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Date : 20141006


Dossier : T-403-14

Référence : 2014 CF 945

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2014

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

JEFFREY ALLAN SPARKS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le  demandeur, détenu à l’Établissement de Donnacona, a déposé une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, relativement à une réponse, datée du 19 juillet 2013, à un grief au troisième palier qu’il avait déposé au sujet d’une divergence entre sa peine, présentée dans le jugement de la Cour supérieure, et le mandat de dépôt décerné par la même Cour. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.                   Le contexte

[2]               Le demandeur a de longs antécédents en tant que délinquant. Pendant qu’il était en libération d’office au sujet d’une peine antérieure, il a été arrêté et mis en détention le 15 mars 2010, après quoi il a été accusé et reconnu coupable par un jury de multiples accusations.

[3]               C’est la juge Louise Moreau, de la Cour supérieure du Québec, qui a prononcé la peine. Elle a rendu son jugement le 7 novembre 2011 (R c Sparks, 2011 QCCS 5861, 99 WCB (2d) 491). À ce moment-là, le demandeur était sous garde depuis 19 mois. Dans son jugement écrit, la juge Moreau a infligé la peine suivante :

[traduction]

[31] Dans ces circonstances, une peine globale de 10 ans est celle qui convient. Une peine concurrente de 6 ans satisfait à l’objet de la loi pour les accusations nos 5, 6, 7, 8, 9 et 10, soit vol avec effraction et introduction par effraction dans un dessein criminel; une peine consécutive de 3 ans pour l’accusation no 1, soit agression armée; une peine consécutive de 1 an pour les accusations nos 2 et 3, soit conduite dangereuse et, enfin, une peine concurrente de 1 an pour l’accusation no 4, soit possession de biens volés de plus de 5 000 $.

[…]

À CAUSE DE CES CIRCONSTANCES, LA COUR :

[35] CONDAMNE Jeffrey Sparks à une peine globale de 10 ans à compter du 15 mars 2010 :

          Une peine concurrente de 6 ans satisfait à l’objet de la loi pour les accusations nos 5, 6, 7, 8, 9 et 10, soit vol avec effraction et introduction par effraction dans un dessein criminel;

          une peine consécutive de 3 ans pour l’accusation no 1, soit agression armée;

          une peine consécutive de 1 an pour les accusations nos 2 et 3, soit conduite dangereuse;

          une peine concurrente de 1 an pour l’accusation no 4, soit possession de biens volés de plus de 5 000 $;

[4]               La juge Moreau a rendu son jugement écrit à l’audience. La transcription de cette dernière n’indique pas la date de début de la peine, soit [traduction] « à compter du 15 mars 2010 », qui figure à la fin de la première phrase du paragraphe 35 du jugement écrit : ([traduction] « CONDAMNE Jeffrey Sparks à une peine globale de 10 ans à compter du 15 mars 2010 »). J’ignore si la juge Moreau a omis de mentionner la date de début au moment où elle a lu son jugement, ou si l’omission est due à une erreur de transcription, mais il ressort de la transcription qu’une fois l’audience terminée on lui a demandé de revenir dans la salle d’audience pour clarifier la peine. L’avocat du ministère public lui a ensuite demandé : [traduction] « (inaudible) 10 ans à compter d’aujourd’hui? » et elle a répondu : [traduction] « [n]on, vous devez soustraire les 19 mois que M. Sparks a déjà purgés » (page JR‑46 du dossier certifié du tribunal). Il semble donc, d’après le jugement écrit et la transcription de l’audience, que la juge Moreau a imposé une peine globale qui a commencé le 15 mars 2010. Par souci de simplicité, j’emploierai l’expression [traduction] « le jugement prononçant la peine » quand je ferai référence soit au jugement écrit soit à la transcription de l’audience au cours de laquelle la juge Moreau a lu son jugement.

[5]               Le greffe de la Cour supérieure a décerné le mandat de dépôt le même jour. Ce mandat présente la peine comme suit (pages JR-68-69 du dossier certifié du tribunal) :

1  267A

Peine infligée : 3 ans

Consécutif

2  269.1

Peine infligée : 1 an

Consécutif

3  249.1(01)

Peine infligée : 1 an

4  355A

Peine infligée : 1 an

5  348(01)B

Temps passé sous garde : 20 mois

Période infligée sans provisoire : 6 ans

Détention provisoire accordée : 20 mois

Peine infligée : 52 mois

Consécutif

6  348(01)A

Temps passé sous garde : 20 mois

Période infligée sans provisoire : 6 ans

Détention provisoire accordée : 20 mois

Peine infligée : 52 mois

7  348(01)B

Temps passé sous garde : 20 mois

Période infligée sans provisoire : 6 ans

Détention provisoire accordée : 20 mois

Peine infligée : 52 mois

8  348(01)B

Temps passé sous garde : 20 mois

Période infligée sans provisoire : 6 ans

Détention provisoire accordée : 20 mois

Peine infligée : 52 mois

9  348(01)B

Temps passé sous garde : 20 mois

Période infligée sans provisoire : 6 ans

Détention provisoire accordée : 20 mois

Peine infligée : 52 mois

10   348(01)A

Temps passé sous garde : 20 mois

Période infligée sans provisoire : 6 ans

Détention provisoire accordée : 20 mois

Peine infligée : 52 mois

[6]               Le jugement prononçant la peine et le mandat de dépôt comportent les différences qui suivent :

•           le jugement prononçant la peine présente les accusations dans un ordre différent. Dans le jugement, les accusations nos 5, 6, 7, 8, 9 et 10 figurent au début de la description de la peine globale et elles sont regroupées. Le mandat de dépôt les présente en ordre numérique (de 1 à 10);

•           le mandat de dépôt calcule la peine à compter du 7 novembre 2011, tandis que le jugement prononçant la peine la calcule à compter du 15 mars 2010. Le mandat soustrait le crédit des 20 mois de temps passés sous garde des accusations nos 5 à 10. Pour ces accusations, le mandat indique la peine de 6 ans, soustrait les 20 mois de temps passés sous garde et arrive à une peine de 52 mois. Le mandat indique une peine totale de 8 ans et 4 mois commençant le 7 novembre 2011, tandis que le jugement prononçant la peine impose une peine globale de 10 ans à compter du 15 mars 2010;

•           les mots « concurrente » et « consécutive » sont utilisés de manière différente dans les deux documents. Le jugement prononçant la peine indique que la peine infligée pour les accusations nos 5 à 10 est « concurrente ». Il précise également que la peine qui s’applique à l’accusation no 4 est « concurrente ». En revanche, le mandat de dépôt ne mentionne pas que l’accusation no 4 est « concurrente ». De plus, il présente l’accusation no 5 comme étant « consécutive », et ne mentionne rien pour les accusations nos 6, 7, 8, 9 et 10.

[7]               Notant la divergence entre les peines présentées dans le jugement prononçant la peine et le mandat de dépôt, le demandeur a cherché à obtenir des éclaircissements. Il a noté expressément que le jugement prononçant la peine faisait état d’une peine globale, et que la peine prévue pour les accusations nos 5, 6, 7, 8, 9 et 10 était concurrente, tandis que dans le mandat de dépôt la peine infligée pour l’accusation no 5 était censément consécutive. Dans une lettre datée du 17 février 2012, la Chef de la gestion des peines, Madeleine Renaud, a répondu à la requête du demandeur et a fait état des mesures qui avaient été prises auprès de la Cour supérieure du Québec pour clarifier et rectifier la divergence.

[8]               Toujours insatisfait après plusieurs réunions avec les agents de l’établissement et une réponse officielle de Mme Heather Dagorne, Conseillère nationale en gestion des peines, le demandeur a déposé un grief au troisième palier, dont le texte est le suivant (non souligné dans l’original) :

[traduction]

Question de gestion de peines, 11 mois à éviter la question du chef no 5 de l’ordonnance d’emprisonnement – et transcriptions – de la juge Louise Moreau, Québec, 7 novembre 2011 – le directeur n’a pas répondu à la demande concernant Mme Madeleine Renaud – Chef, Gestion des peines – absence complète de volonté d’agir et évitement d’une évidence!

L’ordonnance d’emprisonnement – la transcription de l’audience indique que pour le chef no 5, la peine est concurrente!

Le dépôt : consécutive!

Le directeur, Mme Renaud, Gestion nationale des peines, évitent toujours cette simple question… le chef no 5 est-il concurrent ou consécutif?

II.                La décision faisant l’objet du présent contrôle

[9]               C’est Mme Elizabeth Van Allen, Commissaire adjointe par intérim, Politique (Mme Van Allen) qui a répondu au grief au troisième palier du délinquant. Elle l’a rejeté.

[10]           Dans sa réponse, Mme Van Allen a reconnu qu’il y avait effectivement une divergence entre le jugement prononçant la peine et le mandat de dépôt mais, a-t-elle indiqué, cette divergence n’avait aucun effet sur le calcul de la peine globale infligée au demandeur. Il s’agissait d’une peine globale concurrente de 10 ans d’emprisonnement, assortie d’un crédit de 20 mois, commençant le 15 mars 2010, ce qui donnait une peine restante de 8 ans et 4 mois d’emprisonnement commençant le 7 novembre 2011. Elle a signalé que la chef, Gestion des peines de l’établissement de Donnacona, confirmée par la conseillère nationale, Gestion des peines, avait calculé la durée de la peine infligée au demandeur à partir de la peine globale imposée le 7 novembre 2011, soit une peine concurrente de 8 ans et 4 mois.

[11]           Dans sa réponse, Mme Van Allen a expliqué que, conformément au Guide de gestion des peines du Service correctionnel du Canada (SCC), le mandat de dépôt est le document qui enregistre et communique le résultat d’un processus de détermination d’une peine. Il s’agit aussi de la seule source officielle qui permet au SCC de calculer la durée d’une peine qu’un délinquant doit purger, de même que les rapports entre les diverses peines infligées à un délinquant dans les cas où celui-ci en purge plus d’une.

[12]           Elle a aussi indiqué que lorsqu’un mandat de dépôt contient une erreur, ou qu’il ne reflète pas avec exactitude la peine que le juge a ordonnée, c’est au tribunal qui a décerné le mandat, et non au SCC, qu’il appartient d’effectuer la rectification nécessaire. Elle a déclaré que le SCC peut demander que le tribunal change un document, mais ce tribunal a le pouvoir discrétionnaire de décider s’il le fera ou pas. De plus, dans le cas du demandeur, des changements avaient été demandés à la Cour supérieure du Québec, sans succès toutefois, et tous les recours avaient été épuisés. Elle a cependant réitéré que la divergence entre le jugement prononçant la peine et le mandat de dépôt n’avait aucun effet sur le calcul de la peine globale infligée au demandeur. Elle a fait savoir ceci :

[traduction]

Même si la structure du mandat de dépôt sur déclaration de culpabilité ne suit pas fidèlement l’ordre de la peine imposée, l’effet global sur votre peine actuelle est le même. Tant la transcription que le mandat de dépôt sur déclaration de culpabilité prévoient une peine globale de 8 ans et 4 mois, qui a commencé le 7 novembre 2011.

[…]

Dans votre cas, la peine globale (la peine totale que vous purgez) est exacte. C’est ce qu’indique la « peine totale », qui fait état d’une peine globale de 8 ans et 4 mois.

Même si les différents éléments que comporte la structure du mandat de dépôt ne reflètent pas ceux de la Cour, la durée globale de la peine à purger est identique à la durée globale de celle que la Cour a infligée.

[…]

Lorsque la peine totale est formulée ainsi, cette peine globale a un effet concurrent par rapport à la partie restante de la peine antérieurement confondue (ancienne date d’expiration du mandat établie comme étant le 19 juin 2012). Après la date de juin 2012, le restant de la peine imposée en novembre 2011 est la seule peine d’incarcération qui vous est infligée, sauf s’il y en a d’autres qui s’y ajoutent.

III.             La question en litige

[13]           La seule question à trancher dans la présente demande est de savoir si la décision relative au grief au troisième palier est raisonnable.

IV.             La norme de contrôle applicable

[14]           La décision faisant l’objet du présent contrôle a trait à une question de gestion de peines, qui relève de l’expertise des agents du SCC. En l’espèce, la décision mettait en cause l’interprétation du jugement de la Cour supérieure ainsi que celle du mandat de dépôt. Elle mettait également en cause l’interprétation du Guide de gestion des peines du SCC, de même que son application à la situation du demandeur. Par conséquent, la décision comportait des questions mixtes de fait et de droit et, à mon avis, il y a lieu de la contrôler en fonction de la norme de la raisonnabilité (McDougall c Canada (Procureur général), 2011 CAF 184, paragraphe 24, [2011] ACF no 841; Johnstone c Canada (Services frontaliers), 2014 CAF 110, aux paragraphes 39 et 40, [2014] ACF no 455). Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 53 et 54, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], la Cour suprême a indiqué ce qui suit :

53        En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée (Mossop, p. 599‑600; Dr Q, par. 29; Suresh, par. 29‑30).  Nous sommes d’avis que la même norme de contrôle doit s’appliquer lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés.

54        La jurisprudence actuelle peut être mise à contribution pour déterminer quelles questions emportent l’application de la norme de la raisonnabilité.  Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise : Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, par. 48; Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, par. 39.  Elle peut également s’imposer lorsque le tribunal administratif a acquis une expertise dans l’application d’une règle générale de common law ou de droit civil dans son domaine spécialisé : Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 72. […]

(Voir également Nor-Man Regional Health Authority c Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, au paragraphe 36, [2011] 3 RCS 616.)

[15]           Dans l’arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 57 et 62, la Cour a également indiqué qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse complète de la norme de contrôle lorsque celle-ci a déjà été déterminée de manière satisfaisante par la jurisprudence. Dans le cas du contrôle judiciaire du grief d’un détenu, la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de la raisonnabilité s’applique aux questions de fait ainsi qu’aux questions mixtes de fait et de droit : McDougal c Canada (Procureur général), 2011 CAF 184, au paragraphe 22, [2011] ACF no 841; voir aussi Johnson c Canada (Procureur général), 2008 CF 1357, aux paragraphes 35 et 39, [2008] ACF no 1763, inf. en partie pour d’autres motifs par 2011 CAF 76, [2011] ACF no 294 (voir aussi Johnson c Canada (Commissaire du Service correctionnel), 2014 CF 787, au paragraphe 37, [2014] ACF no 822; Mills c Canada (Procureur général), 2013 CF 1209, au paragraphe 25, [2013] ACF no 1337; Charbonneau c Canada (Procureur général), 2013 CF 687, aux paragraphes 17 à 21, [2013] ACF no 754).

V.                Les positions des parties

A.                La position du demandeur

[16]           Le demandeur invoque plusieurs arguments à l’encontre de la réponse au grief au troisième palier ainsi qu’à l’encontre du processus qui l’a précédée.

[17]           Le demandeur soutient que le jugement écrit par lequel la peine a été prononcée diffère de la transcription de l’audience au cours de laquelle la juge Moreau a rendu son jugement. Le jugement écrit précise clairement au paragraphe 35 que le début de la peine globale de 10 ans d’emprisonnement est le 15 mars 2010 mais, ainsi qu’il a été mentionné plus tôt, la transcription de l’audience – où la juge Moreau précise la peine – omet de mentionner la date de début de cette peine. Le demandeur indique qu’après que la juge a quitté la pièce, il y a eu une discussion en français (non incluse dans la transcription) entre l’avocat du ministère public, le greffier de la Cour et un fonctionnaire de la Cour, discussion à l’issue de laquelle il a été demandé à la juge Moreau de revenir dans la salle d’audience pour clarifier la peine qu’elle imposait. L’avocat du ministère public lui a ensuite demandé : [traduction] « 10 ans à compter d’aujourd’hui? ». La juge a répondu que non et a dit qu’il fallait soustraire les 20 mois que le demandeur avait purgés. Le demandeur en déduit que l’avocat du ministère public a reconnu que la juge avait omis la date de début de la peine quand elle l’avait prononcée, mais qu’elle n’avait rien fait pour rectifier l’omission. Il en déduit également que la transcription officielle est incomplète et a été falsifiée.

[18]           De plus, le demandeur soutient que le jugement prononçant la peine ordonne une peine globale de 10 ans d’emprisonnement à compter du 15 mars 2010, tandis que le mandat de dépôt fait état d’une peine totale de 8 ans et 4 mois d’emprisonnement commençant le 7 novembre 2011. Il allègue que le SCC devrait se fonder sur le jugement rendu par la juge Moreau, et non sur le mandat de dépôt, en vue de calculer la durée de sa peine.

[19]           Par ailleurs, le demandeur fait valoir que les agents du SCC n’ont pas répondu à sa demande d’éclaircissements, et qu’ils ont minimisé la divergence. Il estime également que les agents du SCC ont agi de mauvaise foi, contourné les règles et outrepassé la compétence du SCC en [traduction] « invalidant » le jugement. Il allègue par ailleurs que l’enquête que le SCC a menée sur son grief a été incomplète car personne n’a répondu à sa question concernant le fait de savoir si la peine relative à l’accusation no 5 était « concurrente » ou « consécutive ». Il soutient de plus qu’il s’est écoulé un temps prolongé entre le dépôt de son grief en octobre 2012 et la réponse finale, qui a été donnée le 19 juillet 2013.

[20]           Enfin, le demandeur soutient que bien que la réponse au grief au troisième palier indique que le SCC est intervenu auprès de la Cour supérieure pour demander que l’on change le mandat de dépôt, aucune preuve n’étaye cette affirmation. La réponse au grief, ajoute-t-il, contient plusieurs inexactitudes.

[21]           Qui plus est, le demandeur soutient que l’état imprimé des déclarations de culpabilité au criminel de la GRC présente les déclarations de culpabilité et les peines de manière différente par rapport au jugement et au mandat de dépôt, et il soutient que cet état imprimé est inexact et que les [traduction] « fausses informations » ont été inscrites de mauvaise foi.

B.                 La position du défendeur

[22]           Le défendeur est d’avis que la décision est raisonnable et que le rôle de Mme Van Allen consitait à veiller à ce que l’on calcule comme il faut la peine infligée au demandeur. Comme le jugement prononçant la peine et le mandat de dépôt menaient tous deux à la même peine nette, il était raisonnable qu’elle confirme le calcul de la peine infligée au demandeur et qu’elle rejette son grief.

[23]           En ce qui concerne la divergence précise que l’on relève dans le cas du chef no 5 entre le mot « concurrente » qu’emploie la juge Moreau et le mot « consécutive » que l’on relève dans le mandat de dépôt, le défendeur soutient que Mme Van Allen a eu raison d’indiquer que cela n’avait aucun effet sur le calcul de la peine globale infligée au demandeur. Enfin, ajoute-t-il, la chef, Gestion des peines, à l’établissement de Donnacona a informé la Cour supérieure de la divergence, mais c’est la Cour supérieure qui a décidé de ne pas prendre d’autres mesures pour modifier le mandat de dépôt.

VI.             L’analyse

[24]           À mon avis, les arguments qu’invoque le demandeur sont sans fondement et la réponse au grief au troisième palier est raisonnable.

[25]           Selon le Guide de gestion des peines du SCC, le mandat de dépôt décerné en vertu du paragraphe 570(5) du Code criminel (LRC, 1985, c C‑46) est le document qui enregistre et communique le résultat du processus de détermination des peines, et il s’agit de la source faisant autorité pour tout ce qui concerne la gestion des peines.

[26]           Les paragraphes 570(5) et (6) du Code criminel sont libellés en ces termes :

(5) Lorsqu’un prévenu, autre qu’une organisation, est condamné, le juge ou le juge de la cour provinciale, selon le cas, décerne ou fait décerner un mandat de dépôt rédigé selon la formule 21, et l’article 528 s’applique à l’égard d’un mandat de dépôt décerné sous le régime du présent paragraphe.

(5) Where an accused other than an organization is convicted, the judge or provincial court judge, as the case may be, shall issue or cause to be issued a warrant of committal in Form 21, and section 528 applies in respect of a warrant of committal issued under this subsection.

(6) La copie du mandat de dépôt délivré par le greffier du tribunal certifiée conforme par ce dernier est admise en preuve dans toute procédure.

(6) Where a warrant of committal is issued by a clerk of a court, a copy of the warrant of committal, certified by the clerk, is admissible in evidence in any proceeding.

[27]           Voici les extraits pertinents du Guide de gestion des peines (passages soulignés en gras dans l’original) :

L’un des résultats possibles du processus de justice pénale est l’imposition d’une peine d’emprisonnement. L’enregistrement et la communication du résultat de ce processus prend la forme d’un « Mandat de dépôt sur déclaration de culpabilité » décerné en vertu du paragraphe 570(5) du Code criminel du Canada (C. cr.).

Ce document, décerné par le tribunal compétent qui a jugé et condamné le délinquant et qui lui a infligé une peine, constitue le seul document officiel autorisant l’arrestation de l’intéressé (au besoin), son placement sous garde et sa conduite dans un établissement correctionnel. C’est sur ce document que les gestionnaires des peines se fondent pour calculer les peines à purger et les rapports entre celles-ci.

[…]

Dans certains cas, le mandat de dépôt peut contenir une erreur administrative ou une erreur de droit, ou encore ne pas refléter fidèlement la peine prononcée par le juge. Lorsqu’il y a de tels écarts, les autorités fédérales ont toujours considéré le mandat de dépôt comme le document légal pour l’administration de la peine du délinquant.

Il est plus ou moins facile d’obtenir un mandat de dépôt modifié pour corriger une erreur selon le type d’erreur dont il s’agit. La rédaction et la délivrance d’un mandat de dépôt est une mesure administrative et le tribunal devrait être prêt à fournir un mandat de dépôt modifié pour corriger une erreur administrative.

Une erreur administrative peut être simple : par exemple, il peut être indiqué sur le mandat de dépôt que le délinquant a été condamné à une peine de trois ans alors que la transcription du prononcé de la sentence précise qu’il a été condamné à une peine consécutive de trois ans. Le tribunal a compétence pour corriger ce type d’erreur.

Autre exemple d’erreur administrative : sur le mandat de dépôt décerné à l’égard d’un délinquant coupable d’infractions multiples, les peines ne sont pas énumérées selon l’ordre dans lequel elles ont été imposées, de sorte que le calcul de la peine totale n’est pas conforme aux intentions du tribunal.

[…]

Lorsque des peines multiples sont imposées au cours d’une seule et même audience, il faut comparer le mandat de dépôt et la transcription du prononcé de la sentence pour vérifier l’exactitude des renseignements suivants fournis dans le mandat de dépôt :

•          l’ordre dans lequel les peines ont été imposées;

•          la peine imposée pour chaque infraction;

•          les rapports entre les peines imposées pour les différentes infractions;

[…]

Alors que la transcription du prononcé de la sentence ne sert qu’à clarifier l’intention du tribunal au moment du prononcé de la sentence et aide à repérer les erreurs dans le mandat de dépôt, les dispositions du mandat de dépôt sont exécutoires (jusqu’à ce qu’elles soient modifiées ou corrigées) même si elles ne correspondent pas à la sentence prononcée par le tribunal ou si elles contiennent une erreur de droit flagrante.

[28]           La décision de faire du mandat de dépôt le document officiel et exécutoire dont le SCC se sert pour calculer et administrer les peines infligées aux délinquants m’apparaît raisonnable. Le mandat de dépôt est décerné par le tribunal qui a condamné le délinquant et il est décerné dans tous les cas, conformément au paragraphe 570(5) du Code criminel, que la peine ait été prononcée de vive voix ou dans le cadre d’un jugement écrit. Comme il peut arriver qu’il y ait des différences entre le mandat de dépôt, la transcription de la détermination de la peine ou un jugement écrit prononçant la peine, il semble raisonnable que le SCC choisisse un document en particulier comme document ayant force exécutoire. De plus, ce document peut faire l’objet de modifications, que l’on peut demander auprès du tribunal compétent, lorsqu’il ne reflète pas de manière exacte la ou les peines que ce tribunal a infligées.

[29]           Par conséquent, au vu du Guide de gestion des peines, il était raisonnable que Mme Van Allen décide que le mandat de dépôt est le document ayant force exécutoire pour ce qui est du calcul de la durée de la peine infligée au demandeur. Je rejette donc les arguments du demandeur selon lesquels le SCC ne devrait pas se fonder sur le mandat de dépôt, et que les agents du SCC ont agi de mauvaise foi, contourné les règles et outrepassé la compétence du SCC en [traduction] « invalidant » le jugement prononçant la peine.

[30]           Dans sa réponse, Mme Van Allen a également indiqué que le SCC n’a pas le pouvoir de modifier un mandat de dépôt, et que cette mesure relève exclusivement du tribunal qui l’a décerné. Cette affirmation est exacte puisque le mandat de dépôt émane du tribunal qui a prononcé la peine et non du SCC.

[31]           Le processus établi dans le Guide de gestion des peines exige que les agents du SCC veillent à ce que le mandat de dépôt reflète avec exactitude le jugement par lequel le tribunal a prononcé la peine. Ce processus vise à garantir qu’il n’y a aucune erreur dans le calcul de la durée de la peine infligée à un délinquant. Le Guide de gestion des peines prescrit que lorsqu’il y a une divergence entre le mandat de dépôt et le jugement prononçant la peine, les mesures correctives requises à prendre dépendent de la nature de l’erreur :

Lorsqu’il détermine la nature du problème, qu’il s’agisse d’une erreur administrative ou d’une erreur de droit, le gestionnaire des peines détermine la mesure corrective à prendre et qui, c.-à-d. le tribunal, la Couronne ou le délinquant, il faut en informer

[32]           En l’espèce, il y a une erreur administrative dans le mandat de dépôt, car ce dernier n’indique pas avec exactitude la peine que la juge Moreau a ordonnée. Il ressort clairement du jugement que la juge Moreau a imposé une peine globale de 10 ans d’emprisonnement commençant le 15 mars 2010, soit la date de l’arrestation du demandeur. Il ressort également de son jugement, au paragraphe 35, que la peine globale a été scindée comme suit :

•           une peine concurrente de 6 ans d’emprisonnement pour les accusations nos 5, 6, 7, 8, 9 et 10;

•           une peine consécutive de 3 ans d’emprisonnement pour l’accusation no 1;

•           une peine consécutive de 1 an d’emprisonnement pour les accusations nos 2 et 3;

•           une peine consécutive de 1 an d’emprisonnement pour l’accusation no 4.

[33]           Il ressort également de la transcription de l’audience, et plus précisément de la réponse que la juge a donnée à l’avocat du ministère public, que la peine globale de 10 ans  d’emprisonnement devait commencer le 15 mars 2010. De plus, le temps purgé par le demandeur entre cette date et la date du prononcé de la peine a été soustraite des 10 ans d’emprisonnement.

[34]           Le mandat de dépôt, quant à lui, fait état d’une peine totale de 8 ans et 4 mois d’emprisonnement, commençant à la date du prononcé de la peine, soit le 7 novembre 2011. De plus, il contient des erreurs administratives et ne reflète pas la façon dont la peine a été imposée à l’égard de chacun des chefs d’accusation.

[35]           Toutefois, la divergence entre le mandat de dépôt et le jugement prononçant la peine n’a pas d’effet sur la peine nette qui a été infligée au demandeur, ni sur le calcul de la durée de sa peine : le jugement impose une peine globale de 10 ans d’emprisonnement à compter du 15 mars 2010, et le mandat de dépôt fait état d’une peine totale de 8 ans et 4 mois d’emprisonnement commençant à la date du prononcé de la peine, soit le 7 novembre 2011. Le résultat net est le même : le 7 novembre 2011, le demandeur avait à purger une peine restante de 8 ans et 4 mois d’emprisonnement, pour les 10 accusations mentionnées dans le jugement de la juge Moreau.

[36]           Il était donc raisonnable que Mme Van Allen arrive à la conclusion que l’erreur commise dans le mandat de dépôt n’avait aucun effet sur le calcul de la peine infligée au demandeur. Les différences entre le mandat de dépôt et le jugement ne lui ont causé aucun préjudice. En conséquence, même s’il aurait été préférable que la Cour supérieure décerne un mandat de dépôt modifié, le fait que le mandat était inexact n’a eu aucun effet sur la durée de la peine du demandeur et ne lui a causé aucun préjudice.

[37]           Dans ces circonstances, il était également raisonnable que Mme Van Allen conclue que le SCC s’était acquitté de ses obligations. Le SCC avait demandé à la Cour supérieure d’apporter des changements, mais comme cette dernière n’avait pas décerné un mandat de dépôt modifié, tous les recours avaient été épuisés. Je suis d’avis que si le résultat net quant à la durée de la peine infligée au demandeur avait été différent dans les deux documents, il aurait été nécessaire de prendre d’autres mesures pour obtenir de la Cour supérieure un mandat de dépôt modifié. Il n’est pas nécessaire de s’étendre sur ces autres mesures, ni de décider si le SCC ou le délinquant aurait dû prendre de telles mesures, car je suis convaincue que le fait que le SCC n’a pas pu obtenir un document modifié de la Cour supérieure du Québec est sans conséquence.

[38]           Voyons maintenant les derniers arguments du demandeur.

[39]           Rien dans la preuve ne permet de conclure qu’au cours de l’audience l’avocat du ministère public a constaté qu’il y avait une erreur – la juge Moreau avait omis de préciser la date de début de la peine – et n’a rien fait pour la corriger. Comme il a été dit plus tôt, la transcription de l’audience ne mentionne pas la date de début de la peine. Il ressort également de cette transcription que quand la juge Moreau est revenue dans la salle d’audience, l’avocat du ministère public lui a demandé s’il s’agissait de [traduction] « 10 ans à compter d’aujourd’hui? » et qu’elle a répondu qu’il fallait soustraire le temps déjà purgé par le demandeur. Ceci étant dit avec égards, on ne peut déduire de cette preuve aucune mauvaise foi ni aucune intention de manipuler la peine. La seule déduction que je fais est que l’avocat du ministère public a demandé à la Cour des éclaircissements sur la date de début de la peine et qu’il a obtenu une réponse claire de la juge Moreau.

[40]           On peut en dire autant de l’exactitude de la transcription. Le demandeur soutient que celle‑ci a été falsifiée, mais il n’y a aucune preuve à l’appui de cette allégation.

[41]           De plus, le demandeur fait valoir que les agents du SCC n’ont pas répondu à sa demande d’éclaircissements et qu’ils ont minimisé la divergence. Le dossier n’étaye pas cette allégation. Il montre au contraire que les agents du SCC ont pris acte de la divergence. Ils ont fourni de longues réponses au demandeur et lui ont expliqué que la divergence n’avait aucun effet sur la durée de sa peine. Le demandeur a reçu une première réponse de Mme Madeleine Renaud, chef, Gestion des peines à l’Établissement de Donnacona (page JR‑22 du dossier certifié du tribunal). Le demandeur a également reçu une lettre de Mme Dagorne, Conseillère nationale, Gestion des peines (pages JR‑61 à 63 du dossier certifié du tribunal), qui lui a fait part de longs détails sur le calcul de sa peine. Enfin, il a reçu la réponse à son grief au troisième palier, qui comporte elle aussi des détails sur le calcul de sa peine.

[42]           Par ailleurs, il ressort également du dossier que Mme Renaud a tenté d’obtenir un mandat de dépôt modifié de la Cour supérieure, et je rejette donc l’argument du demandeur selon lequel il n’existe aucune preuve des mesures qu’elle a prises. Dans la lettre datée du 17 février 2012 qu’elle a envoyée au demandeur, Mme Renaud déclare avoir communiqué avec la Cour supérieure et demandé que l’on établisse un mandat de dépôt modifié (page JR‑22 du dossier certifié du tribunal). Les lettres échangées entre un analyste et Mme Dagorne (pages JR‑95 et 96) font également mention des mesures que Mme Renaud a prises. Le fait que les mesures exactes que Mme Renaud a prises ne soient pas décrites en détail ne veut pas dire qu’elle n’a pas tenté d’obtenir un document modifié. Au vu du dossier, il ne fait aucun doute que Mme Renaud a tenté d’obtenir de la Cour supérieure du Québec un mandat de dépôt modifié.

[43]           Le demandeur fait valoir également qu’il s’est écoulé un temps prolongé entre le dépôt de son grief et la réception d’une réponse. Rien ne prouve que les agents du SCC ou Mme Van Allen ont tardé indûment et de façon malveillante à examiner le grief du demandeur.

[44]           Pour ce qui est des allégations du demandeur selon lesquelles la réponse à son grief au troisième palier contient des inexactitudes, je conviens qu’il en existe quelques-unes. À cet égard, je souscris aux affirmations suivantes du demandeur :

                      la réponse indique que la [traduction] «  Cour a prescrit que “ dans le mandat, le crédit de 20 mois a été appliqué à la peine de 6 ans ” », mais cela est inexact. La transcription officielle de l’instance ne cadre pas avec cette déclaration;

                      la réponse indique : [traduction] « tant la transcription que le mandat de dépôt sur déclaration de culpabilité prévoient une peine globale concurrente de 10 ans d’emprisonnement, assortie d’un crédit de 20 mois », mais la transcription ne dit pas vraiment : [traduction] « peine concurrente de 10 ans »;

                      la réponse indique : [traduction] « la juge indique tant dans la transcription de la détermination de la peine que dans le mandat de dépôt signé […] », mais la juge n’a pas signé le mandat de dépôt.

[45]           Je suis toutefois d’avis que ces inexactitudes ne sont pas importantes et ne vicient pas la réponse car l’essentiel du raisonnement est que la divergence entre le mandat de dépôt et le jugement n’a eu aucun effet sur la durée de la peine globale qui a été infligée au demandeur.

[46]           Le demandeur fait valoir que personne n’a répondu à sa question concernant le fait de savoir si la peine relative au chef d’accusation no 5 est consécutive ou concurrente. Mme Van Allen a expliqué dans sa réponse que la divergence entre les deux documents n’avait aucun effet sur le calcul de la peine infligée au demandeur. Dans ce contexte, il n’est pas nécessaire de répondre à cette question précise.

[47]           Enfin, pour ce qui est de l’état imprimé des déclarations de culpabilité au criminel de la GRC, il suffit de dire que ce document n’est pas celui qui est en litige et qu’il ne s’agit pas d’un document dont le SCC s’est servi pour calculer ou gérer la peine du demandeur.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, avec dépens en faveur du défendeur.

« Marie-Josée Bédard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-403-14

 

INTITULÉ :

JEFFREY ALLAN SPARKS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 AOÛT 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey Allan Sparks

 

LE DEMANDEUR

 

 

Nicholas R. Banks

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey Allan Sparks

Donnacona (Québec)

 

LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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