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Date : 20141003


Dossier : IMM-1200-14

Référence : 2014 CF 943

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 3 octobre 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

IVAN SIMKOVIC

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Après qu’il eut été déclaré coupable de fraude fiscale en Slovaquie, M. Ivan Simkovic a été interdit de territoire au Canada pour grande criminalité. En 2011, M. Simkovic a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH). Toutefois, une agente d’immigration a conclu que les considérations d’ordre humanitaire avancées par M. Simkovic ne l’emportaient pas sur son interdiction du territoire pour grande criminalité.

[2]               M. Simkovic n’a pas convaincu la Cour que la décision de l’agente était déraisonnable ni que, en l’espèce, il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale qui lui était due. La demande sera donc rejetée.

I.                   Le contexte

[3]               M. Simkovic est arrivé au Canada à titre de visiteur en 1992, mais il n’a pas quitté le pays à l’expiration de son visa. Il est marié à une citoyenne canadienne et a un enfant né au Canada qui s’appelle Samuel et qui avait 13 ans au moment de la décision contestée relative à sa demande fondée sur des CH. M. Simkovic travaille depuis qu’il est arrivé au Canada, même s’il ne travaille légalement que depuis 2007.

[4]               L’épouse de M. Simkovic a tenté de le parrainer en 2008, mais la demande a été rejetée en 2010, parce que M. Simkovic a omis de fournir les documents relatifs à sa déclaration de culpabilité au criminel, en Slovaquie. Bien que M. Simkovic ait demandé à la Cour l’autorisation et le contrôle judiciaire de cette décision, il y a eu, par la suite, désistement de sa demande d’autorisation.

[5]               M. Simkovic a alors demandé l’asile; il alléguait avoir une crainte fondée de persécution en Slovaquie en raison de ses opinions politiques, réelles ou perçues comme telles. Il a en outre allégué être exposé aux risques prévus à l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[6]               Le ministre a agi à titre d’intervenant dans la demande d’asile de M. Simkovic, et la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a décidé qu’il était exclu de la protection offerte par la Convention relative au statut des réfugiés (la Convention), par application de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention, et de l’article 98 de la LIPR, en raison de sa grande criminalité. La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a ultérieurement été rejetée par la Cour : Simkovic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 113, [2014] ACF no 152.

[7]               Entre-temps, en novembre 2011, M. Simkovic a déposé sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. À l’appui de sa demande, M. Simkovic a invoqué l’intérêt supérieur de son fils et son établissement au Canada. Il a aussi décrit des conditions défavorables en Slovaquie, et il a fait des observations relatives au caractère injuste de son procès au criminel dans ce pays.

[8]               Après avoir examiné les observations de M. Simkovic, une agente d’immigration a décidé qu’il ne serait pas exposé à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’il devait obtenir un visa de résident permanent de l’étranger. L’agente était aussi convaincue que les CH avancées à l’appui de la demande M. Simkovic ne l’emportaient pas sur son interdiction de territoire pour grande criminalité.

[9]               M. Simkovic soutient que l’agente d’immigration a commis de nombreuses erreurs lorsqu’elle a apprécié sa demande. La Cour examinera chacune de ces prétendues erreurs, ci‑dessous.

II.                L’appréciation de l’intérêt supérieur de Samuel

[10]           L’argument avancé par M. Simkovic portait principalement sur les prétendues lacunes de l’analyse de « l’intérêt supérieur de l’enfant » (l’ISE) faite par l’agente d’immigration. En particulier, M. Simkovic affirme que l’agente n’a pas appliqué la méthode de l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants décrite dans la décision Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166, [2012] ACF no 184 (Williams).

[11]           Au paragraphe 63 de la décision Williams, le juge Russell a décidé que lorsqu’ils analysent l’intérêt supérieur d’un enfant, les agents doivent « d’abord déterminer en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant, en deuxième lieu, jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre et, enfin, [] le poids que ce facteur joue lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre entre les facteurs positifs et les facteurs négatifs dont il a été tenu compte lors de l’examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire ».

[12]           Selon M. Simkovic, le fait que l’agente n’a pas suivi la méthode adoptée dans la décision Williams signifie que son analyse de l’ISE en l’espèce était fondamentalement viciée. Je ne suis pas d’accord.

[13]           Il ne s’agit pas « d’appliquer systématiquement la démarche décrite dans la décision Williams à tous les cas » : Hoyos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 998, [2013] ACF no 1096, au paragraphe 33. La méthode de la décision Williams peut être utile pour les agents chargés d’apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant, mais les décisions faisant autorité de la Cour suprême et de la Cour d’appel fédérale ne l’ont pas rendue obligatoire : Webb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1060, 417 FTR 306, au paragraphe 13.

[14]           Comme le défendeur l’a relevé, au paragraphe 4 de l’arrêt Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 CF 555, la Cour d’appel fédérale a décidé qu’on détermine l’« intérêt supérieur de l’enfant » en considérant le bénéfice que retirerait l’enfant si son parent n’était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l’enfant, advenant le renvoi de l’un de ses parents du Canada.

[15]           La Cour a décrit la tâche de l’agente comme étant celle de pondérer le degré vraisemblable de difficultés causées « par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent » : Hawthorne, au paragraphe 6. C’est précisément ce qu’a fait l’agente, en l’espèce.

[16]           Les agents sont « réputés savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu’un enfant vivant au Canada sans son parent ». La Cour d’appel fédérale a clairement énoncé qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, l’agent n’a pas besoin d’exposer expressément « que le facteur de “l’intérêt supérieur de l’enfant” penchera en faveur du non‑renvoi du parent » : les deux citations sont tirées de l’arrêt Hawthorne, précité, au paragraphe 5.

[17]           Les observations de M. Simkovic traitent de l’effet que son renvoi aurait sur Samuel. Il était donc raisonnable que l’agente centre son attention sur cette possibilité. L’agente n’a toutefois pas restreint son analyse à cette voie, mais elle a aussi pris en compte l’effet sur Samuel, si la famille devait se réinstaller en Slovaquie.

[18]           M. Simkovic conteste aussi la façon dont l’agente a traité un rapport psychopédagogique de 2010 relatif aux difficultés d’apprentissage de Samuel. Il ressortait de ce rapport que bien que Samuel soit très intelligent, sa capacité à exprimer des connaissances à l’écrit démontrait une certaine faiblesse. Bien qu’il ne fût pas [traduction] « considéré comme présentant de grands risques de ne pas satisfaire aux exigences en matière d’apprentissage », il n’était pas admissible aux mesures d’adaptation [traduction] « telle qu’une calculatrice ou un vérificateur d’orthographe ».

[19]           L’agente avait des préoccupations, car aucun renseignement relatif aux diplômes de l’auteur du rapport n’avait été produit. M. Simkovic déclare que cette préoccupation était déraisonnable étant donné que l’auteur est décrit dans le rapport comme étant un « psychologue scolaire ». Même si la Cour devait accepter l’observation de M. Simkovic à ce sujet, l’agente avait un second motif indépendant pour lequel elle a accordé peu de poids au rapport : nommément, le fait que le rapport a été rédigé en 2010 et qu’il ne reflétait pas la situation de Samuel au moment où la demande CH de M. Simkovic a été appréciée en 2014. Il s’agissait là d’une observation entièrement raisonnable.

[20]           M. Simkovic déclare aussi qu’il était injuste que l’agente remette en question la crédibilité du rapport psychopédagogique, sans lui donner l’occasion de répondre. En ce qui concerne le fait que le rapport était désuet, il incombe à tout demandeur qui présente une demande d’exemption fondée sur des CH de s’assurer que ses observations sont à jour. L’agente n’avait pas l’obligation de demander à M. Simkovic un rapport à jour relativement aux progrès de Samuel. Aucun manquement à l’équité procédurale n’a donc été démontré.

[21]           En outre, l’agente n’était pas convaincue que Samuel ne serait pas en mesure d’obtenir tout soutien à l’apprentissage dont il pouvait avoir besoin en Slovaquie. M. Simkovic n’a mis de l’avant à la Cour aucun élément de preuve au dossier qui minerait cette conclusion.

[22]           M. Simkovic avance que l’observation de l’agente selon laquelle il avait laissé son jeune fils issu de son premier mariage en Slovaquie, lorsqu’il a quitté ce pays, semblait être un « coup bas » dirigé contre lui. Je conviens que ce commentaire peut être interprété dans ce sens, mais, lorsqu’il est lu dans le contexte, l’agente semble faire observer que M. Simkovic avait néanmoins été en mesure de maintenir une relation avec cet enfant malgré la distance géographique qui existe entre eux.

[23]           Enfin, M. Simkovic prétend que l’agente n’a pas accordé suffisamment d’attention aux difficultés financières auxquelles son épouse et son fils seraient exposés s’il devait quitter le Canada. L’agente a conclu qu’il y avait des preuves insuffisantes pour démontrer que M. Simkovic ne serait pas en mesure de trouver un autre emploi en Slovaquie. M. Simkovic déclare que cette conclusion était déraisonnable étant donné qu’un tribunal de la Slovaquie lui a interdit de se livrer à des activités commerciales pendant cinq ans.

[24]           Cette observation pose deux problèmes. Le premier est que l’observation n’a pas été soulevée à l’agente. Bien qu’une copie du jugement rendu par le tribunal de la Slovaquie fasse partie des documents déposés à l’appui de la demande de M. Simkovic, ces documents étaient nombreux et on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’agente dépouille les documents pour voir s’ils révélaient un argument qui n’avait pas été soulevé par M. Simkovic. Le problème le plus important dans l’argument de M. Simkovic est que même si on lui avait interdit de se livrer à des activités commerciales pendant cinq ans, cela ne signifie pas qu’il ne pouvait pas accepter d’emploi pendant cette période.

III.             Appréciation des facteurs CH liés à la déclaration de culpabilité de M. Simkovic

[25]           M. Simkovic soutient que l’agente a aussi commis une erreur lorsqu’elle a omis de prendre en compte les faits suivants : que sa déclaration de culpabilité au criminel était sa première infraction, qu’il ne s’agissait pas d’un crime violent, que la fraude fiscale était seulement de 180 000 $ canadiens. M. Simkovic reconnaît qu’il n’a pas soulevé ces observations à l’agente. Toutefois, il déclare que l’agente avait une copie de la décision de la Section de la protection des réfugiés dans son affaire, et que ces faits étaient révélés dans cette décision.

[26]           En ce qui a trait à la grande criminalité, toutes les observations présentées par M. Simkovic dans sa demande fondée sur des CH sont centrées sur le caractère prétendument injuste de son procès en Slovaquie. Ces observations sont directement traitées par l’agente qui a décidé que son rôle n’était pas de siéger à titre de cour d’appel d’un jugement rendu par un tribunal de la Slovaquie. M. Simkovic ne prétend pas que l’agente a commis une erreur à cet égard. Étant donné que la Section de la protection des réfugiés a déjà conclu que M. Simkovic avait commis un crime grave de droit commun, la Cour n’est pas convaincue que la façon dont l’agente a traité la déclaration de culpabilité de M. Simkovic était déraisonnable.

[27]           Encore une fois, il incombait à M. Simkovic de faire valoir les facteurs liés aux CH dont il voulait qu’on tienne compte. Les demandeurs n’ont ni droit ni attente légitime qu’on leur accorde une audience pour qu’ils fassent valoir leurs demandes, c’est à leurs risques et périls qu’ils omettent des renseignements pertinents dans leurs demandes : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 635, au paragraphe 8. On peut difficilement reprocher à l’agente de ne pas avoir pris en compte des observations qui ne lui ont pas été présentées.

IV.             Dispositif

[28]           En définitive, la Cour doit examiner le poids que l’agente a accordé aux facteurs en faveur de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, et le poids qu’elle a accordé à la grande criminalité de M. Simkovic. Dans le cadre du contrôle judiciaire et en l’absence d’erreur susceptible de contrôle commise par l’agente, la tâche de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau la preuve. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. La Cour convient avec les parties que l’affaire ne soulève aucune question aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1200-14

 

INTITULÉ :

IVAN SIMKOVIC

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 septembre 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge Mactavish

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

Le 3 octobre 2014

COMPARUTIONS :

Andrew Z. Wlodyka

POUR LE DEMANDEUR

Marjan Double

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Direction Legal LLP

Avocats et notaires

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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