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Date : 20141022


Dossier : IMM-4311-13

Référence : 2014 CF 1006

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

SIVANESAM SIVANANTHAN SUTHARSHINY SIVANANTHAN SIVATHANUSHAN SIVANANTHAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La présente demande vise à contester la décision défavorable, datée du 24 avril 2013, rendue relativement à un examen des risques avant renvoi (ERAR). L’historique de la demande d’asile des demandeurs est ainsi énoncé par l’avocat des demandeurs :

[traduction]

Les demandeurs sont : une femme de 55 ans (Sivanesam), son fils de 19 ans (Sivathanushan) et sa fille de 20 ans (Sutharshiny). Les demandeurs sont tous des Tamouls originaires du Sri Lanka.

L’audience de la demande d’asile des demandeurs a eu lieu à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le 16 août 2011. Le 9 septembre 2011, leurs demandes d’asile ont été rejetées. Le commissaire qui a statué sur leur demande d’asile a accepté que leurs allégations de risque fussent véridiques. Le commissaire n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs. La demande d’asile des demandeurs au Canada était fondée sur le fait qu’ils étaient pris pour cible par un groupe paramilitaire favorable au gouvernement : la tentative de recrutement du demandeur de 19 ans, et les menaces du dirigeant du groupe paramilitaire d’épouser la demanderesse de 20 ans. Les deux jeunes demandeurs avaient été détenus et agressés par les membres du groupe paramilitaire.

Le commissaire a rejeté leur demande d’asile au motif que le risque auquel les demandeurs étaient exposés avait pour origine une activité criminelle et qu’ils n’étaient donc pas admissibles à la protection. Le commissaire a aussi déclaré que l’Organisation de libération du peuple de l’Eelam tamoul (OLPET) n’était pas active à Colombo et que les demandeurs seraient donc en sécurité s’ils déménageaient dans la capitale du Sri Lanka. (Mémoire des faits et du droit, aux paragraphes 5 à 7)

[2]               Le principal argument avancé par l’avocat pour le compte des demandeurs à l’agent chargé de l’ERAR (l’agent) était que, selon des éléments de preuve convaincants postérieurs à la décision défavorable de la SPR, les demandeurs seraient exposés aux risques prévus aux articles 96 et 97, si on leur demandait de retourner au Sri Lanka en tant que [traduction] « demandeurs d’asile tamouls déboutés ». La preuve qui avait été directement mise au dossier  se présentait aussi sous la forme d’une décision favorable quant à l’ERAR dans laquelle la preuve avait été adoptée.

[3]               L’avocat des demandeurs allègue que la décision favorable courante quant à l’ERAR a une valeur de précédent et que, par conséquent, elle devrait être appliquée en l’espèce. Sans trancher cette question, la Cour est convaincue que la présente demande repose sur la question de savoir si la preuve des demandeurs, et non pas la décision produite en soi, a été entièrement et adéquatement prise en compte lorsque la décision soumise au contrôle a été rendue.

[4]               La preuve la plus directe du risque auquel les demandeurs seraient exposés en cas de retour se trouve dans un rapport préparé par la Fondation médicale pour les soins aux victimes de torture (Medical Foundation for the Care of Victims of Torture) intitulé [traduction], Sortir du silence : Nouvelles preuves de torture continue au Sri Lanka : 2009-2011 (Out of the Silence: New Evidence of Ongoing Torture in Sri Lanka: 2009 – 2011) (dossier du tribunal, aux pages 77 à 103), rapport qui est cité dans l’argument de l’avocat des demandeurs (dossier du tribunal, à la page 52), et plus amplement cité dans la décision favorable quant à l’ERAR produite pour qu’elle soit prise en considération (dossier du tribunal, aux pages 160 et 161), de la façon suivante :

[traduction]

Retour au Sri Lanka de l’étranger : 14 des 35 cas rapportent des séjours ou des voyages à l’étranger précédant la détention et la torture : cinq ont voyagé pour des raisons d’études, trois pour des raisons familiales et quatre dans le but de demander l’asile à l’extérieur du Sri Lanka. Dans les deux cas restants, le but du voyage n’a pas été énoncé. Sur les quatre qui ont demandé l’asile à l’étranger, trois ont été forcés de retourner au Sri Lanka. Dans un cas, la personne a demandé sans succès l’asile au Royaume-Uni pendant de nombreuses années auparavant, mais a été renvoyée au Sri Lanka à partir d’un autre pays européen. Un autre est retourné d’un pays européen après y avoir résidé deux ans, sa demande d’asile ayant été rejetée. Sur les 10 cas de personnes qui ont voyagé à l’étranger pour des raisons non liées à l’asile, neuf sont rentrés volontairement au Sri Lanka (toutes à partir du Royaume-Uni). Plusieurs rapportent qu’ils reviennent pour des visites temporaires, en raison d’une grande variété de raisons familiales et deux en raison de la disparition de leur père. Une personne était en route vers un État non européen pour des raisons familiales, mais elle a été renvoyée en cours de route parce qu’elle avait utilisé de faux documents.

Toutes les 14 personnes qui ont été renvoyées au Sri Lanka après un séjour à l’étranger, soit parce qu’elles avaient quitté le Sri Lanka par un moyen légal, soit autrement ont été par la suite détenues et torturées. Dans cinq de ces cas, la période de détention et de torture documentée dans le MLR a eu lieu de plus d’une année jusqu’à sept ans après leur retour. Toutefois, dans neuf cas, la personne a été détenue dans les jours, les semaines ou un mois après son retour. De ces neuf cas, six ont été détenus à Colombo, soit à partir de leur résidence, soit au point de contrôle, soit d’une maison d’hébergement. D’autres ont été détenus à des points de contrôle ailleurs dans le pays, ou directement à leur arrivée à l’aéroport.

[5]               En ce qui a trait aux risques auxquels les demandeurs seraient exposés s’ils étaient renvoyés au Sri Lanka, l’agent a tiré les conclusions factuelles suivantes :

[traduction]

Dans la demande d’ERAR et dans les observations, l’avocat a déclaré : « la situation au Sri Lanka est extrêmement instable pour les demandeurs d’asiles déboutés qui sont renvoyés au Sri Lanka. J’ai examiné les rapports sur la situation dans le pays et j’ai pris en contre les articles présentés à l’appui de la présente demande, lesquels sont postérieurs à l’audience tenue à la SPR et à la décision. Il ressort de ces articles et de ces rapports que de nombreux Tamouls qui avaient été renvoyés du Royaume-Uni (et d’autres pays) étaient détenus arbitrairement et torturés à leur retour au Sri Lanka; ceux qui sont exposés à un risque important sont les Tamouls ayant des liens réels ou perçus avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Ces rapports et ces articles révèlent aussi que les militants politiques (y compris ceux qui ont été des militants politiques à l’étranger), les défenseurs des droits de la personne, les militants de la société civile et les journalistes sont exposés au risque de disparition forcée, de torture et d’arrestation. Je ne crois pas que les demandeurs ont établi des liens suffisants entre ces articles et un risque personnalisé. En outre, il n’y avait pas de preuve suffisante révélant que les demandeurs correspondaient au profil de ceux qui avaient été identifiés comme des personnes à risque, par exemple des militants politiques, des journalistes, des défenseurs des droits de la personne, d’anciens membres des TLET ou des personnes ayant des liens perçus avec les TLET. Je conclus que le contenu de ces articles et de ces rapports n’est pas une preuve suffisante permettant d’établir que les profils des demandeurs présenteraient un intérêt pour les autorités du Sri Lanka. Je conclus aussi que ces rapports et ces articles ne sont pas suffisants en soi pour renverser les conclusions du tribunal de la SPR ou pour établir l’existence d’un nouveau risque. Ainsi, je leur accorde peu de poids.

[Non souligné dans l’original.] (Décision, aux pages 11 et 12)

[6]               Il appert de la première partie soulignée de la déclaration ci-dessus que l’agent a accepté la preuve que les Tamouls renvoyés étaient exposés au risque, mais qu’il a aussi conclu que les Tamouls qui ont des liens réels ou perçus avec les TLET et ceux qui correspondent à un profil précis sont exposés à un risque plus important. L’agent a alors poursuivi son analyse et conclu que, parce que les demandeurs ne correspondaient pas à un profil précis, ils n’étaient pas exposés au risque. Non seulement cette conclusion est contraire à la preuve selon laquelle les Tamouls renvoyés étaient exposés à la détention arbitraire et à la torture, mais en plus elle n’est pas intelligible.

[7]               Au moins, ce que l’agent devait trancher était de décider si, en raison de leur origine ethnique tamoule, les demandeurs seraient exposés à plus qu’une simple possibilité de persécution, s’ils étaient renvoyés au Sri Lanka. Selon moi, compte tenu de la preuve convaincante dans le dossier, l’agent a entièrement omis de satisfaire à cette exigence.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : La décision soumise au présent contrôle est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent chargé de l’ERAR pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci.

Il n’y a pas de question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4311-13

INTITULÉ :

SIVANESAM SIVANANTHAN, SUTHARSHINY SIVANANTHAN, SIVATHANUSHAN SIVANANTHAN

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 octobre 2014

ORDONNANCE ET MOTIFS :

Juge Campbell

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 22 octobre 2014

COMPARUTIONS :

Clare Crummey

POUR LES DEMANDEURS

Amy King

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman et Associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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