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Date : 20141027


Dossier : T-2031-13

Référence : 2014 CF 1018

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

EFAT SALLAHI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’instance

[1]               La demanderesse a présenté une demande de citoyenneté canadienne en avril 2010, mais sa demande a été rejetée par un juge de la citoyenneté, dans une lettre datée du 14 novembre 2013. Elle interjette maintenant appel de cette décision en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 (la Loi), au moyen d’une demande présentée à notre Cour en vertu de l’alinéa 300c) (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106).

[2]               En vertu de l’article 39 de la Loi renforçant la citoyenneté canadienne, LC 2014, c 22, un appel comme celui en l’espèce, interjeté avant les récentes modifications apportées à la Loi, doit être tranché conformément à celle-ci telle qu’établie le 18 juin 2014.

[3]               La demanderesse demande que la décision du juge de la citoyenneté soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre décideur pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

II.                Contexte

[4]               La demanderesse est une citoyenne de l’Iran, née dans la ville de Sanadaj, en Iran, le 22 décembre 1965. La demanderesse est devenue résidente permanente du Canada le 27 juin 2005.   

[5]               Le 13 novembre 2013, la demanderesse a comparu devant un juge de la citoyenneté à Toronto. Elle satisfaisait à toutes les autres exigences prévues alors à l’article 5 de la Loi, mais non à celle prévue à l’alinéa 5(1)e), car elle n’a répondu correctement qu’à 12 des 20 questions de l’examen des connaissances fait conformément à l’article 15 du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246 (le Règlement). La demanderesse a échoué à l’examen puisque la note de passage était de 75 %, ou de répondre correctement à 15 questions sur 20, et le juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté de celle-ci. Le juge de la citoyenneté a expliqué tout cela à la demanderesse dans la lettre de décision datée du 14 novembre 2013.

[6]               Cette lettre informait également la demanderesse que le juge de la citoyenneté avait examiné, en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi (tel qu’il était rédigé le 18 juin 2014), la question de faire une recommandation favorable en application des paragraphes 5(3) ou 5(4) de la Loi avant de décider d’approuver ou non la demande de citoyenneté. Le juge de la citoyenneté a refusé de faire une telle recommandation, et en a informé la demanderesse de la façon suivante :

[traduction]

Après avoir attentivement examiné tous les documents qui m’ont été présentés, y compris tous les renseignements que vous avez fournis à l’appui de votre demande, j’ai décidé de ne pas recommander de dispense en application du paragraphe 5(3), ni d’attribution discrétionnaire de la citoyenneté en application du paragraphe 5(4), puisque vous ne m’avez pas présenté d’éléments de preuve établissant des circonstances particulières pour lesquelles il serait justifié que je formule une recommandation en ce sens.

 

III.             Questions en litige

[7]               La demanderesse soutient que la Cour doit trancher deux questions :  

a.                   La question de savoir si le juge de la citoyenneté a indûment entravé le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 5(3) de la Loi et, par conséquent, s’il a rendu une décision qui était déraisonnable.   

b.                  La question de savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur en refusant de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le ministre, ou par le gouverneur en conseil, en omettant de tenir compte de la preuve pertinente présentée à l’audience par la demanderesse.   

[8]               Cependant, je suis d’avis que les questions dont la Cour est saisie devraient être reformulées de la façon suivante :

a.                   Quelle est la norme de contrôle applicable?

b.                  La décision du juge de la citoyenneté était-elle déraisonnable?

IV.             Observations des parties

[9]               L’essentiel de l’argument de la demanderesse repose sur le fait qu’il existait de nombreux éléments de preuve ou facteurs jouant en sa faveur, lesquels auraient justifié que le juge de la citoyenneté recommande au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) d’accorder une dispense en vertu du paragraphe 5(3) de la Loi, notamment les suivants :  

a.                   sa langue maternelle est le farsi;   

b.                  elle met beaucoup d’efforts pour améliorer ses compétences en anglais;  

c.                   elle est la principale responsable de deux enfants mineurs;   

d.                  elle est une artiste qui souhaite exposer ses œuvres.   

La demanderesse fait valoir que le juge de la citoyenneté aurait dû prendre en considération les défis que lui pose l’effet combiné de ces facteurs, mais qu’il ne l’a pas fait. La demanderesse soutient qu’il s’agissait de [traduction] « circonstances spéciales » qui faisaient en sorte que le juge de la citoyenneté aurait dû recommander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de l’exempter de la condition relative aux connaissances prévue à l’alinéa 5(1)e) de la Loi.

[10]           Le défendeur soutient que le juge de la citoyenneté n’a commis aucune erreur. Il incombait à la demanderesse de convaincre le juge de la citoyenneté qu’elle répondait aux exigences de la Loi, ce qu’elle n’a pas fait en échouant à l’examen des connaissances. Le défendeur fait en outre valoir que le juge de la citoyenneté a tenu compte de toutes les circonstances de la demanderesse, notamment de ses aptitudes linguistiques, et que sa décision de ne pas formuler de recommandation en vertu du par. 15(1) était raisonnable.

[11]           Le défendeur a également contesté certaines pièces annexées à l’affidavit de la demanderesse, car celles-ci ne se trouvaient pas dans le dossier certifié du tribunal. Je suis d’accord avec le défendeur sur cette question. Comme l’a déclaré le juge Strickland dans la décision Chaudhary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1003, paragraphe 14, [2013] ACF no 1250 (QL) (Chaudhary), notre Cour « ne peut prendre en considération que les renseignements figurant dans le dossier certifié du tribunal et dont le juge de la citoyenneté disposait lorsqu’il a rendu la décision (Zhao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1536, aux paragraphes 35 et 36 [Zhao]); Navid Bhatti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 25, au paragraphe 20 [Navid Bhatti]); Woldemariam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 621, au paragraphe 14 [Woldemariam] ».

V.                Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

[12]           Je suis d’accord avec les observations des parties selon lesquelles la jurisprudence a établi de façon satisfaisante que la norme de contrôle en ce qui a trait à la décision d’un juge de la citoyenneté est celle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, [Dunsmuir], paragraphes 53, 62; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 313, [2013] ACF no 350 (QL) [Zhou], paragraphe 10; Arif c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 557, [2007] ACF no 750 (QL), paragraphes 7-8).

[13]           Ceci étant, la décision du juge de la citoyenneté ne devrait pas être modifiée par notre Cour pourvu qu’elle soit justifiable, transparente, intelligible et qu’elle puisse se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, paragraphe 47). Ces critères sont satisfaits lorsque « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]).

B.                 La décision était-elle déraisonnable?

[14]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la décision du juge de la citoyenneté était raisonnable et qu’elle devrait être confirmée.   

[15]           J’estime non fondé l’argument de la demanderesse selon lequel, même si elle a échoué à l’examen des connaissances, elle a tout de même été en mesure de démontrer qu’elle « comprend de manière générale » les principales caractéristiques canadiennes en matière d’histoire politique et militaire, d’histoire sociale et culturelle et de géographie physique et politique.

[16]           Les « connaissances générales » d’un demandeur ne sont pas évaluées de façon abstraite. Une personne est plutôt évaluée en fonction des « réponses qu’elle donne aux questions rédigées par le ministre », en vertu du paragraphe 15(1) du Règlement. Même si le paragraphe 15(1) du Règlement ne précise pas que la note de passage de l’examen est de 75 %, ce seuil n’a pas été contesté par la demanderesse en l’espèce, et il a en fait été respecté par notre Cour (voir p. ex. : Abrar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 550, [2014] ACF no 585 (QL) [Abrar], paragraphes 6, 21; Zhou, paragraphes 3, 28-29). Le juge de la citoyenneté a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi l’examen des connaissances. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la demanderesse (à l’instar du demandeur dans l’affaire Abrar) n’a répondu correctement qu’à 12 des 20 questions de l’examen des connaissances. Il était raisonnable que le juge de la citoyenneté rejette la demande de citoyenneté de la demanderesse pour ce motif.

[17]           La demanderesse a également soutenu que le juge de la citoyenneté a [traduction] « entravé le pouvoir discrétionnaire » qui lui est conféré au paragraphe 5(3) de la Loi. À mon avis, cet argument n’est pas fondé non plus.   

[18]           Premièrement, c’est le ministre qui jouit du pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 5(3), et non les juges de la citoyenneté. Le seul pouvoir discrétionnaire dont disposait le juge de la citoyenneté est prévu au paragraphe 15(1) de la Loi, lequel lui permet de recommander au ministre de renoncer aux exigences de l’alinéa 5(1)e) de la Loi pour des « raisons d’ordre humanitaire ».

[19]           Deuxièmement, il revenait à la demanderesse de porter à l’attention du juge de la citoyenneté toute circonstance spéciale ou « raison d’ordre humanitaire » (Abrar, paragraphe 17). La demanderesse a présenté une preuve au sujet des circonstances spéciales dans son affidavit, mais le défendeur a fait remarquer, avec raison, qu’elle ne mentionne pas qu’elle a fait part au juge de la citoyenneté de ces circonstances, et qu’il n’existe aucune autre preuve qu’elle l’a fait.  

[20]           Le fait est que les [traduction] « circonstances spéciales et atténuantes » ne sont pas impérieuses. Même si la demanderesse avait informé le juge de la citoyenneté de telles circonstances, la preuve qu’elle a présentée révèle tout au plus qu’elle était trop occupée par ses rôles de mère et d’artiste pour en apprendre suffisamment au sujet du Canada et des responsabilités et des avantages conférés par la citoyenneté pour réussir l’examen des connaissances. La décision du juge de la citoyenneté de ne pas formuler de recommandation en vertu du paragraphe 15(1) était raisonnable.

[21]           La situation de la demanderesse n’est pas du tout la même que celle du demandeur dans l’affaire Abdule c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 176 FTR 282, paragraphe 0, 3 Imm LR (3d) 85, où le juge McGillis a conclu que le juge de la citoyenneté aurait dû formuler une recommandation en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi puisque celui-ci avait omis de tenir compte de la preuve médicale concernant l’incapacité d’apprendre du demandeur, ou qu’il avait mal apprécié celle-ci. La demanderesse n’est pas non plus dans une situation comme celle où se trouvaient les demandeurs dans les affaires Bhatti et Chaudhary. Le juge Gagné a souligné ce qui suit au paragraphe 16 de l’affaire Abrar :

[16] […] puisque ces derniers avaient spécifiquement demandé au juge de la citoyenneté de prendre en compte les circonstances particulières et atténuantes à l’égard desquelles ils avaient présenté des éléments de preuve. Il y a lieu de noter, en outre, que le juge Mandamin a essentiellement fondé sa décision, dans Bhatti, sur l’insuffisance des motifs du juge de la citoyenneté et que, cette décision ayant été rendue avant l’arrêt Newfoundland Nurses de la Cour suprême, elle pourrait bien ne plus avoir valeur de précédent.

[22]           Par conséquent, la Cour conclut que la décision du juge de la citoyenneté concernant la demande de citoyenneté de la demanderesse était raisonnable et doit être confirmée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel de la demanderesse est rejeté, et qu’aucun dépens ne sont adjugés.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, B.A. trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2031-13

 

INTITULÉ :

EFAT SALLAHI

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 AOÛT 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Adetayo Akinyemi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Neeta Logsetty

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adetayo Akinyemi

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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