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Date : 20141021


Dossier : T-2107-13

Référence : 2014 CF 997

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2014

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

VERGER DU MINOT INC.

appelante

et

CLOS SAINT-DENIS INC.

intimée

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’un appel logé par Verger du Minot Inc. (l’appelante) aux termes de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [la Loi] à l’encontre d’une décision rendue le 29 octobre 2013 par la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission), agissant au nom du Registraire des marques de commerce (le Registraire). Au terme de sa décision, la Commission a accueilli l’opposition formulée par l’intimée, Clos Saint-Denis Inc., et déclaré que la marque de commerce « CRÉMANT DE GLACE » (la Marque) donnait une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des services en liaison avec lesquelles son emploi était projeté (alinéa 12(1)b) de la Loi). Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté.

I.                   Contexte

[2]               L’appelante se spécialise dans la manufacture, la production, l’embouteillage et la vente de cidres de pommes. Le 5 avril 2005, elle a produit auprès du Registraire une demande d’enregistrement basé sur l’emploi projeté de la Marque au Canada. La demande a été publiée dans le Journal des marques de commerce le 13 mars 2011. La description des marchandises visées par la Marque se lit comme suit :

Boissons alcoolisées à l’exclusion des vins et bières, nommément cidres de pommes.

[3]               Au soutien de sa demande d’enregistrement, l’appelante a produit l’affidavit de son président, Robert Demoy, et celui de Jessica Rodriguez-Cerquiera, parajuriste au sein du département des marques de commerce de son agent. Dans son affidavit, monsieur Demoy explique l’étendue et la manière dont la Marque a été employée et promue au Canada depuis 2005. L’affidavit de madame Rodriguez-Cerquiera, pour sa part, met en preuve une série de marques de commerce enregistrées au registre des marques de commerce qui comportent le mot « glace » en liaison avec des cidres de pomme ou des boissons alcoolisées.

[4]               L’intimée s’est opposée à l’enregistrement de la Marque. Sa déclaration d’opposition soulevait plusieurs motifs d’opposition, mais seule l’opposition fondée sur le caractère non enregistrable de la Marque (alinéas 12(1)b) et 38(2)b) de la Loi) a été présentée à la Commission.

[5]               L’intimée a soutenu devant la Commission que la Marque donne une description fausse et trompeuse de la nature des marchandises en liaison avec lesquelles elle est employée. Selon l’intimée, l’expression qui compose la Marque, soit « crémant de glace », indique que la marchandise est un vin pétillant à mousse légère dont la fermentation est faite à partir de fruits ayant subi un état de gel, alors qu’en fait, l’appelante cherche à enregistrer la Marque en liaison avec du cidre de pomme. L’intimée a soumis que le sens courant du mot « crémant » réfère à un vin effervescent à mousse légère alors que le cidre est fabriqué à partir de la fermentation de jus de pomme et non de raisin. Quant à l’expression « de glace », qu’elle soit associée à du cidre ou à du vin, elle désigne un vin ou un cidre plus liquoreux dont le procédé de fabrication implique des fruits gelés.  

[6]               Au soutien de son opposition, l’intimée a déposé l’affidavit de Kimberly Sévigny, parajuriste au sein du département des marques de commerce de son agent, par le biais duquel elle a mis en preuve plusieurs définitions tirées de dictionnaires en ligne et traditionnels des mots et expressions « crémant », « cidre », « vin », « vin de glace » et « cidre de glace ».

[7]               À la lumière des définitions qu’elle a produites, l’intimée a allégué que la Marque est faussement descriptive parce qu’elle suggère quelque chose qu’elle n’est pas, et qu’elle est trompeuse parce qu’elle mènerait le consommateur moyen à croire qu’elle identifie du vin alors que la marchandise est en fait du cidre.

[8]               En réponse à l’opposition, l’appelante a également soutenu que le terme « crémant » n’était pas exclusif au domaine du vin et qu’il pouvait aussi être défini comme renvoyant à l’action de crémer. L’appelante a soutenu qu’il s’agit en fait de la première définition donnée par le dictionnaire Le Nouveau Petit Robert. Elle a également allégué que la Marque doit s’entendre comme étant une marque fantaisiste qui peut suggérer plusieurs idées. De plus, vue dans son ensemble, la Marque, qui est une expression inventée par son président, suggère une condition ou un état du cidre de pomme parmi de nombreuses possibilités, et cette condition n’est pas une caractéristique essentielle pour le consommateur. L’appelante a également soumis que la Marque devait être analysée en considérant les étiquettes apposées sur les bouteilles de cidre, lesquelles indiquent clairement qu’il s’agit de cidre.

[9]               L’appelante a également invoqué que la Marque s’inscrivait dans la famille de marques qu’elle possédait déjà et qui associent déjà le mot « crémant » à du cidre. L’appelante est propriétaire de deux autres marques de commerce qui sont enregistrées en association avec du cidre de pomme, soit « CRÉMANT DE POMME DU MINOT » et « CRÉMANT DE POMME ». À son avis, en raison de l’existence de sa famille de marques, le consommateur canadien moyen était déjà habitué d’associer le terme « crémant » à autre chose que du vin.

II.                La décision contestée

[10]           Le paragraphe 12(1) de la Loi gouverne l’enregistrabilité des marques de commerce. L’alinéa 12(1)b), qui se lit comme suit, traite plus particulièrement des marques donnant une description fausse et trompeuse :

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

[…]

(…)

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

[11]           La question que devait trancher la Commission était donc la suivante : est-ce que l’expression composant la Marque, soit « CRÉMANT DE GLACE », donne une description fausse et trompeuse lorsqu’elle est employée en liaison avec du cidre?

[12]           La Commission a d’abord énoncé les fardeaux de preuve qui incombaient à chacune des parties et indiqué que l’opposante devait au départ établir le bien-fondé de son opposition. Elle a ajouté que le fardeau ultime reposait toutefois sur la partie requérante qui devait établir, selon la prépondérance de la preuve, que sa Marque est enregistrable.

[13]           La Commission a considéré que la preuve soumise par l’intimée, et qui renvoie à des définitions des mots qui composent la Marque tirées de dictionnaires, était suffisante pour lui permettre de s’acquitter de son fardeau initial.

[14]           Elle a ensuite énoncé les principes qui devaient guider son examen. Elle a en outre indiqué que pour déterminer si la Marque donnait une description fausse et trompeuse, elle devait étudier la question à la date de production de la demande, soit au 5 avril 2005. Elle a ajouté que son examen de la marque devait se faire du point de vue du consommateur moyen des marchandises en cause, et qu’elle devait considérer la Marque dans son ensemble, sous l’angle de la première impression, et en évitant de scruter chacun des éléments séparément.

[15]           La Commission a ensuite énoncé comme suit le critère applicable pour déterminer si une marque est fausse et trompeuse, au paragraphe 14 de sa décision :

Pour qu’une marque de commerce soit considérée comme fausse et trompeuse, elle doit tromper le public en ce qui concerne la nature ou la qualité des marchandises et des services. La marque doit donner une description portant à penser que les marchandises ou les services contiennent quelque chose qu’ils ne contiennent en fait pas. L’interdiction en ce qui a trait aux marques de commerce fausses et trompeuses vise à empêcher le public d’être trompé.

[16]           La Commission a conclu que la preuve soumise par le biais de l’affidavit du président de l’appelante n’était pas pertinente puisqu’elle visait à démontrer l’emploi de la Marque au Canada après la date de production de la demande d’enregistrement, alors que l’examen de l’enregistrabilité de la Marque devait se faire à la date de production de la demande d’enregistrement.

[17]           La Commission a noté que le fait que l’expression qui compose la Marque ne se retrouve pas telle quelle dans le dictionnaire n’impliquait pas nécessairement qu’elle n’a aucun sens et qu’elle n’est pas descriptive, surtout si les termes qui la composent possèdent un sens courant connu. Elle a ajouté que le fait que la Marque ait été inventée ne constitue pas un gage d’enregistrabilité.

[18]           La Commission a rejeté l’argument de l’appelante selon lequel la Marque, dans le contexte des marchandises, doit s’entendre d’une marque fantaisiste. Elle a jugé l’argument de l’appelante purement spéculatif et conclu que les deux expressions composant la Marque, soit « crémant » et « de glace », avaient des sens couramment employés dans le contexte des marchandises.

[19]           Elle a jugé que l’expression « de glace » est une expression consacrée qui est couramment employée pour désigner des vins ou des cidres fabriqués à partir de fruits ou de jus exposés au gel. Quant au mot « crémant », elle a retenu la définition qui est donnée par tous les dictionnaires, même par Le Nouveau Petit Robert. Référant à la définition isolée tirée du Nouveau Petit Robert, la Commission a indiqué ne pas concevoir que dans le contexte des marchandises, le mot « crémant » puisse être considéré dans le sens « imagé » de « crémer », et jugé qu’il devait plutôt s’entendre dans son sens courant, soit un vin qui se couvre d’une mousse légère. La Commission a donc considéré que le consommateur moyen risquait davantage de croire que le mot « crémant », lorsque suivi de l’expression « de glace », s’entend dans son sens courant et donc que la Marque réfère à tort à un vin pétillant à mousse légère dont la fermentation est faite à partir de fruits ayant subi un état de gel.

[20]           La Commission a également rejeté l’argument de l’appelante relativement aux étiquettes qui indiquent que le produit vendu est un cidre, et a énoncé que la Marque devait être considérée de façon autonome et non telle qu’apposée sur des étiquettes.

[21]           Enfin, la Commission a rejeté l’argument de l’appelante relatif à sa famille de marques. Elle a noté que le propriétaire d’une marque enregistrée ne bénéficiait pas du droit automatique d’obtenir l’enregistrement de marques étroitement liées à la marque initialement enregistrée. Elle a également indiqué que l’existence d’une famille de marques ne pouvait être présumée dans une procédure d’opposition, que l’enregistrement d’une marque n’établissait pas l’emploi de cette marque et qu’il appartenait à la partie requérante de mettre en preuve l’emploi des marques de commerce faisant partie de la famille de marques alléguée. La Commission a jugé que l’appelante n’avait pas satisfait à ce fardeau et qu’elle n’avait pas présenté de preuve permettant de déterminer l’étendue de l’emploi de ses deux autres marques. Elle a donc conclu que l’allégation suivant laquelle le consommateur moyen était habitué d’associer le mot « crémant » à autre chose que de vin, et notamment à du cidre, n’était pas supportée par la preuve.

III.             Nouveaux éléments de preuve en appel

[22]           Dans le cadre d’un appel logé à l’encontre d’une décision du Registraire, le paragraphe 56(5) de la Loi prévoit la possibilité de soumettre de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés au Registraire.

[23]           En l’espèce, l’appelante a déposé un second affidavit de son président, monsieur Demoy, daté du 14 février 2014, qui contient plusieurs éléments.

[24]           Premièrement, il met en preuve des éléments qui établissent l’emploi de la Marque depuis 2005, l’étendue de cet emploi, et la façon dont la Marque est employée dans le cours normal de ses affaires au Canada et plus particulièrement au Québec. Cette portion de l’affidavit n’apporte rien de vraiment nouveau et n’est pas pertinente parce qu’elle traite de l’emploi après la date de la demande d’enregistrement.

[25]           Deuxièmement, l’affidavit introduit des éléments qui démontrent l’emploi par l’appelante de ses deux autres marques enregistrées, « CRÉMANT DE POMME DU MINOT» et « CRÉMANT DE POMME ». Monsieur Demoy y affirme que ces deux marques sont employées dans le cours normal des affaires de l’appelante au Canada en liaison avec des produits de cidres depuis 1988. L’affidavit inclut un tableau qui fait état du nombre de bouteilles vendues et des chiffres de ventes des produits associés à ces deux marques entre 1988 et 2013. Monsieur Demoy a également produit des revues de presse, des photos de produits portant la marque « CRÉMANT DE POMME DU MINOT» et des extraits de brochures publicitaires. Il déclare également que depuis 1988, les frais de publicité représentent entre 10% et 15% de la valeur annuelle des ventes pour des produits portant les marques « CRÉMANT DE POMME DU MINOT » et « CRÉMANT DE POMME ».

IV.             La question en litige

[26]           La Cour doit déterminer si la Commission a erré en concluant que la Marque donne une description fausse et trompeuse de la nature des marchandises en liaison avec lesquelles son emploi était envisagé.

[27]           Pour trancher la question, la Cour doit d’abord arrêter la norme de contrôle applicable. 

V.                La norme de contrôle

[28]           Les parties s’entendent sur les principes qui doivent guider la Cour pour identifier la norme de contrôle applicable à la décision du Registraire lorsque des éléments de preuve additionnels sont soumis dans le cadre de l’appel. Elles ne s’entendent toutefois pas sur la norme qui devrait s’appliquer en l’espèce.  

[29]           En principe, la norme de la raisonnabilité s’applique à l’égard des conclusions tirées de la preuve par le Registraire (Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 au para 40, [2006] 1 RCS 772). Comme l’a clairement énoncé la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour qui révise une décision en application de cette norme doit se demander si la décision possède les attributs de la raisonnabilité. La Cour suprême y a précisé comme suit quels étaient les critères d’appréciation de la raisonnabilité :

47 […] Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[30]           Toutefois, si la nouvelle preuve soumise est pertinente, probante et importante dans le sens qu’elle aurait pu avoir une incidence sur la décision du Registraire, la Cour doit alors faire son propre examen de la question en litige, et ce, à la lumière de l’ensemble de la preuve; celle présentée devant le Registraire et celle soumise dans le cadre de l’appel.

[31]           Notre Cour et la Cour d’appel fédérale ont à maintes reprises réitéré ce critère de distinction des normes de contrôle en utilisant des termes qui, quoique variant parfois, renvoient tous aux mêmes concepts.

[32]           Dans Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145 (FCA) au para 51, [2000] ACF no 159, la Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Rothstein, a bien illustré la qualité que doit revêtir une nouvelle preuve et le rôle de la Cour fédérale lorsqu’une nouvelle preuve importante lui est soumise dans le cadre d’un appel en vertu de l’article 56 de la Loi :

[51] Je pense que l'approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald’s Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

[Je souligne]

[33]           Dans Maison Cousin (1980) Inc c Cousins Submarines Inc, 2006 CAF 409 au para 4, [2006] ACF no 1968, la Cour d’appel fédérale a fait référence à une preuve dont le caractère était significatif et probant. Dans Accessoires d’Autos Nordiques Inc c Société Canadian Tire Ltée, 2007 CAF 367 au para 30, [2007] ACF no 1555, la Cour a indiqué qu’elle devait procéder à son propre examen de l’ensemble de la preuve, lorsque « de nouveaux éléments de preuve sont déposés et qu’ils sont importants pour la décision finale », et dans Shell Canada Ltée c PT Sari Incofood Corp., 2008 CAF 279 au para 22, [2008] ACF no 1320, la Cour a indiqué que « le juge de la Cour fédérale devait décider si la preuve nouvelle qui lui avait été soumise aurait eu un effet concret sur les décisions de fait de la registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire […] » (voir également Ron Matusalem & Matusa of Florida, Inc c Havana Club Holding Inc SA, 2010 CF 786 au para 5, [2010] ACF no 1006 [Ron Matusalem], conf par Ron Matusalem & Matusa of Florida, Inc c Havana Club Holding Inc, SA, 2011 CAF 244, [2011] ACF no 1285; Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2011 CF 58 au para 21, [2011] ACF no 73, conf par Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2012 CAF 60, [2012] ACF no 278; Kelly Properties, LLC c Conseil canadien des ingénieurs, 2013 CAF 287 au para 4, 455 NR 362; Cliche c Canada (Procureur général), 2012 CF 564 au para 10, [2012] ACF no 753 [Cliche]; Continental Teves AG & Co oHG c Conseil canadien des ingénieurs, 2013 CF 801 au para 16, [2013] ACF no 865; Hayabusa Fightwear Inc v Suzuki Motor Corp, 2014 FC 784 au para 25, [2014] FCJ No 831).

[34]           Le critère de la nouvelle preuve en est un de qualité et non de quantité (Hawke & Company Outfitters LLC c Retail Royalty Co, 2012 CF 1539 au para 31, [2012] ACF no 1622). Dans Vivat Holding Ltd c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707 au para 27, [2005] ACF no 893, la juge Layden-Stevenson a précisé que pour justifier d’écarter la norme de la raisonnabilité, la nouvelle preuve ne devait pas constituer une répétition de la preuve déjà soumise au Registraire. Dans Prince c Orange Cove-Sanger Citrus Assn, 2007 CF 1229 au para 9, [2007] ACF no 1697, le juge Martineau a énoncé qu’une nouvelle preuve pouvait justifier un examen de novo si « la preuve additionnelle a une force probante plus grande que celle des éléments dont disposait le registraire ».

[35]           Je retiens de la jurisprudence qu’afin d’écarter la norme de raisonnabilité et procéder à son propre examen du dossier, la Cour doit être satisfaite que la nouvelle preuve est réellement nouvelle et non une simple répétition de ce qui a été mis en preuve devant le Registraire. De plus, ces éléments de preuve additionnels doivent être pertinents et importants en ce sens que s’ils avaient été présentés au Registraire, ils auraient été susceptibles d’influencer le sort de la demande d’enregistrement.

A.                Position de l’appelante à l’égard de la norme de contrôle

[36]           L’appelante soutient que la Cour devrait procéder à un examen de novo de sa demande d’enregistrement parce que la preuve additionnelle qu’elle a soumise est importante et aurait eu une incidence sur la décision rendue par la Commission.

[37]           L’appelante allègue que la preuve d’emploi de ses deux autres marques (« CRÉMANT DE POMME » et « CRÉMANT DE POMME DU MINOT »), qu’elle qualifie de famille de marques, en liaison avec du cidre depuis 1988, permet d’inférer que le consommateur ne sera pas trompé par la Marque, et notamment par l’utilisation du mot « crémant » dans la Marque, parce qu’il est habitué d’associer le mot « crémant » à autre chose que du vin, notamment à du cidre. L’appelante insiste d’ailleurs sur le fait qu’elle est la seule propriétaire de marques enregistrées au Canada qui contiennent le mot « crémant ». Ainsi, de l’avis de l’appelante, l’emploi et la promotion de sa famille de marques associant le mot « crémant » à du cidre, préalablement à l’enregistrement de la Marque, donne à la Marque un caractère distinctif inhérent puisqu’ils ont forgé l’esprit du consommateur moyen de façon à ce qu’il ne soit pas trompé par l’utilisation du mot « crémant » en liaison avec du cidre.

B.                 Position de l’intimée à l’égard de la norme de contrôle

[38]           L’intimée, pour sa part, soutient que la Cour devrait analyser la décision de la Commission en appliquant la norme de la décision raisonnable parce que la preuve additionnelle soumise par l’appelante n’aurait eu aucune incidence sur la décision de la Commission.

[39]           Dans un premier temps, l’intimée soumet que le concept de famille de marques a été développé dans le contexte d’allégations de confusion et qu’il n’est pas pertinent à l’analyse de l’enregistrabilité d’une marque en vertu de l’alinéa 12(1)b) de la Loi. De l’avis de l’intimée, l’argument de l’appelante n’est soutenu ni par la jurisprudence ni par l’encadrement énoncé dans la Loi. L’intimée soumet que l’appelante n’a produit aucune autorité dans laquelle le concept de famille de marques a été appliqué à un examen de l’enregistrabilité d’une marque en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi.

[40]           L’intimée avance également qu’en invoquant que sa Marque possède un caractère distinctif inhérent en raison de l’emploi antérieur de marques autres que celle visée par la demande d’enregistrement, l’appelante tente, par la bande, d’invoquer l’exception prévue au paragraphe 12(2) de la Loi. Ce paragraphe autorise l’enregistrement d’une marque qui est en principe non enregistrable en raison des alinéas 12(1)a) ou b) de la Loi si, par son emploi au Canada, elle est devenue distinctive à la date de production de la demande d’enregistrement. Selon l’intimée, le paragraphe 12(2) de la Loi exige clairement que la marque en cause soit devenue distinctive par son propre emploi et non par l’emploi de marques associées. La situation de l’appelante ne correspond donc pas aux circonstances envisagées au paragraphe 12(2) de la Loi et si le législateur avait voulu créer une autre exception, fondée sur le caractère distinct d’une marque découlant de l’utilisation préalable d’une famille de marques, il l’aurait fait de façon expresse. Pour l’intimée, l’argument de l’appelante tend donc à détourner l’objectif de la Loi et propose une approche qui ne trouve aucune assise dans la Loi.

[41]           De façon subsidiaire, l’intimée soutient que si l’appelante peut invoquer l’emploi d’une famille de marques pour contrecarrer le sens courant des termes composant la Marque, la nouvelle preuve soumise est nettement insuffisante pour démontrer que dans l’esprit du consommateur, le mot « crémant » peut être associé à du cidre en raison de l’emploi de la famille de marques alléguée.

[42]           L’intimée avance dans un premier temps que l’appelante ne peut invoquer une famille de marques composée uniquement de deux marques et qu’au surplus, la preuve établit l’emploi d’une seule des deux autres marques de l’appelante, soit la marque « CRÉMANT DE POMME DU MINOT ». D’autre part, l’intimée allègue que le volume de ventes annuelles moyen d’environ 35 000 bouteilles par année, à l’échelle du Canada, est nettement insuffisant pour établir l’existence d’une famille de marques dont l’emploi est d’une ampleur telle qu’il aurait changé la perception du consommateur quant à la définition du mot « crémant » et du sens à donner à l’expression « crémant de glace ». L’intimée ajoute que la preuve ne démontre pas la répartition géographique des ventes à travers le pays ni ne donne de détails quant à la nature et l’étendue des campagnes publicitaires associées à ces marques. Elle soutient que la preuve est également silencieuse quant à l’impact que ces campagnes publicitaires ont pu avoir sur la perception du public.

[43]           Enfin, l’intimée soumet qu’il y a une distinction importante à faire entre le sens qu’indique l’expression de la Marque (« CRÉMANT DE GLACE ») et celui qu’indiquent les deux autres marques de l’appelante. Selon l’intimée, l’ajout de l’expression « de pomme » à la suite du mot « crémant » dans les marques « CRÉMANT DE POMME » et « CRÉMANT DE POMME DU MINOT », vient corriger l’aspect faux et trompeur de l’utilisation du mot « crémant » en l’associant expressément à des pommes. La Marque ne contient pas de terme qui vient corriger le sens courant du mot « crémant », qui renvoie à du vin.

C.                 Analyse

[44]           Le concept de famille de marques a effectivement été élaboré dans le contexte de litiges mettant en cause des allégations de risque de confusion en sens de l’article 6 de la Loi (Techniquip Ltd c Assoc olympique canadienne, [1999] ACF no 1787(QL) aux para 15-16, 250 NR 302 [Techniquip]). Lorsque l’existence et l’emploi de la famille de marques sont prouvés, les marques en cause bénéficient d’une plus grande protection en cas d’allégation de confusion. Par ailleurs, pour établir l’existence de sa famille de marques, la partie qui l’invoque doit prouver qu’elle possède et emploie un nombre suffisant de marques pour constituer une « famille de marques ». L’extrait suivant de Gill, Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, feuilles mobiles (consultées le 16 octobre 2014), Toronto (On), Carswell, 2002, ch 8 aux pp 8-76.1 à 8-76.4 explique bien la doctrine de la famille de marques et le fardeau qui incombe à la partie qui allègue posséder une famille de marques :

The existence of a family of marks [h]as been held to be a most material consideration when determining a likelihood of confusion. Generally, where there exists a family of marks, the owner is entitled to a broader ambit of protection for the common characteristic than would otherwise be the case if there existed only one registration. A court or board may conclude that a straight-forward comparison of two competing marks leads to the conclusion that the trade-marks are not confusing. But, in the context of a family of trade-marks, there is a greater likelihood than otherwise would be the case that the public would consider the impugned trade-mark to signify merely another product manufactured (or service provided) by the same person or persons who own the family of trade-marks. […]

A party seeking to take advantage of the wider scope of protection accorded to a family of trade-marks must first establish use of the trade-marks that comprise the family. […]

A party seeking to establish use of a family of marks must also establish that it is using more than one or two trade-marks within the alleged family. […]

Evidence establishing use of the trade-marks comprising a family of trade-marks includes sales figures, advertising expenditures or evidence of a progressive expansion of a line of products featuring trade-marks exhibiting the characteristics that define the family of trade-marks.

[Je souligne] (Voir également Intuit c Quicklaw Inc, 2002 CFPI 633 aux para 30-33, [2002] ACF no 818).

[45]           En l’espèce, je considère qu’il n’est pas nécessaire que je décide si le concept de famille de marques est pertinent aux fins de déterminer si une marque est enregistrable aux termes de l’alinéa 12(1)b) de la Loi parce qu’à mon avis, la preuve est insuffisante pour conclure à l’existence d’une famille de marques.

[46]           La famille de marques dont l’appelante allègue l’existence serait composée de deux marques : « CRÉMANT DE POMME » et « CRÉMANT DE POMME DU MINOT ». Au départ, une famille composée de seulement deux marques m’apparaît insuffisante, à la lumière de la doctrine et la jurisprudence, pour conclure que l’appelante possède une famille de marques. D’ailleurs, dans la jurisprudence soumise par les parties, il était toujours question de familles de marques composées de plus de deux marques (Christian Dior, SA c Dion Neckwear Ltd, 2002 CAF 29 au para 1, [2002] 3 CF 405; Techniquip au para 1; McDonald’s Corp v Yogi Yogurt Ltd (1982), 66 CPR (2d) 101(CF (1re inst)) à la p 105, [1982] FCJ No 701).

[47]           Deuxièmement, je considère que la preuve est insuffisante pour établir l’emploi de ces deux marques.

[48]           Dans son affidavit, monsieur Demoy a produit un tableau indiquant le volume annuel de ventes (le nombre de bouteilles vendues et le montant des ventes) des marchandises associées aux deux autres marques de l’appelante entre 1988 et 2005. La seule période pertinente est celle antérieure à la demande d’enregistrement de la Marque qui a été faite le 5 avril 2005. Le tableau indique, pour cette période, une évolution du volume annuel de ventes qui passe de 1 249 bouteilles en 1998 à 40 195 bouteilles vendues en 2005. Les ventes se sont chiffrées à 6 869$ en 1998 et à 271 316$ en 2005. Monsieur Demoy a également soumis des photos des produits portant la marque « CRÉMANT DE POMME DU MINOT» et des extraits de brochures publicitaires.

[49]           L’affidavit de monsieur Demoy, tout comme le tableau qu’il a produit, ne répartit toutefois pas le volume de ventes entre les produits associés à chacune des deux marques. De plus, tous les exemples de brochures publicitaires soumis par l’appelante ont trait à une seule des deux marques, soit « CRÉMANT DE POMME DU MINOT ». Il est donc impossible de connaître le pourcentage du volume de ventes associé à chacune des deux marques. J’estime donc que la preuve est insuffisante pour conclure que l’appelante employait, avant la date de la demande d’enregistrement de la Marque, ces deux autres marques.

[50]           La preuve est également silencieuse quant à la répartition géographique des ventes des produits associés à ses deux autres marques. Il en est de même quant au contenu de la publicité faite pour promouvoir les produits associés aux marques et aux endroits où les campagnes publicitaires ont été déployées. J’estime donc que même si l’appelante avait prouvé qu’elle employait une famille de marques et que cette preuve était pertinente dans le cadre d’une analyse aux termes de l’alinéa 12(1)b) de la Loi, la preuve ne démontre pas une pénétration du marché et un volume de ventes qui serait significatif au point de pouvoir inférer que le consommateur canadien moyen des marchandises en cause est habitué d’associer le mot « crémant » à du cidre.

[51]           Dans un tel contexte, et à la lumière d’une preuve d’emploi insuffisante et incomplète, je ne peux pas conclure que le consommateur moyen qui verrait pour la première fois du cidre portant la Marque « CRÉMANT DE GLACE » ne serait pas induit en erreur sur la nature du produit parce qu’il a en tête les marques « CRÉMANT DE POMME » ou « CRÉMANT DE POMME DU MINOT » qui sont employées en liaison avec du cidre.

[52]           Je considère donc que la preuve soumise par l’appelante ne revêt pas une importance telle qu’elle aurait été susceptible d’influencer la décision de la Commission. La décision de la Commission doit donc être révisée selon la norme de la raisonnabilité.

VI.             Le caractère raisonnable de la décision de la Commission

A.                Position de l’appelante

[53]           L’appelante soutient que la Commission a commis des erreurs dans l’appréciation de la preuve qui justifient l’intervention de la Cour.

[54]           D’abord, elle avance que la Commission a omis de considérer la Marque dans son ensemble et dans son contexte, et qu’elle l’a plutôt disséquée et interprétée hors contexte.

[55]           Premièrement, l’appelante s’appuie sur la définition suivante du mot « crémant » donnée dans Le Nouveau Petit Robert : « n.m. de crémer – Vin pétillant à mousse légère, Crémant d’Alsace ». L’appelante invoque que la Commission a choisi à tort d’ignorer la définition première du mot « crémant » qui renvoie à l’action de crémer et non à un type de vin. De l’avis de l’appelante, la Commission a spéculé en déterminant que le mot « crémant » ne pouvait être associé qu’à du vin dans l’esprit du consommateur, alors qu’elle ne disposait d’aucune preuve établissant qu’il est bien connu que le crémant, dans l’esprit des consommateurs, ne peut correspondre qu’à du vin.

[56]           Deuxièmement, la Commission a omis de considérer que, prise dans son contexte, soit celui du cidre et non du vin, la Marque a été inventée et est une expression fantaisiste.

[57]           Troisièmement, l’appelante soumet que la Commission a aussi erré en omettant de considérer que les étiquettes sur lesquelles la Marque est apposée indiquent clairement que le produit vendu est un cidre et que cette mise en marché est imposée par le Règlement sur le cidre et les autres boissons alcooliques à base de pommes, RLRQ c S-13, r 4.

[58]           L’appelante soutient enfin que l’enregistrement préalable de ses deux autres marques qui contiennent le mot « crémant », en liaison avec du cidre, aurait dû amener le Registraire à faire preuve de cohérence et à autoriser l’enregistrement de la Marque.

B.                 Position de l’intimée

[59]           L’intimée soutient que la décision de la Commission est raisonnable et ne contient aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour.

[60]           L’intimée allègue que la Commission n’a pas disséqué la Marque mais qu’elle a plutôt examiné dans son ensemble l’expression qui compose la Marque, soit le terme « crémant » suivi de l’expression « de glace » et qu’elle a fait son examen à la lumière des marchandises visées.

[61]           L’intimée argue que la preuve qu’elle a soumise, qui consistait en plusieurs définitions tirées de dictionnaires, démontre clairement que le mot « crémant », dans son sens courant et dans le contexte des marchandises en cause, indique un vin pétillant à mousse légère et non un cidre. L’intimée soutient que bien qu’une deuxième définition, clairement isolée, existe du mot « crémant », il était tout à fait raisonnable, dans les circonstances, que la Commission retienne la définition qui correspond au sens courant appliqué dans le contexte des marchandises. L’intimée soutient de plus qu’à la lumière des définitions des expressions « vin de glace » ou « cidre de glace », qui indiquent de façon unanime que l’expression « de glace », associée à du vin ou à du cidre, désigne un procédé de fabrication à partir de fruits qui ont subi un état de gel, il était tout à fait raisonnable de conclure que l’expression « crémant de glace » de la Marque réfère à un type de vin fabriqué à partir de raisins qui ont gelé.

[62]           L’intimée soutient également que la Commission n’a pas erré en refusant d’analyser la marque telle qu’elle est apposée sur les étiquettes des bouteilles de cidres vendues par l’appelante puisque la marque examinée doit l’être de façon autonome et non dans son contexte de mise en marché.

C.                 Analyse

[63]           Dans Promotions Atlantiques Inc c Canada (Registraire des marques de commerce), [1984] ACF no 606 (QL), 2 CPR (3d) 183, la Cour a discuté des termes employés par le législateur à l’alinéa 12(1)b) de la Loi et énoncé le critère applicable pour déterminer si une marque donne une description fausse et trompeuse :

À l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce le terme "clairement" appliqué à "trompeurs" a été remplacé par l'expression "description fausse et trompeuse".

 Le changement était voulu.

Plusieurs termes peuvent être "clairement trompeurs" quant aux marchandises en liaison avec lesquelles ils sont employés, sans constituer pour autant une "description fausse et trompeuse".

Selon moi, le critère que l'on doit appliquer pour déterminer si une marque de commerce dans son entier constitue une description fausse et trompeuse consiste à savoir si le public canadien serait induit en erreur sur l'origine du produit associée à la marque de commerce et croirait que ce produit provient de l'endroit désigné par le nom géographique utilisé.

 La question de savoir si une marque de commerce constitue une description fausse et trompeuse est autant une question de fait que celle de savoir si une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque.

[64]           Les parties n’ont pas exprimé de désaccord quant aux principes généraux qui doivent s’appliquer pour déterminer si une marque est fausse et trompeuse et il suffit de les reprendre sommairement.

[65]           Dans Cliche, le juge de Montigny était saisi d’un appel d’une décision du Registraire qui avait refusé d’enregistrer une marque de commerce au motif qu’elle était clairement descriptive des produits et services offerts. À mon avis, les principes généraux applicables à l’examen de l’enregistrabilité d’une marque que l’on allègue être clairement descriptive sont transposables à l’examen d’une marque dont on allègue qu’elle donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des services ou des marchandises en liaison desquels elle est employée. Je fais miens les propos du juge de Montigny, aux paragraphes 21 à 22, lorsqu’il indique qu’aux fins de déterminer si une marque est enregistrable, l’on doit analyser la marque dans son ensemble, en relation avec les biens ou les services visés par la marque, et ce, du point de vue de la première impression qu’aurait le consommateur moyen de ces biens ou services :

21     Il n'y a pas de désaccord entre les parties eu égard au fait qu'il faut examiner un mot ou une expression en fonction de la première impression que ce mot ou cette expression crée dans son ensemble, et se garder de les décomposer pour en faire une analyse minutieuse et en isolant chaque mot dans le cas d'une expression. Là où le demandeur se trompe, c'est lorsqu'il soutient que la personne dont il faut se soucier de la première impression est la personne d'intelligence moyenne, sans autre qualification.

22     Il est bien établi que le caractère descriptif d'un mot ou d'une expression ne doit pas s'apprécier dans l'abstrait, mais en relation avec les biens ou les services visés par la marque de commerce projetée. La marque doit être examinée du point de vue du consommateur ou de l'utilisateur moyen des biens ou services auxquels elle se rapporte. En d'autres termes, le critère consiste à déterminer quelle première impression le mot ou l'expression ferait sur le détaillant habituel moyen, le consommateur ou l'utilisateur du type de marchandises ou de services auxquels est associée la marque. […]

[66]           Dans sa décision, la Commission a bien exposé les principes qui devaient guider son examen de la Marque et elle n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a énoncé le critère applicable. J’estime également qu’elle a fait un examen raisonnable de la preuve.

[67]           Dans un premier temps, je ne partage pas l’avis de l’appelante lorsqu’elle soutient que la Commission a disséqué et examiné la Marque hors contexte.

[68]           Je conviens que la Marque est une expression qui a été inventée par M. Demoy et que l’appelante la qualifie de fantaisiste. L’appelante soutient au surplus que l’expression qui compose la Marque ne fait pas partie du langage courant. Toutefois, bien qu’inventée et fantaisiste, la Marque est composée d’un mot « crémant » et d’une expression « de glace » qui font partie du langage courant, qui sont définis dans les dictionnaires et qui, dans le contexte des marchandises, ont un sens courant qui est connu.

[69]           Il n’était pas déraisonnable pour la Commission de recourir aux définitions du dictionnaire pour dégager le sens des mots qui composent la Marque pour ensuite dégager le sens commun de l’expression composée de ces deux mots, dans le contexte des marchandises.

[70]           La jurisprudence reconnaît l’utilité de recourir aux définitions que l’on retrouve dans les dictionnaires pour établir le sens des mots qui composent une marque (Cies Molsen Ltée c John Labatt Ltd, [1987] ACF no 1102 (QL) au para 2, 91 NR 148, et ce, même lorsqu’il s’agit d’une expression qui comporte plus d’un mot (Home Juice Co c Orange Maison Ltée, [1970] RCS 942 aux pp 944, 946, 16 DLR (3d) 740).

[71]           De plus, la preuve d’experts au soutien des définitions n’est pas toujours utile et je considère qu’en l’espèce, une telle preuve n’était pas nécessaire. Le passage suivant de Mövenpick Holding AG c Exxon Mobil Corp., 2011 CF 1397 au para 23, [2011] ACF no 1723, trouve application en l’espèce :

23     Les deux parties ont produit des affidavits préparés par des linguistes, lesquels ont été contre-interrogés. Leur témoignage concerne à la fois les aspects relatifs à la description claire et à la confusion dans la présente affaire. À mon avis, ils n'ajoutent pas grand-chose au débat et n'auraient pas convaincu la registraire de changer d'idée. En l'espèce, il s'agit d'évaluer le sens des mots «marché express» dans la langue française, tel que perçu à la première impression par un utilisateur ordinaire des services; les témoignages d'experts qui consistent principalement à fournir une analyse des règles de grammaire, de la sémantique et des construits linguistiques concernant l'interprétation de ces mots ne sont pas nécessaires ni particulièrement utiles.

[72]           Dans la présente affaire, outre une définition isolée, toutes les définitions du mot « crémant » mises en preuve par l’intimée renvoient à un type de vin, soit un vin effervescent à mousse légère. Aucune des définitions du mot « crémant » mises en preuve ne renvoi à un sens plus générique qui réfèrerait à un type de boisson alcoolisée qui pourrait être produite à partir de différents fruits.

[73]           De plus, et tel qu’il appert de la preuve, l’expression « de glace » associée à du cidre ou du vin, désigne un cidre ou un vin liquoreux fait à partir de fruits ou de jus de fruits qui ont subi un état de gel.

[74]           À la lumière des définitions introduites en preuve, j’estime donc qu’il était raisonnable que la Commission retienne le sens courant des mots composant la Marque, soit un vin effervescent à mousse légère fait à partir de fruits gelés. Le mot « crémant » et l’expression « de glace » ont chacun un sens courant, et l’expression « crémant de glace », envisagée dans sa globalité, a elle aussi un sens commun. Il ressort clairement de la décision que la Commission n’a pas disséqué la Marque et qu’elle a examiné le mot « crémant » lorsque suivi de l’expression « de glace » dans le contexte des marchandises, soit des cidres de glace. La Commission a donc tiré une conclusion qui est raisonnable et qui s’appuie sur la preuve lorsqu’elle a exprimé « que le consommateur moyen risque davantage de croire que le mot «crémant», lorsque suivi de l’expression consacrée «de glace», s’entend dans son sens courant, que de ne pas avoir cette impression ». Ainsi, il était raisonnable de conclure que la Marque décrit quelque chose qu’elle n’est pas.

[75]           Cette conclusion n’est pas moins raisonnable du fait que le mot « crémant » puisse avoir un deuxième sens. La définition sur laquelle s’appuie l’appelante et qui renvoie à l’action de crémer, constitue une définition isolée qui, au surplus, me semble bien éloignée du contexte des marchandises. Il était donc raisonnable et non spéculatif de conclure que le mot « crémant », dans son sens courant, désigne un type de vin. Je suis d’avis que la Commission n’avait aucune obligation, à la lumière de l’ensemble de la preuve, de retenir une définition isolée. Dans Ron Matusalem, un des mots composant la marque avait, tout comme en l’espèce, deux significations possibles et la Cour a reconnu que la décision de la Commission, qui avait choisi de donner à l’expression en cause un sens qui s’appuyait sur l’une des définitions mises en preuve, était raisonnable.

[76]           J’estime également qu’il n’était pas déraisonnable pour la Commission, sur la base de la preuve et du sens commun, qu’elle prenne connaissance d’office que les vins et les cidres « sont des boissons alcoolisées généralement vendues et promues par l’intermédiaire des mêmes canaux de distribution » (para 22 de la décision). D’ailleurs, M. Demoy lui-même affirme que les cidres qui portent la Marque sont distribués à la Société des alcools du Québec (SAQ). On retrouve d’ailleurs en preuve des exemples d’une publicité de la SAQ qui présente sur la même page des bouteilles de cidre et des bouteilles de vin. Il m’apparaît donc raisonnable, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que la Commission ait conclu qu’il lui apparaissait « plus probable que pas que la Marque donne à croire que les marchandises consistent à tort en un vin pétillant à mousse légère, dont la fermentation est faite à partie de fruits ayant subi un état de gel, alors qu’il s’agit en fait de « cidre de pommes » ». Je considère donc que la conclusion de la Commission quant au caractère trompeur de la Marque fait partie des conclusions raisonnables possibles en regard de la preuve.

[77]           Je considère aussi que la Commission n’a pas erré en refusant d’examiner la Marque telle qu’elle est apposée sur les étiquettes mises en preuve par l’appelante. L’appelante soutient que les étiquettes indiquent clairement que le produit associé à la Marque est un cidre. J’en conviens, mais c’est la Marque de façon autonome qui doit être envisagée et non la façon dont son propriétaire décide de la commercialiser et de la promouvoir. Le fait que la commercialisation des cidres de pommes soit encadrée par une réglementation ne change rien au fait qu’une marque de commerce doit être examinée de façon autonome.

[78]           Je considère enfin qu’il était raisonnable pour la Commission de rejeter l’argument de l’appelante fondée sur sa famille de marques. Devant la Commission, l’argument de l’appelante était fondé uniquement sur le fait qu’elle était propriétaire de deux autres marques enregistrées, sans aucune preuve d’emploi des ces marques. La seule preuve de l’existence des deux autres marques enregistrées de l’appelante était nettement insuffisante pour démontrer l’emploi d’une famille de marques. De plus, comme que je l’ai déjà indiqué, même la preuve additionnelle produite par l’appelante dans le cadre de l’appel est, à mon avis, elle aussi insuffisante pour établir l’existence d’une famille de marques, et encore moins une famille de marques dont l’emploi est d’une étendue telle qu’il vient contrecarrer la première impression qu’aurait le consommateur moyen des marchandises en cause.

[79]           La situation en l’espèce est différente du contexte qui prévalait dans Producteurs laitiers du Canada c Hunt-Wesson, Inc, [2000] ACF no 1112(QL), 186 FTR 93. Dans cette affaire, la Cour a rejeté un appel d’une décision du Registraire qui avait conclu que la marque « Goût de Beurre Comme au Cinéma », en liaison avec du mais éclaté ou du mais à éclater, ne donnait pas une description claire ou une description fausse et trompeuse. Le registraire avait en outre conclu que les consommateurs avaient l’habitude de voir le mot « beurre » en association avec des produits alimentaires qui ne contiennent pas de beurre. Cette conclusion était appuyée sur la preuve de l’existence d’autres marques de commerce contenant le mot « beurre » en liaison avec des produits ne contenant pas de beurre, lors de campagnes publicitaires qui avaient utilisé des slogans comme « I can’t believe it’s not butter » et « Souvenirs de beurre » et sur l’existence d’autres produits dont l’emballage contenait le mot « beurre » sans que le produit n’en contienne lui-même. La preuve de « l’habitude des consommateurs» dans cette affaire était à mon avis beaucoup plus étoffée qu’en l’espèce.

[80]           L’appelante a aussi invoqué l’importance de la cohérence du registre des marques de commerce et allégué que puisque ses deux autres marques comportant le « crémant » en liaison avec du cidre avaient été enregistrées, il devrait en être de même pour la Marque. Elle a appuyé son argument sur Rothmans, Benson & Hedges Inc v RJ Reynolds Tobacco Co, [1993] FCJ No 210 (QL) au para 9, 62 FTR 92). Je considère que cet argument ne peut réussir.

[81]           Premièrement, les deux autres marques de l’appelante sont composées d’expressions qui sont différentes de la Marque parce qu’elles associent de façon expresse le mot « crémant » avec le mot « pomme ». Je peux donc concevoir que dans un tel contexte, la première impression d’un consommateur qui associerait normalement le mot « crémant » à un type de vin mousseux, puisse être modifiée par l’ajout du mot « pomme » de façon à ce qu’il comprenne qu’il est en présence d’un produit fabriqué à partir de pommes et non de raisins. La Marque ne contient pas une telle spécificité susceptible de contrecarrer le sens courant du mot « crémant ». À mon avis, il y a donc une distinction importante à faire entre le sens indiqué par la Marque et celui indiqué par les deux autres marques de l’appelante.

[82]           Deuxièmement, je partage l’opinion de mon collègue, le juge Martineau, qui a rappelé dans Neptune SA c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 715 au para 22, 237 FTR 240, que « si le registraire a commis une erreur dans le passé, il n’y a pas lieu de la perpétuer ».

[83]           Je conclus donc que la Commission pouvait raisonnablement juger que l’expression « CRÉMANT DE GLACE » donne une description fausse et trompeuse en liaison avec les marchandises visées, soit des boissons alcoolisées, à l’exclusion des vins et bières, notamment des cidres de pomme. Sa décision est intelligible et articulée. Elle est appuyée par la preuve et elle appartient aux issues possibles et acceptables en regard des faits et du droit.

[84]           Pour tous ces motifs, l’appel est rejeté.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté avec dépens en faveur de l’intimée.

« Marie-Josée Bédard »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-2107-13

 

INTITULÉ :

VERGER DU MINOT INC. c CLOS SAINT-DENIS INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 août 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 octobre 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Bruno Barrette

 

Pour l'appelante

 

Me Pascal Lauzon

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barrette Légal Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour l'appelante

 

BCF s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour l'intimée

 

 

 

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