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Date : 20141015


Dossier : T-1570-13

Référence : 2014 CF 981

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2014

En présence de madame la juge Gleason

ENTRE :

LES CONSEILLÈRES DE LA PREMIÈRE NATION DE SALT RIVER JUDITH GALE ET CONNIE BENWELL

demanderesses

et

FRIEDA MARTSELOS, CHRISTOPHER HUNTER, BETTY PHINNEY ET KEN LAVIOLETTE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente affaire concerne une demande de contrôle judiciaire qui, initialement, a été présentée par les demanderesses désignées ci‑dessus et une autre personne, Mme Joline Beaver. L’avis de demande a été déposé à la fin de septembre 2013, conformément à une ordonnance datée du 3 septembre 2013 par laquelle le juge Scott a prorogé le délai imparti pour le faire.

[2]               Dans leur demande, les demanderesses et Mme Beaver sollicitaient l’annulation de trois décisions rendues le 29 avril 2013 en vue de les destituer de leurs fonctions de conseillères de la Première nation de Salt River [la PNSR]; elles demandaient également un jugement déclaratoire confirmant la validité d’une résolution qui, d’après leurs dires, aurait été adoptée par le conseil de bande le 13 mai 2013 et avait pour effet de destituer Mme Frieda Martselos de ses fonctions de chef de la PNSR. Les parties ne s’entendent pas quant à la question de savoir si la résolution a été adoptée lors d’une assemblée dûment convoquée. La PNSR n’a pas donné suite à la résolution, de sorte que Mme Martselos a continué d’occuper les fonctions de chef.

[3]               La Cour est maintenant saisie de trois affaires pendantes différentes dont il sera disposé dans les présents motifs : d’abord, une requête présentée par les défendeurs en vue d’obtenir la suspension permanente de la présente demande de contrôle judiciaire pour divers motifs, dont le fait qu’elle est devenue théorique en raison du nouveau scrutin qui a eu lieu pour élire le chef et les conseillers de la PNSR ou, à titre subsidiaire, d’obliger la demanderesse, Judith Gale, à fournir un cautionnement pour les dépens; ensuite, une requête présentée par Mme Gale en vue de faire déclarer les avocats des défendeurs inscrits au dossier inhabiles à occuper en raison d’un présumé conflit d’intérêts et relativement à deux autres affaires; enfin, une demande des défendeurs pour l’obtention d’une ordonnance leur accordant les dépens.

[4]               Afin de bien comprendre les questions qui se posent en l’espèce, il convient de faire un bref survol de l’historique des procédures.

I.                   Le contexte

[5]               Avant que les demanderesses ne mettent en état leur demande de contrôle judiciaire, les défendeurs ont déposé une requête préliminaire en vue d’obtenir que certains passages de l’avis de demande soient radiés au motif qu’ils outrepassent la compétence de la Cour, que les causes des trois demanderesses soient instruites dans le cadre d’instances distinctes, que la PNSR soit constituée comme défenderesse (ou qu’elle soit désignée comme unique défenderesse) et que les demanderesses soient renommées. La requête devait initialement être présentée à Vancouver le 29 octobre 2013.

[6]               Lors de la tenue de la première conférence de gestion de l’instance, les parties ont convenu de remettre l’instruction de la requête des défendeurs à la première date disponible après le 18 novembre 2013 afin de permettre aux demanderesses de déposer des documents en réponse. Elles ont également convenu de proroger les délais applicables au dépôt des documents relatifs à la demande de contrôle judiciaire principale jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête des défendeurs. J’ai tenu compte de ces arrangements dans l’ordonnance que j’ai rendue le 25 octobre 2013 afin de reporter l’instruction de la requête des défendeurs à la première date d’audience disponible à Edmonton et de proroger les délais de signification et de dépôt des  documents se rapportant à la demande de contrôle judiciaire jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la requête.

[7]               Mme Beaver a déposé un avis de désistement relativement à la présente affaire en novembre 2013. Par suite de ce désistement, les défendeurs n’ont pas demandé l’adjudication de dépens contre Mme Beaver. Peu après, mais toujours en novembre 2013, Mme Benwell et Mme Gale ont déposé des avis d’intention d’agir en leur propre nom. Les demanderesses ont déposé les documents en réponse à la requête des défendeurs le 19 novembre 2013.

[8]               Par la suite, quelques conférences préparatoires ont été tenues afin de fixer la date du contre‑interrogatoire des déposants qui avaient souscrit des affidavits se rapportant à la requête ainsi que la date de l’instruction de cette requête. À la demande des demanderesses, plusieurs dates du calendrier ont été repoussées; les demanderesses ont également eu la possibilité de déposer des documents supplémentaires. Il a finalement été décidé que les contre‑interrogatoires auraient lieu les 28 et 29 avril 2014 à Fort Smith, dans les Territoires du Nord‑Ouest.

[9]               Mme Gale a demandé l’ajournement de ces dates en raison de difficultés qu’elle disait éprouver dans sa vie personnelle. Dans une ordonnance datée du 16 avril 2014, j’ai refusé la demande en ces termes :

[traduction] Mme Gale a déjà obtenu plusieurs prorogations de délai pour le dépôt de ses documents. Si cette dernière demande est accordée, les contre‑interrogatoires prévus pour les 28 et 29 avril 2014 devront être reportés à une date ultérieure, ce qui occasionnerait d’autres retards dans la progression de la présente demande. Malgré la compassion que suscitent les difficultés auxquelles se heurte Mme Gale dans sa recherche d’un logement, celle‑ci a eu tout le temps voulu pour préparer son affidavit, de sorte qu’aucune autre prorogation n’est justifiée.

Aux termes de l’article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, la Cour doit statuer sur les demandes de contrôle judiciaire à bref délai. De plus, les litiges comme celui‑ci, qui mettent en cause la gouvernance d’une Première nation, sont susceptibles de déstabiliser la collectivité et il importe par conséquent d’y donner rapidement suite.

[10]           Le 25 avril 2014, Mme Gale a informé la Cour et les avocats des défendeurs que l’un des déposants des demanderesses devant être contre‑interrogés n’était plus disponible les 28 et 29 avril 2014. Les avocats des défendeurs ont proposé de procéder aux autres contre‑interrogatoires selon le calendrier établi, étant donné que les billets d’avion avaient déjà été achetés et qu’un sténographe judiciaire devait se rendre à Fort Smith. Les défendeurs ont également proposé de procéder au contre‑interrogatoire du témoin indisponible par vidéoconférence à la première date ultérieure qui conviendrait aux parties.

[11]           Le 28 avril 2014, Mme Gale a écrit à la Cour à nouveau pour dire qu’elle s’était réveillée ce jour‑là avec une rage de dents et demander un nouvel ajournement afin qu’elle puisse se rendre à un rendez-vous chez le dentiste à Hay River. Les défendeurs se sont opposés à cette requête en faisant valoir que les interrogatoires pouvaient avoir lieu puisque Mme Benwell était la seule à avoir produit un affidavit et qu’elle pouvait donc être contre‑interrogée comme prévu vers la fin de cette journée du 28 avril. Ils ont aussi prétendu que si Mme Gale était dans l’impossibilité de contre‑interroger les déposants des défendeurs le jour suivant en raison de son mal de dents, Mme Benwell pouvait le faire. Enfin, ils ont souligné le fait qu’au moment où la demande d’ajournement était examinée, le sténographe judiciaire se rendait à l’aéroport pour prendre un avion jusqu’à Fort Smith.

[12]           Dans une ordonnance datée du 28 avril 2014, j’ai ordonné qu’ait lieu comme prévu le contre‑interrogatoire des témoins disponibles les 28 et 29 avril 2014, à Fort Smith.

[13]           Le 28 avril 2014, les avocats des défendeurs, Mme Benwell et Mme Gale se sont rencontrés comme prévu à Fort Smith en présence du sténographe judiciaire pour la tenue du contre‑interrogatoire de Mme Benwell. Les défendeurs ont déposé une transcription de leurs pourparlers officiels du 28 avril 2014.

[14]           Lors de ces pourparlers, Mme Benwell a indiqué qu’elle souhaitait se désister de la demande de contrôle judiciaire. En outre, Mme Gale et elle ont convenu que l’affidavit de Mme Benwell serait retiré. Or, cet affidavit constituait la principale preuve des demanderesses eu égard à la requête des défendeurs. Compte tenu de cette décision de retirer l’affidavit de Mme Benwell, cette dernière n’a pas fait l’objet d’un contre‑interrogatoire. Par ailleurs, ce 28 avril, Mme Gale a informé les avocats des défendeurs que sa rage de dents l’empêcherait vraisemblablement de procéder aux contre‑interrogatoires de leurs témoins, qui devaient avoir lieu le lendemain. De fait, Mme Gale n’était pas présente le 29 avril 2014.

[15]           Après avoir établi et confirmé les disponibilités des parties, la Cour a fixé au 14 mai 2014 la tenue d’une conférence de gestion de l’instance qui aurait lieu par téléphone. Les avocats des défendeurs et les demanderesses ont été avisés de sa tenue et du numéro à composer pour se joindre à la conférence téléphonique. Or, le jour dit, les demanderesses ne se sont pas manifestées et il a été impossible de les joindre au numéro de téléphone qu’elles avaient remis à la Cour. J’ai donc décidé de procéder à l’audition des observations des avocats des défendeurs, qui m’ont informée de ce qui s’était passé lors des contre-interrogatoires qui n’avaient pas abouti.

[16]           Le 14 mai 2014, j’ai délivré une ordonnance fixant l’échéancier à respecter par Mme Benwell pour le dépôt d’un avis de désistement, si elle souhaitait toujours le faire; par Mme Gale, pour communiquer ses intentions relativement à la poursuite de la demande; par les défendeurs, pour présenter leurs observations au sujet des dépens, s’ils souhaitaient que ceux‑ci leur soient adjugés; et par les demanderesses, pour répondre aux observations des défendeurs sur la question des dépens.

[17]           Conformément à cet échéancier, Mme Benwell a déposé un avis de désistement le 23 mai 2014. Le même jour, la Cour a reçu de Mme Gale une lettre l’informant du fait qu’elle souhaitait poursuivre sa demande de contrôle judiciaire.

[18]           Le 6 juin 2014, les défendeurs ont déposé des documents étayant la demande d’adjudication de dépens formulée à l’encontre de Mme Benwell. Dans leurs observations, ils évoquent la possibilité de condamner également Mme Beaver et Mme Gale aux dépens. S’agissant de Mme Benwell, les défendeurs demandent :

1)                  que celle‑ci soit tenue solidairement responsable avec Judith Gale et Joline Beaver du paiement d’une somme de 1 807,50 $ au titre des dépens engagés jusqu’au 8 novembre 2013;

2)                  qu’elle soit tenue solidairement responsable avec Judith Gale d’une somme de 10 065,10 $ au titre des dépens engagés du 8 novembre 2013 au 23 mai 2014.

[19]           En juin 2014, les défendeurs ont tenté de signifier aux demanderesses leur requête en suspension de la présente demande sans y parvenir. Le 7 juillet 2014 a eu lieu une conférence de gestion de l’instance à laquelle ont pris part Mme Gale et les avocats des défendeurs. Ces derniers ont expliqué le fondement de leur requête en suspension de la demande : selon eux, la demande de contrôle judiciaire était devenue théorique, car elle ne pourrait faire l’objet d’une décision avant la tenue de la prochaine élection de la PNSR, prévue pour la dernière semaine de septembre. Mme Gale a confirmé qu’il s’agissait bien de la date fixée pour l’élection, mais n’était pas disposée à reconnaître que sa demande était devenue théorique. Les avocats des défendeurs lui ont donc demandé de fournir une adresse aux fins de signification, ce que Mme Gale a fait. Lors de cette conférence, Mme Gale a déclaré qu’elle entendait déposer une requête en cessation d’occuper visant les avocats des défendeurs. Durant la conférence, j’ai aussi enjoint aux avocats des défendeurs de vérifier si leurs clients étaient prêts à prendre part à une séance de médiation. Dans une lettre portant la date du 10 juillet 2014, les défendeurs ont fait savoir qu’ils ne souhaitaient pas prendre part à la médiation. Le 18 juillet 2014, j’ai rendu une ordonnance prévoyant essentiellement ce qui suit :

[traduction]

1.         La Cour est habilitée, suivant les articles 386, 387 et 389 des Règles, à exiger que les parties prennent part à une procédure de médiation, mais compte tenu du refus catégorique du défendeur de s’y soumettre volontairement, il est peu probable que cela puisse mener au règlement des questions qui se sont posées dans le cadre de la présente demande. En conséquence, aucune médiation ne sera ordonnée;

2.         Le défendeur doit présenter sa requête en suspension de la demande en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales et déposer le dossier de cette requête au plus tard le 18 août 2014;

3.         Mme Gale doit elle aussi présenter sa requête en cessation d’occuper par écrit en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales au plus tard le 18 août 2014;

4.         Les parties doivent déposer les documents en réponse aux deux requêtes au plus tard le 31 août 2014;

5.         Je statuerai sur ces requêtes et sur la demande d’adjudication des dépens des défendeurs sur la base des prétentions écrites déjà déposées et de celles qui le seront.

[20]           La Cour est donc saisie de trois affaires pendantes : d’abord, la requête en suspension de la demande des défendeurs, à l’égard de laquelle ils demandent que Mme Gale soit condamnée à des dépens de 1 000 $ ou, à titre subsidiaire, qu’il lui soit ordonné de verser un cautionnement de 12 000 $ au titre des dépens; ensuite, la demande d’adjudication des dépens des défendeurs en vue de l’obtention d’une ordonnance déclarant Mme Benwell solidairement responsable avec Judith Gale et Joline Beaver du paiement d’une somme de 1 807,50 $ au titre des dépens engagés jusqu’au 8 novembre 2013, et solidairement responsable avec Judith Gale du paiement d’une somme de 10 065,10 $ au titre des dépens engagés du 8 novembre 2013 au 23 mai 2014; et enfin, la requête de Mme Gale.

[21]           Dans sa requête, Mme Gale demande à la Cour :

1)                  de rendre, à l’égard des procureurs de la PNSR, Me David Rolf, du cabinet Parlee McLaws LLP, et Me Colleen Verville, du cabinet Dentons Canada s.e.n.c.r.l,, une ordonnance de cessation d’occuper à titre d’avocats inscrits au dossier en raison d’un présumé conflit d’intérêts entre leurs obligations envers la PNSR et celles qu’ils ont envers la chef Martselos à titre personnel;

2)                  de rendre une ordonnance déclarant la chef Martselos et les procureurs de la PNSR coupables d’outrage au tribunal pour n’avoir pas respecté les jugements rendus par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans les affaires Bande indienne de Salt River no 759 c Martselos, 2008 CF 8 et 2008 CAF 221, dans le cadre desquelles aucuns dépens ne leur ont été adjugés;

3)                  de rendre une ordonnance enjoignant à la chef Martselos de rembourser à la PNSR les sommes que cette dernière a versées à ses propres avocats dans le cadre de la présente affaire;

4)                  à titre subsidiaire, de rendre une ordonnance enjoignant à la PNSR d’assumer les frais judiciaires de Mme Gale, qui prétend que sa situation [traduction] « correspond à un cas de poursuite‑bâillon ». Mme Gale fait référence à la notion de « Strategic Lawsuit Against Public Participation » (poursuite stratégique contre la mobilisation publique), issue du droit constitutionnel américain, qui sert à qualifier les poursuites intentées dans le but d’intimider ou de faire taire ceux qui s’expriment à propos de questions d’intérêt public ou de sujets de controverse.

[22]           J’évalue ces diverses demandes ci‑dessous.

II.                La présente demande de contrôle judiciaire est‑elle théorique?

[23]           En ce qui a trait, tout d’abord, à la requête en suspension d’instance des défendeurs, le juge Sopinka a énoncé la doctrine relative au caractère théorique en ces termes, au paragraphe 15 de l’arrêt Borowski c Canada (PG), [1989] 1 RCS 342, [1989] ACS no 14 :

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire.

[24]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demanderesses ont demandé à être réintégrées dans leurs fonctions au sein du conseil de la PNSR pour la durée restante de leur mandat, soit de 2012 à 2014, ainsi que la destitution de la chef Martselos pour la durée restante de son mandat. Ces prétentions ne présentent désormais aucun intérêt pratique puisque de nouvelles élections ont eu lieu au sein de la PNSR lors de la dernière semaine de septembre 2014 et qu’un chef et un conseil ont été élus pour le prochain mandat de 2014-2016. Par conséquent, je souscris à l’avis des défendeurs selon lequel la présente demande de contrôle judiciaire est devenue théorique du fait qu’il est devenu impossible d’accorder les réparations demandées. En outre, je rappelle que les demanderesses, par leur conduite, ont été largement, sinon exclusivement responsables des retards dans ce dossier : elles n’ont pas agi avec célérité relativement au dépôt des documents et à la conduite des contre‑interrogatoires.

[25]           Au lieu de surseoir indéfiniment à la demande, comme le demandent les défendeurs, j’estime qu’il est plus approprié de la rejeter en raison de son caractère théorique. L’ordonnance que j’ai rendue est donc à cet effet.

III.             Y a-t-il lieu d’accorder l’une quelconque des réparations demandées par Mme Gale?

[26]           Je passe maintenant à l’examen de la mesure de réparation formulée dans la requête de Mme Gale.

[27]           Ayant conclu que la présente demande de contrôle judiciaire serait rejetée en raison de son caractère théorique, il me faut conclure, de la même façon, que la requête en cessation d’occuper visant les avocats des défendeurs a elle aussi un caractère théorique et qu’elle n’a pas à être examinée.

[28]           Pour ce qui est des autres mesures de réparation qu’elle a sollicitées dans sa requête, Mme Gale n’a produit aucune preuve de ce qu’elle avance. Cela suffit pour motiver le rejet du présent appel.

[29]           En outre, comme les défendeurs le signalent à juste titre, la décision que le conseil de la PNSR a prise, en 2008, de rembourser au chef et aux autres membres de la PNSR les frais judiciaires engagés lors du précédent litige ne constitue pas une désobéissance aux ordonnances rendues dans les affaires Bande indienne de Salt River no 759 c Martselos, 2008 CF 8, 163 ACWS (3d) 331 et 2008 CAF 221, 168 ACWS (3d) 224, où il n’y a pas d’adjudication de dépens. À cet égard, une distinction s’impose entre l’ordonnance judiciaire accordant ou refusant des dépens et la décision d’une Première nation de rembourser de son plein gré aux plaideurs leurs frais judiciaires. Qui plus est, les résolutions en vertu desquelles le conseil de bande de la PNSR a approuvé le remboursement des frais judiciaires de la chef Martselos et des autres membres de la PNSR ont été contrôlées dans le cadre d’une demande présentée par les conseillers Bird et Beaver dans le dossier T‑1582‑08, qui s’est conclue sur un rejet sur consentement sans adjudication de dépens. La demande d’ordonnance de Mme Gale pour outrage au tribunal ne repose donc sur aucun fondement.

[30]           Pour ce qui est de la demande se rapportant à l’idée de poursuite‑bâillon, il s’agit d’une notion inapplicable ici étant donné que le droit de Mme Gale à la libre expression n’est pas touché en l’espèce et qu’en outre, comme l’ont fait observé les défendeurs au paragraphe 27 de leurs prétentions écrites : [traduction] « [I]l ne s’agit pas là d’un cas où il convient d’envisager d’importer en droit [… ] canadien des pratiques relevant du droit constitutionnel des États‑Unis. »

[31]           Même s’il faut considérer la demande formulée sous cette rubrique comme une simple demande d’adjudication des dépens en faveur de la demanderesse, rien ne permet d’accéder à cette demande; au contraire, pour les motifs exposés ci‑après, j’ai conclu qu’il était indiqué de condamner les demanderesses aux dépens.

IV.             De quelle façon convient-il d’adjuger les dépens?

[32]           S’agissant des dépens, il peut très bien y avoir des cas – particulièrement s’ils concernent un différend en matière électorale au sein d’une Première nation – où il conviendra soit de s’abstenir de condamner le demandeur débouté aux dépens soit, de fait, d’accorder des provisions pour frais suivant les principes énoncés dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, [2003] 3 RCS 371. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

[33]           En l’espèce, même si Mme Gale paraît indigente et si Mme Benwell semble disposer de très peu de moyens, je crois qu’elles doivent être condamnées aux dépens étant donné que leur conduite dans ce litige a entraîné des frais inutiles et importants liés aux contre-interrogatoires qui n’ont jamais eu lieu. Cela dit, je ne crois pas qu’il soit indiqué d’adjuger des dépens relativement aux présentes requêtes, car celles‑ci auraient très bien pu être évitées si les défendeurs avaient consenti à la médiation. Par ailleurs, j’estime que rien ne justifie de condamner Mme Beaver aux dépens, puisque cette dernière s’est désistée de sa demande peu de temps après avoir reçu les documents des défendeurs, qui révélaient les possibles lacunes que présentaient les prétentions des demanderesses.

[34]           Sur la question du quantum, comme il n’était pas nécessaire que les défendeurs soient représentés par deux avocats, j’ai déterminé que le montant des dépens et débours raisonnables adjugés relativement à la présente demande devrait se rapporter aux services d’un seul avocat pour toutes les étapes de l’instance liée à la présente demande, et ce, jusqu’à la présence à la conférence de gestion de l’instance du 7 juillet 2014. Je fixe ce montant à 7 000 $, ce qui correspond à peu près aux dépens et aux débours raisonnables taxés conformément à la partie inférieure de la fourchette de la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

[35]           Comme la principale personne à l’origine de la demande est Mme Gale mais que celle‑ci semble actuellement impécunieuse, je ne crois pas qu’il soit juste d’appliquer la façon de faire habituelle lorsque plusieurs parties sont condamnées aux dépens en tenant Mme Benwell et Mme Gale solidairement responsables de leur paiement. Par conséquent, j’ordonne à chacune de payer la somme de 3 500 $ en vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré à l’article 400 des Règles des Cours fédérales. Je remarque que d’autres tribunaux ont aussi adjugé des dépens sur une base individuelle dans des circonstances assez semblables (voir p. ex. McAteer c Devoncroft Developments Ltd., 2003 ABQB 425, [2004] 4 WWR 667 (BR Alb), aux paragraphes 306 et 307; Baldwin c Daubney (2006), 21 BLR (4th) 232, [2006] OJ no 3919 (CS Ont), aux paragraphes 59 à 66).

[36]           Enfin, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que me confèrent les articles 53 et 400 des Règles des Cours fédérales, j’estime qu’il est dans l’intérêt de la justice que les dépens adjugés en l’espèce soient payables à la PNSR, dont les défendeurs demandaient, dans leur requête initiale, à ce qu’elle soit ajoutée à titre de défenderesse ou qu’elle se substitue à eux et qui, en définitive, est celle qui a assumé leurs frais.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La demanderesse, Judith Gale, est condamnée à verser à la PNSR des dépens de 3 500 $, et la demanderesse, Connie Benwell, à verser à la PNSR des dépens de 3 500 $.

« Mary J.L. Gleason »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1570-13

 

INTITULÉ :

LES CONSEILLÈRES DE LA PREMIÈRE NATION DE SALT RIVER JUDITH GALE ET CONNIE BENWELL c FRIEDA MARTSELOS, CHRISTOPHER HUNTER, BETTY PHINNEY ET KEN LAVIOLETTE

 

REQUÊTES EXAMINÉES SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO)

 

jugement et motifs :

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

 

LE 15 OCTOBRE 2014

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Judith Gale

 

POUR LES demanderesses

(POUR LEUR PROPRE COMPTE)

 

Micah Field

Blakely Dushenski

Avocats

Edmonton (Alberta)

David C. Rolf, c.r.

Parlee McLaws LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

Colleen Verville

Dentons Canada s.r.l. s.e.n.c.r.l.

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour leur propre compte

POUR LES demanderesses

 

Micah Field

Blakely Dushenski

Avocats

Edmonton (Alberta)

David C. Rolf, c.r.

Parlee McLaws LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

Colleen Verville

Dentons Canada s.r.l. s.e.n.c.r.l.

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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