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Date : 20140925


Dossier : T‑558‑14

Référence : 2014 CF 916

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 25 septembre 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

SIMRIN SINGH GILL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Simren Singh Gill interjette appel de la décision par laquelle un juge de la citoyenneté a refusé sa demande de citoyenneté canadienne. Le juge a conclu que M. Gill ne satisfaisait pas aux exigences linguistiques de la Loi sur la citoyenneté et qu’il n’avait pas présenté d’éléments de preuve démontrant l’existence de circonstances spéciales justifiant de recommander qu’il soit dispensé des exigences linguistiques de la Loi.

[2]               M. Gill affirme que la conclusion du juge de la citoyenneté suivant laquelle il n’avait pas une connaissance suffisante de l’anglais était déraisonnable, et que les motifs fournis par le juge étaient insuffisants. Il affirme également qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale dans la présente affaire, étant donné qu’on ne l’a pas avisé qu’il devait soumettre au juge de la citoyenneté, à l’audience, des documents démontrant ses compétences linguistiques. Il n’a par ailleurs jamais été informé qu’il devait présenter des éléments de preuve démontrant l’existence de circonstances spéciales pouvant justifier une dispense des exigences linguistiques.

[3]               J’en suis arrivée à la conclusion que, bien qu’ils soient loin d’être parfaits, les motifs de la décision du juge de la citoyenneté sont clairs lorsqu’on les situe dans le contexte de l’ensemble du dossier. Je suis également convaincue qu’il était raisonnablement loisible au juge de la citoyenneté de conclure que M. Gill n’avait pas une connaissance suffisante de la langue anglaise. En outre, M. Gill ne m’a pas persuadée qu’il avait été traité de façon injuste par le juge de la citoyenneté. Par conséquent, l’appel sera rejeté.

I.                   Contexte

[4]               Âgé de 44 ans, M. Gill est un camionneur vivant à Surrey, en Colombie‑Britannique. Il a été parrainé par son épouse canadienne et il est arrivé au Canada en provenance de l’Inde le 24 janvier 2006, peu de temps avant la naissance de sa fille. M. Gill est le seul soutien de sa famille et il a dû commencer à travailler immédiatement à son arrivée au Canada. Il a d’abord commencé à travailler comme installateur d’armoires de cuisine. Toutefois, en 2011, il est devenu camionneur après avoir suivi les cours nécessaires pour obtenir son permis de conduire de classe 1.

[5]               Par une lettre datée du 2 janvier 2014, M. Gill a été convoqué à une audience devant un juge de la citoyenneté. Il a été informé que l’audience avait pour objet de déterminer s’il répondait aux critères d’obtention de la citoyenneté, et notamment s’il possédait une connaissance suffisante du français ou de l’anglais et s’il avait une connaissance suffisante du Canada. M. Gill a reçu pour instructions d’apporter divers documents concernant son identité et son statut d’immigrant à l’audience.

[6]               M. Gill a comparu devant le juge de la citoyenneté Dane Minor le 22 janvier 2014. Un interprète en pendjabi était également présent à l’audience. Avec l’aide de l’interprète, M. Gill a répondu à 18 des 20 questions qui lui ont été posées au sujet de sa connaissance du Canada. Le juge de la citoyenneté s’est dit convaincu que M. Gill répondait aux exigences de la loi en matière de connaissances.

[7]               En ce qui concerne les aptitudes linguistiques de M. Gill, le juge de la citoyenneté a attribué une note de trois sur six à M. Gill. Voici ce que le juge écrit dans ses notes : [traduction] « Le demandeur comprenait beaucoup de mes questions et parle effectivement l’anglais. Toutefois, il n’emploie pas des phrases complètes ni de verbes au temps passé et il n’utilise pas de mots charnières. Il a réussi le test de connaissances, mais s’est beaucoup fié à l’interprète pour les questions complexes. Lorsqu’il a appris qu’il avait échoué, il a répondu [traduction] “Beaucoup expérience anglais, pas bon mais parle anglais ».

[8]               Le juge de la citoyenneté a par la suite rédigé une lettre de décision dans laquelle il déclarait que M. Gill [traduction] « ne peut comprendre des déclarations et des questions élémentaires et (ou) ne peut communiquer des renseignements élémentaires ou répondre à des questions ». La lettre précisait par ailleurs que M. Gill était incapable :

                    de démontrer [qu’il avait] un vocabulaire assez étendu pour communiquer simplement sur des sujets courants; ET/OU

                    de raconter une histoire simple sur des activités quotidiennes; ET/OU

                    de parler d’une chose [qu’il avait] faite dans le passé; ET/OU

                    de donner des instructions et des directives simples de tous les jours.

[9]               Dans sa lettre, le juge de la citoyenneté expliquait également qu’il s’était penché sur la possibilité d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour recommander d’accorder une dispense des exigences en matière linguistique, soit pour des motifs d’ordre humanitaire, soit pour récompenser des services d’une valeur exceptionnelle rendus au Canada. Il a toutefois décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire, étant donné que M. Gill n’avait pas présenté d’éléments de preuve justifiant pareille recommandation.

II.                La décision du juge de la citoyenneté était‑elle raisonnable?

[10]           L’alinéa 5(1)d) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, ch C‑29 exige une connaissance suffisante d’au moins une des langues officielles du Canada. L’article 14 du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93‑246, explique qu’une personne possède une connaissance « suffisante » de l’une des langues officielles du Canada si elle comprend, dans cette langue, des déclarations et des questions élémentaires et si son expression orale ou écrite dans cette langue lui permet de communiquer des renseignements élémentaires ou de répondre à des questions.

[11]           Selon l’article 14 du Règlement, le juge de la citoyenneté vérifie si une personne possède une connaissance suffisante du Canada en lui posant des « questions rédigées par le ministre ».

[12]           Les juges de la citoyenneté sont les mieux placés pour déterminer si les compétences linguistiques du demandeur sont suffisantes. Or, tant les notes du juge de la citoyenneté que l’affidavit de M. Gill confirment que M. Gill s’est vu poser une série de questions conçues pour vérifier ses compétences linguistiques et qu’il a effectivement été en mesure de répondre à plusieurs d’entre elles.

[13]           Toutefois, M. Gill admet dans son affidavit qu’il n’a pas été en mesure d’expliquer de façon adéquate ce qu’il avait fait la veille (une question qui suppose l’emploi de verbes au temps passé) et qu’il n’était pas en mesure de décrire la salle d’audience où il se trouvait. À la lumière de ces éléments, je suis convaincue qu’il était raisonnablement loisible au juge de la citoyenneté de conclure que M. Gill n’avait pas une connaissance suffisante de la langue anglaise.

[14]           M. Gill affirme également que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en ne motivant pas suffisamment sa décision. Je suis d’accord avec M. Gill pour dire que la décision à l’examen est loin d’être parfaite. Je suis particulièrement préoccupée par le fait que le juge de la citoyenneté a utilisé ce qui semble être un modèle de décision et qu’il ne s’est pas donné la peine d’adapter sa décision aux particularités du cas de M. Gill, comme en témoigne son emploi répété des prépositions « et/ou ».

[15]           Cela étant, la perfection n’est pas la norme et une lacune dans les motifs ne justifie pas à elle seule un contrôle judiciaire. Pour décider si une décision est raisonnable, le tribunal de contrôle doit porter attention aux motifs avancés par le décideur et tenir compte de l’ensemble du dossier (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 et 15, [2011] 3 RCS 708).

[16]           Lorsqu’on tient compte des notes d’entrevue du juge de la citoyenneté, la raison pour laquelle il a conclu que M. Gill n’avait pas une connaissance suffisante de la langue anglaise ressort à l’évidence. Les motifs de la décision satisfont donc à la norme énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland Nurses.

III.             M. Gill a‑t‑il été traité de façon inéquitable?

[17]           M. Gill affirme également qu’il a été privé de l’équité procédurale en l’espèce, étant donné qu’on ne lui avait pas dit d’apporter à l’audience présidée par le juge de la citoyenneté des documents permettant d’établir soit ses compétences linguistiques, soit le fait qu’il y avait des motifs permettant au juge de la citoyenneté de recommander une dispense des exigences linguistiques. Je ne suis pas d’accord pour dire que la procédure suivie en l’espèce était inéquitable.

[18]           M. Gill affirme que sa demande de citoyenneté démontrait à l’évidence qu’il avait obtenu son permis de conduire de classe 1 en Colombie‑Britannique. Selon M. Gill, le juge de la citoyenneté aurait dû prendre acte du fait qu’il devait suivre des cours et passer des examens en anglais pour pouvoir obtenir ce permis, ce qui, affirme‑t‑il, démontrait à l’évidence ses capacités linguistiques en anglais.

[19]           Le problème que comporte cet argument est le fait que la version de l’article 14 du Règlement sur la citoyenneté en vigueur à l’époque de la demande de citoyenneté de M. Gill précisait dans les termes les plus nets que le juge de la citoyenneté devait vérifier les compétences linguistiques du demandeur en lui posant des « questions rédigées par le ministre ». Par conséquent, le juge aurait commis une erreur s’il avait considéré que les renseignements concernant les conditions à respecter pour obtenir un permis de conduire de classe 1 constituaient une preuve des compétences linguistiques de M. Gill en anglais.

[20]           M. Gill affirme également que, s’il avait été au courant de la possibilité d’obtenir une dispense, il aurait pu soumettre au juge de la citoyenneté des éléments de preuve concernant sa situation personnelle, en particulier le fait qu’il devait subvenir aux besoins de sa famille et des répercussions que cette situation avait eues sur sa capacité d’apprendre l’anglais.

[21]           La faille que comporte cet argument est que la possibilité de renoncer aux exigences linguistiques de la Loi est énoncée aux paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi sur la citoyenneté. M. Gill est présumé connaître la loi et il n’était pas nécessaire de l’informer expressément des dispositions en question. M. Gill était au courant que ses connaissances linguistiques en anglais seraient évaluées à l’audience lors de l’examen de sa demande de citoyenneté. S’il avait des préoccupations à cet égard, il lui incombait de soumettre des éléments de preuve démontrant l’existence de circonstances spéciales justifiant une dispense des exigences linguistiques. On ne peut reprocher au juge de la citoyenneté de ne pas avoir tenu compte de renseignements qui n’avaient pas été portés à sa connaissance (Huynh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1431, au paragraphe 5, [2003] ACF no 1838).

[22]           Le juge de la citoyenneté s’est de toute évidence penché sur la possibilité d’accorder une dispense et il a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de M. Gill, étant donné que celui‑ci n’avait pas présenté d’éléments de preuve démontrant l’existence de circonstances spéciales justifiant pareille recommandation. Aucune erreur de la part du juge de citoyenneté n’a été démontrée à cet égard.

IV.             Dispositif

[23]           Pour ces motifs, M. Gill ne m’a pas convaincue qu’il existait des raisons de modifier la décision du juge de la citoyenneté. Il est toujours loisible à M. Gill d’améliorer ses compétences linguistiques en anglais et de présenter une nouvelle demande de citoyenneté canadienne ou de solliciter une dispense des exigences linguistiques en invoquant des raisons d’ordre humanitaire sur le fondement d’un dossier de preuve approprié.

 


JUGEMENT

LA COUR REJETTE l’appel.

« Anne L. Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

S. Tasset,

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑558‑14

 

INTITULÉ :

SIMRIN SINGH GILL c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 SEPTEMBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

LE 25 SEPTEMBRE 2014

COMPARUTIONS :

Jasdeep S. Mattoo

POUR LE demandeur

François Paradis

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kang & Company

Avocats

Surrey (Colombie‑Britannique)

 

PoUR LE demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

pour le défendeur

 

 

 

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