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Date : 20141016


Dossier : T-1929-13

Référence : 2014 CF 982

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

NUSRAT MASHOOQULLAH

ALEEZA MUNSHI

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a, par l’entremise de son délégué, refusé d’octroyer la citoyenneté à Aleeza Munshi, l’une des demanderesses. La demande de contrôle judiciaire a été présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F‑7.

I.                   Les faits

[2]               Les faits de la présente affaire ne sont pas contestés. Nusrat Mashooqullah est née au Pakistan en 1968. Pour une raison qui demeure inconnue, la documentation concernant l’instance judiciaire introduite au Pakistan pour pouvoir obtenir la tutelle d’Aleeza Munshi a été produite sous le nom de Nusrat Munshi. L’examen du dossier pourrait donner à penser que « Mashooqullah » était le nom de son mari. Ils ont depuis divorcé. Ce que l’on ignore toujours, c’est la raison pour laquelle une instance a été introduite au Pakistan sous un nom alors que celle qui a été introduite au Canada l’a été sous un autre. En tout état de cause, il est acquis aux débats que la demanderesse est la même personne que celle à qui la tutelle d’Aleeza Munshi a été confiée.

[3]               Il semble que Nusrat Mashooqullah s’est vu octroyer la citoyenneté canadienne en 2007 après avoir obtenu une maîtrise en administration des affaires (MBA) de l’Université Queen’s de Kingston, en Ontario. Après avoir obtenu la citoyenneté canadienne, elle a décidé de retourner au Pakistan, où elle habite depuis. Elle exerce d’ailleurs un emploi rémunéré au Pakistan et il est admis aux débats qu’elle ne réside pas au Canada.

[4]               Aleeza Munshi est née le 3 mars 2012 ou vers cette date à Karachi, au Pakistan. Elle a été abandonnée le 3 mars 2012. Nusrat Mashooqullah a présenté le 24 avril 2012 une demande en vertu du Guardians and Wards Act, 1890 (loi de 1890 relative aux tuteurs et aux pupilles) du Pakistan devant le tribunal familial de Karachi. Le 22 mai, le tribunal a rendu l’ordonnance sollicitée par Nusrat Mashooqullah. En voici le libellé :

[traduction]

J’ai entendu le savant avocat de la requérante et examiné le dossier de l’affaire. À mon humble avis, la requérante est une personne apte à être désignée comme tutrice de la mineure dénommée ALEEZA MUNSHI. Elle veillera au bien-être de cette mineure et protégera ses droits et ses intérêts. La requérante est par conséquent désignée tutrice de la mineure dénommée ALEEZA MUNSHI. Elle est également autorisée à accompagner la mineure en question hors du ressort de la Cour au Canada et à l’étranger à des fins d’immigration et d’adoption. La présente demande est accueillie conformément aux conclusions. La Cour ordonne qu’un certificat de tutelle soit établi et que la requérante soit autorisée à en prendre possession.

[5]               Suivant les demanderesses, le fait pour Nusrat Mashooqullah de se voir accorder la tutelle de la mineure Aleeza suffit pour leur permettre de se prévaloir de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté, LRC, 1985, ch C‑29 (la Loi). Le ministre n’est pas de cet avis et j’estime que l’examen du régime législatif démontre que l’article 5.1 ne s’applique pas, eu égard aux circonstances de la présente affaire.

II.                Décision à l’examen

[6]               Dans sa décision du 2 octobre 2013, le délégué du ministre a conclu que la citoyenneté ne pouvait pas être attribuée. L’essentiel de sa décision se trouve dans les trois paragraphes suivants :

[traduction]

L’adoption n’est pas prévue par la Muslim Family Law Ordinance, 1961 du Pakistan ou par la loi de la sharia. La Muslim Family Law Ordinance, 1961 prévoit une forme de tutelle appelée kafala. La kafala est une forme de tutelle et non une adoption et elle est généralement considérée comme un engagement à s’occuper des besoins, de l’éducation et de la protection d’un enfant mineur et elle ne crée pas un lien affectif parent-enfant permanent.

 

Aucune adoption au sens où on l’entend au Canada ou selon le régime prévu par la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale n’a eu lieu. Par conséquent, toute demande de citoyenneté canadienne visant une personne sous la tutelle d’un citoyen canadien présentant une demande d’adoption est irrecevable.

Suivant les renseignements fournis et le cadre juridique en vigueur dans la République islamique du Pakistan, vous n’avez pas démontré que votre enfant satisfaisait aux exigences lui permettant d’obtenir la citoyenneté canadienne par application du paragraphe 5.1(1) de la Loi sur la citoyenneté et votre demande ne permet pas de lui attribuer la citoyenneté.

III.             Question en litige

[7]               Habituellement, dans une affaire comme la présente, on commencerait par arrêter la norme de contrôle applicable. Une fois la norme de contrôle établie, on se demanderait si la tutelle accordée à Nusrat Mashooqullah satisferait aux exigences de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté. À mon avis, la présente affaire ne repose pas sur la question de savoir si la norme de contrôle applicable à la question de droit soulevée en l’espèce est celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable. Dans un cas comme dans l’autre, les demanderesses ne peuvent obtenir gain de cause.

[8]               C’est le paragraphe 5.1(1) de la Loi sur la citoyenneté qui est en cause, et en particulier son alinéa c). En voici le libellé :

Cas de personnes adoptées — mineurs

Adoptees — minors

5.1 (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

5.1 (1) Subject to subsections (3) and (4), the Minister shall, on application, grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child if the adoption

a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

(a) was in the best interests of the child;

b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

(b) created a genuine relationship of parent and child;

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

(c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen; and

d) elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

(d) was not entered into primarily for the purpose of acquiring a status or privilege in relation to immigration or citizenship.

Comme nous le verrons, le cœur du litige concerne le sens à attribuer au mot « adoption » au paragraphe 5.1(1) et la question de savoir si la tutelle au sens de la loi pakistanaise répond à cette définition. Il n’y a qu’une seule interprétation qui peut raisonnablement ou correctement être attribuée à ce mot.

IV.             Arguments formulés au nom des parties

[9]               Les demanderesses n’ont pas abordé dans leur mémoire des faits et du droit ou à l’audience qui s’est déroulée devant la Cour la question de la norme de contrôle qui devrait s’appliquer en l’espèce. Elles semblent adopter le point de vue que, peu importe la norme de contrôle applicable, leur demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie. Dans leur mémoire des faits et du droit, les demanderesses citent la décision rendue par la Cour dans l’affaire Dufour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 340, dans laquelle la Cour affirme que c’est la norme de la décision correcte qui devrait s’appliquer, étant donné que « l’agent de citoyenneté n’est pas mieux placé que la Cour en révision judiciaire pour interpréter le droit domestique et étranger en matière d’adoption » (au paragraphe 16).

[10]           Si j’ai bien saisi, l’argument des demanderesses se résume à une idée assez simple. Elles affirment que la tutelle attribuée par le tribunal familial pakistanais équivaut à une adoption, vu les circonstances particulières dans la présente affaire. Ces circonstances, affirment‑elles, sont le fait que l’enfant a été abandonné moins d’un jour après sa naissance et qu’il n’existe par conséquent aucun lien affectif parent-enfant pouvant empêcher l’équivalence qu’elles revendiquent. Il n’existe aucun lien affectif préexistant entre l’enfant et ses parents biologiques, de sorte que la tutelle équivaut en l’espèce à une adoption en bonne et due forme qui satisfait par conséquent aux exigences de l’alinéa 5.1(1)c). L’erreur de l’agent réside dans le fait qu’il n’a pas pris acte des circonstances spéciales dans lesquelles l’abandon a eu lieu.

[11]           La seule autorité invoquée à l’appui de cette proposition est le jugement Reza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 606 (Reza). Les demanderesses ne citent dans leur mémoire des faits et du droit qu’un extrait du paragraphe 13 de ce jugement. Voici le passage que l’on trouve dans leur mémoire des faits et du droit :

La CISR a aussi refusé d’agréer à l’allégation de M. Ali selon laquelle il lui serait interdit d’adopter le demandeur au Pakistan car l’idée de l’adoption n’existe pas comme telle dans ce pays. La CISR s’est fiée sur la preuve documentaire pour déclarer que l’adoption d’enfants abandonnés existait au Pakistan [...] [Souligné dans le mémoire des faits et du droit]

En fait, voici le texte intégral de ce paragraphe :

[13]      La CISR a aussi refusé d’agréer à l’allégation de M. Ali selon laquelle il lui serait interdit d’adopter le demandeur au Pakistan car l’idée de l’adoption n’existe pas comme telle dans ce pays. La CISR s’est fiée sur la preuve documentaire pour déclarer que l’adoption d’enfants abandonnés existait au Pakistan, et que M. Ali, comme oncle de l’enfant, serait en fait un candidat idéal, ses parents biologiques ayant cédé la garde du demandeur, et M. et Mme Ali étant ses gardiens légaux. La CISR a ainsi conclu qu’ils ne risquaient pas d’être séparés de lui au Pakistan.

[12]           Cette décision n’est d’aucune utilité pour les demanderesses, étant donné qu’il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision refusant d’octroyer l’asile; dans cette affaire, le demandeur, qui était un enfant de moins de 18 ans, pouvait retourner au Pakistan, où son oncle et sa tante pouvaient s’occuper de lui. La question en litige dans la présente affaire est complètement différente. La Cour n’a pas affaire à un enfant de moins de 18 ans qui retournerait au Pakistan, où la question cruciale serait la possibilité pour lui d’obtenir des soins, ainsi que celle de son présumé statut d’enfant apatride. D’ailleurs, dans l’affaire Reza, la Cour a conclu ce qui suit :

[33]      Ayant lu la totalité de la preuve documentaire, je suis satisfait que le tribunal n’a pas erré en concluant que le demandeur ne ferait pas face à la persécution au Pakistan, à cause de la religion et de l’ethnicité de sa mère. Je remarque à cet égard que s’il rentrait au Pakistan, ce serait en toute probabilité pour vivre avec ses gardiens, M. et Mme Ali, que sont sunnites et qui semblent n’avoir aucun lien avec la famille de sa mère biologique.

Par conséquent, la Cour n’a d’autre choix que de conclure que les demanderesses n’ont cité aucun précédent à l’appui de leur thèse.

[13]           En revanche, le ministre soutient qu’en droit pakistanais, la tutelle ne peut être assimilée à une adoption. Suivant le ministre, le concept d’adoption que l’on trouve à l’article 5.1 requiert bien davantage que ce qui existe en droit pakistanais. En clair, la thèse du ministre est que le droit pakistanais ne reconnaît pas notre concept de l’adoption. D’ailleurs, l’avocat du ministre a utilisé certains des renseignements présentés en vrac par les demanderesses à l’appui de leur demande pour étayer son argument voulant que la tutelle et l’adoption sont deux choses bien différentes. Un document intitulé [traduction] « L’adoption au Pakistan » explique en effet ce qui suit :

[traduction]

2. Que dit l’islam au sujet de l’adoption?

Il y a beaucoup d’idées erronées au sujet du rôle de l’adoption dans l’islam. En réalité, il existe dans l’islam une forme d’« adoption », la kafâla, qui signifie littéralement « parrainage » mais dont l’étymologie signifie « nourrir ». L’équivalent le plus proche serait plutôt « accueil dans un foyer nourricier ». Le droit familial algérien définit comme suit le concept : [traduction] « La kafâla ou la prise en nourrice prévue par la loi est l’engagement de prendre bénévolement en charge l’entretien, l’éducation et la protection d’un enfant mineur au même titre que le ferait un père pour son fils ».

[…]

Il existe une certaine confusion au sujet de la question du changement de nom de l’enfant et des questions d’héritage. Abordant ces questions, M. Muzammil H. Siddiqi, ancien président de l’Islamic Society of North America, explique :

[traduction]

Qu’Allah vous bénisse et vous récompense pour votre souci de venir en aide aux personnes dans le besoin. Je vous exhorte à vous occuper des orphelins. Pour ce qui est de l’adoption, je vous rappelle que, suivant la sharia, il n’est pas permis de priver un enfant du nom de ses parents biologiques. Vous pouvez recueillir l’enfant, lui procurer un foyer accueillant et bien prendre soin de lui, mais ne lui donnez pas votre nom de famille. Allah déclare en effet dans le Coran :

[traduction]

[...] Il (Allah) n'a point fait de vos enfants adoptifs vos propres enfants. Ce sont des propos [qui sortent] de votre bouche. Mais Allah dit la vérité et c'est Lui qui met [l'homme] dans la bonne direction. Appelez‑les du nom de leurs pères : c’est plus équitable devant Allah, mais si vous ne connaissez pas leurs pères, alors considérez‑les comme vos frères en religion ou vos alliés. Nul blâme sur vous pour ce que vous faites par erreur, mais (vous serez blâmés pour) ce que vos cœurs font délibérément. Allah, cependant, est pardonneur et miséricordieux. (Al-Ahzab, sourate 33, versets 4 et 5).

Aux États‑Unis, pour pouvoir bénéficier d’exemptions fiscales et profiter des avantages des régimes d’assurance-maladie et pour respecter les conditions d’admission dans les écoles, etc., il sera peut‑être nécessaire de donner à votre enfant adoptif votre nom de famille. Vous devez toutefois bien comprendre que vous n’êtes que des tuteurs. Vous devez révéler à vos enfants orphelins le nom de leurs véritables parents. Dans votre foyer, vous et vos enfants devez être conscients du fait que ces enfants ne sont pas vos enfants biologiques et que vous n’êtes pas leurs parents biologiques.

Il est évident que lorsque ces orphelins deviendront adultes, il ne leur sera pas interdit de se marier (mahram) avec vous, votre conjoint ou vos fils et filles. Ils n’hériteront pas de vos biens, à moins de prévoir un legs particulier dans votre testament.

[14]           Le défendeur se fonde également sur l’Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 44 de la Convention (Nations Unies. Comité des droits de l’enfant. Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 44 de la Convention, Trente‑quatrième session, CRC/C/15/Add.215 (2003)) qui analyse la situation au Pakistan. Les demanderesses se fondent sur le paragraphe 205, tandis que le défendeur cite le paragraphe 204. Il aurait également pu citer le paragraphe 203. En voici le texte :

F. Les enfants privés de milieu familial (article 20 de la Convention)

203.     Le placement dans une famille d’accueil n’est pas reconnu comme valable au Pakistan, quel que soit l’appareil législatif considéré. L’adoption n’est pas non plus autorisée au Pakistan par la loi islamique. La jurisprudence montre que la loi islamique ne connaît pas de notion proche de l’adoption telle que celle‑ci est reconnue dans les systèmes de droit romain. Mais la notion de tutelle garantit la protection de la vie familiale et le régime de tutelle garantit que l’enfant sait quelle est sa filiation paternelle.

G. L’adoption (art. 21)

204.     Comme indiqué ci-dessus, l’adoption n’est pas autorisée par la loi islamique et les dispositions de la Convention qui ont trait à l’adoption ne peuvent pas être mises en vigueur au Pakistan. La loi islamique remplace toutefois l’adoption par un régime de tutelle extrêmement solide faisant appel à la famille immédiate comme à la famille élargie.

205.     La loi relative aux tuteurs et aux pupilles (annexe 7, appendice XVIII) règle toutefois la prise en charge des enfants en l’absence de leurs parents. Aux termes d’une des dispositions de cette loi, « quand il désigne un tuteur ou le fait connaître en vertu du présent article, le tribunal doit s’inspirer de ce qui, conformément au droit dont le mineur relève, est, semble‑t‑il, dans la situation considérée, propre à assurer la protection du mineur ». La désignation du tuteur par le tribunal ressemble parfois à l’adoption et la recommandation formulée dans l’article de la Convention dont il s’agit ici n’est pas totalement étrangère à la législation en vigueur au Pakistan.

V.                Analyse

[15]           Dire que les demanderesses ont offert peu d’éléments de preuve à l’appui de leur demande de citoyenneté serait un euphémisme. Elles se contentent pour ainsi dire d’affirmer que, eu égard aux circonstances de la présente affaire, la tutelle équivaut à une adoption, et ce, en dépit d’autres déclarations suivant lesquelles le concept d’adoption n’existe pas parce que l’adoption n’est pas autorisée par la loi islamique.

[16]           En raison des circonstances particulières de la présente affaire, nous sommes appelés à nous pencher sur le sens du mot « adoption » à l’article 5.1. D’ailleurs, le mot « adoption » se retrouve ailleurs dans la Loi sur la citoyenneté et il y a lieu de considérer que le sens qu’il a dans d’autres articles de la Loi doit être compatible avec celui qui lui est donné à l’article 5.1.

[17]           Dans leur ouvrage The Construction of Statutes (Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on The Construction of Statutes, 4e éd. (Markham, LexisNexis Butterworths, Canada, 2002)), les auteurs Driedger et Sullivan ne peuvent que confirmer que les mêmes termes employés dans la loi doivent se voir attribuer le même sens :

[traduction]

On présume que le législateur rédige les lois avec soin et d’une manière cohérente, de sorte que, dans une loi ou un autre texte législatif, les mêmes termes ont le même sens et les mots différents ont un autre sens. (À la page 162)

D’ailleurs, le juge Sopinka reprend la même idée dans les termes les plus nets dans l’arrêt R c Zeolkowski, [1989] 1 RCS 1378, où il abonde dans le sens de Driedger (1983) : « Donner aux mêmes mots le même sens dans l’ensemble d’une loi est un principe de base en matière d’interprétation des lois » (à la page 1387).

[18]           Il semblerait que l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté vise à faciliter l’octroi de la citoyenneté aux enfants faisant l’objet d’une adoption internationale (Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (adoption), LC 2007, ch 24, déposée à la Chambre des communes en tant que projet de loi C‑14). Au lieu de se fonder sur le parrainage prévu à l’article 117 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, la Loi sur la citoyenneté va droit au but et accorde la citoyenneté (la Loi dit bien : « le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté » (voir l’article 11 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, ch I‑21), dès lors que les quatre conditions énumérées au paragraphe 5.1(1) sont réunies). Mais d’abord et avant tout, il doit y avoir une adoption.

[19]           Dans le cas qui nous occupe, la décision à l’examen précise que les exigences du paragraphe 5.1(1) n’ont pas été respectées. Il ne semble pas que l’alinéa a) (intérêt supérieur de l’enfant) et l’alinéa d) (objet de l’acquisition du statut) soient véritablement en jeu et qu’ils aient été contestés par le délégué du ministre. En revanche, le délégué du ministre a conclu que la tutelle qui a été accordée au Pakistan n’a pas créé un lien affectif parent-enfant permanent et qu’elle ne constituait pas une adoption, ce qui nous amène à nous interroger sur ce qui constitue une adoption au sens de l’alinéa 5.1(1)c).

[20]           Non seulement le mot « adoption » devrait‑il se voir attribuer le même sens partout dans la Loi, mais il faut bien comprendre que le sens que l’on doit attribuer à un terme technique comme le mot « adoption » doit être celui qui lui est reconnu en droit canadien. Rien ne permet de penser qu’un concept qui ne répond pas à la définition d’une adoption ou qui est présenté comme ressemblant à une adoption fera l’affaire. Certes, lorsque le législateur affirme que l’« adoption » doit respecter certaines conditions, le seul sens du mot « adoption » est celui reconnu à ce concept en droit canadien. Il serait absurde de chercher à attribuer au mot « adoption » un autre sens que celui qui lui est reconnu en droit canadien lorsqu’on examine les diverses dispositions où ce mot apparaît dans la Loi sur la citoyenneté. Si l’emploi du mot « adoption » peut se rapporter à quelque chose d’autre qu’une adoption en droit canadien, de quoi peut‑il donc s’agir?

[21]           Les effets de l’adoption au Canada sont déterminés par les lois provinciales. Le dénominateur commun est le fait que le parent adoptif devient le parent de l’enfant adopté. Voici comment Halsbury’s Laws of Canada, Infants and Children (Markham, Ontario, LexisNexis Canada, Réédition de 2014) résume les effets de l’adoption tout en citant la législation de chaque province et territoire du Canada :

[traduction]

HIC-68 Enfant du parent adoptif. À compter de la date à laquelle est rendue l’ordonnance d’adoption et jusqu’à l’expiration du délai prescrit pour interjeter appel, l’enfant adopté devient l’enfant du père adoptif ou de la mère adoptive, qui devient le père ou la mère de l’enfant. De plus, l’enfant adopté cesse d’être l’enfant de la personne qui était son père ou sa mère avant l’ordonnance d’adoption, et cette personne cesse d’être son père ou sa mère, sauf si cette personne est le conjoint du père adoptif ou de la mère adoptive. Toutes les obligations alimentaires des parents d’origine cessent dès l’adoption.

[22]           L’ordonnance rendue par le tribunal pakistanais en l’espèce est sans équivoque : il s’agit d’une ordonnance de tutelle. Cette ordonnance de tutelle permet au tuteur de sortir du pays l’enfant dont la garde lui a été confiée, et ce, aux fins de l’adoption, ce qui semblerait confirmer qu’aucune adoption n’a eu lieu au Pakistan.

[23]           Cette conclusion est compatible avec la loi en vertu de laquelle Mme Mashooqullah a été désignée tutrice d’Aleeza Munshi. Le Guardians and Wards Act, 1890 ne prévoit pas en effet à première vue de dispositions d’adoption présentant des caractéristiques analogues à celles des lois provinciales sur l’adoption.

[24]           Le « tuteur » est défini comme : [traduction] « la personne ayant la charge d’un mineur ou de ses biens ». L’article 24 définit comme suit les obligations du tuteur :

[traduction]

24. Obligations du tuteur. – Le tuteur se voit confier la garde de son pupille. Il doit subvenir à ses besoins et veiller à sa santé et à son éducation et s’occuper de toute autre question exigée par la loi à laquelle le pupille est assujetti.

[25]           Le Guardians and Wards Act, 1890 prévoit qu’il existe un rapport fiduciaire entre le tuteur et son pupille (article 20) mais que le tuteur peut être rémunéré [traduction] « si le tribunal l’estime convenable pour le dédommager de ses frais et démarches engagés pour accomplir ses obligations » (article 22). Un tuteur peut être destitué (article 39) ou libéré de sa charge (article 40) et une autre personne peut être nommée à sa place. En fait, la simple lecture de la loi amène à conclure que lorsqu’on l’examine globalement, on a du mal à déceler dans la loi un seul indice qui permettrait de conclure à l’existence d’un lien affectif parent-enfant. Tout au plus le Guardians and Wards Act, 1890 prévoit‑elle un régime de tutelle qui pourrait peut‑être être considéré comme analogue à un placement en famille d’accueil. D’ailleurs, l’enfant n’a aucun droit ni aucune obligation en ce qui concerne ses « parents adoptifs ». Seul le tuteur a des obligations envers l’enfant (son pupille). Les demanderesses n’ont présenté aucun élément qui pourrait contredire cette interprétation claire de la loi pakistanaise.

[26]           Ces conclusions sont évidemment parfaitement en accord avec les instruments internationaux qui ont été soumis à la Cour. Nous avons déjà mentionné l’Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 44 de la Convention concernant le Pakistan, où il est dit que « l’adoption n’est pas autorisée par la loi islamique et les dispositions de la Convention qui ont trait à l’adoption ne peuvent être mise en vigueur au Pakistan ». La consultation de la Convention (Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990) en conformité avec l’article 49 lui-même amène inexorablement à la conclusion que la filiation et la tutelle sont deux choses différentes. L’article 21 de la Convention prévoit que : « [l]es États parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption [...] », et il prend donc expressément acte du fait que l’adoption n’est pas universellement reconnue. Nous avons déjà vu, à l’article 20, que le placement dans une famille et la kafâla (la tutelle) et l’adoption sont des concepts complètement différents :

Article 20

1. Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’État.

2. Les États parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale.

3. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique.

[27]           Dans le cas qui nous occupe, comme les deux demanderesses résident au Pakistan, les conditions qui s’appliquent habituellement à une adoption internationale ne s’appliquent pas. La seule condition exigée à l’alinéa 5.1(1)c) de la Loi est que l’adoption ait été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence des deux demandeurs, c’est‑à‑dire, dans le cas qui nous occupe, le Pakistan. Toutefois, il doit y avoir eu une adoption. Or, non seulement la preuve non contredite établit‑elle que l’adoption n’existe pas au Pakistan, mais la loi en vertu de laquelle l’ordonnance présentée comme étant l’équivalent d’une adoption ne donne‑t‑elle même pas le moindre indice que la tutelle pourrait être assimilée même de près à une adoption au sens où l’entend notre droit. Comme nous l’avons déjà expliqué, le Guardians and Wards Act, 1890 prévoit tout au plus ce que nous appellerions un placement en famille d’accueil.

[28]           Dans une ultime tentative pour convaincre la Cour, les demanderesses ont fait valoir qu’en l’espèce, l’enfant avait été abandonné par sa mère biologique et que le tribunal pakistanais avait autorisé la personne à qui sa garde avait été confiée à l’accompagner hors du territoire pakistanais à des fins d’adoption. Suivant leur argument, cette mesure de tutelle ordonnée par le tribunal s’apparente à une adoption. Bien que la Cour soit sensible à la cause des demanderesses, cet argument est mal fondé. En fait, l’ordonnance du tribunal pakistanais confirme qu’aucune adoption n’aurait pu avoir lieu au Pakistan. L’adoption est une condition dont on ne peut faire l’économie. Le fait que l’enfant ait été abandonné, sans plus, ne tire pas vraiment à conséquence. S’il n’y a pas eu adoption au Pakistan, il ne peut y avoir adoption en l’espèce.

[29]           Par conséquent, le délégué du ministre a eu raison de refuser d’octroyer la citoyenneté. Il s’ensuit qu’il importe peu que l’on applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte. Si j’avais eu à me prononcer sur la question, il m’aurait fallu suivre l’arrêt prononcé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kandola, 2014 CAF 85, [2014] 372 DLR (4th) 342 (Kandola). Le principe de l’autorité de la chose jugée exige que l’on suive les précédents. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale conclut que le principe suivant lequel les décisions des organismes administratifs sont présumées raisonnables (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654) s’applique aux décideurs même s’ils n’exercent pas de fonctions juridictionnelles. La Cour a toutefois estimé que « cette présomption peut être aisément réfutée » (Kandola, au paragraphe 42) et elle l’a effectivement réfutée :

[43]      Plus précisément, il n’y a pas de clause privative et l’agent de citoyenneté était appelé à trancher une pure question d’interprétation de la loi qui ne comportait aucun élément discrétionnaire. Ladite question est difficile et l’agent de citoyenneté ne peut prétendre qu’il possède une expertise supérieure à celle de la Cour d’appel, qui a été créée précisément pour résoudre de telles questions.

[30]           Dans l’arrêt Kinsel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 126 (Kinsel), une autre affaire portant sur l’interprétation d’une disposition de la Loi sur la citoyenneté, la Cour a fait siennes les conclusions de l’arrêt Kandola, précitées, et conclut que l’analyse qu’elle comportait s’appliquait également dans l’affaire Kinsel :

[traduction]

[28]      Dans l’arrêt Kandola, la Cour a conclu que cette présomption pouvait être aisément réfutée pour plusieurs raisons et notamment pour les suivantes :

                     l’absence de clause privative;

                     la nature de la question, en l’occurrence une pure question d’interprétation de la loi;

                     le fait que la décision ne comporte aucun élément discrétionnaire;

                     le fait que rien dans l’économie ou l’esprit de la Loi ne donne à penser que la Cour devrait faire preuve de retenue à l’égard de la décision du délégué sur la question qu’il est appelé à trancher.

[29]      Ces facteurs sont également présents en l’espèce.

(Voir également l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Dufour, 2014 CAF 81.)

[31]           La présente affaire ne comporte, à mon avis, aucune caractéristique distinctive qui nous justifierait d’écarter de la solution retenue par la Cour d’appel fédérale dans les trois affaires susmentionnées portant sur la même loi. La présente affaire et les trois décisions rendues en appel concernaient l’interprétation des dispositions de la Loi sur la citoyenneté. La Cour d’appel fédérale a conclu que la présomption de raisonnabilité pouvait aisément être réfutée et la Cour fédérale s’estime tenue d’appliquer cette approche. La norme applicable est celle de la décision correcte.

[32]           Je relève toutefois que la Cour suprême a réaffirmé, dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, qui a été rendu après les arrêts Kandola et Kinsel, précités, que « la déférence est habituellement de mise lorsqu’un décideur interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » [renvois à la jurisprudence omis] (au paragraphe 55). La Cour suprême a ensuite examiné les catégories auxquelles s’appliquait la norme de la décision correcte, en l’occurrence, les questions constitutionnelles, les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, les questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents, et la catégorie exceptionnelle des questions touchant véritablement à la compétence et a conclu qu’aucune ne s’appliquait dans cette affaire, ce qui ne donne pas l’impression que la présomption peut être aisément réfutée.

[33]           En tout état de cause, la démarche subsidiaire proposée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kinsel, précité, trouverait également application en l’espèce :

[traduction]

[31]      Pour le cas où ma conclusion serait erronée et que, comme le procureur général l’affirme, il y aurait lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Kandola, je me fonde sur l’arrêt McLean de la Cour suprême.

[32]      Dans l’arrêt McLean, la Cour suprême s’est penchée sur la question de la norme de contrôle applicable à l’interprétation qu’une commission des valeurs mobilières avait faite du délai de prescription prévu par sa loi habilitante. Le juge Moldaver (qui s’exprimait au nom de la majorité) a fait observer que, lorsque les méthodes habituelles d’interprétation législative conduisaient à une seule interprétation raisonnable et que le décideur administratif en retenait une autre, cette dernière était nécessairement déraisonnable (McLean, au paragraphe 38).

[33]      Pour les motifs que j’exposerai plus loin, j’ai procédé à l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique requise des dispositions législatives applicables. Je suis convaincu qu’il n’y a qu’une seule interprétation raisonnable de la loi.

[34]           Dans le cas qui nous occupe, l’interprétation du mot « adoption » à l’article 5.1 de la Loi est tout simplement inconciliable avec l’ordonnance de tutelle prononcée au Pakistan en vertu du Guardians and Wards Act, 1890, sur lequel on s’est manifestement fondé en l’espèce. À mon avis, il n’y a qu’une seule interprétation raisonnable de la loi en l’espèce. Peu importe que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte, le résultat est le même.

[35]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Comme dans d’autres affaires portant sur l’interprétation de la Loi sur la citoyenneté, je ne vois aucune raison de m’écarter du principe suivant lequel les dépens doivent suivre l’issue de la cause. Les dépens sont par conséquent adjugés au défendeur.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Les dépens sont adjugés au défendeur.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

S. Tasset


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1929-13

 

INTITULÉ :

NUSRAT MASHOOQULLAH, ALEEZA MUNSHI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (OntariO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 SEPTEMBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Ali Amini

 

POUR LES DEMANDEresseS

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Centre de citoyenneté et d’immigration

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEresseS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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