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Date : 20140130

Dossier : T‑188‑13

Référence : 2014 CF 103

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2014

En présence de madame la juge Strickland

 

 

ENTRE :

 

MARC ST‑AMOUR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, d’une décision de la Commission de la fonction publique du Canada (CFP) datée du 21 septembre 2012 et rendue en vertu de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 12 et 13 (la Loi). La décision en cause remplaçait une décision antérieure de la CFP rendue dans le même dossier et révoquait la nomination du demandeur au poste d’analyste technique principal. Le demandeur soutient que la CFP n’avait pas le pouvoir de rendre la seconde décision.


Contexte

[2]               Le demandeur est entré dans la fonction publique fédérale en 1997 à un poste du groupe Gestion des systèmes d’ordinateurs, niveau 1 (CS‑01). Le 25 juin 2008, il a participé à un processus de nomination interne qui visait à créer un bassin de candidats compétents qui pourraient occuper à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) des postes d’analyste technique principal (08‑BSF‑IA‑HQ‑IST‑CS‑8152) dans le groupe et niveau CS‑02 (le poste de 2008). La candidature du demandeur a été retenue et il a été nommé au poste de 2008 le 1er octobre 2008.

 

[3]               Dans une lettre datée du 17 janvier 2012, la CFP a informé le demandeur qu’une enquête serait menée en vue d’établir si ce dernier avait commis une fraude dans le cadre du processus de nomination interne qui avait débouché sur sa nomination au poste de 2008.

 

[4]               Dans un rapport d’enquête daté du 16 mai 2012, la CFP a conclu que le demandeur avait commis une fraude en violation de l’article 69 de la Loi en transmettant de faux renseignements au sujet de son niveau d’éducation afin de satisfaire aux critères en matière d’éducation relatifs au poste de 2008. En effet, contrairement à ce qui était indiqué dans son CV, le demandeur n’était pas titulaire d’un diplôme général de secondaire V. Il a aussi reconnu qu’il n’avait pas terminé ses études secondaires.

 

[5]               Le 1er août 2012, la CFP a informé le demandeur des résultats du rapport d’enquête et lui a fourni l’occasion de formuler des observations en réponse au rapport; les mesures correctives suivantes y étaient proposées :

 

[traduction]

 

a.       Que la nomination de Marc St‑Amour au poste d’analyste technique supérieur, niveau CS‑02, faite par suite du processus de nomination interne 08‑BSF‑IA‑HQ‑IST‑CS‑8152, soit révoquée.

 

b.      Pendant la période de trois ans qui suivra la signature du rapport de décision, M. St‑Amour doit obtenir l’autorisation écrite de la Commission avant d’accepter tout poste ou tout emploi dans la fonction publique du Canada. Si M. St‑Amour accepte un poste doté pour une durée déterminée, un poste intérimaire ou un poste doté pour une durée indéterminée sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de la Commission, sa nomination à un tel poste sera révoquée.

 

c.       Pendant la période de trois ans qui suivra la signature du rapport de décision, si M. St‑Amour est embauché à titre occasionnel, par l’intermédiaire d’une agence de placement temporaire ou dans le cadre de programmes de la fonction publique du Canada destinés aux étudiants sans en avoir avisé au préalable la Commission, une lettre sera envoyée à l’administrateur général pour l’informer de la fraude commise par M. St‑Amour, avec copie du rapport d’enquête 2011‑BSF‑00396.14072 et du rapport de décision.

 

 

[6]               Le 23 août 2012, l’agente des relations de travail du demandeur a répondu au rapport d’enquête et aux mesures correctives proposées en soutenant que la révocation de la nomination au poste de 2008 était disproportionnée et inutile. Afin de faire en sorte que le demandeur [traduction] « ait une compréhension détaillée de leur objet et de sa capacité de s’y conformer », elle a demandé des renseignements détaillés au sujet des mesures correctives proposées, notamment sur les répercussions de la révocation de sa nomination.

 

[7]               Le 10 septembre 2012, l’enquêteur a répondu à l’agente des relations de travail en ces termes : [traduction] « Lorsqu’il y a révocation, toute forme d’emploi au sein de la fonction publique fédérale doit prendre fin, y compris au ministère en cause (ASFC) ».

 

[8]               Le 21 septembre 2012, la CFP a écrit au demandeur pour l’informer de sa [traduction] « décision définitive » sur les mesures correctives prises par suite de son enquête et y a annexé son rapport de décision (2012‑158‑IB) qui entérinait le rapport d’enquête et imposait des mesures correctives très semblables à celles qui étaient mentionnées précédemment (la lettre et le premier rapport de décision sont ci‑après désignés par le terme « la première décision »). Selon le rapport de décision, la mesure corrective avait pour objet de [traduction] « faire en sorte que des personnes n’obtiennent pas un emploi dans la fonction publique par suite d’une fraude ». La CFP a ordonné à l’ASFC de remplir les documents requis pour donner effet à la révocation et confirmer qu’elle le ferait dans les 60 jours de la signature du rapport de décision.

 

[9]               Dans une note de service, datée du 20 décembre 2012 et envoyée à la CFP, l’ASFC indiquait qu’au cours de l’étape de mise en œuvre des mesures correctives, le demandeur avait été muté à un autre poste (poste 66815) en mars 2011 (le poste de 2011). Par ailleurs, comme le demandeur [traduction] « … n’occupait plus le poste qu’il avait obtenu dans le cadre du processus de nomination 08‑BSF‑IA‑HQ‑IST‑CS‑8152 (poste 28337), la première mesure corrective qui avait été ordonnée ne pouvait pas être mise en œuvre ». Elle proposait le remplacement de la première mesure corrective par une autre qui révoquerait rétroactivement au 20 mars 2011 la nomination du demandeur au poste de 2008, soit le jour précédant sa mutation au poste de 2011. Le motif invoqué était que l’objet des mesures correctives consiste à faire en sorte que des personnes n’obtiennent pas un emploi dans la fonction publique par suite d’une fraude. Le demandeur n’aurait pas été admissible à une mutation s’il n’avait pas été nommé, par suite d’une fraude, au poste initial de niveau CS‑02, soit le poste de 2008.

 

[10]           Le 21 décembre 2012, la CFP a informé le demandeur des mesures correctives modifiées qui étaient proposées et lui a donné l’occasion d’y répondre par écrit. Le demandeur a refusé de les commenter. L’ASFC a répondu en affirmant que la mesure corrective révisée proposée ne précisait pas si le demandeur cesserait d’être un employé de la fonction publique fédérale au moment de la révocation de sa nomination au poste de CS‑02. Si la CFP avait vraiment l’intention d’exclure le demandeur de la fonction publique fédérale, il fallait que cette intention soit énoncée clairement dans le nouveau rapport de décision.

 

[11]           Le 22 janvier 2013, la CFP a écrit au demandeur pour l’informer de sa seconde [traduction] « décision définitive », et y a joint une copie du rapport de décision 2012‑197‑IB (la lettre et le second rapport de décision sont ci‑après désignés par le terme la « seconde décision »), qui remplaçait la première décision. La seconde décision est décrite ci‑après.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[12]           Était confirmée dans la seconde décision l’acceptation du rapport d’enquête qui concluait que le demandeur avait commis une fraude au cours du processus de nomination de 2008, soit la remise d’un curriculum vitæ contenant de faux renseignements au sujet de son niveau d’études.

 

[13]           Et, conformément au pouvoir de prendre des mesures correctives que lui accorde l’article 69 de la Loi, la CFP a rendu l’ordonnance ci‑après :

[traduction]

 

                                                              i.      La nomination de M. St‑Amour au poste d’analyste technique supérieur, aux groupe et niveau CS‑02 (numéro de poste 30128337), faite dans le cadre du processus de nomination 08‑BSF‑IA‑HQ‑IST‑CS‑8152, est révoquée rétroactivement au 20 mars 2011, soit le jour précédant sa mutation au poste numéro 30168815 à l’ASFC. Cette dernière doit remplir les documents requis pour donner suite à la révocation et confirmer à la Commission de la fonction publique que la mesure a été prise dans les 60 jours de la signature du présent rapport de décision. Par suite de la révocation de sa nomination, M. St‑Amour cessera d’être un employé de la fonction publique fédérale :

 

                                                            ii.      pendant la période de trois ans qui suivra la signature du présent rapport de décision, M. St‑Amour devra obtenir l’autorisation écrite de la Commission avant d’accepter tout poste ou tout travail au sein de la fonction publique fédérale. Si M. St‑Amour accepte un poste doté pour une période déterminée, un poste intérimaire ou un poste doté pour une période indéterminée au sein de la fonction publique sans avoir d’abord obtenu ladite autorisation, sa nomination sera révoquée et :

 

                                                          iii.      pendant la période de trois ans qui suivra la signature du présent rapport de décision, si M. St‑Amour est embauché à titre occasionnel, par l’intermédiaire d’une agence de placement temporaire ou dans le cadre de programmes de la fonction publique fédérale destinés aux étudiants sans en avoir avisé au préalable la Commission, une lettre sera envoyée à l’administrateur général pour l’informer de la fraude commise par M. St‑Amour, avec copie du rapport d’enquête 2011‑BSF‑00396.14072 et du rapport de décision 2012‑197‑IB.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[14]           À mon avis, les questions en jeu dans le cadre de la présente demande sont les suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

2.                  Est‑ce que la CFP était functus officio lorsqu’elle a rendu la seconde décision?

 

3.                  Subsidiairement, est‑ce que le principe de la préclusion promissoire s’applique de façon à empêcher la CFP de remplacer sa première décision par sa seconde décision?

 

 

OBSERVATIONS ET ANALYSE

Question 1 : Quelle est la norme de contrôle applicable?

Observations du demandeur

[15]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle pertinente relativement à la question de savoir si un tribunal est functus officio est celle de la décision correcte (Canada (Procureur général) c Symtron Systems Inc, [1999] ACF no 178 (CA), au paragraphe 45 (QL); Hakimi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 481, au paragraphe 28; Saskatchewan Wheat Pool c Canada (Commission canadienne des grains), 2004 CF 1307, aux paragraphes 19 et 20; IMP Group Ltd Aerospace Division (Comox) c Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CF 517, aux paragraphes 23 et 25‑28 [décision IMP Group]; Tinney c Canada (Procureur général), 2010 CF 605, au paragraphe 12 [décision Tinney]; Première Nation Elsipogtog c Peters, 2012 CF 398, aux paragraphes 30‑35 [décision Elsipogtog]).

 

[16]           Dans la décision IMP Group, précitée, la Cour a conclu que malgré l’expertise de l’arbitre en relations de travail, ce dernier n’était pas mieux placé que la Cour pour traiter de la question du functus officio, qui est une pure question de droit extérieure à l’expertise d’un arbitre. Le demandeur soutient que ce raisonnement s’applique aussi aux décisions rendues par la CFP.

 

Observations du défendeur

[17]           Le défendeur reconnaît que la question de savoir si le principe du functus officio s’applique appelle la norme de contrôle de la décision correcte. Cependant, la jurisprudence récente donne à penser que la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision d’un arbitre d’appliquer la doctrine de la réclusion (Nor‑Man Regional Health Authority Inc c Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 RCS 616 [arrêt Nor‑Man]). Quant à la question de savoir si l’exception de l’[traduction] « intention manifeste » s’applique à une décision, elle a été considérée comme une question mixte de fait et de droit qui doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Nova Scotia Government and General Employees Union v Capital District Health Authority, 2006 NSCA 85, au paragraphe 52 [arrêt Capital District]). Pour cette raison, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’appliquerait pour décider si la première décision avait produit l’effet voulu.

 

Analyse

[18]           Lorsque la jurisprudence a statué de façon satisfaisante sur la norme pertinente de contrôle applicable à une question particulière, cette norme peut être adoptée par une autre cour de révision. C’est seulement si cette démarche échoue que la cour de révision peut passer à l’analyse des facteurs qui permettent de définir la norme de contrôle pertinente (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 57 et 62 [arrêt Dunsmuir]).

 

[19]           La jurisprudence qui porte sur le choix de la norme de contrôle relative à la question de savoir si le décideur est functus officio ne semble pas aussi bien établie. Cependant, récemment, le juge Near, dans la décision Elsipogtog, précitée, a examiné la jurisprudence pertinente et s’est finalement appuyé sur l’arrêt Capital District, précité, pour conclure que la norme de la décision raisonnable s’appliquait dans le cadre de l’examen de la question de savoir si l’arbitre, dans l’affaire en cause, était functus officio :

 

[30]      Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle à appliquer dans le cas de la conclusion de l’arbitre suivant laquelle il n’était pas functus officio. La demanderesse affirme que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à la question de savoir si l’arbitre a débordé le cadre de sa compétence ou a commis une erreur dans l’application d’un critère juridique, tandis que la défenderesse soutient que la présente affaire soulève une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. La jurisprudence semble partagée sur cette question.

 

[31]      Dans le jugement Canada Post Corp c Canadian Union of Postal Workers, [2008] OJ no 2633, 238 OAC 195, au paragraphe 13, la Cour supérieure de justice de l’Ontario (Cour divisionnaire) a jugé que [traduction] « la question de savoir si l’arbitre était functus officio est une question de droit pure assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte ».

 

[32]      La juge Snider, de notre Cour, a laissé entendre, dans le jugement M.P. Group Limited c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CF 517, [2007] ACF no 698, aux paragraphes 25 à 28, que la question de savoir si l’exception au principe du functus officio s’appliquait pouvait être une question mixte de fait et de droit. Elle a néanmoins conclu que, dans le cas précis d’une convention collective, « même si je reconnais en l’espèce que la décision repose en partie sur les faits, je suis d’avis que la question est davantage une question de droit ». Elle a appliqué la norme de contrôle de la décision correcte.

 

[33]      Par contraste, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a, dans l’arrêt Capital District Health Authority c Nova Scotia Government and General Employees Union, 2006 NSCA 85, [2006] NSJ no 281, estimé qu’il s’agissait en réalité de questions principalement axées sur les faits, ajoutant que la décision arbitrale commandait la déférence. Écrivant au nom de la Cour, le juge Cromwell (maintenant juge à la Cour suprême du Canada), a conclu ce qui suit, aux paragraphes 52 et 53 :

 

[traduction]

 

[52]      La question déterminante en l’espèce est celle de savoir si le libellé de la décision arbitrale principale concrétisait l’intention manifeste du conseil d’arbitrage. Une grande partie de l’analyse des quatre facteurs contextuels appuie l’idée qu’il convient de faire preuve d’une certaine déférence envers le conseil d’arbitrage à cet égard. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui joue un rôle essentiel en ce qui concerne le mandat dévolu au conseil et qui touche de près son expertise en matière de relations du travail. Toutefois, c’est la réponse à cette question qui délimite le pouvoir d’intervention du conseil, ce qui donne à penser que le règlement de cette question ne devrait pas se voir accorder le degré de déférence le plus élevé. Je conclurai donc qu’à défaut d’erreur concernant un principe juridique (qu’il s’agisse d’une erreur explicite ou d’une erreur ressortant de la façon dont le conseil a appliqué les principes), principe au sujet duquel le conseil devait tirer des conclusions bien fondées, sa conclusion quant à la question de savoir si la décision initiale concrétisait son intention manifeste est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. En d’autres termes, la conclusion tirée par le conseil au sujet de son intention manifeste doit être raisonnablement appuyée par le libellé de sa décision initiale prise dans son ensemble et en fonction du contexte.

 

[53]      La norme de contrôle de la décision raisonnable me semble représenter un équilibre approprié entre l’objectif du caractère définitif des décisions et celui de l’efficacité dans le contexte de l’arbitrage des différends. En témoignant envers le conseil d’un certain degré de déférence en ce qui concerne la détermination de sa propre intention manifeste, on contribuera à aider le conseil à mener à terme le travail qui lui est confié. Le fait d’insister pour dire que la conclusion qu’il tire à cet égard doit être raisonnable assure toutefois que l’on tienne dûment compte de l’objectif du caractère définitif.

 

[34]      Après avoir examiné ces décisions, je suis d’avis que la norme de la décision raisonnable est celle que l’on devrait appliquer compte tenu du raisonnement suivi dans l’arrêt Capital District, précité. Il m’est impossible de répondre à la question de savoir si l’arbitre était functus officio sans tenir compte de la nature de sa décision initiale. À cet égard, l’arbitre mérite à tout le moins une certaine déférence. Bien que je reconnaisse que la question en litige concerne le pouvoir d’agir de l’arbitre, il ne m’est pas pour autant interdit d’appliquer la norme de la décision raisonnable, compte tenu du contenu factuel de la présente affaire.

 

 

[20]           Tout en reconnaissant l’existence dans les précédents de divergences quant à la question de la norme de contrôle pertinente dans les cas de functus officio, le critère de la décision raisonnable, accepté à la fois dans l’arrêt Capital District et la décision Elsipogtog, précités, s’applique à mon avis en l’espèce. La question essentielle dans la présente affaire consiste à établir si l’exemption de l’intention manifeste au principe du functus officio s’applique. Comme il a été énoncé dans la décision IMP Group, précitée, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit parce que le principe général du functus officio doit être appliqué aux faits particuliers de l’espèce. Même si la Cour avait finalement conclu dans cette affaire que c’est la norme de la décision correcte qui s’appliquait, elle a déclaré que c’était parce qu’elle se penchait sur une convention collective signée et que, même si les faits avaient joué un certain rôle dans la décision, celle‑ci s’articulait plus autour d’une question de droit. Or, ce n’est pas la situation en l’espèce.

 

[21]           Comme il a été énoncé dans l’arrêt Capital District :

 

[traduction]

 

[46]      Pour décider s’il pouvait rendre une décision supplémentaire comme il l’a fait, le conseil d’arbitrage devait faire deux choses. Premièrement, il devait comprendre les grands principes juridiques du functus officio. Deuxièmement, il devait interpréter sa décision initiale afin d’en dégager l’intention manifeste. En d’autres termes, le conseil d’arbitrage devait décider si sa décision supplémentaire avait comme résultat de donner effet à ladite intention manifeste.

 

[47]      À mon avis, cette question est une question mixte de droit et de fait. L’interprétation d’un contrat ou d’une loi est une question de droit, mais il semble tout à fait exagéré de décrire ainsi l’évaluation que fait un tribunal administratif de sa propre intention manifeste. En soi, un énoncé exact du principe juridique ne trancherait pas le différend entre les parties. En effet, ce dernier portait sur la question de savoir si « … les faits satisfont aux critères juridiques pertinents… » relatifs au functus officio et concernaient « … l’application du droit aux faits… ». La question ne peut être tranchée que selon l’intention du conseil d’arbitrage dans les présentes circonstances. Cette question particulière ne se présentera probablement pas de nouveau et le résultat n’aurait pratiquement aucune valeur de précédent. Il s’agit donc presque uniquement d’une question « d’application pure » : Directeur des enquêtes et recherches c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, aux paragraphes 35 et 44. Ce sont là les principes fondamentaux qui sous‑tendent l’existence d’une question mixte de droit et de fait.

[Caractères gras dans l’original.]

 

 

[22]           Par la suite, dans l’arrêt Nor‑Man, précité, la Cour suprême du Canada a rappelé que la décision d’un tribunal administratif est assujettie à la norme de la décision correcte si elle soulève : une question constitutionnelle; une question de droit général à la fois d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre; une question touchant véritablement à la compétence; ou une question portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents. Par contre, la norme de la décision raisonnable l’emporte généralement dans les cas suivants : lorsque la décision du tribunal administratif touche aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique; lorsque les faits et le droit s’entrelacent et ne peuvent pas être facilement dissociés; ou lorsque le tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie. Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu qu’une décision arbitrale qui appliquait la préclusion appliquée à titre de réparation en equity devait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable étant donné qu’elle ne faisait pas partie des questions assujetties à la norme de la décision correcte et que, de plus, une analyse contextuelle confirmait qu’il convenait d’appliquer la norme de la décision raisonnable.

 

[23]           À mon avis, la question de savoir si la CFP était functus officio en l’espèce ne se retrouve pas non plus dans la catégorie des questions auxquelles s’applique la norme de la décision correcte et elle se rapproche plus de la situation visée par l’arrêt Capital District, précité. De plus, selon l’analyse contextuelle (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 64), même en l’absence d’une clause privative concernant la disposition particulière en vertu de laquelle la décision a été prise, la norme de la décision raisonnable semblerait la plus appropriée vu le rôle de la CFP, la nature de la question en jeu de même que l’expertise de la CFP.

 

[24]           En grande partie pour les mêmes motifs, j’estime que la norme de la décision raisonnable est aussi celle qui convient pour le contrôle de la deuxième question, à savoir si le principe de la préclusion promissoire s’applique pour empêcher la CFP de remplacer sa première décision par sa seconde décision (arrêt Nor‑Man, précité, au paragraphe 35).

 

 

Question 2 : Est‑ce que la CFP était functus officio lorsqu’elle a rendu la seconde décision?

Observations du demandeur

[25]           Le demandeur soutient qu’un tribunal administratif ne peut pas réviser ou modifier sa décision une fois qu’il a rendu sa décision définitive (Brown, Donald J M, et John M Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol 3, Toronto, Canvasback Publishing, 2012 (édition à feuilles mobiles); Chandler c Alberta Association of Architects, [1989] 2 RCS 848, au paragraphe 20 [arrêt Chandler]). Le principe du functus officio est fondé « sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures ». Il y a cinq exceptions à ce principe, notamment en cas d’erreur dans l’expression de l’« intention manifeste » du tribunal administratif. Cependant, après qu’un tribunal administratif a choisi l’une des réparations qu’il lui est loisible d’appliquer, il n’a pas le droit de rouvrir l’instance pour faire ensuite un autre choix (arrêt Chandler, précité).

 

[26]           Le demandeur soutient que le dépôt d’autres observations des parties et la prise d’une décision sur des questions déjà tranchées ne tombent pas sous le coup de l’exception de l’« intention manifeste », mais qu’il s’agit plutôt d’une tentative non appropriée d’étoffer les motifs du décideur (décision IMP Group, précitée). Le critère déterminant est « celui de savoir si l’on peut dire que l’arbitre avait tranché de façon définitive la plainte dont il était saisi » (Murphy c Canada (arbitre désigné en vertu du Code du travail), [1993] ACF no 1236 (CA), au paragraphe 16 (QL); Première Nation de Fishing Lake c. Paley, 2005 CF 1448, au paragraphe 27; Pétrolière Impériale Ressources Ltée c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), 2003 ACF 478, aux paragraphes 25 et 26; décision Elsipogtog, précitée, au paragraphe 47).

 

[27]           Il a été conclu dans certains précédents qu’à partir du moment où il a rendu sa décision, un décideur ne peut pas rendre une décision ultérieure révisée ou modifier son ordonnance (Huneault c Société centrale d’hypothèques et de logement, [1981] ACF no 905 (CA), au paragraphe 7 (QL); Cargill Ltée c Syndicat national des employés de Cargill Ltée, 2002 CAF 269 [arrêt Cargill Ltée]). C’est le cas même si une décision a été prise par erreur (Narvaez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 514, au paragraphe 37 [décision Narvaez]). Le fait que de nouveaux éléments de preuve soient déposés ne justifie pas la réouverture d’une décision définitive (Tambwe‑Lubemba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1874 (CAF), aux paragraphes 3‑4 (QL)).

 

[28]           Le demandeur soutient qu’il a informé la CFP pendant l’enquête de sa mutation à un autre poste en 2011 et que ce renseignement était mentionné explicitement dans les rapports d’enquête. Or, la première décision avait révoqué la nomination au poste de 2008 sans effet rétroactif et elle n’avait traité ni de la question de la mutation au poste de 2011, ni du fait que l’employé cesserait de travailler pour la fonction publique fédérale par suite des mesures correctives qui avaient été prises. La CFP a par la suite rendu la seconde décision qui avait pour objet de remplacer la première afin de mettre en œuvre des mesures correctives qui annuleraient la mutation et entraîneraient le licenciement du demandeur. Les deux décisions étaient censées être définitives.

 

[29]           Cependant, la CFP était functus officio et elle n’avait pas le pouvoir de rendre la seconde décision pour les motifs suivants : la CFP a qualifié la première décision de décision définitive, ce qui faisait en sorte qu’elle tranchait toutes les questions soulevées au cours de l’enquête menée en vertu de l’article 69 de la Loi. La CFP ne peut pas réviser une décision définitive simplement parce qu’elle a changé d’idée ou qu’elle a commis une erreur quant à sa compétence; la première décision exprimait l’intention manifeste de la CFP au moment où cette dernière a été rendue et elle n’était affectée par aucun lapsus et par aucune erreur d’écriture; la Loi ne prévoit pas qu’une décision rendue en vertu de l’article 69 peut être rouverte; enfin, la CFP n’est pas autorisée à rouvrir une décision définitive dans le but de prendre des mesures correctives supplémentaires ou de rechange.

 

Observations du défendeur

[30]           Le défendeur soutient que le principe du functus officio doit être appliqué aux organismes administratifs avec plus de souplesse qu’il ne l’est avec les cours de justice. Il est en effet possible de revenir sur lesdites décisions s’il y a eu une erreur dans l’expression de l’« intention manifeste » du tribunal administratif (arrêt Chandler, précité). Dans l’arrêt Capital District, précité, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a conclu que le fait de rendre une décision supplémentaire n’entraînerait pas une violation du principe du functus officio. De la même façon, dans l’arrêt Cie des Chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Office national des transports) (1989), 96 NR 378, [1989] ACF no 50 (CA) (QL) [arrêt Cie des Chemins de fer nationaux du Canada], la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une décision originale de l’Agence pouvait faire l’objet de deux interprétations différentes et qu’elle avait le pouvoir de rendre une seconde décision qui clarifiait les choses.

 

[31]           Le défendeur soutient que la première décision n’exprimait pas l’intention manifeste de la CFP et qu’elle a été précisée par la seconde décision. En effet, la CFP avait l’intention de supprimer, à cause de la nomination du demandeur au poste de 2008, obtenue par fraude, tout emploi obtenu par le demandeur. Cependant, la première décision n’exprimait pas sans ambiguïté cette intention ni la volonté de faire en sorte que la révocation entraîne non seulement la révocation de la nomination au poste de 2008, mais aussi celle qui concernait le poste de 2011. La CFP n’a pas changé d’idée et n’a pas non plus ajouté de motifs à ceux qui existaient déjà ni ordonné une mesure de rechange.

 

[32]           Le défendeur précise que, d’après le libellé de la première décision, [traduction] « la mesure corrective avait pour objet de faire en sorte que des personnes n’obtiennent pas un emploi dans la fonction publique par fraude », la CFP avait l’intention d’empêcher tout gain que le demandeur aurait pu réaliser par suite de sa nomination frauduleuse au poste de 2008. Cette mesure a notamment comme conséquence, comme l’a expliqué l’enquêteur à l’agente des relations de travail, la fin de [traduction] « toute forme d’emploi dans la fonction publique fédérale […] y compris dans le ministère visé (ASFC) ». L’intention de la CFP était aussi indiquée dans la note d’information. Cependant, telle qu’elle était formulée, la première décision de la CFP ne permettait pas de mettre en œuvre la révocation d’une façon qui correspondait à son intention manifeste.

 

[33]           L’objectif de la CFP, qui cherchait à faire en sorte que le demandeur n’obtienne pas d’emploi dans la fonction publique par suite de sa fraude, est conforme à la jurisprudence qui reconnaît qu’il faut préserver l’intégrité du système de nomination. Dans la décision Challal c Canada (Procureur général), 2009 CF 1251 [décision Challal], la Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire d’un demandeur qui avait commis une fraude dans le cadre d’un processus de nomination et qui avait été muté à un autre ministère.

 

[34]           Le défendeur soutient que la clarification des intentions originales de la CFP avait été effectuée équitablement parce que cette dernière avait fourni au demandeur l’occasion de formuler des observations sur les mesures correctives révisées qui étaient proposées. Le demandeur a choisi de ne pas présenter d’observations même si, dans son affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, il déclare qu’au moment où il a reçu la lettre l’informant de la révision proposée, il estimait que la CFP n’avait pas compétence et qu’elle n’agissait pas de façon équitable. Le défendeur affirme que le demandeur ne devrait pas être autorisé à soumettre la question dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire étant donné qu’il n’a pas soulevé ses préoccupations à la première occasion.

 

Analyse

[35]           À titre préliminaire, j’examinerai l’argument du défendeur selon lequel le demandeur ne devrait pas être autorisé à contester la seconde décision pour cette raison étant donné qu’il a choisi de ne pas soulever la question du functus officio au moment où il a été informé des mesures correctives modifiées qui étaient proposées. À mon avis, comme je le préciserai plus loin, la question du functus officio dans la présente affaire concerne principalement la question de savoir si l’intention manifeste de la CFP avait été exprimée dans la première décision. Par conséquent, l’incapacité de la CFP d’aborder cette question dans la seconde décision parce que le demandeur ne l’a pas soulevée n’est pas déterminante quant à l’issue de la présente instance. Quoi qu’il en soit, la question a été soulevée directement dans la présente demande de contrôle judiciaire et les deux parties ont eu tout le loisir de présenter leurs arguments à ce sujet. Il convient donc que la Cour examine la question, qui relève tout à fait de sa compétence.

 

[36]           En règle générale, le principe du functus officio a pour objet de garantir le caractère définitif du processus de prise de décision. Brown et Evans, dans l’ouvrage précité, décrivent ainsi ce principe au paragraphe 12:6200 :

 

[traduction]

 

Selon le principe du functus officio, à partir du moment où un arbitre a fait tout le nécessaire pour donner à une décision sa forme définitive, il lui est interdit de la réviser, sauf pour corriger des erreurs d’écriture ou d’autres petites erreurs techniques.

 

[…]

 

 

[37]           Les arbitres et les autres décideurs administratifs qui sont soumis à l’obligation d’équité n’ont pas le pouvoir inhérent d’instruire de nouveau une affaire, de réexaminer ou de modifier une décision une fois qu’ils ont rendu leur décision définitive. En effet, dès qu’ils ont rendu une décision définitive, ils deviennent functus officio. Donc, sous réserve des exceptions à cette règle générale, ou peut‑être lorsque les parties en conviennent autrement, le pouvoir d’instruire de nouveau une affaire ou bien de réexaminer ou de modifier une décision doit avoir un fondement législatif.

 

[38]           Le précédent qui fait autorité en ce qui a trait au principe du functus officio est encore l’arrêt Chandler, précité, de la Cour suprême du Canada. Voici un extrait des motifs de cette affaire :

 

[20]      […] En règle générale, lorsqu’un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu’il a changé d’avis, parce qu’il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s’il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l’arrêt Paper Machinery Ltd. v. J. O. Ross Engineering Corp., précité.

 

[21]      Le principe du functus officio s’applique dans cette mesure. Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d’une cour de justice dont la décision peut faire l’objet d’un appel en bonne et due forme. C’est pourquoi j’estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel.

 

 

[39]           La Cour suprême a poursuivi en ces termes :

 

[23]      De plus, si le tribunal administratif a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante, on devrait lui permettre de compléter la tâche que lui confie la loi. Cependant, si l’entité administrative est habilitée à trancher une question d’une ou de plusieurs façons précises ou par des modes subsidiaires de redressement, le fait d’avoir choisi une méthode particulière ne lui permet pas de rouvrir les procédures pour faire un autre choix. Le tribunal ne peut se réserver le droit de le faire afin de maintenir sa compétence pour l’avenir, à moins que la loi ne lui confère le pouvoir de rendre des décisions provisoires ou temporaires. Voir Huneault c. Société centrale d’hypothèques et de logement (1981), 41 N.R. 214 (C.A.F.)

 

 

 

 

[40]           Voici la déclaration de la Cour d’appel fédérale qui, dans l’arrêt Cargill Ltée, précité, s’exprimait sur la question en s’inspirant des commentaires de feu le juge Sopinka dans l’arrêt Chandler, précité :

                                  

            [12]      Il est important de retenir des propos du juge Sopinka que :

1.      lorsque le tribunal administratif a rendu une décision « finale » concernant une question, il ne peut revoir la question, inter alia, parce qu’il a changé d’avis ou qu’il a erré;

 

2.      il faut assouplir la portée du principe du functus officio lorsque la Loi habilitante permet au tribunal de regarder à nouveau la question afin qu’il exerce pleinement sa compétence;

3.      si le tribunal a omis de décider une question qui était devant lui et en regard de laquelle il avait le pouvoir de trancher, il est préférable de lui permettre de compléter sa tache;

4.      si le tribunal devait choisir comment il réglerait la question devant lui et qu’il a choisi une façon précise de la régler, il ne lui est dès lors pas loisible de reconsidérer la question pour en arriver à une autre solution.

 

 

[41]           Dans l’arrêt Chandler, précité, la Cour suprême a énoncé plusieurs exceptions à l’application du principe du functus officio, mais seul un de ces derniers a été soulevé en l’espèce, soit [traduction] « Lorsqu’il y a eu erreur dans l’expression de l’intention manifeste de la cour » (Paper Machinery Ltd v J O Ross Engineering Corp, [1934] RCS 186; décision Narvaez, précitée, au paragraphe 26). 

 

[42]           En l’espèce, l’enquête de la CFP a été menée en conformité de l’article 69 de la Loi, dont voici le libellé :

 

Fraude

 

69. La Commission peut mener une enquête si elle a des motifs de croire qu’il pourrait y avoir eu fraude dans le processus de nomination; si elle est convaincue de l’existence de la fraude, elle peut :

 

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;

 

b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

Fraud

 

69. If it has reason to believe that fraud may have occurred in an appointment process, the Commission may investigate the appointment process and, if it is satisfied that fraud has occurred, the Commission may

 

(a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and

 

(b) take any corrective action that it considers appropriate.

           

 

[43]           Aucune disposition de la Loi n’autorise la CFP à modifier des mesures correctives dont elle a déjà décidé l’application. Il incombe donc à la Cour de décider si la première décision de la CFP était une décision définitive et si cette décision était entachée d’une erreur relative à l’expression de l’intention manifeste de la CFP; dans ce cas, elle doit être révisée conformément à cette exception au principe du functus officio.

 

[44]           Brown et Evans, au paragraphe 12:6222 de l’ouvrage précité, décrivent le caractère définitif d’un arbitrage en s’appuyant sur la définition qu’en donnent G. Spencer Bower et AK Turner dans The Doctrine of Res Judicata, 2e éd. (Londres, Butterworths, 1969), à la page 132 :

 

[traduction]

Une décision judiciaire est réputée définitive lorsqu’elle ne laisse rien de plus à la cour à trancher pour la rendre effective et exécutoire, qu’elle est absolue, exhaustive et certaine et qu’elle n’est pas, par la loi, susceptible d’annulation, de révision ou de modification par la cour de justice qui l’a rendue.

 

 

[45]           En ce qui nous concerne, la lettre de la CFP datée du 21 septembre 2012, qui était annexée au premier rapport de décision, précisait notamment ce qui suit : [traduction] « L’objet de la présente lettre est de vous faire part de la décision définitive de la Commission […] ». La lettre informait aussi le demandeur que s’il souhaitait contester la décision, il pouvait déposer une demande de contrôle judiciaire devant la Cour. Sa lettre abordait aussi la mise en œuvre de la première décision dans l’extrait suivant : [traduction] « Les fonctionnaires du ministère et la CFP communiqueront bientôt avec vous au sujet de la mise en œuvre des mesures correctives ». Le premier rapport de décision qui y était joint précisait son objet et les mesures correctives de la façon décrite précédemment, notamment la révocation de la nomination du demandeur au poste de CS‑02 dans le cadre du processus de nomination de 2008.

 

[46]           Dans ce contexte, je suis convaincue que la première décision était définitive. Par conséquent, elle pouvait être révisée par la CFP uniquement si elle tombait sous le coup de l’exception de l’« intention manifeste » décrite dans l’arrêt Chandler, précité.

 

[47]           Les cours de justice ont appliqué l’exception de l’intention manifeste dans des contextes factuels différents, comme le montrent les décisions suivantes.

 

[48]           Dans l’arrêt Capital District, précité, un conseil d’arbitrage devait trancher certaines questions, notamment le taux de rémunération des employés visés pour les trois années suivantes. Le conseil d’arbitrage a rendu une décision, mais les parties ne pouvaient pas s’entendre sur la façon de mettre en œuvre la portion de la décision concernant l’aspect « rattrapage » de l’augmentation de salaire. Le conseil d’arbitrage a donc rendu une décision supplémentaire pour régler le problème. Le syndicat a contesté cette mesure pour le motif que le conseil d’arbitrage n’avait pas le pouvoir de traiter la question du rattrapage salarial étant donné qu’il avait rendu une décision définitive dans l’affaire dans le cadre de sa première décision et que, par conséquent, il était functus officio.

 

[49]           La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a bien décrit les objectifs du caractère définitif et de l’efficacité des décisions des tribunaux :

 

[traduction]

[1]        Le présent appel illustre la tension entre deux objectifs importants de l’arbitrage, soit le caractère définitif des décisions et leur efficacité. La réalisation de l’objectif du caractère définitif s’appuie sur la règle selon laquelle à partir du moment où un tribunal a rendu une décision définitive sur une question, il n’a plus le pouvoir de continuer d’agir à cet égard. Cette règle est souvent désignée par son nom latin, soit functus officio. Cependant, le caractère définitif des décisions n’est pas une valeur absolue; c’est pourquoi l’application de la règle du functus officio est limitée dans certaines circonstances afin de favoriser la réalisation de l’objectif d’efficacité. Par exemple, un tribunal peut modifier sa décision lorsqu’il a commis une erreur dans l’expression de son « intention manifeste ». L’appel porte alors sur l’interaction entre les objectifs concurrents du caractère définitif et de l’efficacité dans les circonstances de telle ou de telle espèce.

 

 

[50]           La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a affirmé que c’est généralement dans les motifs de la décision initiale d’un tribunal que nous pouvons le mieux déceler son intention manifeste. Sauf s’il y a dissonance ou contradiction entre, d’une part, le choix prétendument erroné des mots et, d’autre part, l’intention en question, la validité de la formulation choisie par le tribunal dans sa décision initiale doit être confirmée. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a conclu que le conseil d’arbitrage avait agi de façon raisonnable en estimant que les mots utilisés dans la décision principale pour décrire l’admissibilité au rattrapage salarial ne donnaient pas vraiment effet à l’intention manifeste de ladite décision :

 

[traduction]

 

[59]      J’aborde premièrement la conclusion du conseil d’arbitrage quant à son « intention manifeste ». Dans sa décision supplémentaire, le conseil d’arbitrage a résumé l’objectif qu’il recherchait en ajoutant une composante de rattrapage salarial aux taux de rémunération : « l’objectif évident et primordial de la décision consistait à faire en sorte que les employés de cet employeur obtiennent le taux de rémunération le plus élevé dans le Canada Atlantique ». Il s’agit d’une conclusion raisonnable quant à l’objectif « évident et primordial » de la décision principale. Elle est confirmée par la formulation explicite et non ambiguë de la décision principale; cette conclusion de la décision supplémentaire ne fait que rappeler ce qui était présenté dans la décision principale comme le « principe directeur » qui avait « guidé » le conseil d’arbitrage.

 

[60]      Je passe ensuite à la question de savoir si la formulation contestée de la décision principale n’a pas réussi à concrétiser cette intention. Comme il l’avait souligné dans sa décision principale, le conseil d’arbitrage a répété dans sa décision supplémentaire que son « […] objectif n’était pas de créer des profits imprévus […] ». Il a cependant conclu que des profits imprévus pourraient en résulter si les rajustements de rattrapage étaient effectués à partir du moment où le taux maximum avait été atteint. En d’autres termes, le conseil d’arbitrage a déclaré que le fait de ne pas tenir compte de la composante augmentation généralisée dans l’évaluation de la question de savoir si la rémunération se situait au sommet de l’échelle dans le Canada Atlantique était incompatible avec son intention de ne pas accorder de profits imprévus à toute classification d’emploi. Cela me semble aussi une conclusion raisonnable. L’octroi d’un rattrapage salarial à un groupe d’employés qui se situent déjà au sommet de l’échelle salariale dans la région pourrait raisonnablement être considéré comme un « profit imprévu », ce qui serait incompatible avec l’objectif du conseil d’arbitrage qui avait été énoncé sans aucune ambiguïté.

 

 

[51]           De la même façon, dans l’arrêt Cie des Chemins de fer nationaux du Canada, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’office avait le pouvoir de décrire de façon plus précise les types de documents dont elle avait ordonné la diffusion dans sa décision initiale sur cette question (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1218, au paragraphe 11). Dans la décision Nozem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1449, le demandeur avait reçu par erreur un avis de décision relatif à sa demande d’asile qui laissait entendre que celle‑ci avait été acceptée. Le demandeur a ensuite reçu à une date ultérieure la décision complète par laquelle sa demande d’asile était rejetée. La Cour d’appel fédérale a conclu que la Commission n’était pas functus officio au moment de rendre la seconde décision parce que le premier avis de décision avait été envoyé par suite d’une erreur administrative.

 

[52]           De même, dans la décision Tinney, précitée, le juge Zinn a conclu que la Commission canadienne des droits de la personne avait envoyé par erreur à un demandeur un avis selon lequel la plainte de ce dernier serait soumise au Tribunal canadien des droits de la personne alors qu’en fait la Commission avait rendu une décision négative dans son dossier et qu’il était loisible à la Commission de corriger cette erreur.

 

[53]           Par contre, dans l’arrêt Cargill Ltée, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu que le Conseil canadien des relations industrielles ne pouvait pas réexaminer une ordonnance rendue en vertu de la législation sur le travail. La décision de la Cour d’appel fédérale était fondée en partie sur le fait que « la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante ». La Cour a conclu que la nouvelle ordonnance avait pour effet de créer de nouveaux droits. Elle s’appuyait pour ce faire sur l’arrêt Commission scolaire Harricana c Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’enseignement du nord‑est québécois, [1988] RJQ 947 (CA) dans lequel il a été statué que la décision d’un conseil d’arbitrage qui a pour but de préciser ou de clarifier une décision d’arbitrage rendue antérieurement ne peut pas créer des droits plus étendus que ceux qui résultent de la première décision. À mon avis, le précédent en question ne s’applique pas en l’espèce parce que, pour les motifs énoncés ci‑après, la seconde décision n’a pas créé de nouveaux droits, mais elle avait simplement pour objet de clarifier la première décision.

 

[54]           La première décision contenait les mesures correctives décrites précédemment. À mon avis, il est évident que les mesures correctives en question avaient pour objet d’annuler le processus qui avait débouché sur la nomination du demandeur en 2008 parce que ladite nomination résultait de sa demande d’emploi frauduleuse. À cet égard, il est mentionné dans la première décision que les mesures correctives ont pour objet de [traduction] « faire en sorte que des personnes n’obtiennent pas un emploi dans la fonction publique par suite d’une fraude » (italique ajouté), ce qui renvoie au pouvoir de la CFP de prendre des mesures correctives en vertu de l’article 69 de la Loi, notamment la révocation d’une nomination et la prise des mesures correctives qu’elle juge appropriées. Il est aussi indiqué explicitement dans la première décision que la nomination du demandeur au poste d’« analyste technique principal », faite par suite du processus de nomination de 2008, était révoquée.

 

[55]           Même si elle ne faisait pas partie de la première décision, la lettre de l’enquêteur datée du 23 août 2012, envoyée à l’agente des relations de travail du demandeur, avait aussi fait connaître au demandeur l’intention de la CFP; la lettre en question avait pour objet de clarifier la première mesure corrective proposée. Voici une des questions qui y était posée :

 

[traduction]

Quelles sont les répercussions sur le plan de l’emploi de la révocation de M. St‑Amour de son poste CS‑02? La Commission souhaite‑t‑elle que M. St‑Amour travaille pour la fonction publique au niveau CS‑01?

 

 

[56]           Voici la réponse de l’enquêteur à ces questions :

 

[traduction]

Lorsqu’il y a révocation, toute forme d’emploi au sein de la fonction publique fédérale doit prendre fin, y compris au ministère en cause (ASFC).

 

 

[57]           La CFP a néanmoins par la suite estimé que la première mesure corrective, soit la révocation de la nomination du demandeur au poste de CS‑02 par suite du processus de nomination de 2008, ne pouvait pas être mise en œuvre parce que le demandeur avait été muté à un autre poste en mars 2011. Selon la note d’information de la CFP datée du 20 décembre 2012, qui proposait les mesures correctives révisées, [traduction] « [l]es mutations à d’autres postes ne doivent pas être utilisées pour éviter l’application de mesures correctives » et le demandeur n’aurait pas été admissible à une mutation au poste de 2011 s’il n’avait pas été nommé au poste de 2008 par suite de la fraude qu’il avait commise.

 

[58]           Même si, selon la note d’information, c’est au cours de la phase de mise en œuvre de la mesure corrective que l’ASFC avait fait état de la mutation du demandeur au poste de 2011, dans les faits, le rapport d’enquête concerne l’offre de mutation qui avait été acceptée par le demandeur le 6 octobre 2011. Donc, la CFP était au courant de cette mutation au moment où elle a rendu sa première décision. Cependant, cela n’est à mon avis pertinent qu’en ce qui concerne l’interprétation ultérieure par la CFP de la capacité de l’ASFC de concrétiser l’intention manifeste de la CFP et non en ce qui concerne l’intention elle‑même, soit la révocation de tout emploi détenu par le demandeur par suite de la fraude dans le cadre du processus de nomination de 2008.

 

[59]           La seconde décision révise le libellé de la disposition de révocation contenue dans la première décision. En effet, la seconde décision précise que la nomination du demandeur sera révoquée rétroactivement au 20 mars 2011, soit le jour précédant sa mutation, et que, par suite de ladite révocation, le demandeur cessera d’être un employé du gouvernement fédéral.

 

[60]           À mon avis, la seconde décision avait simplement pour objet de clarifier la première décision qui n’avait pas énoncé clairement l’intention manifeste de la CFP. Plus précisément, parce que le poste de CS‑02 du demandeur avait été obtenu par suite de la fraude commise dans le processus de nomination de 2008, il a fait l’objet d’une révocation. Cette révocation visait nécessairement aussi le poste de 2011 parce que la mutation n’était possible qu’à cause de la nomination de 2008. La seconde décision clarifiait aussi l’intention selon laquelle, étant donné que son poste était révoqué, le demandeur ne serait plus un employé de la fonction publique fédérale. La CFP n’avait pas changé d’idée et n’avait pas non plus réexaminé ou modifié sa décision originale. Elle n’a pas non plus rouvert l’instance de façon à proposer une autre mesure corrective ou à en choisir d’autres.

 

[61]           Par conséquent, étant donné que la première décision ne reflétait pas sans ambiguïté son intention manifeste, la CFP n’était pas functus officio lorsqu’elle a rendu la seconde décision, qui tombe de ce fait sous le coup de l’exemption décrite dans l’arrêt Chandler, précité.

 

[62]           Pour cette raison, il n’est pas nécessaire de traiter de l’observation subsidiaire du défendeur, à savoir que la première décision, qui constatait l’existence d’une fraude et qui avait entraîné la révocation de la nomination du demandeur au poste de 2008, faisait en sorte que ladite nomination et la mutation ultérieure au poste de 2011 étaient nulles dès le départ.

 

Question 3 : Subsidiairement, est‑ce que le principe de la préclusion promissoire s’applique de façon à empêcher la CFP de remplacer sa première décision par sa seconde décision?

Observations du demandeur

[63]           Le demandeur invoque l’arrêt Maracle c Travellers Indemnity Co of Canada, [1991] 2 RCS 50, au paragraphe 13, où la Cour suprême du Canada a déclaré que la partie qui invoque la préclusion promissoire doit démontrer que l’autre partie, par ses paroles ou par son comportement, a fait une promesse ou donné une assurance destinées à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes. De plus, la partie qui s’appuie sur ce principe doit aussi démontrer que, sur la foi des déclarations de l’autre partie, elle a pris une mesure quelconque ou a de quelque manière changé sa position. Le demandeur soutient que les tribunaux ont appliqué le principe de la préclusion promissoire pour empêcher la Couronne de chercher à faire appliquer à la lettre ses droits juridiques (Mentuck c Canada, [1986] 3 CF 249, aux paragraphes 12‑20 et 35; Karia c Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 639, aux paragraphes 9, 10).

 

[64]           Le demandeur soutient qu’en droit administratif, lorsqu’un employeur a remis un paiement en trop à un employé et que ce dernier a utilisé le montant pour prendre des engagements financiers particuliers, l’employeur n’a plus le droit de recouvrer le montant versé en trop (Ottawa Board of Education c Federal of Women’s Teachers’ Association, [1986] OLAA no 58 (P. Picher), aux paragraphes 69‑84 (QL); HM Trimble & Sons (1983) Ltd c International Union of Operating Engineers, Local 115 (Overpayment Grievance), [2009] BCCAAA no 116, au paragraphe 60 (QL); York University c CUPE, Local 3903 (Malik), [2004] OLAA no 112 (Devlin), aux paragraphes 16‑25 (QL)). De plus, un montant payé en trop ne peut être recouvré s’il est démontré que des projets spéciaux sont entrepris ou que des engagements financiers spéciaux sont pris à cause de la réception dudit montant (Storthoaks c Mobil Oil Canada Ltd (Rural Municipality), [1976] 2 RCS 147).

 

[65]           Le demandeur soutient qu’en l’espèce, il a contracté un certain nombre d’engagements financiers importants et qu’il a pris dans un cas une décision qui a des effets sur l’ensemble de sa vie en s’appuyant sur la première décision selon laquelle il ne perdait pas son emploi. En effet, le demandeur et son épouse ont accepté la garde légale de leur petite‑fille, ont renouvelé leur prêt hypothécaire pour cinq ans et ont vendu leur camion pour acheter un nouveau véhicule, ce qu’ils n’auraient pas fait si la première décision avait exigé sa révocation. Par conséquent, il serait manifestement injuste d’autoriser la CFP à annuler sa première décision; de plus, le principe de la préclusion l’empêche de rendre la seconde décision.

 

Observations du défendeur

[66]           Le défendeur s’oppose à l’application du principe de la préclusion promissoire parce qu’il n’en était pas fait mention dans l’avis de demande du demandeur. En effet, l’alinéa 301e) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles) exige que l’avis de demande contienne « un énoncé complet et concis des motifs invoqués […] ».

 

[67]           Le défendeur énonce aussi les conditions de l’application du principe de la préclusion promissoire énumérées dans l’arrêt Centre hospitalier Mont‑Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, [2001] 2 RCS 281, aux paragraphes 45‑48, et soutient que le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la CFP lui avait promis sans ambiguïté qu’il conserverait son poste. De plus, le demandeur ne pouvait pas laisser entendre qu’il n’avait aucune idée des répercussions de la première décision sur son emploi. En effet, son agente des relations de travail avait été explicitement informée que la révocation, ordonnée dans la première décision, avait pour objet de l’empêcher d’obtenir tout emploi dans la fonction publique fédérale.

 

Analyse

[68]           L’alinéa 301e) des Règles énonce qu’un avis de demande doit contenir « un énoncé complet et concis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable ». Un demandeur ne peut pas invoquer un argument qui n’est pas mentionné dans son avis de demande. Dans la décision Arora c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 24, au paragraphe 9 (QL), la Cour a justifié comme suit la disposition en question des Règles :

 

[9]        […] Si, comme en l’espèce, le demandeur pouvait invoquer de nouveaux motifs de contrôle dans son mémoire, le défendeur subirait vraisemblablement un préjudice du fait qu’il n’aurait eu pas la possibilité de répondre à ce nouveau motif dans son affidavit ou, à tout le moins, encore une fois comme en l’espèce, d’envisager de produire un affidavit traitant de la nouvelle question. […]

 

 

[69]           En l’espèce, le demandeur aurait pu déposer une requête de modification de son avis de demande, « ce qui aurait permis un débat en temps opportun sur la pertinence d’un tel amendement et, le cas échéant, sur les mesures requises afin d’éviter qu’une partie aux procédures subisse un préjudice » (République de Chypre (Industrie et Commerce) c International Cheese Council of Canada, 2011 CAF 201, au paragraphe 15). Cependant, la Cour a déjà permis l’instruction d’une question qui n’était pas mentionnée dans un avis de demande (Cameron c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2012 CF 579, au paragraphe 101; Do Nascimento c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1424, au paragraphe 8) et, en l’espèce, rien n’indique que le défendeur a subi un préjudice.

 

[70]           Quoi qu’il en soit, il était précisé dans la première décision que la nomination du demandeur au poste de 2008 devait être révoquée. S’il avait des doutes au sujet des répercussions de la révocation sur son emploi, y compris le poste de 2011, le demandeur aurait dû les dissiper en prenant connaissance de la réponse envoyée par l’enquêteur à l’agente des relations de travail, qui avait demandé des précisions. L’existence des éléments qui auraient permis de tirer une conclusion de préclusion promissoire n’a pas été démontrée étant donné qu’il n’y a pas eu de promesse ou d’assurance relative au maintien en emploi et que le demandeur n’aurait pas pu raisonnablement faire une telle interprétation de la première décision, compte tenu notamment de la lettre de l’enquêteur. La jurisprudence invoquée par le demandeur ne permet pas d’étayer les observations de ce dernier relatives à cette question.

 

[71]           La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Les dépens sont adjugés au défendeur.

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :

T‑188‑13

 

INTITULÉ :

MARC ST‑AMOUR c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                           OTTAWA (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                           LE 23 SEPTEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :

                                                           LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

                                                           LE 30 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Steven Welchner

POUR LE demandeur

 

Marie‑Josée Montreuil

POUR LE défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Welchner Law Office

Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE défendeur

 

 

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