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Date : 20141024

Dossier : IMM-3977-13

Référence : 2014 CF 1016

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

ISTVAN OLAH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un membre de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) ni celle de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejette la demande.

II.                Faits

[3]               Le demandeur est citoyen de la Hongrie et d’origine ethnique rom. Il prétend que les faits suivants sont à l’origine de sa demande d’asile.

[4]               En mars 2011, alors qu’il rendait visite à sa belle-mère, il a été battu par des membres de la Garde hongroise, un groupe paramilitaire, en raison de son origine ethnique rom. Il a été conduit à l’hôpital où des radiographies ont révélé deux fractures des côtes. Il n’a pas été admis à l’hôpital. Il a plutôt obtenu des médicaments contre la douleur et a quitté l’hôpital. Son épouse a signalé l’agression à la police, qui a rédigé un rapport, sans lui remettre de copie.

[5]               Environ une semaine après l’agression, l’épouse a été agressée sexuellement par des membres de la Garde hongroise, une fois encore en raison de son origine ethnique rom. Elle s’est rendue à l’hôpital et a signalé ce qui s’était passé mais n’a obtenu aucune aide. Le demandeur et son épouse ont signalé l’agression sexuelle à la police mais ils n’ont pris aucune mesure. La police a simplement suggéré que le demandeur et son épouse portent leur plainte devant la Garde hongroise.

[6]               Ne voyant pas l’utilité de porter leurs griefs devant les auteurs de l’agression, le demandeur a communiqué avec le Gouvernement minoritaire rom (le GMR) afin de régler la situation. Le GMR n’a pas été en mesure de l’aider.

[7]               Quelques semaines après les agressions, le demandeur a subi un accident vasculaire cérébral qui l’a amené à être hospitalisé pendant quatre jours. Depuis ce temps, il souffre d’effets physiques et mentaux permanents, notamment d’une faiblesse résiduelle du côté gauche, de troubles de la mémoire, de difficultés à rester attentif et d’une frustration visible face à son état.

[8]               À la suite de ces incidents, le demandeur et son épouse ont décidé de quitter la Hongrie. Ils sont arrivés au Canada en août 2011.

[9]               Ils avaient initialement demandé l’asile ensemble, mais leurs demandes ont été depuis séparées.

III.             Décision de la SPR

[10]           La SPR a conclu que plusieurs aspects importants de l’exposé circonstancié du demandeur manquaient de crédibilité. La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir que la protection de l’État ne lui était pas disponible en Hongrie. Le demandeur se serait vu refuser l’asile sur le fondement du manque de crédibilité ou de la question de la protection de l’État. Pour pouvoir réussir dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur doit me convaincre que la SPR a commis des erreurs à l’égard des deux éléments. Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la SPR n’a pas commis d’erreurs quant au manque de crédibilité, il n’est pas nécessaire que je traite de la question de la protection de l’État.

[11]           Les questions de crédibilité évoquées par la SPR sont abordées plus en détails ci-dessous, mais elles peuvent être décrites comme suit :

1.      Mauvaise qualification des quatre jours d’hospitalisation;

2.      Omission de mentionner l’agression sexuelle dans le FRP (Formulaire de renseignements personnels);

3.      Omission de produire les rapports médicaux ou les rapports de police provenant de la Hongrie.

A.                Mauvaise qualification des quatre jours d’hospitalisation

[12]           La SPR a souligné que, même si le FRP du demandeur a indiqué que les quatre jours d’hospitalisation résultaient de son agression, il s’est révélé à l’audience de la SRP que ce séjour à l’hôpital découlait de l’accident vasculaire cérébral survenu quelques semaines plus tard.

[13]           Le paragraphe 6 de l’exposé circonstancié contenu dans le FRP du demandeur se lit comme suit :

[traduction]  En mars 2011, j’ai également été attaqué par des paramilitaires en uniforme à Gyongyopasta à l’extérieur de la maison de ma belle-mère, ce qui m’a laissé deux fractures des côtes. Ils m’ont accusé de les avoir observés. Je fumais, c’est tout. J’ai vu un médecin et suis resté à l’hôpital pendant quatre jours dans la ville voisine de Salgotarjan. J’ai ensuite eu un accident vasculaire cérébral après ma sortie de l’hôpital.

[14]           À l’audience, le demandeur a soutenu que son séjour de quatre jours à l’hôpital découlait des blessures qu’il avait subies lors de l’agression, jusqu’à ce qu’il lui soit rappelé que son séjour à l’hôpital avait eu lieu plusieurs semaines après l’agression. Ce n’est qu’à ce moment que le demandeur a précisé que la cause directe de son hospitalisation était son accident vasculaire cérébral. Le demandeur a expliqué que cet accident avait été causé par une hypertension provoquée par les agressions sur lui et son épouse et que, par conséquent, il pensait que son séjour à l’hôpital était lié à l’agression.

[15]           La SPR n’a pas trouvé cette explication convaincante et a conclu que le demandeur avait tenté de l’induire en erreur en vue d’exagérer la gravité des blessures subies lors de cette agression. Elle a souligné qu’aucune preuve n’indiquait que l’accident vasculaire cérébral découlait de l’agression. La SPR a également souligné l’absence de preuve corroborante de l’agression.

[16]           La SPR a donc conclu que, selon la prépondérance des probabilités, l’agression sur le demandeur n’avait jamais eu lieu, et qu’elle avait été imaginée pour étoffer sa demande d’asile.

B.                 Omission de mentionner l’agression sexuelle dans le FRP

[17]           Pour des raisons semblables, la SPR a également conclu que l’agression sexuelle de l’épouse ne s’était probablement jamais produite. La SPR a souligné que le FRP du demandeur ne mentionnait pas d’agression sexuelle, mais plutôt que l’épouse avait été [traduction] « attaquée, rabaissée et qu’on avait craché sur elle ». Le demandeur a expliqué qu’un interprète hongrois avait indiqué, à lui et son épouse, de ne pas mentionner l’agression sexuelle parce que cela pouvait nuire à leur demande d’asile. Lorsque la SPR a souligné que l’agression sexuelle n’était pas non plus mentionnée dans les notes de l’entrevue prises à son entrée au Canada, le demandeur a indiqué qu’il avait respecté la décision de son épouse de ne pas en parler. L’avocat du demandeur a également soutenu que l’agression sexuelle était évoquée indirectement dans l’extrait « attaquée, rabaissée et qu’on avait craché sur elle ».

[18]           La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que si l’épouse du demandeur avait été effectivement agressée sexuellement, l’incident aurait été qualifié d’agression sexuelle dans le FRP du demandeur. La SPR a également souligné l’absence de preuve corroborante de l’agression sexuelle.

C.                 Omission de produire les rapports médicaux provenant de la Hongrie

[19]           La SPR a aussi tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur a indiqué à l’audience qu’il disposait en Hongrie des rapports d’une des agressions ou des deux, mais qu’il ne les avait pas apportés. Le demandeur a indiqué qu’il avait demandé que d’autres documents lui soient envoyés de la Hongrie (et qu’il les avait reçus), mais il n’a jamais demandé les rapports. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que s’il avait eu accès en Hongrie aux rapports pouvant corroborer les agressions alléguées, il les aurait obtenus. La SPR a ajouté que le demandeur avait eu amplement le temps pour le faire.

IV.             Analyse

[20]           Étant donné que les questions en litige dans la présente affaire se rapportent toutes à la crédibilité, la norme de contrôle applicable à la décision de la SPR est celle de la décision raisonnable.

A.                Absence de preuve corroborante

[21]           Le demandeur allègue que la SPR a agi de façon déraisonnable en tirant des conclusions défavorables de l’absence de preuve corroborante. Il cite la jurisprudence, notamment Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 F.T.R. 137 [Ahortor], qui porte que c’est une erreur de tirer une conclusion défavorable en se fondant sur l’absence de preuve corroborante. Il est vrai, et le défendeur est d’accord, que c’est le cas lorsqu’il n’y a aucune preuve qui met en doute une allégation non corroborée. Cependant, l’absence de preuve corroborante peut être pertinente lorsqu’il y a une preuve contradictoire qui n’est pas suffisamment expliquée. Le passage suivant tiré d’Ahortor, au paragraphe 45, est pertinent :

La Commission semble avoir commis une erreur en déterminant que le requérant n'était pas digne de foi parce qu'il n'était pas capable de fournir des éléments de preuve documentaires corroborant de ce qu'il avançait. Comme cela a été le cas dans la décision Attakora, précitée, où la C.A.F. a décrété que le requérant n'était pas tenu de fournir des rapports médicaux pour justifier la blessure dont il disait avoir souffert, on ne s'attend pas non plus en l'espèce à ce que le requérant produise une copie d'un rapport d'arrestation. Le fait de n'avoir pas fourni de document concernant l'arrestation - et il s'agit là d'une conclusion de fait exacte - ne peut être lié à la crédibilité du requérant en l'absence de preuve contredisant les allégations.

[Non souligné dans l’original.]

[22]           La SPR était tenue d’examiner tous les éléments de preuve pertinents. Cela comprend toute incohérence et explication fournie par le demandeur à cet égard.

B.                 L’allégation d’agression sexuelle contre l’épouse du demandeur

[23]           Quant à savoir s’il existait une preuve corroborante de l’agression sexuelle contre l’épouse du demandeur, le défendeur renvoie à un dossier du service d’urgence daté du 9 juillet 2012, provenant de l’hôpital régional Humber River concernant une visite de l’épouse du demandeur.

[24]           La décision de la SPR indique qu’on ne trouve aucune preuve corroborante de l’agression sexuelle. La SPR ne mentionne pas ce rapport, mais en a discuté au cours de l’audience. Je présume qu’il a été examiné.

[25]           Cependant, je ne suis pas certain que le rapport peut être considéré comme une preuve corroborante de l’agression sexuelle. Les parties pertinentes du rapport sont écrites à la main et certaines parties ne sont pas tout à fait lisibles. Le défendeur attire l’attention sur une phrase qui mentionne clairement un viol déclaré en Hongrie en 2011. Toutefois, cette mention ne corrobore pas que le viol s’est effectivement produit, mais seulement que l’épouse du demandeur a signalé un viol. En se fondant sur les parties lisibles du reste du rapport, les extraits du rapport indiquant les symptômes de la patiente semblent également être fondés sur ce qu’elle a signalé plutôt que sur ce que l’hôpital pouvait corroborer.

[26]           Je suis également conscient que cette visite à l’hôpital a eu lieu environ 15 mois après l’agression sexuelle alléguée. Vu ce délai, il n’est pas étonnant que la mention du viol dans le rapport reposait sur ce que la patiente avait dit plutôt que sur des observations pendant l’examen de celle-ci.

[27]           À mon avis, il était raisonnable que la SPR conclue que ce rapport ne corroborait pas l’agression sexuelle alléguée.

[28]           Je suis également d’avis qu’il était raisonnable que la SPR tire une conclusion défavorable au motif que le FRP du demandeur ne mentionnait pas l’agression sexuelle. Il aurait aussi été raisonnable que la SPR accepte l’explication du demandeur selon laquelle il avait été avisé par un interprète et son épouse de ne pas mentionner l’agression sexuelle, mais cette décision revenait à la SPR.

C.                 L’allégation d’agression contre le demandeur

[29]           Le demandeur a également fait valoir qu’il y a corroboration de l’agression dont il a été victime. Il renvoie à des rapports médicaux du Dr Ritika Goel datés des 2 et 5 avril 2013. Chaque rapport mentionne la guérison des fractures de deux côtes. Cependant, la preuve d’anciennes fractures ne constitue pas nécessairement la preuve d’une agression. Bien d’autres incidents pourraient expliquer ces fractures de côtes.

[30]           Compte tenu de la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur a exagéré l’ampleur de ses blessures découlant de l’agression alléguée, avec laquelle je suis entièrement d’accord, et de son omission de produire un rapport immédiat de l’agression qui lui était accessible, je conclus qu’il était raisonnable que la SPR juge que l’agression ne s’était probablement jamais produite.

[31]           Le demandeur fait valoir que la SPR aurait dû tenir compte de ses problèmes de santé mentale découlant des deux accidents vasculaires cérébraux, lorsqu’elle a examiné la question relative à la cause de ses quatre jours d’hospitalisation en Hongrie. Je trouve cet argument peu convaincant. Si je comprends bien, le demandeur affirme que ce qu’il a dit à l’audience devant la SPR était juste; son séjour à l’hôpital résultait de son accident vasculaire cérébral. Le manque de crédibilité repose principalement sur la déclaration dans son FRP selon laquelle le séjour à l’hôpital résultait de l’agression alléguée. Le FRP décrit clairement l’agression suivie du séjour de quatre jours à l’hôpital, et ce n’est que plus tard que s’est produit l’accident vasculaire cérébral : [traduction] « J’ai ensuite été victime d’un accident vasculaire cérébral après ma sortie de l’hôpital » [Je souligne]. Le FRP est un document manuscrit qui a été rédigé suffisamment à l’avance pour lui permettre de réfléchir et de demander de l’aide.

V.                Conclusion

[32]           Pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande. Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;
  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM-3977-13

 

 

INTITULÉ :

ISTVAN OLAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET D E L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 SEPTEMBRE 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Julie Huys

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Negar Hashemi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WALDMAN & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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