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Date : 20141002


Dossier : IMM-1769-14

Référence : 2014 CF 939

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 2 octobre 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

HUSSEIN ZAYTOUN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Hussein Zaytoun a demandé l’asile au Canada parce qu’il craignait les représailles que les membres du Hezbollah exerceraient contre lui, car il avait rejeté leurs tentatives de le recruter dans l’aile militaire de l’organisation. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande de M. Zaytoun; elle a conclu qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable au Liban, dans une région du pays à majorité chrétienne.

[2]               La Cour a conclu que la décision de la Commission était déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

I.                   Le contexte

[3]               M. Zaytoun est un musulman chiite originaire de Beyrouth, âgé de 27 ans. Il dit que des représentants du Hezbollah l’ont abordé à trois reprises en 2013 et qu’ils lui ont dit qu’en tant que chiite, il avait l’obligation de combattre en soutien au régime syrien.

[4]               En 2007, le père de M. Zaytoun a été enlevé et torturé par le Hezbollah au Liban. Par la suite, il s’est enfui au Canada et a obtenu l’asile ici. M. Zaytoun déclare qu’on lui a dit qu’il serait tué s’il ne se soumettait pas aux ordres du Hezbollah, et qu’il ne serait pas en mesure d’échapper au Hezbollah, contrairement à ce que son père avait fait.

[5]               Après sa troisième altercation avec les membres du Hezbollah, M. Zaytoun s’est enfui de chez lui dans la partie sud de Beyrouth. Il s’est caché chez un ami à Faraya, un quartier à majorité chrétienne au nord‑est de Beyrouth. M. Zaytoun déclare qu’il est demeuré caché à Faraya pendant plusieurs semaines alors qu’il entreprenait des mesures pour quitter le Liban et rejoindre sa famille au Canada.

[6]               La Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable explicite quant à la crédibilité du récit de M. Zaytoun. Elle n’a pas non plus tiré de conclusion favorable quant à la crédibilité. Bien que la Commission ait déclaré qu’elle n’avait pas « conclu que les éléments de preuve du demandeur d’asile étaient crédibles », elle a aussi déclaré que ses conclusions portant sur la PRI étaient « fondée[s] sur les allégations et le témoignage du demandeur d’asile, sans évaluer la crédibilité de ce dernier ».

[7]               La Section de la protection des réfugiés doit formuler des conclusions défavorables quant à la crédibilité en termes clairs et explicites : Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1991), 130 NR 236, 15 Imm LR (2d) 199 (CAF). En l’espèce, il appert que la Commission a eu des doutes quant à la crédibilité de M. Zaytoun. Par exemple, elle a conclu qu’étant donné son âge et son niveau d’études, M. Zaytoun n’avait pas le profil d’une personne que le Hezbollah chercherait à recruter. En référence au paragraphe 6 de l’arrêt précité de la Cour d’appel fédérale Hilo, une telle déclaration [traduction] « ne rejette pas catégoriquement le témoignage de l’appelant, mais jette un doute sur la crédibilité de ce dernier ».

[8]               La Commission ne peut pas jouer sur les deux tableaux : soit le Hezbollah a tenté de recruter M. Zaytoun, soit l’organisation ne l’a pas fait. Selon le témoignage sous serment de M. Zaytoun, le Hezbollah a en fait tenté de le recruter à trois occasions distinctes. Si la Commission n’a pas accepté le témoignage de M. Zaytoun à cet égard, elle aurait dû le dire clairement et fournir une analyse adéquate quant à la crédibilité permettant de justifier ses conclusions. En l’absence de toute analyse relative à la crédibilité de M. Zaytoun, son récit doit être estimé véridique. La Commission ne peut pas faire semblant d’accepter le témoignage de M. Zaytoun selon lequel le Hezbollah avait tenté de le recruter, et ensuite fonder en partie sa conclusion relative à la possibilité de refuge intérieur sur le fait que M.  Zaytoun n’avait pas le profil d’une personne que le Hezbollah chercherait à recruter.

II.                L’analyse de la Commission portant sur la possibilité de refuge intérieur

[9]               Comme la Cour l’a relevé, l’élément déterminant de la décision de la Commission était de savoir si M. Zaytoun avait une possibilité de refuge intérieur viable au Liban.

[10]           La question de savoir s’il existe une PRI pour un demandeur d’asile dans son pays d’origine inclut des questions mixtes de fait et de droit; ainsi, la décision raisonnable est la norme applicable à cet aspect de la décision de la Commission : Lopez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 550, [2010] ACF no 709, au paragraphe 14; Pedraza Corona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 508, [2010] ACF no 636, au paragraphe 5.

[11]           Il incombe au demandeur d’asile d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution dans l’ensemble du pays en cause, notamment dans la région qui est censée lui offrir une PRI : voir Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF), 140 NR 138; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, 109 DLR (4th) 682, au paragraphe 5.

[12]           L’analyse portant sur la PRI comporte deux volets : la Commission doit d’abord être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté dans la PRI proposée; et ensuite, que la situation dans la PRI proposée est telle qu’il ne serait objectivement pas déraisonnable que le demandeur y cherche refuge : Thirunavukkarasu, précité aux paragraphes 2 et 12.

[13]           Lorsqu’elle a conclu que M. Zaytoun disposait d’une PRI à Faraya, la Commission a relevé que M. Zaytoun était à l’aise entouré de chrétiens, et qu’il avait vécu en sécurité à Faraya pendant plusieurs semaines. De telles conclusions posent deux problèmes. Premièrement, comme l’avocat de M. Zaytoun l’a fait remarquer à l’audience, le fait que M. Zaytoun puisse être à l’aise entouré de chrétiens ne signifie pas que les chrétiens à Faraya seraient nécessairement à l’aise autour de M. Zaytoun.

[14]           La Commission disposait de nombreux éléments de preuve traitant du niveau de division sectaire au Liban et des tentatives de recrutement du Hezbollah dans les régions chrétiennes du pays. Par exemple, dans une Réponse à la demande d’information, on confirmait que [traduction] « la grande majorité de la communauté chrétienne du Liban soutient le parti du Hezbollah ». La Commission est certes présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait, cependant, il s’agissait d’une preuve très persuasive qui remettait carrément en question la conclusion selon laquelle M. Zaytoun disposait d’une PRI viable dans la communauté chrétienne de Faraya. Ainsi, la Commission aurait dû explicitement en tenir compte et son omission de le faire mène à l’inférence que la Commission l’a omise : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425, aux paragraphes 14 à 17.

[15]           La question de savoir si oui ou non le Hezbollah était à la recherche de M. Zaytoun, si son récit est véridique ‑ et nous devons accepter qu’il l’est en l’absence de toute conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la Commission ‑ il est raisonnable de conclure que, étant donné que M. Zaytoun a rejeté ses tentatives de recrutement, il pourrait bien être en danger s’il attirait l’attention du Hezbollah à l’avenir. Selon le témoignage M. Zaytoun, le Liban est un petit pays dans lequel il est difficile de demeurer anonyme. La Commission a accepté le fait que le nom de M. Zaytoun permettrait immédiatement d’identifier celui‑ci comme étant un chiite, et qu’il sortirait aisément du lot, s’il déménageait dans une région chrétienne et vivait ouvertement dans cette communauté.

[16]           Ceci nous amène au deuxième problème que pose l’analyse de la Commission. Le fait que M. Zaytoun a pu vivre en sécurité à Faraya pendant plusieurs semaines avant son départ pour le Canada ne signifie pas que Faraya serait une PRI viable pour M. Zaytoun à l’avenir. Selon le témoignage de M Zaytoun, il a vécu caché pendant la plus grande partie du temps qu’il a passé à Faraya, et la Commission n’a pas remis en cause la crédibilité de cette affirmation. La Cour d’appel fédérale a clairement déclaré dans l’arrêt Thirunavukkarasu qu’on ne peut pas s’attendre à ce qu’un demandeur d’asile se tienne caché afin de rester en sécurité dans le lieu envisagé de la PRI : précité, au paragraphe 14.

III.             Dispositif

[17]           La Cour est donc convaincue que la conclusion de la Commission selon laquelle M. Zaytoun disposait d’une PRI viable à Faraya était déraisonnable, et la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

IV.             Question à certifier

[18]            M. Zaytoun propose la question suivante aux fins de certification :

[traduction]

L’analyse de la possibilité de refuge intérieur devrait‑elle être menée uniquement lorsque la crédibilité du demandeur a été déterminée?

[19]           Il est fort possible que la Commission tire une conclusion raisonnable d’existence d’une PRI dans une affaire donnée si on suppose, sans toutefois conclure, que le récit du demandeur est véridique. En l’espèce, le problème est que la Commission a tiré des conclusions voilées relativement à la crédibilité de M. Zaytoun, lesquelles ont teinté l’analyse portant sur la PRI, sans jamais mener de véritable analyse quant à la crédibilité. Ensuite, la Commission a aggravé son erreur lorsqu’elle a omis la preuve hautement convaincante et a conclu que M. Zaytoun pouvait vivre en sécurité à Faraya. Étant donné le fond de sa décision, la Cour n’est pas convaincue que la question proposée par M. Zaytoun en l’espèce est une question adéquate aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la demande d’asile de M. Zaytoun est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci.

« Anne L. Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

L. Endale

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1769-14

 

INTITULÉ :

HUSSEIN ZAYTOUN

c

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 septembre 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge Mactavish

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 2 octobre 2014

COMPARUTIONS :

Warren Puddicombe

POUR LE DEMANDEUR

Timothy E. Fairgrieve

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Avocats spécialisés en droit de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour le défendeur

 

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