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Date : 20141027


Dossier : IMM-12888-12

Référence : 2014 CF 1019

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

HAFIDH ALAWY ABOUD

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, M. Hafidh Alawy Aboud, demande le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue relativement à un examen des risques avant renvoi [l’ERAR] effectué par un agent principal [l’agent d’ERAR] en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Cette demande est présentée sous le régime de l’article 72 de la LIPR.

[2]               L’agent d’ERAR a déterminé que le demandeur ne serait pas exposé au risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en Somalie, car il n’avait pas fait la preuve de son pays de nationalité ou de son identité. En rendant cette décision, l’agent d’ERAR a conclu que de nombreux éléments produits par le demandeur n’étaient pas nouveaux, de sorte qu’ils n’étaient pas admissibles devant lui. 

[3]               Ayant examiné avec soin les prétentions présentées par les parties par écrit et de vive voix, la Cour conclut que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I.                   Les faits

[4]               Le demandeur prétend appartenir au clan de la minorité ethnique Bajuni. Il vivait à Kismayo, en Somalie, et travaillait comme pêcheur avant son arrivée au Canada. Il affirme que, en Somalie, sa famille et lui étaient régulièrement pris pour cibles et agressés par des membres de clans plus grands à la suite de la guerre civile qui a commencé en 1991. Il allègue en outre qu’en 2006 des militants islamiques ont essayé de le recruter à maintes reprises et l’ont forcé, en proférant des menaces de violence à son endroit, à leur prêter allégeance afin qu’il défende leur cause. Au lieu de se joindre aux militants, le demandeur se serait enfui au Kenya le 20 juillet 2006. Sa femme et son fils sont demeurés à Kismayo. Le demandeur affirme qu’ils se sont enfuis au Kenya depuis.

[5]               Pendant qu’il était au Kenya, le demandeur aurait rencontré un agent qui, en échange d’une somme d’argent, lui a remis des documents de voyage et a organisé son voyage au Canada. Il allègue qu’il est arrivé au Canada le 24 août 2006 et qu’il a retourné les documents de voyage à l’agent à ce moment‑là. Il a alors présenté une demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR. Il s’agit de la première démarche entreprise par le demandeur dans le cadre de ce qui a mené à une longue série de décisions rendues sous le régime de la LIPR.

[6]               La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté la demande d’asile du demandeur le 21 août 2008, au motif que celui‑ci n’avait pas établi son identité. Le demandeur, qui était représenté par un conseil devant la SPR, n’a présenté à celle‑ci aucun document établissant son identité ou démontrant qu’il était un ressortissant somalien ou à quel moment il était arrivé au Canada. La SPR a souligné que, malgré le fait qu’il avait réagi rapidement à plus d’une occasion, le demandeur avait fait peu d’efforts pour trouver des documents et n’avait fait témoigner personne en mesure d’attester son identité. Elle a conclu qu’elle avait de sérieux doutes quant à la crédibilité du témoignage du demandeur. Dans sa décision, elle a aussi parlé de ce qu’elle a qualifié de [traduction] « problème additionnel » pour le demandeur, un rapport d’analyse du langage émanant d’une société suédoise appelée Sprakab (dossier certifié du tribunal, à la page 470). Selon ce rapport, il ne faisait aucun doute que le type de swahili parlé par le demandeur n’était pas parlé en Somalie, mais qu’il l’était assurément en Tanzanie. Devant la SPR, le demandeur a contesté le rapport de manière générale, sans toutefois traiter des détails qu’il contenait.

[7]               Le demandeur a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la SPR, mais il n’a pas obtenu l’autorisation nécessaire à cette fin (dossier no IMM‑4366‑08).

[8]               En juin 2009, le demandeur a présenté une demande d’ERAR sans l’aide d’un conseil. Il a produit des documents sur les conditions existant en Somalie, ainsi qu’une déclaration solennelle signée par un homme appelé Ally Said Saleh, dans laquelle celui‑ci jurait connaître le demandeur en Somalie. Le demandeur et M. Saleh auraient repris contact au Canada en septembre 2008, après la décision défavorable de la SPR. La demande d’ERAR a fait l’objet d’une décision défavorable le 19 septembre 2011 et le demandeur a été placé en détention au mois de novembre suivant.

[9]               Après sa détention, le demandeur a retenu les services d’un autre conseil et a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision relative à l’ERAR. Le conseil l’a aussi aidé à préparer une deuxième demande d’ERAR. L’État a accepté de surseoir au renvoi du demandeur du Canada pendant l’examen de cette deuxième demande et le demandeur s’est désisté de sa demande de contrôle judiciaire visant la première décision relative à l’ERAR en janvier 2012 (dossier no IMM-8559-11).

[10]           La deuxième demande d’ERAR du demandeur a fait l’objet d’une décision défavorable le 14 décembre 2011. Le demandeur a encore une fois présenté une demande de contrôle judiciaire. Avant que l’affaire soit instruite par la Cour, l’État a accepté de réexaminer cette demande d’ERAR également, en vue de rendre éventuellement une autre décision, parce que l’agent d’ERAR n’avait pas reçu et pris en considération certaines prétentions additionnelles qui avaient été formulées par le demandeur avant que la décision défavorable ne lui soit communiquée. Le demandeur s’est désisté de sa demande de contrôle judiciaire après que l’État a offert de revoir son dossier (dossier no IMM‑1591‑12).

II.                La décision faisant l’objet du présent contrôle

[11]           Le 4 septembre 2012, l’agent d’ERAR qui a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire a écrit au demandeur qu’il [traduction] « prendrait en compte toutes les prétentions et la preuve relatives à l’ERAR contenues dans la demande d’ERAR présentée le 29 novembre 2011, ainsi que toute la preuve et toutes les prétentions concernant l’ERAR qui me seront présentées jusqu’au moment où je rendrai ma décision relativement à l’ERAR »  (dossier certifié du tribunal, à la page 38).

[12]           Le demandeur a déposé des prétentions additionnelles qui ont été reçues par Citoyenneté et Immigration Canada les 9 et 18 octobre 2012. Il a transmis de nombreux documents à l’agent d’ERAR, notamment des observations de son conseil, un affidavit qu’il a lui‑même signé, des déclarations solennelles et des affidavits additionnels de personnes attestant qu’il est bien la personne qu’il dit être, ainsi qu’une lettre qui aurait été écrite par sa femme, une évaluation psychologique le concernant et des documents à jour sur les conditions existant en Somalie. Le demandeur a aussi obtenu un rapport d’un professeur émérite de linguistique de la Memorial University, M. Derek Nurse. Ce rapport avait pour but de relever des erreurs dans les conclusions de l’analyse du langage effectuée par Sprakab qui avaient été présentées à la SPR.

[13]           Le 22 octobre 2012, l’agent d’ERAR a rendu une décision défavorable relativement à la demande d’ERAR du demandeur. Après avoir pris connaissance des prétentions additionnelles présentées par ce dernier, l’agent d’ERAR a confirmé sa décision le 13 novembre 2012, sous réserve de deux clarifications typographiques.

[14]           Après avoir rappelé dans sa décision que la CISR avait conclu que le demandeur n’était pas crédible de façon générale en ce qui concernait son identité, sa nationalité et les mauvais traitements dont il aurait été victime, l’agent d’ERAR a examiné les éléments de preuve produits par le demandeur. Il a rejeté la plupart de ces éléments de preuve au motif qu’ils n’étaient pas admissibles devant lui parce qu’ils n’avaient pas été produits par le demandeur lors de l’audience de la SPR ou avant la tenue de son premier ERAR, contrairement à ce qu’exigent l’alinéa 113a) de la LIPR et la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Lorsqu’il a rejeté des éléments de preuve pour l’une ou l’autre de ces raisons, l’agent d’ERAR a effectué une autre analyse dans le but de les rejeter au motif qu’ils avaient une faible valeur probante, voire aucune, en ce qui concerne l’établissement de l’identité du demandeur en tant que Bajuni ou de ressortissant somalien. Les éléments de preuve que l’agent d’ERAR a admis à juste titre parce qu’ils étaient nouveaux avaient aussi, selon lui, une faible force probante, voire aucune, pour ce qui est de l’établissement de l’identité du demandeur. En conséquence, l’agent d’ERAR a maintenu la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’était pas suffisamment crédible au regard de son identité ou de sa nationalité. Le demandeur n’ayant pas produit de nouveaux éléments de preuve admissibles suffisants pour réfuter la conclusion relative à la crédibilité à laquelle la SPR était parvenue, l’agent d’ERAR a aussi déterminé qu’il n’existait aucun problème de crédibilité justifiant la tenue d’une audience.

[15]           En ce qui concerne le risque lié au renvoi du demandeur en Somalie, l’agent d’ERAR a conclu qu’il serait exposé seulement à un risque généralisé s’il était renvoyé en Somalie et qu’il n’avait pas produit une preuve probante démontrant qu’il serait personnellement exposé à un risque. L’agent d’ERAR a aussi mentionné que, comme le fait que le demandeur était un ressortissant somalien n’avait pas été établi, mais seulement allégué, il n’avait pas à tenir compte des conditions existant en Somalie dans le cadre de l’ERAR.

III.             Analyse

[16]           Le demandeur soutient que la Cour devrait annuler la décision de l’agent d’ERAR et renvoyer l’affaire pour qu’elle fasse l’objet d’une nouvelle décision, parce que l’agent d’ERAR n’a pas appliqué le bon critère à la preuve qu’il a produite et qu’il a rendu une décision déraisonnable. Il soutient également qu’il n’a pas eu droit à l’équité procédurale parce que l’agent d’ERAR ne lui a pas accordé une entrevue.

[17]           Bien qu’elles n’aient pas présenté expressément d’observations relativement à la norme de contrôle applicable à la décision relative à l’ERAR en cause en l’espèce, les deux parties semblent convenir que c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique. Je suis aussi de cet avis. Un décideur qui interprète et applique sa loi constitutive est présumé avoir droit à la déférence en cas de contrôle judiciaire : McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 RCS 895, aux paragraphes 19 à 22; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559, au paragraphe 50; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 54 [Dunsmuir]. Il n’y a aucune raison que cette présomption soit réfutée lorsqu’un agent d’ERAR étudie des demandes qui lui sont présentées.

[18]           Je rappelle cependant qu’au paragraphe 3 de Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], la Cour d’appel fédérale a admis que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique aux questions de droit, celle de la décision manifestement déraisonnable aux questions de fait et celle de la raisonnabilité aux questions de droit et de fait relatives à l’alinéa 113a) de la LIPR. L’arrêt Raza est toutefois antérieur à Dunsmuir, l’arrêt faisant autorité sur cette question, et a été remplacé par celui‑ci et par la jurisprudence subséquente sur le sujet. La Cour a statué que la norme de la raisonnabilité s’applique au type de décision en cause en l’espèce dans des arrêts postérieurs à Dunsmuir : Burton c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 910, au paragraphe 34; Sufaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 373, au paragraphe 42 [Sufaj]; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 11, au paragraphe 20 [Singh].

[19]           « La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. » L’analyse de la cour de révision portera sur cette notion de raisonnabilité qui « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à  l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47.

[20]           La présentation d’une demande d’ERAR permet à une personne faisant l’objet d’une mesure de renvoi de demander la protection. Si la demande de protection est accordée, l’asile est conféré au demandeur : articles 112 et 114 de la LIPR. Il est bien établi qu’une demande d’ERAR ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile : Raza, au paragraphe 12; Singh, au paragraphe 1; Escalona Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379, au paragraphe 5. En fait, comme la Cour d’appel fédérale l’a indiqué au paragraphe 13 de Raza, « l’agent d’ERAR doit prendre acte » de la décision défavorable rendue relativement à une demande d’asile en l’absence de nouveaux éléments de preuve admissibles qui auraient pu avoir une incidence sur l’issue de cette demande. L’alinéa 113a) de la LIPR décrit les éléments de preuve qu’un demandeur peut produire. Il s’agit essentiellement d’éléments de preuve qui n’étaient pas disponibles ou qui n’étaient pas normalement accessibles au moment du rejet de sa demande d’asile ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentés lors de l’audition de cette demande :

Examen de la demande

Consideration of application

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

[21]           En l’espèce, le demandeur a cherché largement à remettre en question la décision défavorable rendue par la SPR relativement à la crédibilité, à la fois devant l’agent d’ERAR et devant la Cour. Son avocate a travaillé avec diligence afin de rassembler des déclarations solennelles, des affidavits et d’autres éléments de preuve devant servir à attester la présumée identité du demandeur. Elle a obtenu un rapport d’analyse du langage approfondi visant à réfuter les conclusions défavorables relatives à la crédibilité concernant son identité. Cela n’est toutefois pas suffisant pour que la décision de l’agent d’ERAR soit déraisonnable, car ces éléments de preuve ne sont pas admissibles. En fait, j’ai conclu qu’on aurait pu raisonnablement considérer, s’ils étaient nouveaux, qu’ils avaient une faible valeur probante après les avoir examinés de manière appropriée, comme cela a été fait en l’espèce.

[22]           Le cadre analytique applicable à la preuve produite dans le cadre d’une demande d’ERAR par un demandeur d’asile qui a été débouté est décrit aux paragraphes 13 et 14 de Raza :

[13]      Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d'ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :

1.                  Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

2.                  Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent‑elles la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

3.                  Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

a)                  à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b)                  à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c)                  à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

4.                  Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

5.                  Conditions légales explicites :

a)                  Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

b)                  Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

[14]      Les quatre premières questions, qui concernent la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, résultent implicitement de l’objet de l’alinéa 113a), dans le régime de la LIPR se rapportant aux demandes d’asile et aux examens des risques avant renvoi. Les questions restantes sont posées explicitement par l’alinéa 113a).

[23]           La juge Sharlow, qui a rédigé l’arrêt au nom de la Cour d’appel fédérale, a statué que, pour être admissibles dans le cadre d’un ERAR, les éléments de preuve doivent satisfaire à quatre conditions qui résultent implicitement de l’alinéa 113a) dans le régime de la LIPR, ainsi qu’à deux conditions prévues expressément par cette disposition. Ainsi, les éléments de preuve doivent, par déduction nécessaire, être crédibles, pertinents, nouveaux et substantiels; les conditions légales explicites exigent également qu’ils soient aptes à établir un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé après le rejet de la demande d’asile ou, dans le cas d’un fait ou de circonstances qui ont existé avant le rejet de cette demande, qu’ils n’aient pas été normalement accessibles au demandeur lors de l’audition de la demande d’asile ou qu’il n’ait pas pu être raisonnable de s’attendre à ce que celui‑ci les présente. Les éléments de preuve produits dans le cadre d’une demande d’ERAR qui ne satisfont pas à ces conditions ne seront pas pris en compte par l’agent d’ERAR.

[24]           La décision de l’agent d’ERAR portant que les éléments de preuve produits par le demandeur n’étaient pas admissibles était raisonnable. La date à laquelle un élément de preuve a été créé n’est pas déterminante pour trancher la question de savoir si cet élément de preuve satisfait à l’exigence du caractère nouveau. En fait, « [c]e qui importe, c’est le fait ou les circonstances que l’on cherche à établir par la preuve documentaire » : Raza, au paragraphe 16.

[25]           En l’espèce, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’il n’était pas en mesure de prouver son identité de manière satisfaisante. Son identité demeure encore nébuleuse des années plus tard. Or, il incombe au demandeur d’asile de présenter des documents acceptables établissant son identité : Elhassan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1247, au paragraphe 20; Qui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 259, au paragraphe 6. Le statut de ressortissant somalien du demandeur – ou l’absence de ce statut – existait avant l’audience de la SPR. En conséquence, conformément au paragraphe 13 de Raza, le demandeur ne peut présenter une preuve établissant sa nationalité que s’il peut établir que « les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asil».

[26]           La personne qui veut présenter des éléments de preuve qu’elle dit être nouveaux doit présenter un « argument convaincant qui explique pourquoi [ces éléments] constitu[ent] une nouvelle preuve qui est donc admissible »; en l’absence d’un argument de cette nature, la décision de l’agent d’ERAR de rejeter la preuve ne contient aucune erreur susceptible de contrôle : Mpshe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1156, au paragraphe 6.

[27]           Dans les prétentions qu’il a présentées à la Cour, le demandeur laisse entendre que les éléments de preuve ne sont devenus normalement accessibles que lorsque son avocate actuelle a été en mesure de l’aider à les obtenir :

[traduction] En l’espèce, le demandeur a produit des éléments de preuve qui ne sont devenus normalement accessibles qu’au moment de son deuxième ERAR, lorsque son conseil a été en mesure d’obtenir l’aide d’un interprète Bajuni et d’un expert en linguistique. En outre, le demandeur a finalement pu obtenir une lettre de sa femme et un nouveau témoin a accepté d’attester son identité. Ces faits, qui s’ajoutent au fait que le demandeur n’était pas représenté par un conseil à l’époque de son premier ERAR, ont été exposés à l’agent et expliquaient pourquoi les éléments de preuve étaient nouveaux.

(Mémoire des faits et du droit du demandeur, au paragraphe 32)

[28]           Cette explication n’est pas « convaincante » et ne fait pas en sorte que la décision de l’agent d’ERAR est déraisonnable. Si le demandeur n’était pas représenté par un conseil au moment où il a présenté sa première demande d’ERAR, il l’était devant la SPR. Celle‑ci a pressé le demandeur de présenter une preuve attestant son identité, mais aucune preuve de cette nature n’a été produite par le demandeur ou par son conseil. En fait, le demandeur et son conseil ont pris la décision stratégique de n’appeler aucun témoin capable d’attester sa présumée identité à l’audience de la SPR, apparemment parce que la crédibilité de cette personne aurait aussi pu poser problème.

[29]           Que ce soit par manque de diligence ou en raison de choix stratégiques, le demandeur n’a pas produit une preuve établissant son identité devant la SPR. Cette absence de preuve est à la fois déterminante et fondamentale. Le fait de compter maintenant sur une avocate qui est plus en mesure de trouver des personnes susceptibles de signer des déclarations solennelles, des affidavits, des rapports linguistiques, etc., ou qui est plus disposée à le faire, n’est pas un argument convaincant permettant de conclure que ces éléments de preuve auraient dû être admissibles devant l’agent d’ERAR. Cette conclusion permet de disposer de la demande.

[30]           J’ajouterais que le rapport Nurse a largement pour but de créer une diversion après qu’une conclusion relative à l’identité du demandeur a été tirée. En outre, le fait que ce rapport n’a été commandé qu’après que le demandeur a retenu les services de son avocate actuelle ne signifie pas qu’il s’agit d’un nouvel élément de preuve admissible en vertu de l’alinéa 113a) de la LIPR. Au contraire, comme la Cour l’a indiqué au paragraphe 16 de Raza, ce n’est pas la date de création du document qui détermine s’il est nouveau, mais le fait que l’on cherche à établir au moyen de celui‑ci. Le rapport de Sprakab que le rapport Nurse a pour but de réfuter a été produit en 2007; c’est à l’audience devant la SPR que le rapport Nurse, ou un autre rapport semblable réfutant le rapport de Sprakab, aurait été admissible. À mon avis, la décision de rejeter le rapport Nurse était raisonnable. Après avoir examiné ce rapport, l’agent d’ERAR a conclu que le rapport de Sprakab était plus convaincant. L’agent d’ERAR pouvait raisonnablement parvenir à cette conclusion. En conséquence, si une preuve corroborante était nécessaire – ce qui n’était pas le cas –, elle aurait pu être tirée du rapport de Sprakab, car l’on pourrait raisonnablement considérer que celui‑ci avait une plus grande valeur probante que le rapport Nurse.

[31]           Il reste à déterminer si des éléments de preuve produits par le demandeur qui n’étaient pas disponibles ou normalement accessibles lors de l’audience de la SPR, mais qu’ils l’étaient lors de la première demande d’ERAR, sont admissibles. J’estime que la décision de rejeter ces éléments de preuve était raisonnable. Dans Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 75, [2010] 3 RCF 347, au paragraphe 41, la Cour d’appel fédérale a dit clairement que « la demande de protection visée à l’article 112 est une demande d’asile ». Un ERAR antérieur est visé à l’alinéa 113a), car il s’agit d’une demande d’asile et que « le demandeur d’asile [a été] débouté ». En fait, la Cour a appliqué l’alinéa 113a) de manière à limiter l’admissibilité des éléments de preuve produits dans le cadre des demandes d’ERAR subséquentes : Narany c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 155, au paragraphe 7; Moumaev c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 720, au paragraphe 27.

[32]           J’aborde maintenant la raisonnabilité générale de la décision de l’agent d’ERAR. À mon avis, cette décision était raisonnable au sens de la définition de la norme de la raisonnabilité établie dans Dunsmuir, précité. Étant donné que le demandeur ne lui a pas présenté d’éléments de preuve admissibles susceptibles de remettre en question la décision de la SPR, l’agent d’ERAR n’a pas modifié la décision de la SPR concernant la crédibilité du demandeur. Ce dernier n’a tout simplement pas établi qu’il était un ressortissant somalien. En l’absence d’une preuve d’identité, les risques auxquels, selon le demandeur, il serait exposé s’il était renvoyé en Somalie ne sont pas pertinents aux fins de l’ERAR. Le demandeur ne peut, sans d’abord faire la preuve de son identité, établir une crainte fondée de persécution ou un risque faisant de lui une personne réputée protégée : Husein c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1998] ACF no 726, au paragraphe 13; Morka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 315, au paragraphe 19.

[33]           En plus de déterminer que le demandeur n’avait pas produit de nouveaux éléments de preuve admissibles, l’agent d’ERAR a effectué d’autres analyses concernant la valeur probante de l’information. Il a ainsi déterminé que les éléments de preuve, en supposant de façon tout à fait hypothétique qu’ils étaient admissibles, n’avaient qu’une faible valeur probante, voire aucune, aux fins de l’établissement de son identité. La Cour a examiné ces éléments de preuve afin de vérifier leur valeur probante. Comme elle l’a dit dans le passé, « [l]a retenue s’impose lorsque les agents d’ERAR évaluent la valeur probante de la preuve dont ils disposent » : Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 33 [Ferguson]. Compte tenu de la déférence dont elle doit faire l’objet, la décision relative à l’ERAR appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il incombait au demandeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la décision rendue par l’agent d’ERAR n’était pas raisonnable. Le demandeur ne peut s’acquitter de ce fardeau s’il ne présente pas des éléments de preuve probants. La décision de l’agent d’ERAR était raisonnable dans l’ensemble.

[34]           Enfin, le demandeur a prétendu devant la Cour que ses droits à l’équité procédurale avaient été violés parce que l’agent d’ERAR avait refusé de lui accorder une entrevue. La norme de contrôle applicable à la question de savoir si une décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale est celle de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au paragraphe 79.

[35]           Le demandeur soutient que, dans les faits, l’agent d’ERAR a contesté la crédibilité de sa preuve, ce qui lui donne droit à une audience. Or, il s’agit d’une interprétation erronée de la décision de l’agent d’ERAR. Celui‑ci a simplement conclu que l’identité du demandeur n’avait pas été établie devant la SPR et que la preuve dont il disposait ne modifiait pas cette conclusion, que cette preuve soit admissible ou non. Comme je l’ai mentionné précédemment, un agent d’ERAR doit respecter les conclusions de la SPR, sauf s’il existe de nouveaux éléments admissibles qui auraient pu modifier la décision de celle‑ci. Déterminer s’il y a suffisamment d’éléments de preuve admissibles pour établir l’identité du demandeur n’est pas en soi une question de crédibilité. Le fait de ne pas être convaincu par la preuve en raison de sa faible valeur probante est différent du fait de remettre en question la crédibilité d’un demandeur : Ferguson, au paragraphe 33. Il est bien établi qu’une audience ne peut être tenue relativement à une demande d’ERAR que dans des circonstances exceptionnelles : Sufaj, au paragraphe 41; Khatun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 997, au paragraphe 22; Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 175, au paragraphe 28. Or, le cas du demandeur n’est pas exceptionnel à cet égard et le devoir d’équité procédurale ne lui donne pas droit à une audience.

IV.             Conclusion

[36]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale et l’affaire ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12888-12

 

INTITULÉ :

HAFIDH ALAWY ABOUD c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 SEPTEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Laura Brittain

Alyssa Manning

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ildikó Erdei

 

PORU LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Refugee Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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