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Date : 20141015


Dossier : IMM-5981-13

Référence : 2014 CF 975

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

OLEG TRIASTCIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR], d’une décision datée du 26 août 2013 de la Section d’appel des réfugiés [SAR] dans laquelle il a été conclu que le demandeur n’a ni la qualité de réfugié en vertu de l’article 96 de la LIPR, ni celle de personne à protéger au sens de l’article 97 de cette même loi.

[2]               La Cour conclut que le demandeur n’a pas eu la chance d’être entendu sur la base appropriée, justifiant ainsi que la demande soit accueillie.

II.                Faits

[3]               Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, daté du 25 février 2013, le demandeur, un citoyen russe âgé de 42 ans, relate les faits suivants.

[4]               Le demandeur est devenu membre du parti d’opposition « l’Autre Russie » suite aux élections à la Douma en décembre 2011. Le demandeur est persécuté par les autorités russes en raison de ses opinions politiques.

[5]               Entre mars et décembre 2012, le demandeur a participé à diverses manifestations, notamment dans la ville de Pavlovsk, lors desquelles le demandeur a été battu à deux reprises par la police. Le 15 décembre 2012, lors d’une manifestation organisée par l’opposition à Moscou, le demandeur a été arrêté et battu par la police. Suite à son arrestation, le demandeur a dû signer une attestation selon laquelle il promettait de ne plus participer à des manifestations.

[6]               La police a ensuite communiqué avec l’employeur du demandeur pour l’informer de la participation du demandeur à la manifestation du 15 décembre 2012. Le demandeur a ensuite été congédié de son emploi. Son employeur a fourni comme seul motif qu’il ne voulait pas avoir de « problèmes politiques ».

[7]               Craignant pour sa vie et sa santé, le demandeur a quitté la Russie pour arriver au Canada le 13 février 2013 et y a réclamé l’asile, menant à la tenue d’une audience devant la Section de la protection des réfugiés [SPR]. Dans une décision datée du 31 mai 2013, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur.

III.             Décision

[8]               Dans une décision datée du 26 août 2013, la SAR confirme la décision de la SPR et conclut que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relatives au statut des réfugiés [la Convention], ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[9]               En premier lieu, la SAR conclut que les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur sont inadmissibles puisque le demandeur n’a pas soumis d’observations détaillées à leur égard, tel qu’exigé par l’article 3 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, et en raison de leur manque de fiabilité.

[10]           En deuxième lieu, la SAR conclut que le demandeur n’a pas justifié la nécessité de tenir une audience, selon le paragraphe 110(6) de la LIPR.

[11]           En troisième lieu, la SAR constate qu’en tant qu’instance d’appel, la norme applicable aux conclusions mixtes de fait et de droit de la SPR est celle de la décision raisonnable. Ainsi, le rôle de la SAR est donc d’évaluer si les conclusions de la SPR appartiennent aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La SAR conclut que les conclusions de la SPR à l’égard du statut de réfugié du demandeur sont raisonnables et rejette les six motifs d’appel soulevés par le demandeur.

IV.             Point en litige

[12]           Malgré les prétentions des parties, la présente demande soulève une seule question en litige fondamentale : La SAR a-t-elle validement exercé son rôle d’appel envers la SPR et appliqué la norme de contrôle appropriée aux conclusions de la SPR?

V.                Dispositions législatives

[13]           Les dispositions législatives de la LIPR suivantes s’appliquent à la détermination du statut de réfugié du demandeur :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a)   soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a)   is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b)   soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b)   not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a)   soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a)   to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b)   soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b)   to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i)      elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i)      the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii)     elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii)     the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii)    la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii)    the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv)    la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv)    the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

       (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

       (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

[14]           Concernant le rôle de la SAR, la tenue d’audience et l’admissibilité de la preuve, les dispositions législatives suivantes sont pertinentes :

Appel

Appeal

110. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

110. (1) Subject to subsections (1.1) and (2), a person or the Minister may appeal, in accordance with the rules of the Board, on a question of law, of fact or of mixed law and fact, to the Refugee Appeal Division against a decision of the Refugee Protection Division to allow or reject the person’s claim for refugee protection.

Fonctionnement

Procedure

         (3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

         (3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

         (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

         (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

Audience

Hearing

         (6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

            (6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a)   soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b)   sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c)   à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c)  that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

VI.             Position des parties

[15]           D’une part, le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur, contrairement au paragraphe 110(4) de la LIPR. Le demandeur soutient que les courriels qu’il a reçus en juillet 2013 (pièces P-I et P-XV) démontrent que le demandeur est recherché par la police russe et confirment le lien entre le demandeur et l’opposition. Ensuite, selon le demandeur, le formulaire type officiel de licenciement soumis à la SAR (pièce P-XIV) démontre qu’en Russie un motif de congédiement doit être fourni, ce que l’employeur du demandeur n’a pas fait. De plus, le demandeur allègue qu’une audience aurait dû être tenue puisque les nouveaux éléments de preuve soumis, « à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas », en vertu de l’alinéa 110(6)c) de la LIPR.

[16]           De plus, le demandeur soutient que la SAR a erré dans son appréciation du caractère raisonnable des conclusions de la SPR et quant au bien-fondé des six motifs d’appel dont elle a été saisie. À cet égard, le demandeur soutient que « la SAR a manifestement erré en droit déclarant uniquement pour chacun des motifs d’appel, la norme de contrôle à appliquer, en en ne poussant pas plus loin l’étude des motifs de rejet en première instance, qui constitue des motifs déraisonnables par leur absence d’explication et de justification » (Mémoire du demandeur au para 27).

[17]           D’autre part, le défendeur soutient que la SAR doit faire preuve de déférence envers les conclusions de la SPR et que, selon la norme de la raisonnabilité, la SAR a raisonnablement conclu à l’exclusion de la nouvelle preuve soumise par le demandeur, à la non-tenue d’une audience, ainsi qu’au bien-fondé des conclusions de la SPR quant à la crainte subjective et objective du demandeur.

VII.          Norme de contrôle

[18]           D’abord, l’analyse de la Cour concernant l’interprétation de la SAR de son propre rôle en tant qu’instance d’appel, ainsi que de la norme appliquée par la SAR aux conclusions de la SPR, doivent être évaluées selon la norme de la décision correcte (Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica]; Yetna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 858 au para 14 [Yetna]; Iyamuremye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 494 au para 20 [Iyamuremye]; Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 702 au para 17 [Alvarez]; G.L.N.N. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 859 au para 11 [G.L.N.N.]).

[19]           Cette question fut abordée dans une décision récente, par le juge Yvan Roy (Spasoja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 913 aux para 7 et 8 [Spasoja] :

[7]        Mon collègue le juge Michael Phelan a rendu le 22 août dernier une décision qui traite des mêmes questions qui sont soulevées en l'espèce (Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica]). Dans cette affaire, la SAR avait aussi conclu, sur la base de Newton, précité, qu'elle devait imposer une norme de contrôle de raisonnabilité. Le juge Phelan a quant à lui conclu que cette question de la norme applicable devait être examinée par cette Cour sur la base de la décision correcte parce qu'il s'agit d'une question d'intérêt général pour le système juridique qui déborde le domaine de spécialisation du tribunal administratif. Comme je l'ai déjà indiqué, on sait depuis Dunsmuir, précité, que peu de questions décidées par un tribunal administratif font l'objet d'un contrôle sur une base autre que la raisonnabilité, y compris les questions de droit. Le type de question dégagé par le juge Phelan est l'un de ceux-ci.

[8]        Les questions d'une importance capitale pour le système juridique sont partie de l'une des quatre catégories dégagées par la jurisprudence de la Cour suprême comme requérant la norme de la décision correcte qui est plus favorable à l'intervention judiciaire. Il me semble qu'on pourrait aussi se réclamer à cet égard d'une autre catégorie dégagée dans Dunsmuir :

[61]      La norme de la décision correcte s'est également appliquée à la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents : Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, 2000 CSC 14; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), [2004] 2 R.C.S. 185, 2004 CSC 39.

[Je souligne.]

VIII.       Analyse

[20]           D’emblée, la Cour constate que la question du rôle de la SAR en tant qu’instance d’appel d’une décision de la SPR a fait l’objet de décisions récentes, qui en l’espèce, sont déterminantes (Spasoja, ci-dessus; Yetna, ci-dessus; G.L.N.N., ci-dessus; Huruglica, ci-dessus; Alvarez, ci-dessus; Eng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 711; Iyamuremye, ci-dessus).

[21]           La demande dont est saisie la Cour tient au rôle de la SAR et au niveau de déférence qu’elle se doit d’exercer envers les conclusions de la SPR. Tel que démontré précédemment, puisqu’il s’agit d’une question d’intérêt général pour le système juridique qui déborde du domaine de spécialisation de la SAR (Huruglica, ci-dessus), la norme applicable, qui est celle de la décision correcte, est favorable à l’intervention judiciaire.

[22]           Dans Alvarez, ci-dessus, la Cour a énoncé le rôle de la SAR en tant qu’instance d’appel, en le comparant à celui de la Section d'appel de l'immigration [SAI] :

[25]      La Cour convient qu'un appel devant la SAR n'est pas un appel de novo; la LIPR limite le pouvoir de la SAR, par comparaison avec la SAI, de tenir compte de nouveaux éléments de preuve et de tenir une audience qu'aux cas exceptionnels (voir les paras 110(4) et 110(6) de la LIPR). Cependant, la Cour ne peut accepter, qu'en conséquence de ces limitations, le législateur avait l'intention d'accorder à la SAR une compétence similaire à celle d'une autorité exerçant un contrôle judiciaire. La Cour ne considère pas que le législateur avait pour but une telle restriction. La Cour trouve le raisonnement dans l'arrêt Parizeau c Barreau du Québec, 2011 QCCA 1498, [2011] RJQ 1506, présenté par les demandeurs à l'appui de leur requête, persuasif et instructif sur ce point (la demande d'autorisation d'appel de cet arrêt a été rejetée par la Cour suprême du Canada le 15 mars 2012 : 2012 CanLII 12782 (CSC)). [Je souligne.]

[23]           En l’espèce, dans ses motifs, la SAR s’est prononcée relativement à son rôle envers la SPR :

[44]      Dans le cas qui nous concerne, il faut toutefois souligner que le SAR n’est pas une cour de justice et qu’elle n’agit pas en révision des décisions de la SPR mais bien en appel, et ce dans un contexte administratif. En effet, la SPR et la SAR font partie de la même Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) et en constitue en fait deux sections distinctes.

[…]

[51]      En m’appuyant sur le raisonnement de la Cour d’appel d’Alberta et sur les facteurs identifiés dans son analyse de l’affaire Newton, et en y apportant les adaptations nécessaires au contexte particulier qui est celui de la SPR et de la SAR, j’estime que, sauf pour une question strictement de droit et sauf pour une question de justice naturelle, il convient pour nous, membres de la SAR, d’adopter la même déférence envers les décisions de la SPR. À vrai dire, cette déférence est la même que celle s’imposant aux cours de justice envers les décideurs de première instance lorsqu’il s’agit d’une question de fait ou d’une question de droit et de fait. (Décision de la SPR)

[24]           Par la suite, dans ses motifs, la SAR procède à l’analyse de la norme applicable à chacun des six motifs d’appel soulevés par le demandeur en énonçant, pour chaque motif, que « la norme de contrôle qui doit être utilisée est celle de la décision raisonnable » (Décision de la SAR aux para 52-57). Suite à son analyse de la norme de contrôle applicable, la SAR indique, aux paragraphes 58 et 59 de ses motifs :

[58]      Dans mon analyse du bien-fondé de l’appel, qui va suivre, j’estime utile de regrouper l’ensemble des points soulevés par l’appelant, en répondant à la question suivante: est-ce que la SPR a commis une ou des erreurs déraisonnables dans son appréciation de la preuve, y compris du témoignage de l’appelant?

[59]      Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[…]

[63]      Mon rôle dans le cadre du présent appel n’est pas d’évaluer la preuve, ni de procéder à une analyse microscopique de la décision de la SPR, mais plutôt de déterminer si, analysée globalement, cette décision appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[25]           Le libellé du paragraphe 111(1) de la LIPR indique que si les circonstances le permettent, la SAR doit substituer sa décision pour celle de la SPR, confirmant son rôle d’appel et son obligation d’entamer une analyse indépendante de la preuve pour en arriver à sa propre opinion (voir G.L.N.N., ci-dessus au para 15; Huruglica, ci-dessus au para 47). En effet, l’idée selon laquelle la SAR pourrait substituer une décision attaquée pour celle qui aurait dû être rendue sans d’abord évaluer la preuve est incompatible avec l’objet de la LIPR.

[26]           La Cour observe qu’au vu des constatations de la SAR, celle-ci reconnaît validement son rôle d’appel, distinct de celui d’une cour judiciaire. Cependant, en ce qui concerne la norme de déférence exercée par la SAR envers la décision de la SPR, la Cour constate qu’à la lumière de la jurisprudence et de la législation, la SAR a commis une erreur en faisant preuve de déférence et en appliquant la norme de la raisonnabilité. À cet égard, le juge George R. Locke a énoncé, dans Yetna, ci-dessus :

[16]      Considérant encore une fois la décision du juge Phelan dans Huruglica, ci-haut, je suis de l'avis que la SAR a erré en concluant que la norme de contrôle de la décision de la SPR est celle de la décision raisonnable.

[17]      Sauf dans les cas où la crédibilité d'un témoin est critique ou déterminante, ou lorsque la SPR jouit d'un avantage particulier vis-à-vis la SAR afin de tirer une conclusion spécifique, la SAR ne doit faire preuve d'aucune déférence à l'endroit de l'analyse de la preuve faite par la SPR : voir Huruglica, aux paras 37 et 55. La SAR a autant d'expertise que la SPR, et peut-être plus relativement à l'analyse des documents pertinents et des représentations des parties.

[18]      Suivant l'article 111(1) de la LIPR, la SAR a le droit de substituer la décision qui aurait dû être rendue. Ainsi, la SAR doit faire une analyse indépendante de la preuve pour arriver à sa propre opinion.

[27]           Dans cette vue, l’analyse du juge Roy est particulièrement révélatrice à cet égard (Spasoja, ci-dessus) :

[19]      Pour l'heure, deux observations s'imposent. D'abord, la Loi est claire que la nouvelle audience ne peut être considérée par la SAR que dans des circonstances précises. Celles-ci n'incluent pas de réentendre la preuve déjà présentée devant la SPR. Si la SAR ne peut disposer de l'appel, en confirmant la décision de la SPR ou en substituant la décision qui aurait dû être rendue, mais que la décision est erronée, l'affaire peut être retournée parce qu'un réexamen des éléments de preuve est requis. Avec égards, je ne puis voir comment un tel régime législatif pourrait s'accommoder facilement d'une norme de contrôle où la déférence règne.

[20]      La deuxième observation est que le régime législatif, vu dans son ensemble, ne suggère aucunement la déférence au sens de la norme de raisonnabilité. Au contraire. La Loi instruit la SAR d'examiner le dossier devant la SPR tout en admettant une preuve supplémentaire, dans les circonstances précisées. La version anglaise du paragraphe 111(1) déclare spécifiquement "[a]fter considering the appeal" avant de dire quelles sont les issues possibles pour la SAR. Il n'y est aucunement question de faire preuve de déférence : on confirme ou on substitue sa propre décision. S'il y a eu erreur, de fait, de droit ou sur une question mixte de droit et de fait, mais que la SAR ne peut confirmer ou substituer sa décision sans nouvelle audience pour réexaminer des éléments de preuve présentés à la SPR, l'affaire est retournée. Je ne puis voir dans ce régime examiné dans son ensemble quelle place aurait été laissée à la déférence qui provient de la norme de raisonnabilité.

[Je souligne.]

[28]           De plus, la Cour fait siennes les observations suivantes, qui sont déterminantes en l’espèce :

[11]      En notre espèce, alors que la SAR prétend vouloir éviter de faire double emploi avec le rôle joué par la SPR, elle transforme en fait une juridiction d'appel en une révision judiciaire, utilisant la même jurisprudence tant de la Cour suprême que de cette Cour siégeant en révision judiciaire en matière d'immigration. La redondance que la SAR dit vouloir éviter avec la SPR est créée avec la révision judiciaire, qui doit être judiciaire, par définition, et non administrative. […]

[12]      Pour ce qui est du résultat ultime, je partage l'avis de mon collègue le juge Phelan dans Huruglica, précité, que la SAR commet une erreur révisable, selon l'une ou l'autre des normes de contrôle, lorsqu'elle juge une décision de la SPR selon "la norme de la raisonnabilité plutôt qu'en procédant à un examen indépendant de la demande d'asile des demandeurs." C'est aussi la conclusion à laquelle était arrivé Monsieur le juge Shore dans Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 702 et Eng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 711, les deux décisions rendues le 17 juillet dernier.

[…]

[15]      La Loi nous éclaire aussi sur la façon dont la SAR doit se décharger de son mandat. L'appel procède sur la base du dossier et de nouvelle preuve documentaire, en plus bien sûr de recevoir les observations écrites des parties (para 110(3)). La nouvelle preuve qui n'existait pas au moment de l'audition devant la SPR, ou qui n'était pas accessible alors, est admissible en appel (para 110(4)). De fait, la Loi élargit même l'accessibilité en rendant admissibles les éléments de preuve qui étaient accessibles mais que la personne en cause "n'aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet".

[16]      Dans le cas où une preuve documentaire est présentée en appel (paragraphe 110(3)), une audience pourra être tenue si cela soulève une question importante de crédibilité (en plus que les éléments de preuve documentaire soient essentiels pour la prise de la décision et justifieraient la demande d'asile ou son refus : paragraphe 110(6)).

[…]

[24]      […] Je partage l'avis du juge Phelan que "si la SAR se borne à contrôler les décisions de la SPR selon la norme de la raisonnabilité, son rôle d'appel est restreint." (Huruglica, précité, para 39) J'ajoute que le régime législatif ne donne aucune indication que la barre doive être si haute

[29]           La décision Alyafi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 952 résume par une analyse compréhensive toutes les décisions à date de la Cour fédérale à l’égard des mandats de la SAR. Cette décision du juge Luc Martineau assure une vue d’ensemble pour aider à arriver à un certain stare decisis à cet égard.

[30]           La Cour conclut que le demandeur n’a pas eu la chance d’être entendu sur la base appropriée, soit celle que lui accorde la LIPR, justifiant ainsi l’intervention de la Cour. Cette conclusion n’est pas entièrement dissemblable à la conclusion à laquelle est arrivée la Cour dans Iyamuremye, ci-dessus :

[48]      Bien que la SAR a probablement rempli son devoir sur le fond selon la conclusion à laquelle elle est arrivée, le cas est renvoyé à la SAR uniquement à cause de l'articulation formulée dans sa décision.

IX.             Conclusion

[31]           À la lumière de l’analyse qui précède, la Cour détermine que la demande doit être accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.      La demande de contrôle judiciaire soit accueillie;

2.      Il y a une question à certifier (voir ci-dessous).

Question pour certification

Le défendeur propose que la question suivante soit certifiée. La Cour accepte cette question pour certification pour clarification par la Cour d’appel fédérale :

« Quelle est la portée de l’examen de la Section d’appel des réfugiés (SAR) lors d’un appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR)? »

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5981-13

 

INTITULÉ :

OLEG TRIASTCIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 octobre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Jean Cantin

 

Pour le DEMANDEUR

 

Charles Junior Jean

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Jean Cantin

Montréal (Québec)

 

Pour le DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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