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Date : 20141016


Dossier : IMM-3601-13

Référence : 2014 CF 983

[traduction française certifiée, non révisée] 

 

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

NAVDEEP SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur conteste la légalité de la décision d’un agent principal de l’immigration (l’agent), datée du 15 février 2013 et rejetant la demande d’exception, pour des considérations humanitaires (CH), à l’obligation de présenter sa demande depuis l’étranger au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]               Le demandeur a présenté sa demande CH le 1er novembre 2012. Le demandeur est un citoyen de l’Inde qui est arrivé au Canada muni d’un permis de travail en 2006. Il a travaillé pour l’entreprise Raja Electric pendant un an. Son permis de travail n’a pas été renouvelé, mais son statut de visiteur a été prolongé de multiples fois, jusqu’en avril 2012, lorsqu’une autre prolongation a été refusée. Pendant qu’il vivait au Canada, il s’est marié, et son épouse a le statut de résidente permanente au Canada. Le demandeur a deux enfants canadiens avec son épouse, qui a demandé de le parrainer, mais la demande de parrainage a été rejetée au motif que son épouse a fait l’objet d’un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi. La Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a prononcé une mesure de renvoi. Au moment du dépôt de la demande CH, la Section d’appel de l’immigration (la SAI) n’avait pas entendu l’appel de l’épouse du demandeur.

[3]               Pour rejeter la demande CH, l’agent a d’abord conclu que les éléments de preuve ne démontraient pas que le demandeur était établi au Canada. Celui‑ci avait travaillé seulement un an sur les six qu’il a passés au Canada; il y avait des éléments de preuve selon lesquels le couple avait de l’argent (environ 32 000 $) dans ses comptes bancaires, mais aucune information quant à la provenance des fonds; il n’y avait pas d’information quant à la participation du demandeur à la vie de sa communauté; pas de lettres de recommandations ou de soutien; et aucune information concernant le rôle joué par le demandeur auprès de ses enfants. L’agent a aussi conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne justifiait pas qu’il soit fait droit à la demande. Il a pris en compte le fait que les enfants étaient très jeunes et que leurs parents représentaient sans doute la plus grande influence dans leur vie et a conclu qu’ils sont accoutumés à la culture, à la langue et à la nourriture indiennes. Il a aussi souligné que le demandeur a en Inde des parents qui sont susceptibles d’apporter une aide dans l’éducation des enfants et possédait de nombreuses années d’expérience à titre d’électricien en Inde et a conclu que le demandeur serait encore en mesure de subvenir aux besoins de ses enfants. L’agent a aussi pris en compte l’appel interjeté par l’épouse du demandeur auprès de la SAI et souligné que, si la demande était accueillie, l’épouse pourrait parrainer le demandeur – tandis que, si son épouse était renvoyée en Inde, le demandeur pourrait la retrouver à son retour en Inde. En fin de compte, la SAI a rejeté l’appel de l’épouse. L’avocat du demandeur m’a aussi fait savoir lors de l’audition de la présente demande que trois demandes de contrôle judiciaire se rapportant aux décisions (interlocutoires et définitives) rendues par la SAI doivent être entendues au cours de la semaine du 15 octobre 2014.

[4]               Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale et que sa décision est déraisonnable. La norme de contrôle qui s’applique à la première question est celle de la décision correcte étant donné qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale, tandis que le bien‑fondé de l’appréciation de la demande par l’agent est régi par la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Leonce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 831).

[5]               En ce qui concerne la première question, le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale en rendant une décision sans avoir demandé d’explication au demandeur à l’égard de questions revêtant une importance particulière. Le demandeur reconnaît qu’une entrevue de vive voix n’est pas toujours justifiée dans les affaires CH mais que, en l’espèce, elle l’était, en raison des diverses préoccupations qu’avait l’agent. Le demandeur invoque Duka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1071, au paragraphe 13, où il est écrit ce qui suit :

[I]l est généralement admis que l’auteur d’une demande d’ordre humanitaire n’est pas fondé à espérer qu’il bénéficiera d’une entrevue (arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635, au paragraphe 8), mais, si la décision contestée est fondée sur le fait que l’agent d’immigration a refusé d’ajouter foi à son témoignage, alors une entrevue aurait sans doute dû avoir lieu, sans quoi une telle conclusion ne résistera pas à un examen judiciaire (Doumbouya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1186, 325 F.T.R. 186, au paragraphe 74; Alwan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 37, au paragraphe 16).

[6]               Le demandeur soutient que la décision de l’agent démontre que celui‑ci avait des doutes quant à sa crédibilité, mais qu’il avait caché ses conclusions quant à la crédibilité derrière des appréciations des éléments de preuve. Le défendeur réplique qu’il incombe au demandeur de justifier sa demande : rien n’oblige un agent à demander des observations supplémentaires si les éléments de preuve fournis ne sont pas suffisants, et l’agent a pour tâche d’apprécier le caractère adéquat des éléments de preuve (Qiu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 859, au paragraphe 16). De plus, le défendeur soutient que rien dans la décision n’étaye l’argument du demandeur selon lequel l’agent a tiré des conclusions voilées quant à la crédibilité. L’agent n’a fait qu’énoncer les lacunes dans la preuve.

[7]               Je suis d’accord avec le défendeur. L’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale en n’accordant pas au demandeur une autre possibilité de formuler des observations. Les éléments de preuve comportent de nombreuses lacunes, par exemple, l’absence d’explication pour les dépôts bancaires; l’absence totale d’éléments de preuve quant à l’emploi qu’aurait occupé l’épouse et quant au fait que le demandeur serait le principal responsable des soins aux enfants pendant que sa femme travaillait (lorsqu’elle n’était pas en congé de maternité); l’absence de lettres de recommandations ou d’appui. Je suis convaincu que rien dans la décision contestée ne montre que l’agent a rendu des conclusions voilées quant à la crédibilité. L’agent n’était nullement tenu d’offrir au demandeur la possibilité de combler les lacunes que comportait sa demande.

[8]               Comme l’a affirmé la Cour dans Nicayenzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 595, au paragraphe 16 :

Le manque d’éléments de preuve ou l’omission de renseignements utiles à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire se fait au péril du demandeur (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] ACF no 158 (QL), au paragraphe 5). Cela signifie que le décideur n’est nullement tenu d’aider les demandeurs à s’acquitter du fardeau de plaider leur cause ni de signaler les lacunes de la demande et de réclamer d’autres observations afin de permettre aux demandeurs de les combler. En d’autres termes, il n’appartient pas au décideur de chercher à obtenir d’autres renseignements pour découvrir des éléments de preuve qui auraient pu être favorables à la thèse défendue par un demandeur (Kisana, précité, aux paragraphes 43 à 45).

[9]               De plus, le demandeur soutient que la décision de l’agent est déraisonnable essentiellement parce que ses conclusions ne sont pas appuyées par la preuve.

[10]           En ce qui concerne la question de l’établissement au Canada, le demandeur soutient que l’agent a insisté uniquement sur les éléments qui jettent un doute sur la demande et n’a pas tenu compte des facteurs favorables, dont le fait qu’il avait travaillé pendant un an, qu’il s’occupait des enfants, qu’il gérait bien ses finances et qu’il avait un bon dossier civil. Il soutient que l’agent pouvait constater, à partir de la demande, que les dépôts à la banque consistaient dans les prestations d’assurance-emploi reçues par son épouse quand elle était en congé de maternité. Le demandeur a aussi affirmé que l’agent n’a pas pris en compte le nombre d’années qu’il a passées au Canada et le fait qu’il n’a jamais touché de prestations d’aide sociale ni commis d’infractions. De plus, il conteste l’affirmation de l’agent selon qui il n’était pas établi au Canada. Le défendeur réplique que l’appréciation de l’agent était raisonnable. En ce qui concerne les antécédents de travail, l’agent a bel et bien tenu compte du fait que le demandeur avait travaillé pendant un an et qu’il n’avait pas de permis de travail depuis lors. L’agent a de plus souligné, à bon droit, que la source des revenus n’était pas documentée. En l’absence d’éléments de preuve clairs, il n’était pas manifeste que les dépôts d’assurance emploi allégués par le demandeur découlaient du congé de maternité de son épouse.

[11]           Je conclus que les reproches du demandeur ne sont pas fondés. L’agent a pris en compte tous les éléments de preuve dont il disposait. La provenance des revenus et le fait que l’épouse avait touché des prestations d’assurance-emploi pendant son congé de maternité n’étaient pas indiqués dans la demande. La demande ne précisait pas non plus que le demandeur s’occupait des enfants. Les éléments de preuve dont disposait l’agent montraient que le demandeur avait travaillé pendant un an et que lui et son épouse avaient des revenus dont ils n’avaient pas précisé la provenance. Ils ne faisaient pas état d’une participation du demandeur à la vie de sa communauté ni du rôle qu’il jouait auprès de ses enfants. Avec les renseignements dont il disposait, il était raisonnable que l’agent conclue que le demandeur n’avait pas démontré un degré d’établissement important.

[12]           En ce qui concerne la question de l’intérêt supérieur des enfants, le demandeur soutient que la remarque de l’agent concernant le fait que les enfants étaient accoutumés à la culture, à la langue et la nourriture indiennes était hypothétique, sinon préjudiciable et stéréotypée. Le demandeur prétend aussi que la conclusion selon laquelle il pourrait subvenir aux besoins de son épouse et de ses enfants s’il rentrait en Inde et qu’il avait des parents susceptibles de l’aider était hautement hypothétique et n’était pas étayée par les éléments de preuve. Le demandeur conclut que le défaut de l’agent de définir comme il se devait l’intérêt supérieur des enfants et sa conclusion selon laquelle cet intérêt serait mieux protégé en Inde et ne serait pas affecté par le renvoi du demandeur étaient déraisonnables. Par ailleurs, le défendeur soutient que les conclusions de l’agent selon lesquelles les enfants sont accoutumés à la culture indienne et que la famille en Inde pourrait contribuer à l’éducation des enfants constituaient des suppositions rationnelles.

[13]           J’estime qu’il était raisonnable que l’agent croie que de jeunes enfants nés de deux parents indiens soient accoutumés à la culture indienne et que le demandeur, qui a travaillé pendant longtemps comme électricien en Inde, puisse reprendre ce type de travail et subvenir aux besoins de ses enfants. Il était aussi raisonnable que l’agent conclue que les parents du demandeur en Inde pourraient s’occuper des enfants. Il ne s’agit pas de conclusions déraisonnables. Toutes les conclusions tirées par l’agent reposent sur le sens commun et la logique (voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 11, aux paragraphes 39 à 44). Qui plus est, dans la demande CH, le demandeur ne fait mention d’aucun intérêt particulier des enfants qu’il faille prendre en compte, sinon le fait qu’ils ont droit à tous les droits, privilèges et avantages conférés par la citoyenneté canadienne et que, en raison de la capacité limitée de gagner un revenu du demandeur, ils seraient exposés à de piètres conditions de vie et à un avenir incertain en Inde. Cet argument ne suffit pas pour rendre les conclusions de l’agent déraisonnables.

[14]           En conclusion, l’agent a pleinement pris en compte les éléments de preuve dont il disposait, en ce qui concerne tant l’établissement du demandeur au Canada que l’intérêt supérieur des enfants. Sa décision est justifiée et intelligible et appartient aux issues possibles acceptables. Les demandeurs n’ont pas démontré que la décision était déraisonnable ou qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale. Même si le demandeur conteste vivement le résultat, cela ne constitue pas un motif juridique pour annuler la décision contestée, étant donné qu’il ne s’agit pas d’un appel, mais d’un contrôle judiciaire.

[15]           La présente demande doit être rejetée. Les conseils n’ont pas proposé de question de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSISER


DOSSIER :

IMM-3601-13

 

INTITULÉ :

NAVDEEP SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 OCTOBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Jaswant S. Mangat

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nadine Silverman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat Law Professional Corporation

Mississauga (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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