. Si elle surestime ou sous-estime la durée anticipée du prolongement de la détention, elle peut rapidement corriger les chiffres lors du contrôle suivant des motifs de détention, qui a lieu au plus tard trente jours après.

[68]      Pour résumer, l'article 57 de la LIPR permet ce que la Cour suprême du Canada a qualifié de contrôle vigoureux de la nécessité du maintien de la détention fondé sur des renseignements concrets qui peuvent être révisés tous les trente jours. À mon humble avis, la Commission a agi de façon déraisonnable et a commis une erreur de droit justifiant l'infirmation de sa décision en spéculant sur la décision à venir du ministre et sur des procédures potentielles mais non encore existantes, et en présumant, sur le fondement de ces spéculations, que les instances en question seraient autorisées par la Cour fédérale et que notre Cour serait par la suite saisie de la question. La Cour fédérale a elle aussi commis une erreur de droit justifiant l'infirmation de sa décision en retenant la méthode spéculative adoptée par la Commission.

[10]           Comme la défenderesse a travaillé de façon illégale avec un mépris flagrant des lois canadiennes, la matière ne se prête pas à une spéculation mais plutôt à une analyse approfondie de la preuve au dossier.

II.                Préjudice irréparable

[11]           Si la défenderesse était remise en liberté, la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire deviendrait théorique.

III.             Balance des probabilités

[12]           La Cour note que si la requête en sursis est accordée, la défenderesse aura une nouvelle révision de sa détention dans les trente (30) jours, et aura même la possibilité d’une révision précipitée. Également, si le sursis n’est pas accordé, la défenderesse pourrait reprendre son comportement antérieur qui empêcherait le demandeur d’exécuter la mesure de renvoi. La Cour note qu’un renvoi possible est prévu vers les États-Unis selon les dernières informations de la Cour.

[13]           Le demandeur a satisfait aux trois critères conjonctifs de la décision de la Cour suprême du Canada dans R.J.R. – MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311.

[14]           Donc, la Cour ordonne le sursis à l’ordonnance de la mise en liberté de la défenderesse jusqu’à ce que la défenderesse ait une nouvelle révision de sa détention avec une décision rendue à l’appui.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE un sursis à l’ordonnance de la mise en liberté de la défenderesse jusqu’à ce que la défenderesse ait une nouvelle révision de sa détention avec une décision rendue à l’appui.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7279-14

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c CHIFRA ORASSIN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 octobre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 octobre 2014

 

COMPARUTIONS :

Sonia Bédard

 

Pour le demandeur

 

Stewart Istvanffy

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Étude légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

 

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