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Date : 20141002


Dossier : T-1803-13

Référence : 2014 CF 936

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2014

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

STEPHANE BOURASSA

demandeur

et

MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, monsieur Bourassa, recherche le contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7, d’une décision rendue le 11 octobre 2013 par le colonel J.R.F. Malo (le colonel Malo), agissant à titre d’autorité de dernière instance dans la procédure de griefs des Forces armées canadiennes (FAC). Dans sa décision, le colonel Malo a rejeté le grief déposé par monsieur Bourassa le 14 mars 2012. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.              Contexte

A.                Les mesures

[2]               Monsieur Bourassa est enrôlé dans les FAC depuis 1996. De 1998 à 2009, il y a exercé la profession d’infirmier militaire. En mai 1989, il a été affecté à l’Unité de soutien des FAC Ottawa (USFC(O) et il y a suivi une formation élémentaire visant à le qualifier comme officier du renseignement. Monsieur Bourassa détient le grade de capitaine. Dans le cadre de son grief, monsieur Bourassa a contesté cinq mesures qui lui ont été imposées entre juillet 2011 et mars 2012.

[3]               Les premières mesures contestées par monsieur Bourassa découlent d’un séjour à l’École de langues des FAC au détachement de Saint-Jean (l’École de langues) entre le 20 septembre 2010 et le 20 mai 2011 où il a suivi une formation en langue seconde.

[4]               Le 13 juin 2011, la capitaine H. Tremblay a rédigé un rapport de cours faisant état de la performance et de l’attitude de monsieur Bourassa durant sa formation en langue seconde. Le rapport mentionne que la performance académique de monsieur Bourassa était exemplaire, qu’il avait fait preuve de détermination et avait déployé les efforts nécessaires pour apprendre. La capitaine Tremblay a par contre mentionné que l’attitude de monsieur Bourassa avait été problématique à plusieurs égards. Elle a noté, entre autres, que monsieur Bourassa avait éprouvé des difficultés importantes dans ses relations interpersonnelles avec ses collègues, avec le personnel et avec les enseignants de l’École de langues. Elle a également indiqué qu’il avait démontré une rigidité importante, une incapacité à accepter les critiques et les conseils, qu’il avait une humeur changeante et qu’il avait adopté un comportement inapproprié à plusieurs reprises. Monsieur Bourassa a signé ce rapport de cours le 28 juillet 2011.

[5]               Le 7 juillet 2011, le commandant de l’École de langues, le major L. Méthot, a rédigé une lettre à l’intention du commandant de l’USFC(O) pour lui faire part des lacunes constatées dans la performance et le comportement de Monsieur Bourassa durant sa période de formation. La lettre était accompagnée du rapport de cours rédigé par la capitaine Tremblay. Dans sa lettre, le major Méthot a énuméré plusieurs incidents survenus durant la formation de monsieur Bourassa qui l’ont amené à conclure que Monsieur Bourassa avait fait preuve d’un manque de jugement et d’une mauvaise attitude durant sa formation.

[6]               Le 29 novembre 2011, le commandant de l’USFC(O) a imposé à monsieur Bourassa une mesure corrective pour inconduite conformément à la Directive et ordonnance administrative de la défense (DOAD) 5019-4, Mesures correctives, soit une première mise en garde. La première mise en garde, de même que la lettre rédigée par le commandant de l’École de langues, ont été remises à monsieur Bourassa le 1er décembre 2011. Dans la première mise en garde, le commandant a référé à une intervention écrite que monsieur Bourassa aurait faite suite à des séances d’orientation données par le bureau de sélection du personnel et à son comportement noté par l’École de langues. Le commandant a indiqué que ces événements mettaient en lumière son incapacité à travailler avec d’autres membres et ses interactions difficiles avec le personnel de l’École de langues. La mesure corrective précise que Monsieur Bourassa « a failli dans la démonstration d’attributs professionnels requis de la part d’un officier d’expérience des FC au grade de capitaine » et que « [c]es comportements ne sont pas représentatifs du niveau de travail avec autrui et de leadership attendus d’un officier […] ». La période de surveillance associée à la mise en garde s’étendait du 21 novembre 2011 au 20 mai 2012.

[7]               En décembre 2011, monsieur Bourassa a été affecté à la section des opérations de la Direction du renseignement de l’Armée (G2 de l’Armée), à titre de candidat en formation en cours d’emploi.

[8]               En mars 2012, le superviseur de monsieur Bourassa au G2 de l’Armée, le major R.T. Lenton (le major Lenton), a rédigé une lettre à l’intention du commandant de monsieur Bourassa à l’USFC(O), faisant état de son évaluation de la performance et du comportement de ce dernier durant les trois premiers mois de son affectation au G2 de l’Armée.  

[9]               Dans sa lettre, le major Lenton a indiqué que le travail attribué à monsieur Bourassa était bien fait mais que plusieurs problèmes de comportement avaient été notés. Il a indiqué, entre autres, que monsieur Bourassa n’acceptait pas les critiques et les conseils qui lui étaient donnés par des personnes détenant un grade inférieur au sien, ou par des personnes qui, à son avis, avaient moins d’expérience ou d’ancienneté que lui. Le major Lenton a noté que dans ces circonstances, monsieur Bourassa réagissait en devenant défensif et en blâmant les autres. À son avis, monsieur Bourassa faisait preuve d’immaturité et avait beaucoup de difficulté à prendre de bonnes décisions et à développer des interactions positives avec ses collègues, ses subordonnés et sa chaîne de commandement.

[10]           Le major Lenton a aussi noté que le comportement de monsieur Bourassa avait soulevé des inquiétudes parmi ses collègues et superviseurs. Il a indiqué que monsieur Bourassa s’était confié relativement à des difficultés qu’il vivait dans sa vie familiale et noté que tous les collègues de l’équipe de monsieur Bourassa avaient exprimé des inquiétudes à la chaîne de commandement concernant le niveau de stress apparent de monsieur Bourassa. Il a aussi mentionné que monsieur Bourassa aurait envoyé à des collègues  des courriels qui apparaissaient confus ce qui avait contribué à renforcer l’impression, au sein des personnes travaillant avec lui, qu’il était peut-être déprimé ou souffrait d’un syndrome de stress.

[11]           Le major Lenton a terminé en recommandant de mettre un terme à la formation de monsieur Bourassa comme agent du service de renseignements parce qu’à son avis, il n’avait pas les qualités requises pour ce travail.

[12]           Le 6 mars 2012, le major Lenton a remis à monsieur Bourassa la lettre qu’il avait rédigée à l’intention du commandant de l’USFC(O), accompagnée d’une mesure corrective, soit un avertissement écrit pour inconduite conformément à la DOAD 5019-4, Mesures correctives (la DOAD 5019-4). Dans l’avertissement écrit, le major Lenton indique qu’à plusieurs reprises, monsieur Bourassa a envoyé des correspondances à des collègues et supérieurs qui démontrent un comportement inapproprié de la part d’un officier. Il indique également que dans ces courriels, monsieur Bourassa démontre son incapacité ou son manque de volonté à accepter la responsabilité de ses actions et son incapacité à comprendre ou respecter la chaîne de commandement.

B.                Le grief déposé par monsieur Bourassa

[13]           Le 14 mars 2012, monsieur Bourassa a déposé un grief qui contestait les cinq mesures suivantes :

                      Le rapport de cours de l’École de langues du 13 juin 2011;

                      La lettre rédigée par le commandant de l’École de langues à l’intention du commandant de l’USFC(O), le 7 juillet 2011;

                      La première mise en garde datée du 29 novembre 2011;

                      La lettre d’évaluation écrite en mars 2012 (et remise à monsieur Bourassa le 6 mars 2012); et

                      L’avertissement écrit daté du 6 mars 2012.

[14]           Au soutien de son grief, monsieur Bourassa a invoqué les arguments suivants :

Rapport de cours de l’École de langues – 13 juin 2011

                 Il n’est pas d’accord avec le contenu du rapport;

                 Il n’a pas eu accès au rapport avant la fin de sa formation et il n’a donc pas eu l’occasion de discuter de son contenu ou de corriger les lacunes qui lui sont reprochées;

                 Ses conflits interpersonnels avec ses pairs, les professeurs et le personnel de l’école, ont altéré la perception des intervenants de sorte qu’il a reçu une rétroaction négative et le rapport ne contient pas de constatations objectives quant à son rendement et son attitude; et

                 Il a déposé une plainte contre la capitaine Tremblay, auteure du rapport, qui l’aurait traité de paranoïaque et l’aurait comparé à Russel William, et le major Méthot a banalisé sa plainte.

La lettre rédigée par le commandant de l’École de langues à l’intention du commandant de l’USFC(O) - 7 juillet 2011

                      Il conteste l’envoi et le contenu de cette lettre;

                      Cette lettre ne lui a pas été remise avant le 9 décembre 2011, soit lorsque son commandant lui a remis la première mise en garde; et

                      Le contenu défavorable de la lettre lui a été préjudiciable lors de son retour à l’unité et les commentaires contenus dans la lettre ont contribué à salir sa réputation.

La première mise en garde - 29 novembre 2011

                      Il n’a pas reçu les pièces justificatives justifiant cette mesure corrective et on a refusé de les lui remettre au motif qu’il les avait déjà en sa possession; et

                      L’énoncé de la mesure ne précise pas clairement les reproches qui lui sont faits.

La lettre d’évaluation du superviseur du G2 de l’Armée – mars 2012

                      Cette lettre lui a été remise en même temps que l’avertissement écrit, alors qu’elle aurait dû lui être remise lors d’un entretien distinct;

                      Il n’a pas reçu l’encadrement et le suivi nécessaire lors de son entraînement au G2;

                      Sa relation avec son superviseur s’était envenimée dès son arrivée parce que ce dernier avait reçu des références négatives et ne souhaitait pas le voir réussir sa formation. Son superviseur s’est donc injustement acharné sur lui afin qu’il quitte la cellule du G2 et la lettre est truffée de mauvaises perceptions et d’impressions;

                      Son superviseur a fait des observations médicales inappropriées alors qu’il n’a ni la compétence, ni l’autorité pour poser un diagnostic médical; et

                      Le contenu de la lettre et les commentaires de nature médicale qui y sont contenus portent atteinte à sa réputation et nuisent aux démarches qu’il a entreprises en vue d’exercer ses droits d’accès à l’égard de sa fille. Ils détruisent également ses aspirations de devenir un officier du renseignement.

L’avertissement écrit - 6 mars 2012

                      La mesure corrective aurait dû être rédigée en français et non en anglais;

                      Il n’a pas été avisé au préalable que la rencontre porterait sur l’imposition d’une mesure corrective;

                      Il n’a reçu aucune pièce justificative au soutien de cette mesure;

                      La mesure n’énonce pas de façon précise les reproches qui lui sont faits; et

                      Il a demandé 24 heures pour consulter un avocat sur les allégations de la lettre d’évaluation et cette demande lui a été refusée.

[15]           Le grief de monsieur Bourassa a suivi le processus interne prévu au chapitre 7 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) et aux DOAD 2017-0 « Griefs militaires » et 2017-1 « Processus de grief militaire ». Le 6 juillet 2012, le colonel Malo, agissant comme autorité de dernière instance, a avisé monsieur Bourassa que son grief était acheminé au Comité des griefs des Forces canadiennes (le Comité), à titre de renvoi discrétionnaire, pour analyse et recommandations.

[16]           Monsieur Bourassa a soumis plusieurs documents au Comité, dont certains qui ont trait à des faits postérieurs aux incidents contestés dans le grief et au grief lui-même. Plusieurs de ces documents auraient été obtenus par monsieur Bourassa suite à des demandes d’accès à l’information.

C.                Le rapport du Comité des griefs

[17]           Dans son rapport, le Comité a noté que monsieur Bourassa avait soumis plus de 3000 pages de documents et que certaines de ses soumissions avaient trait à des faits postérieurs aux faits relatés dans son grief, dont des plaintes récentes. Le Comité a précisé que sa compétence, et donc son analyse et ses recommandations, étaient limitées aux questions soulevées dans le grief du 14 mars 2012. Le Comité a conclu et fait les recommandations suivantes à l’égard de chaque mesure visée dans le grief.

Le rapport de cours de l’École de langues- 13 juin 2011

[18]           Le Comité a estimé que le rapport aurait dû être préparé et remis à monsieur Bourassa avant son départ de l’École de langues. Il a toutefois jugé que cette irrégularité n’invalidait pas le contenu du rapport. Le Comité a indiqué que monsieur Bourassa confirmait la majorité des incidents, mais qu’il les minimisait et fournissait des explications et excuses, sans pour autant accepter une quelconque part de responsabilité. Après analyse, le Comité a conclu que le contenu du rapport de cours reflétait bien la performance et la conduite dont avait fait preuve monsieur Bourassa durant sa formation et qu’il n’avait pas démontré que le personnel de l’École de langues s’acharnait sur lui ou avait entrepris une campagne concertée pour entacher sa réputation. Le Comité a recommandé que le rapport soit conservé au dossier de monsieur Bourassa. Il a par ailleurs jugé que le rapport aurait dû contenir une mention de la situation personnelle difficile que vivait monsieur Bourassa lors de sa formation, laquelle a pu avoir une incidence sur son rendement et recommandé qu’une telle mention y soit ajoutée.

La lettre rédigée par le commandant de l’École de langues à l’intention du commandant de l’USFC(O)- 7 juillet 2011

[19]           Le Comité a jugé qu’il était approprié qu’un commandant écrive à un autre commandant concernant la performance et la conduite observée d’un militaire qui se trouvait temporairement sous son autorité. Il a également conclu que la lettre représentait un portrait raisonnable de la performance et des écarts de comportements de monsieur Bourassa constatés par plusieurs intervenants. Il a par ailleurs estimé que la lettre aurait dû contenir une mention de la situation personnelle difficile que vivait monsieur Bourassa, et ce, afin que le commandant de l’USFC(O) soit informé de l’ensemble des circonstances et qu’il puisse appuyer sa décision d’imposer une mesure corrective à monsieur Bourassa suite à une évaluation complète des faits et circonstances. Il a recommandé que la lettre demeure au dossier de monsieur Bourassa mais qu’une mention de sa situation personnelle difficile y soit ajoutée.  

La  première mise en garde- 29 novembre 2011

[20]           Le Comité a jugé que le commandant de l’USFC(O) aurait dû remettre à monsieur Bourassa la lettre du commandant de l’École de langues dès sa réception et qu’il aurait dû lui exprimer ses préoccupations et discuter de son contenu avec lui, et ce, avant de lui imposer une mesure corrective. De plus, comme le rapport de cours et la lettre du commandant de l’École de langues ne contenaient aucune mention des difficultés personnelles vécues par monsieur Bourassa, le commandant de l’USFC(O) n’avait pas en mains toutes les informations pertinentes lorsqu’il a décidé d’imposer une première mise en garde à monsieur Bourassa. Le Comité a jugé que cette façon de procéder avait violé l’équité procédurale à laquelle avait droit monsieur Bourassa. Il a par ailleurs estimé qu’une telle violation de l’équité procédurale pouvait être corrigée par le biais du processus de griefs puisque monsieur Bourassa était maintenant bien informé de ce qui lui était reproché, qu’il disposait des informations sur lesquelles ces reproches étaient fondés et qu’il avait eu l’opportunité de fournir sa version des faits et ses commentaires au cours du processus.

[21]           Sur le fond, le Comité s’est dit d’accord avec le commandant de l’USFC(O) que les incidents reprochés à monsieur Bourassa s’étaient produits, qu’il était entré en conflit avec la majorité des intervenants de l’École de langues et qu’il avait manqué à ses obligations en matière d’éthique. Le Comité n’a pas retenu la version de monsieur Bourassa selon laquelle tous les intervenants impliqués agissaient de concert et de façon partiale à son endroit. Il a ajouté comprendre le stress et la pression engendrée par la situation personnelle et familiale que vivait monsieur Bourassa mais estimé que ce contexte ne justifiait ni n’excusait ses écarts de conduite. Le Comité a jugé que le comportement de monsieur Bourassa, lors de son séjour à l’École de langues, était en opposition avec de nombreuses attentes fondamentales à l’endroit des membres des FAC, à l’éthique et aux valeurs des FAC, et qu’il justifiait l’imposition d’une première mise en garde.

La lettre d’évaluation du superviseur du G2 de l’Armée- mars 2012

[22]           D’abord, le Comité a indiqué que bien que certains des propos d’ordre médical mentionnés dans la lettre d’évaluation étaient maladroits, le superviseur ne posait pas un diagnostic médical, mais décrivait ses observations et ses préoccupations et qu’il était approprié qu’il en fasse part au commandant de monsieur Bourassa au sein de l’USFC(O). Il a par ailleurs jugé que le contenu de la lettre était raisonnable et recommandé que la lettre soit conservée au dossier de monsieur Bourassa.

L’avertissement écrit - 6 mars 2012

[23]           Le Comité a relevé deux problèmes avec l’avertissement écrit. Dans un premier temps, il a jugé que la mesure corrective aurait dû être rédigée dans la langue officielle de monsieur Bourassa, soit en français, conformément à la DOAD 5019-4. Deuxièmement, la mesure corrective avait été émise par le superviseur de monsieur Bourassa au G2 de l’Armée alors qu’elle aurait dû être imposée par son commandant ou par l’officier désigné par le commandant. Le Comité a donc estimé que ces vices invalidaient la mesure corrective et qu’il devait procéder à un examen de novo de la situation pour déterminer si les circonstances justifiaient l’imposition d’une mesure corrective et, le cas échéant, déterminer la mesure appropriée.

[24]           Le Comité a estimé que le comportement et les écarts de conduite de monsieur Bourassa justifiaient l’imposition d’une mesure corrective et que cette mesure devait être plus sévère qu’un avertissement écrit. Il a recommandé l’imposition de la mesure la plus sévère, soit une mise en garde et surveillance, et ce, pour plusieurs motifs. Le Comité a reconnu que les difficultés personnelles, familiales et financières vécues par monsieur Bourassa pouvaient avoir eu un impact sur les relations interpersonnelles qu’il entretenait et constituaient un facteur atténuant. Il a par ailleurs jugé que la situation vécue par monsieur Bourassa ne justifiait ni n’excusait ses nombreux écarts de comportement. Le Comité a estimé que malgré les lacunes observées, monsieur Bourassa persistait à adopter un comportement inacceptable. Le Comité a mentionné qu’à plusieurs reprises, monsieur Bourassa n’avait pas respecté les ordres et directives et qu’il tentait toujours de justifier ses actions, y voyant toujours une action concertée pour ternir sa réputation, sans jamais assumer la responsabilité de ses actes. Le Comité a justifié sa recommandation d’imposer à monsieur Bourassa la mesure corrective la plus sévère par le caractère continu de ses problèmes de comportement. Il a estimé que monsieur Bourassa se retrouvait constamment en situations conflictuelles, que le dossier révélait qu’il était devenu une nuisance au sein de presque toutes les unités l’ayant accueilli et qu’au lieu de saisir les chances de s’amender qui lui ont été offertes, monsieur Bourassa persistait à tenter de démontrer que tout le monde était fautif sauf lui.

II.                La décision contestée

[25]           Le colonel Malo a traité le grief de monsieur Bourassa à titre d’autorité de dernière instance du processus de griefs.

[26]           Après avoir reçu le rapport du Comité, monsieur Bourassa a fait parvenir un document de 13 pages au colonel Malo qui contenait ses commentaires à l’égard de l’analyse et des recommandations formulées par le Comité. Dans ce document, monsieur Bourassa a fait référence à plusieurs faits nouveaux et à des documents qu’il aurait reçus après avoir fait des demandes d’accès à l’information. Il y mentionne notamment que tous ses problèmes et situations conflictuelles remontent à des incidents qui se sont produits à partir de 2001. Il traite de plusieurs incidents et notamment d’un incident qui, à son avis, démontre la partialité à son endroit de la capitaine Tremblay, qui a rédigé le rapport de cours suite à sa formation à l’École de langues. Lors de cet incident, la capitaine Tremblay aurait décidé de faire intervenir la police militaire. Monsieur Bourassa soutient que l’écoute de la bande audio de cet incident révèle l’état d’esprit de la capitaine Tremblay qui l’aurait dépeint comme un psychopathe auprès de la police militaire. Monsieur Bourassa soutient également que divers officiers des FAC ont adopté à son endroit un comportement qui démontre qu’on voulait forcer son départ ou sa libération des FAC, au lieu de l’aider. Il décrit également une intrusion dans sa vie privée et dans ses démarches liées à l’obtention de droits d’accès à sa fille. Il soutient qu’au lieu de l’aider à cet égard, les informations liées à sa situation familiale ont été utilisées contre lui et que les FAC ont interféré dans le processus en droit familial.

[27]           Le colonel Malo a rejeté le grief de monsieur Bourassa.

[28]           Dans un premier temps, il a indiqué que tous les faits et incidents survenus après la date du dépôt du grief de monsieur Bourassa, soit le 14 mars 2012, ne pouvaient être considérés et que le processus de griefs ne pouvait se substituer aux rôle et responsabilités de la chaîne de commandement. Il a ajouté que monsieur Bourassa devait suivre les processus administratifs habituels relativement aux événements autres que ceux directement visés par le grief dont il était saisi. Il a par la suite fait part de sa position à l’égard de chacune des mesures contestées dans le grief.

Le rapport de cours de l’École de langues – 13 juin 2011

[29]           Le colonel Malo a indiqué être du même avis que le Comité. Premièrement, il a estimé que le rapport aurait dû être remis à monsieur Bourassa avant son départ de l’École de langues, mais que cette irrégularité n’invalidait pas le rapport. Deuxièmement, il a jugé que les faits et témoignages au dossier relataient, selon la prépondérance des probabilités, la performance et la conduite de monsieur Bourassa. Tout comme le Comité, le colonel Malo a jugé que le rapport devait contenir une mention de la situation personnelle difficile que vivait monsieur Bourassa. Il a donc ordonné qu’un rapport annoté soit conservé au dossier de monsieur Bourassa.

La lettre rédigée par le commandant de l’École de langues à l’intention du commandant de l’USFC(O) – 7 juillet 2011

[30]           Le colonel Malo s’est aussi dit en accord avec l’analyse et les recommandations du Comité relativement à la lettre rédigée par le commandant de l’École de langues. À son avis, le contenu de la lettre représente un portrait raisonnable de la performance, de la conduite et du comportement de monsieur Bourassa. Il s’est aussi dit d’accord avec la recommandation du Comité selon laquelle la lettre aurait dû faire mention des difficultés personnelles vécues par monsieur Bourassa, mais a jugé que ces difficultés n’excusaient pas son comportement et ses agissements inappropriés tout au long de son séjour à l’École de langues.

[31]           Quant à l’incident ayant impliqué la police militaire, le colonel Malo a indiqué qu’après écoute des bandes audio, il tirait des conclusions différentes de celles tirées par monsieur Bourassa. La capitaine Tremblay a fait appel à la police militaire, après avoir été informée que monsieur Bourassa aurait déclaré qu’il maintenait une liste noire de professeurs dont il avait l’intention de se débarrasser et qu’il avait une arme dans sa chambre. Le colonel Malo a jugé que la capitaine Tremblay avait agi avec prudence et sagesse lorsqu’elle avait décidé de faire appel à la police militaire et qu’elle était motivée par le désir d’assurer la sécurité de tous, y incluant celle de monsieur Bourassa. Le colonel Malo a indiqué que la capitaine Tremblay n’a pas tenté de le dépeindre comme un psychopathe et ajouté que rien dans les bandes audio ne permettait de conclure que des intervenants avaient des intentions de le voir libéré des FAC.

La première mise en garde – 29 novembre 2011

[32]           Le colonel Malo, tout comme le Comité, a indiqué ne pas s’expliquer pourquoi le commandant avait attendu aussi longtemps avant de remettre à monsieur Bourassa la lettre rédigée par le commandant de l’École de langues. Il a par ailleurs jugé que cette irrégularité n’invalidait pas la mesure corrective. Il a aussi réfuté l’allégation de monsieur Bourassa selon laquelle le Comité avait minimisé les vices au niveau de l’équité procédurale. Il a estimé qu’aucun délai déraisonnable n’était survenu et que monsieur Bourassa n’avait pas subi de préjudice découlant des violations de l’équité procédurale. Sur le fond, il a conclu que le comportement de monsieur Bourassa, lors de son séjour à l’École de langues, était en opposition avec de nombreuses attentes fondamentales envers les membres des FAC et que ces écarts de conduite justifiaient l’imposition d’une première mise en garde.

La lettre d’évaluation du superviseur du G2 de l’Armée – mars 2012

[33]           Le colonel Malo a reconnu que le superviseur de monsieur Bourassa avait tenu quelques propos maladroits, quant à sa préoccupation au niveau de l’état psychologique de monsieur Bourassa, mais estimé qu’il était approprié que le superviseur de monsieur Bourassa fasse part de ses préoccupations. Quant au contenu de la lettre faisant état du comportement inapproprié de monsieur Bourassa, il a estimé qu’il était fondé et que la lettre devait demeurer à son dossier. De plus, il a réfuté les allégations d’ingérence des FAC dans son dossier relatif à la garde de sa fille. Il a conclu que ce qui nuisait à monsieur Bourassa n’était pas le contenu de la lettre, mais son propre comportement.

L’avertissement écrit- 6 mars 2012

[34]           Le colonel Malo a estimé que le comportement de monsieur Bourassa justifiait l’imposition d’une mesure corrective, mais il a indiqué être en désaccord avec le Comité qui a recommandé l’imposition de la mesure corrective la plus sévère. Le colonel Malo a noté que comme la période de surveillance associée à la première mise en garde n’était pas expirée au moment où le superviseur du G2 a jugé approprié de lui imposer une mesure corrective, il était prématuré de lui imposer une mesure aussi sévère qu’une mise en garde et surveillance. À son avis, les efforts visant à aider monsieur Bourassa n’en étaient encore qu’à leurs débuts et l’imposition d’un avertissement écrit constituait la mesure appropriée.

[35]           Le colonel Malo a par ailleurs fait des commentaires quant à la gestion générale de la situation de monsieur Bourassa. Il a indiqué qu’il lui apparaissait évident que monsieur Bourassa n’avait rien fait pour améliorer son comportement et se conformer aux ordres émis par des supérieurs et qu’au contraire, il était de plus en plus insubordonné et ses agissements étaient de plus en plus inappropriés. Il s’est aussi dit d’accord avec le Comité et noté que l’ensemble de la situation requerrait une action coordonnée et indiqué qu’il appartenait à la chaîne de commandement de monsieur Bourassa d’assurer le suivi approprié.

[36]           En conclusion, le colonel Malo a noté que monsieur Bourassa n’avait pas fait la preuve, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait été traité injustement dans le cadre du rapport de cours, des deux lettres versées à son dossier, et des deux mesures correctives qui lui ont été imposées.

III.             Les questions en litige

[37]           La présente demande soulève deux questions :

1.                   A-t-on manqué à l’équité procédurale dans le traitement du grief de monsieur Bourassa?

2.                   La décision du colonel Malo de rejeter le grief de monsieur Bourassa est-elle raisonnable?

IV.             Les normes de contrôle

[38]           Il est bien établi que la question de savoir si les règles de l’équité procédurale ont été violées dans le traitement du grief de monsieur Bourassa est assujettie à la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79, [2014] 1 RCS 502).

[39]           Quant à la décision rendue par le colonel Malo sur le mérite du grief, elle a été prise à la lumière des politiques et directives applicables et de son appréciation de l’ensemble de la preuve versée au dossier. Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 51, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], la Cour suprême a indiqué que les questions qui touchent aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, ou encore les questions mixtes de droit et de faits, sont révisables suivant la norme de la décision raisonnable. Toujours dans Dunsmuir, au para 57, la Cour a indiqué qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse complète pour déterminer la norme de contrôle applicable lorsqu’elle est déjà arrêtée par la jurisprudence.  

[40]           En l’espèce, je suis satisfaite que la jurisprudence a établi que les décisions de l’autorité de dernière instance, en matière des griefs des militaires des FAC qui traitent de questions de faits ou de questions mixtes de faits et de droit, doivent être révisées suivant la norme de la décision raisonnable (Harris c Canada (Procureur général), 2013 CAF 278, [2013] FCJ no 1312 (confirmant Harris c Canada (Procureur général), 2013 CF 571 au para 30, [2013] ACF no 595); Babineau c Canada (Procureur général), 2014 CF 398 au para 22, [2014] ACF no 440; Osterroth c Canada (Forces canadiennes, Chef d’État-Major), 2014 CF 438 au para 18, [2014] ACF no 483; Moodie c Canada (Procureur général), 2014 CF 433 au para 44, [2014] ACF no 447; Lampron c Canada (Procureur général), 2012 CF 825 au para 27, [2012] ACF no 1713; Rompré c Canada (Procureur général), 2012 CF 101 aux para 22-23, [2012] ACF no 117).

V.                Positions des parties

A.                Arguments de monsieur Bourassa

[41]           Dans son mémoire, monsieur Bourassa a essentiellement exprimé son désaccord avec la décision du colonel Malo et son appréciation des faits. Il a également réitéré les arguments qu’il a invoqués dans son grief, à l’encontre de chacune des mesures qu’il a contestées.

[42]           Son mémoire fait également référence à plusieurs incidents et faits survenus après les incidents ayant mené à l’imposition des mesures contestées. Il renvoie également à d’autres plaintes et griefs postérieurs au grief qu’il a logé le 14 mars 2012. Monsieur Bourassa considère ces éléments comme étant des faits nouveaux qui démontrent l’injustice à laquelle il fait face, le harcèlement et les actions concertées des divers intervenants qui, à son avis, souhaitent son licenciement des FAC. Il demande à la Cour de considérer ces faits et documents.

[43]           Monsieur Bourassa soutient également que plusieurs violations de l’équité procédurale ont vicié le processus de griefs. Il réitère les arguments invoqués relativement aux violations de l’équité procédurale lors de l’imposition des diverses mesures visées par le grief. Il soutient également que le colonel Malo a refusé de considérer les faits nouveaux et qu’il a rendu sa décision sur la base d’un dossier incomplet, en omettant des faits et des documents importants. Il invoque également les longs délais dans le traitement de son grief.

[44]           Lors de l’audience, monsieur Bourassa a également invoqué que son grief aurait dû être traité en dernière instance par le chef d’état-major de la défense (CÉMD) et non par le colonel Malo. Il a invoqué à cet égard les articles 29.11 et 29.14 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5 [LDN].

[45]           Il a également insisté sur le fait que les mesures qui lui ont été imposées, et les propos de plusieurs intervenants, lui ont été préjudiciables dans ses démarches en vue d’obtenir des droits d’accès à sa fille. Il a également soutenu que les FAC s’étaient ingérées et lui avaient nui dans ses démarches en vue d’obtenir des droits d’accès.

[46]           Il est également revenu sur l’incident au cours duquel la capitaine Tremblay a fait intervenir la police militaire. Il a également indiqué avoir été blessé par des propos inexacts et dévastateurs à son endroit.

[47]           Il a demandé à la Cour de retourner son dossier de grief afin qu’il fasse l’objet d’une réévaluation.

B.        Arguments du défendeur

[48]           Le défendeur soutient, dans un premier temps, que la Cour ne devrait pas considérer les documents soumis par monsieur Bourassa qui n’étaient pas inclus dans le dossier dont disposait le colonel Malo, et qu’elle n’avait pas non plus à considérer les faits postérieurs au grief.

[49]           Il soutient également que la décision du colonel Malo est raisonnable et qu’aucune entorse à l’équité procédurale survenue dans le traitement du grief de monsieur Bourassa ne justifie l’intervention de la Cour. Le défendeur soumet également qu’il appert du dossier que le colonel a examiné le grief de monsieur Bourassa en considérant l’ensemble du dossier, les décisions rendues par les autorités initiales, l’analyse et les recommandations du Comité des griefs ainsi que tous les documents et arguments soumis par monsieur Bourassa. Le défendeur soutient de plus qu’il n’était pas nécessaire que le colonel Malo mentionne dans sa décision tous les documents soumis par monsieur Bourassa dans le cadre du processus de traitement de son grief.

VI.             Analyse

A.                L’autorité du colonel Malo d’agir à titre d’autorité de dernière instance

[50]           J’aborderai dans un premier temps l’allégation suivant laquelle le grief aurait dû être traité en dernière instance par le CÉMD et non par un officier à qui le CÉMD a délégué son autorité.

[51]           L’article 29.11 de la LDN et l’article 7.08 des ORFC prévoient que le CÉMD agit comme autorité de dernière instance en matière de griefs.

[52]           Toutefois, l’article 29.14 de la LDN et l’article 7.09 des ORFC prévoient la possibilité pour le CÉMD de déléguer à tout officier le pouvoir de décision définitive qui lui est conféré par l’article 29.11 de la LDN sauf dans les cas de griefs qui doivent obligatoirement être soumis au Comité de griefs.

[53]           Les catégories de griefs qui doivent obligatoirement être soumis au Comité de griefs sont énumérées à l’article 7.12 des ORFC. Le grief déposé par monsieur Bourassa ne fait pas partie de l’une de ces catégories. Le CÉMD pouvait donc déléguer son pouvoir d’agir comme autorité de dernière instance à tout officier de son choix. Aux termes d’un décret daté du 15 novembre 2012, le CÉMD a nommé le colonel Malo au poste de Directeur général de l’Autorité des griefs des Forces canadiennes et il lui a délégué le pouvoir d’agir comme autorité de dernière instance des griefs ne devant pas être soumis au Comité des griefs. Le colonel Malo avait donc, en l’espèce, la délégation nécessaire pour agir comme autorité de dernière instance et pour trancher le grief déposé par monsieur Bourassa.

[54]           L’article 29.12 de la LDN prévoit par ailleurs qu’un grief peut être renvoyé au Comité des griefs même lorsqu’un tel renvoi n’est pas obligatoire. En l’espèce, le colonel Malo a décidé de soumettre le grief de monsieur Bourassa au Comité, à titre de renvoi discrétionnaire.

[55]           L’article 29.13 de la LDN prévoit par ailleurs que le chef d’état-major (en l’occurrence l’officier à qui il a délégué son autorité) n’est pas lié par les conclusions et les recommandations du Comité des griefs, mais que s’il choisit de s’en écarter, il doit motiver son choix.

B.                La pertinence des faits, griefs et plaintes postérieurs au grief – les faits nouveaux

[56]           Monsieur Bourassa demande à la Cour de considérer des faits nouveaux et des éléments qui n’ont pas été soumis au colonel Malo, au motif qu’ils démontrent un continuum dans les actions concertées des membres des FAC pour lui nuire, et qu’ils viennent appuyer les arguments qu’il a invoqués au soutien de son grief du 14 mars 2012.

[57]           La Cour ne peut faire droit à la demande de monsieur Bourassa. La Cour siège en révision judiciaire de la décision rendue par le colonel Malo et elle ne peut traiter de griefs et plaintes ou encore d’allégations qui n’étaient pas inclus dans le grief et qui n’ont pas été traités par le colonel Malo. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Callaghan c Canada (Directeur général des élections), 2011 CAF 74 au para 82, [2011] ACF no 199, « [l]e contrôle judiciaire d’une décision administrative se déroule généralement sur la foi du dossier présenté au décideur ». Il n’y a aucune circonstance en l’espèce qui justifie de s’écarter de ce principe. Je considère également que les propos du juge de Montigny dans Première nation d’Ochapowace (Bande indienne no 71) c Canada (Procureur général), 2007 CF 920 au para 10, [2007] ACF no 1195, trouvent application en l’espèce :

La raison d'être de cette règle est bien connue. Autoriser, dans une procédure de contrôle judiciaire, le dépôt de pièces additionnelles dont le décideur n'a pas été saisi aurait pour effet de transformer cette procédure et d'en faire une instance totalement nouvelle. L'objet d'une procédure de contrôle judiciaire n'est pas de dire si la décision d'un tribunal administratif est conforme au droit en termes absolus, mais plutôt de dire si elle est conforme d'après le dossier dont il a été saisi : Chopra, au paragraphe 5; Canadian Tire Corp. c. Canadian Bicycle Manufacturers Assn., 2006 CAF 56, au paragraphe 13.

C.                L’équité procédurale durant le processus d’imposition des mesures et lors du traitement du grief

[58]           Monsieur Bourassa reproche au colonel Malo de ne pas avoir considéré les faits survenus après les événements et les mesures contestées dans le grief du 14 mars 2012 et les documents y afférents.

[59]           Dans sa décision, le colonel Malo a précisé qu’il ne pouvait pas considérer dans son analyse les incidents survenus et/ou découverts après le dépôt du grief et qu’à cet égard, monsieur Bourassa devait suivre les voies administratives appropriées. Je ne vois aucune raison d’intervenir à cet égard. Bien que monsieur Bourassa soutienne que les faits et incidents postérieurs viennent appuyer les arguments qu’il a invoqués au soutien de son grief, il s’agit de faits complètement distincts des lettres et mesures visées par le grief dont était saisi le colonel Malo. Monsieur Bourassa dispose de plusieurs recours administratifs pour faire valoir ses droits à l’égard de ces incidents, recours qu’il a d’ailleurs utilisés dans plusieurs cas.

[60]           Le grief déposé le 14 mars 2012 a trait à des événements précis et il n’est pas possible d’y ajouter par la suite d’autres incidents survenus après le dépôt du grief. Monsieur Bourassa ne pouvait considérer ce grief comme un grief continu auquel il pouvait ajouter de nouvelles allégations et de nouveaux faits qui n’ont pas trait aux mesures contestées dans le grief. Le fait que monsieur Bourassa perçoive tous les événements comme constituant un continuum d’actions concertées visant à le voir quitter les FAC ne rend pas pertinent l’ensemble des faits postérieurs dans le cadre de l’étude du grief qu’il a déposé le 14 mars 2012. Ce grief visait clairement 5 mesures et le colonel Malo était justifié de ne pas considérer toute la preuve postérieure que monsieur Bourassa a déposée.

[61]           Monsieur Bourassa insiste également sur les violations de l’équité procédurale qui sont survenues lors de la préparation et de la remise des lettres et des mesures correctives qu’il a contestées dans son grief. Le Comité des griefs et le colonel Malo ont reconnu que certaines irrégularités et certains manquements à l’équité procédurale sont survenus dans le dossier de monsieur Bourassa mais ils ont jugé que ces irrégularités ne lui avaient pas causé de préjudice. Le Comité des griefs et le colonel Malo ont d’ailleurs procédé à un examen exhaustif de l’ensemble du dossier et de la preuve ayant mené à la rédaction des lettres et à l’imposition des deux mesures correctives visées par le grief. Je suis satisfaite que le processus de grief a été équitable et que tant devant le Comité de griefs que devant le colonel Malo, monsieur Bourassa  a eu l’occasion de participer activement, de soumettre tous ses arguments à l’encontre des lettres et des mesures correctives puis de faire valoir son point de vue. De plus, il ressort clairement du dossier que monsieur Bourassa savait exactement ce qui lui était reproché dans les diverses mesures qu’il a contestées, qu’il en possédait tous les détails et qu’il a bénéficié d’une occasion réelle de faire valoir son point de vue. Ainsi, s’il y a eu des accrocs au niveau de l’équité procédurale, ces accrocs ont été corrigés adéquatement dans le cadre du traitement du grief de monsieur Bourassa (McBride v Canada (Ministre de la Défense nationale), 2012 FCA 181, aux para 42-44, [2012] FCJ no 747).

[62]           Monsieur Bourassa a aussi invoqué les délais associés au traitement de son grief. Avec égard, il n’a pas démontré que le processus de traitement de grief a été assujetti à des longs délais.

D.                Le caractère raisonnable de la décision

[63]           Quant au mérite de la décision, la Cour estime que la décision du colonel Malo est raisonnable.

[64]           Le cadre d’analyse de la Cour qui révise une décision, selon la norme de la raisonnabilité, a été clairement établi par la Cour suprême dans Dunsmuir, au para 47 :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[65]           À mon avis, la décision du colonel Malo possède tous les attributs de la raisonnabilité.

[66]           Il ressort de la décision que le colonel Malo a analysé le grief à la lumière de l’ensemble du volumineux dossier de grief de monsieur Bourassa, et qu’il a pris connaissance de toute la preuve, des décisions des autorités initiales, du rapport du Comité et des arguments soulevés par monsieur Bourassa.

[67]           De plus, sa décision est intelligible et très étoffée. Le fait que la décision du colonel Malo ne fasse pas mention de chacun des documents ou arguments invoqués par monsieur Bourassa ne permet pas d’inférer qu’il a pris sa décision en omettant de considérer des faits et des documents importants. Il est bien reconnu qu’un décideur est présumé avoir pris connaissance de l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise (Murphy c Canada (Procureur général), 2007 CF 905 au para 13, [2007] ACF no 1184; Slawinski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1205 au para 12, [2007] ACF no 1612; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL) au para 16, 157 FTR 35) et qu’il n’a pas l’obligation de mentionner tous les éléments de preuve, tous les faits et tous les arguments invoqués (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16, [2011] 3 RCS 708). En l’espèce, il ressort de la décision que le colonel Malo a pris le temps d’analyser tout le dossier de monsieur Bourassa et qu’il a compris et traité les arguments qu’il a invoqués à l’encontre de chacune des mesures contestées.

[68]           Je considère que la décision du colonel Malo de maintenir les mesures visées par le grief (avec l’ajout d’une mention faisant état des difficultés personnelles et familiales de monsieur Bourassa dans le rapport de cours et dans la lettre du commandant de l’École de langues) est raisonnable et qu’elle fait partie des issues possibles acceptables eu égard à la preuve. Monsieur Bourassa exprime son désaccord quant aux conclusions tirées par le colonel Malo et à sa décision de maintenir à son dossier les mesures contestées. Ce désaccord n’est pas suffisant pour justifier l’intervention de la Cour. Une analyse du dossier démontre que les conclusions du colonel Malo sont raisonnablement appuyées par la preuve dont il disposait et que l’appréciation qu’il a faite de cette preuve est tout aussi raisonnable.

[69]           Je termine en abordant les éléments précis sur lesquels Monsieur Bourassa a insisté lors de l’audience.

[70]           Monsieur Bourassa a insisté sur l’incident au cours duquel la capitaine Tremblay a fait appel à la police militaire. Ayant pris connaissance de toute la preuve relative à cet incident, je considère qu’il était raisonnable pour le colonel Malo de conclure que la capitaine Tremblay a agi de bonne foi, de façon sage et raisonnable, et qu’elle n’était animée d’aucune intention malicieuse à l’endroit de monsieur Bourassa.

[71]           Monsieur Bourassa a également insisté sur les commentaires de nature médicale contenus dans la lettre d’évaluation rédigée par le superviseur de monsieur Bourassa au G2 de l’Armée. Ayant pris connaissance de l’ensemble de la preuve, j’estime que les conclusions du colonel Malo, à cet égard, sont tout à fait raisonnables. Il était approprié, à la lumière de la preuve, que le commandant du G2 de l’Armée fasse part au commandant de monsieur Bourassa de ses préoccupations quant à la santé psychologique de ce dernier et les propos tenus dans la lettre expriment ses préoccupations sans poser de diagnostic médical.

[72]           Monsieur Bourassa a aussi allégué que les FAC s’étaient ingérées dans son processus judiciaire pour obtenir des droits d’accès à l’égard de sa fille et que des informations et des documents qu’il aurait partagés avec diverses personnes ont été utilisés contre lui par les FAC. Avec égard, ces allégations sont non fondées et rien dans la preuve ne permet de conclure que des membres ou des officiers des FAC se sont ingérés dans le processus lié à la garde de la fille de monsieur Bourassa ou qu’ils ont utilisé de l’information de nature personnelle pour lui nuire. De plus, la preuve au dossier ne permet pas de soutenir une quelconque allégation que les FAC ont cherché à nuire à monsieur Bourassa, et ce, que ce soit à l’égard de sa situation personnelle difficile en général ou à l’égard des démarches qu’il poursuivait pour obtenir des droits d’accès et/ou de garde de sa fille. De plus, les références à la situation familiale de monsieur Bourassa dans la décision du colonel Malo ont été incluses afin de répondre aux arguments invoqués par monsieur Bourassa.

[73]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.  

« Marie-Josée Bédard »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1803-13

 

INTITULÉ :

STEPHANE BOURASSA c MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 AoüT 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Stéphane Bourassa

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Adrian Bieniasiewicz

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphane Bourassa

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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