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Date : 20141029


Dossier : T-2042-13

Référence : 2014 CF 1028

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

SHAHEEN AFZAL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JuGEment ET MOTIFS

[1]               Le 26 septembre 2013, la demanderesse a comparu devant un juge de la citoyenneté à Hamilton, en Ontario, a prêté serment d’allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth II et s’est engagée à observer fidèlement les lois du Canada. Un certificat de citoyenneté lui a été délivré et elle a quitté la cérémonie en tant que citoyenne canadienne. Ou l’était‑elle?

[2]               Précédemment, la demanderesse n’avait pas répondu à deux des exigences préalables impératives à l’obtention de la citoyenneté prévues aux alinéas 5(1)d) et e) de la Loi sur la citoyenneté (L.R.C., 1985, ch. C‑29) (la Loi) :

Attribution de la citoyenneté

Grant of citizenship

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois:

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[…]

[…]

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship;

[3]               À l’examen écrit, la demanderesse a obtenu 2/6 pour le volet linguistique et 8/20 pour le volet des connaissances. Ses résultats ne se sont pas améliorés lors de sa comparution subséquente devant le juge de la citoyenneté, où elle a obtenu 0/6 pour le volet linguistique et 4/20 pour le volet des connaissances. Le juge de la citoyenneté a coché les cases indiquant que la demanderesse ne répondait pas aux exigences impératives prévues aux alinéas 5(1)d) et e). Dans la section des « motifs », le juge a écrit ce qui suit :

[traduction]

La demanderesse a signé un formulaire de consentement du SIED. Elle a échoué à l’évaluation des compétences linguistiques avec la note de 0/6 et ne répond pas aux exigences prévues à l’alinéa 5(1)d) de la Loi sur la citoyenneté. La demanderesse a échoué à l’évaluation des connaissances avec la note de 4/20 et ne répond pas à l’exigence prévue à l’alinéa 5(1)e) de la Loi sur la citoyenneté.

[4]               Le juge de la citoyenneté n’a pas recommandé au ministre, en vertu du paragraphe 5(3) de la Loi, d’attribuer la citoyenneté pour des raisons d’ordre humanitaire.

[5]               Il s’ensuivit une série d’erreurs administratives. Le juge de la citoyenneté a coché la mauvaise case de « Décision », indiquant que la demande de citoyenneté canadienne avait été accueillie. Le lendemain, soit le 5 septembre 2013, l’agent ministériel de la citoyenneté responsable du traitement du dossier à signé la case box « Décision vue » et coché la case « Attribution de la citoyenneté » en vertu du paragraphe 5(1), aggravant ainsi l’erreur commise initialement. Quelques jours plus tard, la demanderesse a reçu un avis de convocation à une cérémonie de citoyenneté et, le 26 septembre 2013, elle a prêté serment de citoyenneté et reçu un certificat de citoyenneté.

[6]               Cependant, immédiatement après la cérémonie, l’agent de la citoyenneté Jean‑Simon Cantin, qui a agi à titre de greffier lors de la cérémonie de citoyenneté (et qui n’était pas l’agent qui avait coché la case « Décision vue »), a constaté l’erreur. Il a immédiatement appelé au domicile de la demanderesse et a laissé un message auprès de son fils. Le lendemain, l’agent Cantin a appelé la demanderesse sur son téléphone cellulaire et laissé de nouveau un message. La demanderesse ne l’a jamais rappelé.

[7]               Le ou vers le 22 novembre 2013, le greffier a conclu que la demanderesse s’était vu attribuer le certificat par erreur et, en vertu du paragraphe 26(3) du Règlement sur la citoyenneté (DORS/93‑246) (le Règlement), il a annulé le certificat de citoyenneté. Le paragraphe 26(3) du Règlement est ainsi libellé :

26 (3) Lorsque le ministre a déterminé que le titulaire d’un certificat de naturalisation, d’un certificat de citoyenneté, d’un certificat de citoyenneté petit format ou autre certificat de citoyenneté portant sa photographie, ou d’un certificat de répudiation délivré ou attribué en vertu de la Loi ou de la législation antérieure ou en application de leurs règlements n’a pas droit à ce certificat, le greffier annule le certificat.

26 (3) Where the Minister has determined that the holder of a certificate of naturalization, certificate of citizenship, miniature certificate of citizenship or other certificate that contains the holder’s photograph, or certificate of renunciation, issued or granted under the Act or prior legislation or any regulations made thereunder is not entitled to the certificate, the Registrar shall cancel the certificate.

(je souligne)

(emphasis added)

[8]               En somme, la demanderesse a obtenu un privilège de grande valeur que le ministre souhaite retirer, et la question en litige dans la présente affaire consiste à déterminer si le Règlement prévoit le pouvoir de retirer ce privilège. La demanderesse fait valoir que le Règlement ne confère pas au greffier le pouvoir de révoquer un certificat de citoyenneté. Le Règlement ne constitue pas un mécanisme parallèle permettant de suppléer aux motifs prévus par la loi en vertu desquels la citoyenneté, une fois qu’elle a été obtenue, peut être perdue. L’article 7 de la partie II de la Loi l’énonce clairement :

Perte de la citoyenneté

No loss except as provided

7. Le citoyen ne peut perdre sa citoyenneté que dans les cas prévus à la présente partie ou aux règlements pris en vertu de l’alinéa 27(j.1).

7. A person who is a citizen shall not cease to be a citizen except in accordance with this Part or regulations made under paragraph 27(j.1).

[9]               La demanderesse affirme aussi que la révocation de sa citoyenneté était illégale parce qu’aucun avis ne lui avait été donné, parce que la révocation contrevenait à l’équité procédurale et, par conséquent, qu’elle doit être annulée.

[10]           Avant d’examiner ces arguments, je me penche sur les conséquences de l’omission du ministre d’interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté. Aucun avis d’appel de la décision du juge de la citoyenneté n’a été déposé, même si le ministre et ses fonctionnaires ont eu connaissance de l’erreur dans le délai d’appel de 60 jours prévu au paragraphe 14(5).  La demanderesse soutient que le greffier, ayant manqué le délai d’appel, ne peut, au moyen d’une disposition administrative et réglementaire, attaquer de façon incidente la décision du juge de la citoyenneté.

[11]           À mon avis, cet argument nous éloigne de la question centrale de l’interprétation de la loi et du règlement. À la suite de l’émission du certificat, aucun appel ne pouvait être interjeté relativement à la décision du juge de la citoyenneté. La décision était caduque, ayant été remplacée par le serment et le certificat. Il convient de rappeler que l’erreur avait été découverte après que le certificat a été émis et que le serment a été prêté. Il était trop tard pour interjeter appel – non parce que le délai de 60 jours était expiré, ce qui n’était pas le cas, mais parce que le fondement factuel de l’appel avait cessé d’exister. Le fondement de la requête de la demanderesse ou la preuve de citoyenneté n’était plus la décision du juge de la citoyenneté, mais plutôt le certificat de citoyenneté.

I.                   Questions en litige et normes de contrôle applicables

[12]           La question centrale dont la Cour est saisie est la résolution de la tension ou de l’interaction entre l’article 7 de la Loi et le paragraphe 26(3) du Règlement. Le Règlement sur lequel le greffier s’est fondé pour annuler le certificat est établi par l’article 27 de la Loi. Les alinéas 27j) et k) de la Loi sont ainsi libellés :

Règlement

Regulations

27. Le gouverneur en conseil peut, par règlement

27. The Governor in Council may make regulations

[…]

[…]

j) régir la restitution et la rétention des certificats de citoyenneté, de naturalisation ou de répudiation délivrés en vertu de la présente loi ou de la législation antérieure ou en application de leurs règlements lorsqu’il y a des raisons de croire que leur titulaire n’y a peut-être pas droit ou a enfreint la présente loi;

(j) providing for the surrender and retention of certificates of citizenship, certificates of naturalization or certificates of renunciation issued or granted under this Act or prior legislation or any regulations made thereunder if there is reason to believe that the holder thereof may not be entitled thereto or has contravened any of the provisions of this Act;

[…]

[…]

k) régir la restitution et l’annulation des certificats mentionnés à l’alinéa j) lorsque leur titulaire a cessé d’y avoir droit;

(k) providing for the surrender and cancellation of certificates referred to in paragraph (j) where the holder thereof has ceased to be entitled thereto;

(je souligne)

(emphasis added)

[13]           L’argument principal de la demanderesse est qu’à l’article 7, le législateur a tenu compte des circonstances dans lesquelles la citoyenneté peut être perdue et a prévu expressément la mesure selon laquelle la citoyenneté peut être enlevée par le pouvoir de réglementation. Aucune des exceptions prévues à l’article 7 (fausses représentations ou communications importantes) ni les circonstances prévues par règlement à l’alinéa 27j.1) (né à l’étranger d’un Canadien qui n’est pas devenu citoyen avant le 15 février 1977) ne s’applique en l’espèce.

[14]           La question centrale d’interprétation législative est examinée au regard de la norme de contrôle de la décision correcte. La question qui consiste à savoir s’il y a eu un manquement à l’équité procédurale est aussi examinée au regard de la norme de contrôle de la décision correcte, mais la décision prise par le greffier selon laquelle la citoyenneté de la demanderesse avait été attribuée en raison d’une erreur administrative fait appel à l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits. Il s’agit donc d’une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

II.                Régime législatif gouvernant la citoyenneté

[15]           La citoyenneté canadienne repose sur un fondement législatif. Il n’existe aucun droit à la citoyenneté indépendant ou distinct autrement qu’en conformité avec les dispositions de la partie I de la Loi – Le droit à la citoyenneté. Essentiellement, la citoyenneté peut être acquise par la naissance (alinéas 3(1)a) et b)) ou, comme en l’espèce, à la suite de la résidence permanente (alinéa 3(1)c)). La partie II de la Loi – Perte de la citoyenneté autorise la révocation de la citoyenneté en vertu du paragraphe 10(1) lorsque le gouverneur en conseil est convaincu, sur rapport du ministre, que la personne visée a acquis la citoyenneté par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration. L’erreur administrative ne constitue pas l’un des motifs énumérés à la partie II.

[16]           Dans le cas d’un résident permanent cherchant à obtenir la citoyenneté canadienne, les conditions préalables expressément énoncées dans la Loi doivent être respectées. Suivant ces conditions, il faut démontrer un certain niveau de compétence linguistique dans l’une ou l’autre des langues officielles du Canada et une connaissance suffisante des normes sociales, civiques et politiques du Canada. Ces compétences doivent être établies avant que la citoyenneté ne soit attribuée.

[17]           Le paragraphe 14(1) prévoit qu’une demande de citoyenneté « [doit être examinée par un] juge de la citoyenneté [qui] statue […] sur la question de savoir si le demandeur [remplit les conditions prévues par la Loi et le Règlement] ». Conformément au paragraphe 14(2), le juge de la citoyenneté approuve ou rejette la demande. Comme il en est fait mention, le paragraphe 14(5) autorise le ministre ou le demandeur à interjeter appel dans les soixante jours de la décision rendue par le juge de la citoyenneté.

[18]           L’article 12 de la partie IV de la Loi – Certificat de citoyenneté prévoit que lorsqu’une demande de citoyenneté présentée au titre de l’article 5 a été approuvée, le ministre doit délivrer le certificat.

Demandes émanant de citoyens

Application for certificate of citizenship

12. (1) Sous réserve des règlements d’application de l’alinéa 27i), le ministre délivre un certificat de citoyenneté aux citoyens qui en font la demande.

12. (1) Subject to any regulations made under paragraph 27(i), the Minister shall issue a certificate of citizenship to any citizen who has made application therefore.

Délivrance aux nouveaux citoyens

Issue of certificate

(2) Le ministre délivre un certificat de citoyenneté aux personnes dont la demande présentée au titre des articles 5 ou 5.1 ou du paragraphe 11(1) a été approuvée.

(2) When an application under section 5 or 5.1 or subsection 11(1) is approved, the Minister shall issue a certificate of citizenship to the applicant.

Entrée en vigueur

When effective

(3) Le certificat délivré en application du présent article ne prend effet qu’en tant que l’intéressé s’est conformé aux dispositions de la présente loi et aux règlements régissant la prestation du serment de citoyenneté.

(3) A certificate issued pursuant to this section does not take effect until the person to whom it is issued has complied with the requirements of this Act and the regulations respecting the oath of citizenship.

III.             Point de vue de la demanderesse relativement au régime législatif

[19]           La demanderesse soutient qu’elle est une citoyenne, qu’elle détient le certificat pour le prouver et, en outre, qu’à l’article 7, le législateur a traité expressément des seules circonstances selon lesquelles la citoyenneté, une fois obtenue, peut être perdue. Le Règlement, au sens où l’entend l’article 27 de la Loi, est nécessairement limité à l’application et au soutien des circonstances prévues à la partie II de la Loi concernant la perte ou la révocation de la citoyenneté, ou à la situation où un certificat est requis pour des procédures civiles ou criminelles, ou comme preuve dans le cadre d’une enquête. De plus, le libellé de l’alinéa 27j) de la Loi qui prévoit que « lorsqu’il y a des raisons de croire que leur titulaire n’y a peut-être pas droit », ne peut constituer un pouvoir distinct de révocation de la citoyenneté, puisque le législateur a traité expressément cette question aux articles 7 et 10.

[20]           Pour élaborer sur ce point, la demanderesse est d’avis que le paragraphe 26(3) du Règlement doit être interprété conjointement avec l’article 7 et les paragraphes 12(2), 14(1) et 14(5) de la Loi et, dans ce cas, le paragraphe 26(3) du Règlement ne confère pas au greffier le pouvoir d’annuler un certificat de citoyenneté qui a été attribué après qu’une demande de citoyenneté a été approuvée par un juge de la citoyenneté. Plus simplement, la demanderesse soutient que le défendeur se fonde sur le paragraphe 26(3) du Règlement pour faire ce que la Loi ne l’autorise pas à faire. Suivant l’article 12 de la Loi, la citoyenneté doit être attribuée, et le législateur a prescrit et limité les recours soit à un appel soit au lancement de procédures de révocation.

[21]           En somme, l’argument de la demanderesse est que la finalité envisagée par le régime législatif ne peut, en l’absence d’un pouvoir législatif, être mise de côté parce que le ministre souhaite obtenir un autre résultat. Interpréter le Règlement de façon si large dépouillerait le régime législatif de tout son sens, puisque le certificat pourrait être révoqué par une simple mesure administrative du greffier étant d’avis que la demanderesse n’avait pas le droit de recevoir de certificat. La législation prévoit un droit d’appel (maintenant le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire) devant la Cour fédérale ainsi que des procédures de révocation. La loi elle‑même prévoit que le ministre délivre le certificat et, de la même manière, s’il n’est pas satisfait de la décision du juge de la citoyenneté, il peut interjeter appel.

IV.             Analyse

A.                Fondement législatif de l’annulation par règlement

[22]           Tout examen du lien entre les lois et les règlements débute par l’application de deux principes. Premièrement, il est évident que les termes d’une loi doivent être interprétés dans leur contexte global et dans leur sens grammatical et ordinaire qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Deuxièmement, un règlement est subordonné à une loi et, ainsi, ne peut pas déroger à la loi ni être contraire à celle‑ci. Comme l’explique la professeure Ruth Sullivan dans Statutory Interpretation, 2e éd. (Toronto : Irwin Law, 2007) à la page 312, [traduction] « la primauté des lois sur les dispositions législatives subordonnées constitue une présomption » et, dans les situations de conflit, [traduction] « la loi est présumée avoir préséance ». Un règlement ne peut enlever ce que la loi a attribué.

[23]           À cet égard, l’argument de la demanderesse est bien fondé. Les lois ne peuvent être annulées par des dispositions législatives subordonnées. Pour annuler par règlement un certificat de citoyenneté attribué par la loi, il doit y avoir un fondement législatif. Un tel fondement existe. En effet, on compte les deux fondements suivants : le paragraphe 12(3) et l’alinéa 27j) de la Loi. Examinons d’abord le paragraphe 12(3).

[24]           Le paragraphe 12(3) est ainsi libellé :

Entrée en vigueur

When effective

12 (3) Le certificat délivré en application du présent article ne prend effet qu’en tant que l’intéressé s’est conformé aux dispositions de la présente loi et aux règlements régissant la prestation du serment de citoyenneté.

12 (3) A certificate issued pursuant to this section does not take effect until the person to whom it is issued has complied with the requirements of this Act and the regulations respecting the oath of citizenship.

[25]           Le paragraphe 12(3) établit un fondement législatif pour l’annulation d’un certificat délivré par erreur. Un certificat, même s’il a été délivré, n’a aucun effet si les conditions préalables à la citoyenneté n’ont pas été remplies. La citoyenneté de la demanderesse n’avait pas été révoquée et les articles 7, 10 et 18 ne s’appliquaient pas, puisque la demanderesse n’a jamais obtenu la citoyenneté. Les exigences de la loi n’avaient pas été remplies.

[26]           Examinons maintenant le second fondement législatif qui appuie la mesure réglementaire. De nouveau, l’article 27 permet de prendre les mesures suivantes par règlement :

Règlements

Regulations

27. Le gouverneur en conseil peut, par règlement

27. The Governor in Council may make regulations

[…]

[…]

j) régir la restitution et la rétention des certificats de citoyenneté, de naturalisation ou de répudiation délivrés en vertu de la présente loi ou de la législation antérieure ou en application de leurs règlements lorsqu’il y a des raisons de croire que leur titulaire n’y a peut-être pas droit ou a enfreint la présente loi;

(j) providing for the surrender and retention of certificates of citizenship, certificates of naturalization or certificates of renunciation issued or granted under this Act or prior legislation or any regulations made thereunder if there is reason to believe that the holder thereof may not be entitled thereto or has contravened any of the provisions of this Act;

[…]

[…]

k) régir la restitution et l’annulation des certificats mentionnés à l’alinéa j) lorsque leur titulaire a cessé d’y avoir droit;

(k) providing for the surrender and cancellation of certificates referred to in paragraph (j) where the holder thereof has ceased to be entitled thereto;

(je souligne)

(emphasis added)

[27]           Les alinéas 27j) et k) prévoient deux situations où un certificat de citoyenneté peut être annulé. En l’espèce, la greffière était d’avis que la demanderesse n’avait pas droit au certificat. Cette opinion avait un fondement objectif, basé sur le dossier dont elle avait été saisie. La mesure était purement administrative et n’exigeait aucun examen de la décision ou, ce qui est encore plus important, de nouvel examen du fond de la décision du juge de la citoyenneté. La compétence conférée par le Règlement a été exercée tel que prévu, non pas pour modifier une décision ministérielle ou pour y substituer une décision qui avait été prise en vertu de la Loi, mais plutôt pour veiller à ce que le résultat soit conforme au processus décisionnel prévu par la Loi. De ce point de vue, le paragraphe 26(3) du Règlement est analogue à l’alinéa 397(1)a) des Règles des Cours fédérales qui permettent au tribunal de réexaminer une ordonnance qui n’est pas conforme aux motifs fournis. C’est exactement ce qui s’est passé en l’espèce. Les règles de pratique applicables aux cours supérieures contiennent des mécanismes visant à remédier aux erreurs administratives, et il n’est pas étonnant de trouver une disposition analogue dans les lois, notamment la Loi sur la citoyenneté.

[28]           Interpréter l’article 7 comme l’emportant sur l’article 27 de la Loi entraînerait deux résultats absurdes. Premièrement, le droit privilégié à la citoyenneté serait attribué à une personne n’ayant pas, en fait ou en droit, le droit de l’obtenir. L’intention du législateur voulant que tous les Canadiens possèdent une capacité linguistique minimale et un esprit civique serait contrecarrée. Deuxièmement, la procédure déclenchée pour remédier à l’erreur administrative, à savoir celle d’un rapport ministériel, l’examen du Cabinet et le contrôle judiciaire, serait totalement disproportionnée par rapport à la nature des questions sous‑jacentes à l’annulation du certificat.

[29]           En outre, comme on l’indique dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, au paragr. 27, les interprétations qui rendent une partie de la loi « inutile ou futile » peuvent se voir «  qualifier d’absurdes ». L’argument soulevé par la demanderesse quant à la portée de l’article 7 neutralise aussi bien le paragraphe 12(3), dont l’objet est de fournir une mesure fiable dans les circonstances semblables à celles de la présente affaire, que l’alinéa 27j), selon lequel les certificats de citoyenneté peuvent être délivrés dans des situations où les exigences de la Loi ne sont pas respectées. Il ne s’agit pas d’une situation où la citoyenneté, une fois qu’elle a été attribuée dans le respect de la loi, est perdue ou révoquée. En l’espèce, la demanderesse n’a jamais possédé la citoyenneté. C’est l’effet du paragraphe 12(3) et de l’alinéa 27j).

[30]           L’article 27 de la Loi prévoit l’annulation dans des situations semblables à la présente, lorsqu’un certificat a été délivré à la suite d’une erreur administrative, ainsi que dans les situations d’urgence ou les situations nouvelles. En adoptant l’article 27, le législateur a compris la nécessité qu’un règlement donne effet à la Loi ainsi qu’à ses objectifs. Cette interprétation des alinéas 27j) et k) constitue une interprétation selon le sens ordinaire et manifeste de la loi, mais elle est aussi conforme aux obligations énoncées à l’article 12 de la Loi d’interprétation (LRC, 1985, ch. I‑21) visant à interpréter la loi de « la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ». Cette interprétation est aussi conforme au principe visant « l’harmonie, la cohérence et l’uniformité » dans les lois et entre celles‑ci (Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42, paragr. 27, citant R. c Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, paragr. 52). Aucun article de la loi n’est écarté, et il y a cohérence entre le paragraphe 12(3) et l’article 27 de la Loi, et le paragraphe 26(3) du Règlement.

[31]           En somme, le paragraphe 26(3) du Règlement est autorisé par l’alinéa 27j) et k) de la Loi. Le paragraphe 26(3) ne contrevient ni ne déroge à aucun droit créé par la Loi elle‑même; le paragraphe 26(3) concrétise plutôt, de façon administrative, l’intention du législateur telle qu’elle est énoncée au paragraphe 12(3) et aux alinéas 27j) et k) de la Loi. Cette interprétation veille également à ce que le privilège de la citoyenneté canadienne soit octroyé seulement dans la mesure prévue par la législateur.

[32]           Avant de conclure, traitons de la décision Stanizai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 74 et, en particulier, du paragraphe 44 de la décision, où la juge Anne Mactavish énonce qu’« une erreur survenue dans les bureaux du défendeur n’a pas pour effet d’écarter les exigences de la Loi sur la citoyenneté et ne confère pas au ministre un pouvoir discrétionnaire qu’il n’aurait pas en d’autres circonstances de différer l’octroi de la citoyenneté ». La demanderesse se fonde sur cette décision, mais les faits de la présente se distinguent de cette décision. Dans la décision Stanizai, le demandeur a répondu à toutes les exigences en matière de citoyenneté, mais le ministre à néanmoins retardé l’octroi de la citoyenneté. En l’espèce, la demanderesse n’a pas répondu aux conditions d’obtention de la citoyenneté prévues par la loi. De plus, la décision Stanizai ne concernait pas le recours au paragraphe 26(3) du Règlement pour annuler un certificat de citoyenneté. La décision n’étaye pas la position de la demanderesse.

[33]           Examinons maintenant l’autre argument subsidiaire de la demanderesse, à savoir que l’annulation portait atteinte aux principes d’équité procédurale. La norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[34]           La Cour d’appel, dans l’arrêt Veleta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 138, a établi clairement son point de vue quant à l’application des principes d’équité procédurale aux questions concernant la citoyenneté. Peu importe la portée et l’étendue dans lesquelles les principes s’appliquent, et suivant l’aspect du processus qui pourrait s’appliquer, la demanderesse dans cette affaire avait été avisée qu’il y avait un problème relativement à son certificat de citoyenneté. En téléphonant à deux reprises, l’agent Cantin s’est acquitté de l’obligation de fournir un avis et du devoir d’agir équitablement. La demanderesse a choisi de ne pas se prévaloir d’autres renseignements qu’elle aurait aisément obtenus si elle avait retourné les appels. Une partie ne peut ignorer des appels, ni faire la sourde oreille, et ensuite plaider l’absence d’avis ou un manquement à l’équité procédurale.

[35]           En tout état de cause, même s’il y avait eu manquement à l’équité procédurale, je n’accorderais pas de réparation. La réparation prévue à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales est discrétionnaire et fondée sur l’équité, et elle peut être refusée lorsque le fait d’écarter une décision n’aurait aucune incidence sur le résultat ultime; Mobil Oil Canada Ltd. c Office Canada Terre‑Neuve des hydrocarburres extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, aux paragr. 51 et 52. Dans cette affaire, la demanderesse a omis de respecter deux des exigences impératives prévues par la loi. Annuler la décision n’aurait aucun effet, puisque la demanderesse serait toujours inadmissible à la citoyenneté. Les réparations qui ne servent aucune fin ne seront pas accordées.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, B.A. Trad.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

T-2042-13

INTITULÉ :

SHAHEEN AFZAL c  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AOÛt 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

le 29 octobre 2014

COMPARUTIONS :

Me Krassina Kostadinov

POUR LA DEMANDERESSE

Me Nur Muhammad-Ally

Me Susan Gans

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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