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Date : 20141014


Dossier : IMM-4606-13

Référence : 2014 CF 972

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 14 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

BAOPING LIU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, citoyen de la Chine, sollicite l’asile au Canada en tant qu’adepte du Falun Gong parce qu’il craint subjectivement et objectivement que s’il est obligé de retourner en Chine il s’exposera à plus qu’une simple possibilité de persécution au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, ou à un risque probable au sens de l’article 97.

[2]               La présente demande concerne la demande d’asile que le demandeur s’est vu refuser par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le SPR) en raison de la question centrale de la crédibilité de sa preuve sur deux aspects distincts : le fait d’avoir pratiqué le Falun Gong en Chine, ce qui l’a amené à fuir au Canada, ainsi que le fait de le pratiquer au Canada, ce qui fonde sa demande présentée sur place, à savoir que s’il était obligé de retourner en Chine il s’exposerait à plus qu’une simple possibilité de persécution (voir le formulaire de renseignements personnels, dossier du tribunal, page 27).

[3]               Les passages suivants, extraits de la décision visée par le présent contrôle, révèlent  de quelle façon la SPR a traité la preuve du demandeur au sujet de l’évènement clé qui est survenu à l’époque où il pratiquait le Falun Gong en Chine :

Le demandeur d’asile affirme qu’il se trouvait à une rencontre de son groupe habituel de pratique du Falun Gong lorsque celui-ci a fait l’objet d’une descente effectuée par des agents du PSB, le 14 novembre 2010. Le demandeur d’asile a été prié de décrire ce qui s’était passé. La description offerte par le demandeur d’asile était vague et peu précise. J’ai dû poser un certain nombre de questions d’approfondissement afin d’obtenir plus de détails sur la descente. J’estime qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que, étant donné les circonstances traumatisantes de la prétendue descente effectuée par le PSB, le demandeur d’asile ait eu un vif souvenir des événements et qu’il eut été en mesure d’en donner une description complète sans hésiter ou éprouver de difficultés quelconques. Je tire une conclusion défavorable à cet égard.

Le demandeur d’asile a déclaré que le groupe avait été averti de la descente imminente par la personne qui faisait le guet devant la maison et qui avait alerté l’organisateur par téléphone. L’organisateur a dit aux adeptes de sortir rapidement par la porte de derrière et ils se sont enfuis en courant dans un état de panique. Le demandeur d’asile a témoigné qu’il n’avait rien vu ni entendu après avoir franchi en courant la porte de derrière. Il a déclaré qu’il n’avait ni vu ni entendu les agents du PSB et qu’il n’avait pas vu les sept autres adeptes parce qu’il courait à la tête des autres et qu’il ne s’est pas retourné. J’estime qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un tel événement évoque de vifs souvenirs de chaos et de peur. Il aurait été naturel que le demandeur d’asile se soit retourné pour voir si des agents du PSB étaient à ses trousses, s’il était seul ou s’il était suivi des autres adeptes. Il aurait également été naturel pour le demandeur d’asile de veiller à ce qu’il n’ait été suivi d’aucun agent du PSB avant de héler un taxi sur la route principale, mais le demandeur d’asile n’a décrit aucune précaution de ce genre. La description qu’il a faite de la descente et de la suite des événements semblait avoir été préparée et elle ne laissait pas l’impression d’un authentique souvenir évoqué par une personne ayant effectivement vécu l’expérience en question. Je tire une conclusion défavorable. ([Non souligné dans l’original.] (Décision, paragraphes 23 et 24)

[4]               Je suis d’avis que les conclusions d’invraisemblance qui sont soulignées dans le passage cité sont arbitraires parce qu’elles relèvent de la plus pure conjecture et que, de ce fait, elles ne satisfont pas au critère bien établi qui s’applique à leur formulation (voir : Vodics c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 783, aux paragraphes 10 et 11).

[5]               Pour ce qui est de la pratique du Falun Gong au Canada, pratique sur laquelle le demandeur fonde sa demande sur place, la SPR, à l’audience, a interrogé en détail ce dernier sur la connaissance qu’il avait de la loi de cette discipline. Le demandeur a répondu correctement aux nombreuses questions posées. De plus, il a décrit sa pratique et a produit des lettres d’appui de deux copratiquants. Pour rejeter cette preuve, la SPR a formulé les conclusions suivantes :

Bien qu’il soit difficile de poser un jugement sur l’authenticité des croyances d’un demandeur d’asile, il est nécessaire de le faire en l’espèce. Pour ce faire, j’ai pris en compte l’ensemble de la preuve dont je dispose. S’il est vrai que le demandeur d’asile possède certaines connaissances sur le Falun Gong, cela ne fait pas nécessairement de lui un véritable adepte. Le simple fait de détenir des renseignements sur les enseignements de base et la pratique ou, inversement, d’accuser certaines lacunes à cet égard ne permet pas de conclure à l’authenticité ou au caractère faux de la pratique. Le demandeur d’asile a produit deux lettres d’appui qui, selon lui, proviennent d’autres pratiquants au Canada, ainsi que des photographies d’activités liées à la pratique du Falun Gong. Les documents en question ne peuvent qu’attester la participation du demandeur d’asile à des activités liées au Falun Gong; ils n’attestent pas la motivation du demandeur d’asile. À cet égard, la jurisprudence récente montre que l’examen par un pasteur de l’authenticité de la foi d’une personne ne peut se substituer à l’évaluation que le tribunal est tenu de faire [note de bas de page omise]. De la même façon, j’estime que l’évaluation faite par un adepte du Falun Gong ne peut pas remplacer l’évaluation que la Commission est tenue de faire. J’accorde peu de valeur probante aux documents en question. Le demandeur d’asile affirme qu’il a pratiqué le Falun Gong pendant à peu près cinq mois en Chine. Il a déclaré qu’il étudie et qu’il pratique le Falun Gong depuis son arrivée au Canada. Par conséquent, j’estime qu’il se peut très bien que le demandeur d’asile ait acquis au Canada les connaissances qu’il possède. C’est la raison pour laquelle je n’accorde aucun poids à la capacité du demandeur d’asile de répondre à des questions sur le Falun Gong. [Non souligné dans l’original.] (Décision, paragraphe 34)

[6]               Il est clair que la SPR est arrivée à la conclusion que la motivation du demandeur était de présenter une demande d’asile frauduleuse. Elle a donc appliqué la conclusion selon laquelle le demandeur avait menti à propos de la descente qui avait eu lieu en Chine à la preuve qu’il avait  fournie dans le cadre de sa demande sur place, à savoir qu’il pratique le Falun Gong au Canada :

Comme j’ai précédemment conclu que le groupe de pratique du Falun Gong du demandeur d’asile n’avait pas fait l’objet d’une descente et que le demandeur d’asile n’est pas poursuivi par le PSB, j’estime que le demandeur d’asile n’était pas, comme il le prétend, un véritable adepte du Falun Gong en Chine. J’estime également, selon la prépondérance des probabilités et en m’appuyant sur les constatations et les conclusions défavorables susmentionnées, que l’allégation du demandeur d’asile selon laquelle il était un véritable adepte du Falun Gong en Chine n’est pas crédible et qu’elle n’a été fabriquée que pour appuyer une demande d’asile frauduleuse. J’estime également que cette conclusion quant à la crédibilité soulève un doute important relativement à la crédibilité générale du demandeur d’asile. (Décision, paragraphe 35)

Elle a ensuite formulé la conclusion suivante :

Après avoir conclu que le demandeur d’asile n’était pas un véritable adepte et pratiquant du Falun Gong en Chine, je me suis penchée sur la question de savoir si le demandeur d’asile était un véritable adepte et pratiquant du Falun Gong au Canada. J’estime que le témoignage du demandeur d’asile relativement à sa pratique du Falun Gong en Chine n’était pas crédible et que le demandeur d’asile ne pratiquait pas le Falun Gong dans ce pays. La pratique du Falun Gong du demandeur d’asile au Canada est fondée sur son adhésion à la pratique en Chine, puisqu’il en aurait commencé la pratique peu de temps après son arrivée au Canada.

Comme j’ai conclu que le demandeur d’asile ne pratiquait pas le Falun Gong en Chine, et comme je ne dispose d’aucun élément de preuve attestant de circonstances indépendantes étant survenues au Canada et ayant motivé le demandeur d’asile à pratiquer le Falun Gong, j’estime, selon la prépondérance des probabilités et dans le contexte des conclusions susmentionnées, que le demandeur d’asile s’est joint à un groupe d’adeptes du Falun Gong au Canada uniquement dans le but d’appuyer une demande d’asile frauduleuse. Dans ce contexte, tel qu’il a été mentionné précédemment et à la lumière de l’ensemble de la preuve produite, j’estime que le demandeur d’asile n’est pas un véritable adepte du Falun Gong et qu’il ne serait pas perçu comme tel en Chine. [Non souligné dans l’original.] (Décision, paragraphes 36 et 37)

[7]               Je conclus qu’une erreur susceptible de contrôle fondamentale a été commise dans le processus décisionnel que la SPR a suivi pour rejeter la demande sur place du demandeur, et ce pour deux raisons.

[8]               Premièrement, la SPR a appliqué une conclusion arbitraire quant à la pratique du demandeur du Falun Gong en Chine à la question distincte de sa pratique du Falun Gong au Canada. L’application de cette conclusion arbitraire à l’évaluation de la demande sur place du demandeur a eu pour effet de vicier injustement cette évaluation. Deuxièmement, que la SPR ait cru ou non que le demandeur était un « véritable adepte du Falun Gong » au Canada, elle a néanmoins reconnu qu’il pratiquait le Falun Gong au Canada. Les questions liées à la demande sur place qui ont été soumises à la SPR étaient donc les suivantes : considèrerait-on le demandeur comme un adepte du Falun Gong à son retour en Chine; et si c’était le cas, s’exposerait-il à plus qu’une simple possibilité de persécution? La SPR a carrément omis de traiter de ces questions essentielles (voir : Shao Rong Hu c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 544, au paragraphe 8).

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision faisant l’objet du présent contrôle soit infirmée et l’affaire renvoyée en vue d’être examinée à nouveau par un tribunal différemment constitué.

Il n’y a pas de question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4606-13

INTITULÉ :

BAOPING LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 OCTOBRE 2014

ordonnance ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

Le 14 octobre 2014

COMPARUTIONS :

MICHAEL KORMAN

POUR LE demandeur

ALEKSANDRA LIPSKA

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

OTIS & KORMAN

Avocats

Toronto (Ontario)

pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE défendeur

 

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