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Date : 20140918


Dossiers : T-1517-13

T-333-14

T-335-14

Référence : 2014 CF 893

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Dossier : T-1517-13

ENTRE :

VIIV SOINS DE SANTÉ ULC,

VIIV HEALTHCARE UK LIMITED ET

GLAXO GROUP LIMITED

demanderesses

et

TEVA CANADA LIMITÉE ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

Dossier : T-333-14

ET ENTRE :

VIIV SOINS DE SANTÉ ULC,

VIIV HEALTHCARE UK LIMITED ET

GLAXO GROUP LIMITED

demanderesses

et


 


APOTEX INC. ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

Dossier : T-335-14

ET ENTRE :

VIIV SOINS DE SANTÉ ULC,

VIIV HEALTHCARE UK LIMITED ET

GLAXO GROUP LIMITED

demanderesses

et

APOTEX INC. ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE HUGHES

[1]               La question est obscure. Un brevet ne revendiquant qu’un seul ingrédient médicinal peut‑il être inscrit au registre des brevets par le ministre de la Santé conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité), DORS/93‑133, modifié par DORS/2006‑242, lorsque l’avis de conformité sous-jacent vise une association de deux médicaments ou plus à dose fixe?

[2]               La Cour est saisie d’un appel de deux décisions, rendues à l’issue de trois instances dont était saisie la protonotaire Milczynski, par lesquelles elle a estimé qu’un tel brevet ne pouvait être inscrit. Pour les motifs qui suivent, je conclus que ces décisions sont justes.

[3]               Je dois également me prononcer sur une autre revendication du même brevet visant une préparation contenant un ingrédient médicinal nommé et un autre ingrédient médicinal devant être choisi au sein d’un groupe d’ingrédients médicinaux. L’avocat de l’appelant n’a pas abordé la question de cette revendication dans sa plaidoirie. J’ai jugé, en me fondant sur les documents que l’appelant n’a pas retirés, que cette revendication n’appuie pas non plus l’inscription du brevet au registre.

I.                   LES TROIS INSTANCES

[4]               Trois instances sont à l’examen. Les demanderesses ViiV et al agissent toutes en qualité de parties demanderesses dans les trois procédures et elles sont désignées comme étant la « première personne » (article 2, paragraphe 4(1)) conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié par DORS/2006-242 [le Règlement AC].

[5]               Le ministre de la Santé (le ministre), chargé d’administrer les dispositions du Règlement AC, notamment la tenue du Registre des brevets, agit en qualité de défendeur dans les trois instances.

[6]               Dans la première instance, T-1517-13 (l’instance intentée contre Teva), Teva Canada Limitée, une « seconde personne » au titre du Règlement AC (article 2, paragraphes 5(1) et (2)), est constituée défenderesse. Dans les deux autres instances, T-333-14 et T-335-14, Apotex Inc., également une « seconde personne », est constituée défenderesse.

[7]               Chronologiquement, l’instance, no T-1517-13, intentée contre Teva a été la première engagée. Teva a présenté une requête fondée sur le paragraphe 6(5) du Règlement AC en vue d’obtenir une ordonnance radiant le brevet canadien no 2 289 753 (le brevet 753) du Registre des brevets tenu par le ministre sous le régime de ce règlement. La protonotaire Milczynski a instruit cette requête et rendu le 3 avril 2014 une ordonnance portant que le brevet 753 ne pouvait pas être inscrit sur le Registre des brevets (l’ordonnance prononcée en faveur de Teva), dans des motifs répertoriés sous 2014 CF 328.

[8]               Il importe de souligner que l’ordonnance prononcée en faveur de Teva n’a pas mis fin à l’instance intentée contre Teva, puisque ViiV s’est également prévalue d’un autre brevet, le brevet canadien no 2 216 634 (le brevet 634), que Teva n’a pas contesté au moyen d’une requête fondée sur le paragraphe 6(5).

[9]               Dans les deux instances suivantes intentées contre Apotex (T-333-14 et T-335-14), ViiV n’a fait valoir qu’un seul brevet, le brevet 753. Apotex a présenté une requête fondée sur le paragraphe 6(5) pour les mêmes motifs que Teva, à savoir que le brevet 753 ne pouvait pas être inscrit sur le Registre des brevets. ViiV et Apotex ont convenu que la preuve se rapportant à la requête de Teva servirait à appuyer la requête d’Apotex. La protonotaire Milczynski a rendu la même ordonnance qu’elle avait prononcée pour trancher la requête présentée par Teva, à savoir que le brevet 753 n’était pas admissible à l’inscription (l’ordonnance prononcée en faveur d’Apotex). Cette ordonnance devait mettre fin aux deux instances intentées contre Apotex puisque celles-ci ne concernaient qu’un seul brevet; l’effet de l’ordonnance était également suspendu afin de pouvoir instruire le présent appel.

[10]           Les parties conviennent que la preuve présentée relativement à la requête de Teva est commune aux trois appels. La requête de Teva et celle d’Apotex dans le dossier no T-333-14 sont étroitement liées, car le médicament de « référence » de ViiV dans chacune des instances est une association médicamenteuse à dose fixe appelée KIVEXA, laquelle contient deux ingrédients médicinaux. Dans la seconde instance intentée contre Apotex, T-335-14, le médicament de référence de ViiV contient trois ingrédients médicinaux et est appelé TRIZIVIR. J’examinerai ces deux médicaments au regard des avis de conformité (AC).

II.                INSCRIPTIONS RELATIVES AUX AVIS DE CONFORMITÉ

[11]           Voici ce que prévoit le régime réglementaire prévu par la Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985, c F‑27, et le Règlement sur les aliments et drogues, CRC 1978, c 870 : pour qu’un médicament puisse légitimement être vendu au Canada, le ministre doit l’approuver à cette fin (voir Bristol-Myers Squibb Co. c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 RCS 533, aux paragraphes 13 à 17 [Bristol-Myers], et GD Searle & Co. et Pfizer Canada Inc., 2009 CAF 35, 71 CPR (4th) 389, aux paragraphes 2 à 4 [GD Searle], qui décrivent ce régime réglementaire). En bref, le ministre doit être convaincu que le médicament est sûr et efficace aux fins indiquées, ce qui suppose généralement des essais longs et coûteux. Une fois le médicament approuvé, le ministre remet à la partie qui veut le distribuer un AC ainsi qu’un numéro d’identification de médicament (DIN).

[12]           ViiV possède deux tels médicaments. Le premier, le KIVEXA, est une association médicamenteuse à dose fixe sous la forme d’un comprimé contenant comme ingrédients actifs 600 mg de sulfate d’abacavir et 300 mg de lamivudine.

[13]           Le deuxième médicament pour lequel ViiV a reçu une autorisation est le TRIZIVIR, une association médicamenteuse à dose fixe sous la forme d’un comprimé contenant 300 mg de sulfate d’abacavir, 150 mg de lamivudine et 300 mg de zidovudine.

[14]           Conformément au Règlement AC, le ministre a inscrit le brevet 753 au Registre des brevets relativement au KIVEXA et au TRIZIVIR.

[15]           Teva, une seconde personne au titre du Règlement AC – souvent désignée comme un fabricant de produits « génériques » –, souhaite vendre au Canada une copie générique du KIVEXA.

[16]           Apotex, une seconde personne ou un fabricant de produits génériques, veut aussi vendre des copies génériques du KIVEXA (dossier no T-333-14) et du TRIZIVIR (dossier no  -335-14).

[17]           Conformément au Règlement AC, Teva et Apotex ont chacune signifié à ViiV des avis d’allégation qui ont amené celle-ci à intenter les trois instances dont la Cour est à présent saisie.

III.             LE BREVET 753

[18]           Le 23 janvier 2007, le brevet canadien no 2 289 753 (le brevet 753) a été délivré et octroyé à Glaxo Group Limited, l’une des sociétés ViiV demanderesses. La date de dépôt effective de cette demande étant le 14 mai 1998, le brevet expirera vingt ans après cette date, soit le 14 mai 2018.

[19]           La description du brevet 753 commence en page 1. Je reprendrai le premier paragraphe, mais sans utiliser les termes complexes de chimie :

[traduction] La présente invention concerne un sel nouveau de l’[abacavir] ou de ses solvates, des préparations pharmaceutiques contenant un tel composé et leur utilisation en médecine, plus particulièrement dans le traitement de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et de l’infection par le virus de l’hépatite B (VHB).

[20]           Au deuxième paragraphe, il est écrit que l’[abacavir] a déjà été décrit dans le mémoire descriptif d’un brevet européen. Au troisième paragraphe, on reconnaît que l’[abacavir] fait actuellement l’objet d’essais cliniques en tant qu’agent anti‑VIH.

[21]           À la page 2 du brevet 753, il est écrit que l’invention réside dans la découverte des avantages du sel hémisulfate d’abacavir par rapport au sel chlorhydrate antérieurement connu.

[22]           Deux revendications du brevet 753 sont en litige en l’espèce, soit les revendications 2 et 32, mais l’avocat de ViiV s’est expressément abstenu d’aborder la question de la revendication 32 lors de sa plaidoirie. La revendication 2 vise uniquement l’hémisulfate d’abacavir. La revendication 32 revendique une préparation pharmaceutique contenant de l’hémisulfate d’abacavir ainsi qu’un autre ingrédient médicinal choisi au sein d’un groupe précis. Aucune revendication ne vise expressément l’association d’abacavir et de lamivudine, mais il est écrit dans la description du brevet 753, en page 4, que la lamivudine fait partie de l’un des groupes définis dans la revendication 32.

[23]           Aucune revendication du brevet 753 ne vise de façon expresse une association médicamenteuse comprenant trois ingrédients médicinaux, comme dans le cas du TRIZIVIR.

[24]           Au paragraphe 33 de ses observations écrites, ViiV indique qu’elle accepte les conclusions factuelles de la protonotaire Milczynski. Aux paragraphes 15 à 17 de ses motifs, la protonotaire affirme qu’il n’y avait pas de désaccord entre les parties au sujet de l’interprétation à donner au brevet 753. Je reproduis ses propos, et j’y souscris :

15 Il n’y a pas de différend entre les parties au sujet de l’interprétation du brevet 753. Le brevet 753 concerne le sel d’hémisulfate d’abacavir. La revendication 1 concerne l’hémisulfate d’abacavir et ses solvates. La revendication 2 dépend de la revendication 1 et revendique de façon expresse et exclusive l’hémisulfate d’abacavir, l’un des ingrédients médicinaux de KIVEXA®. Aucune revendication du brevet 753 ne revendique expressément l’association d’abacavir et de lamivudine, à savoir les deux ingrédients médicinaux de KIVEXA®. Toutefois, la revendication 32 du brevet 753 revendique l’abacavir en association avec un ou plus d’un autre ingrédient médicinal, selon le libellé suivant :

[traduction] 32. Une forme pharmaceutique telle qu’elle est revendiquée dans l’une ou l’autre des revendications 25 à 31, comprenant également un ou plus d’un agent thérapeutique choisi parmi un groupe comprenant [1] des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse, [2] des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse, [3] des inhibiteurs de protéase, [4] des modulateurs de la réponse immunitaire et [5] des interférons.

16 Il est précisé en page quatre du brevet 753 que l’abacavir peut être utilisé seul ou en association avec un certain nombre des agents thérapeutiques suivants, qui sont indiqués pour le traitement de l’infection par le VIH ou le VHB :

[traduction] Les composés de l’invention peuvent être administrés seuls ou en association avec d’autres agents thérapeutiques indiqués pour le traitement de l’infection par le VIH, comme les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), par exemple la zidovudine, la zalcitabine, la lamivudine, la didanosine, la stavudine, la 5‑chloro‑2’,3’-didésoxy‑3’-fluorouridine, l’adéfovir et la (2R,5S)‑5fluoro-1-[2-(hydroxyméthyl)-1,3-oxathiolan-5yl]cytosine, le lovaride; des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse, par exemple la névirapine, la délavuridine, l’α‑APA, HBY‑1293 et l’éfavirenz; des inhibiteurs de la protéase du VIH, par exemple le saquinavir, l’indinavir, le nelfinavir, le ritonavir et VX‑478; d’autres agents anti‑VIH, par exemple des molécules CD4 solubles; des modulateurs de la réponse immunitaire, par exemple l’interleukine II, l’érythropoïétine et le tucarésol; et les interférons, par exemple l’interféron α. De plus, le composé de l’invention peut être administré en association avec d’autres agents thérapeutiques indiqués pour le traitement de l’infection par le VHB, par exemple la lamivudine, la (2R,5S)-5-fluoro-1-[2-(hydroxyméthyl)-1,3-oxathiolan-5yl]cytosine, des modulateurs de la réponse immunitaire et les interférons décrits ci‑dessus. De telles associations peuvent être administrées de façon concomitante ou de façon séquentielle, pourvu que le laps de temps s’écoulant entre l’administration de chacun des agents thérapeutiques n’en diminue pas l’effet additif.

17 Ainsi, la revendication 32 revendique une association à dose fixe d’hémisulfate d’abacavir et de un ou de plus d’un agent thérapeutique choisi parmi les cinq classes décrites précédemment, dont l’une est la classe des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse, ou les INTI. Neuf INTI sont identifiés, dont l’un est la lamivudine, et environ vingt et un agents thérapeutiques sont identifiés au total dans les cinq classes (les INTI, les INNTI, les inhibiteurs de protéase, les modulateurs de la réponse immunitaire et les interférons); tous ces agents thérapeutiques peuvent être utilisés en association avec l’abacavir. En d’autres termes, la revendication 32 du brevet 753 ne se limite pas à une association de deux médicaments, comme dans une forme pharmaceutique comprenant de l’hémisulfate d’abacavir et de la lamivudine. En effet, la portée de la revendication 32 est plutôt vaste et englobe une formulation contenant de l’abacavir et un autre INTI (non précisé). La revendication 32 concerne une ou plus d’une classe d’agents thérapeutiques pouvant être associés avec l’abacavir, et la lamivudine n’est que l’un de ces agents thérapeutiques.

IV.             LA DÉCISION DE LA PROTONOTAIRE

[25]           La protonotaire Milczynski a estimé que le brevet 753 n’était pas admissible à l’inscription à l’égard du KIVEXA et a tiré la conclusion suivante, au paragraphe 31 de ses motifs :

31 Le brevet 753 n’est pas admissible à l’inscription au registre à l’égard de KIVEXA®, car il ne revendique ni l’ingrédient médicinal, comme l’exige l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), ni la formulation contenant du sulfate d’abacavir et de la lamivudine, comme l’exige l’alinéa 4(2)b) du même règlement, approuvés par la délivrance d’un AC à l’égard de la présentation de drogue concernant les comprimés de KIVEXA®, qui contiennent du sulfate d’abacavir (600 mg) et de la lamivudine (300 mg).

[26]           Dans le cadre de l’instance intentée contre Apotex, no T-335-14, son ordonnance visait l’inscription du TRIZIVIR par ViiV, mais nous pouvons logiquement conclure que son raisonnement concernant le KIVEXA peut également s’appliquer à ce médicament.

[27]           Dans les motifs de l’ordonnance prononcée en faveur de Teva, la protonotaire a exposé la position des parties et a examiné en particulier la décision dans l’arrêt Gilead Sciences Canada c Le Ministre de la Santé, 2012 CAF 254 [Gilead], de la Cour d’appel fédérale. Elle explique le fondement de sa décision aux paragraphes 28 à 30 de ses motifs :

28 De même, dans le cas de KIVEXA®, aucune revendication du brevet 753 ne revendique expressément l’association des deux ingrédients médicinaux visés par l’AC concernant KIVEXA®, à savoir le sulfate d’abacavir et la lamivudine. Rien dans le brevet 753 ne fait en sorte que la lamivudine soit requise. Le brevet 753 ne revendique que l’abacavir en association avec un autre ingrédient médicinal non nommé. Comme l’a mentionné la Cour dans Gilead, l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) prévoit que l’ensemble des ingrédients médicinaux nommés dans la présentation ayant mené à la délivrance d’un AC doit être revendiqué dans le brevet pour que ledit brevet puisse être inscrit au registre. De la même manière, la formulation identifiée dans la présentation ayant mené à la délivrance d’un AC doit être revendiquée dans le brevet. Dans le cas du brevet 753, il n’est pas suffisant que la revendication englobe l’ingrédient médicinal lamivudine (parmi d’autres ingrédients médicinaux) en association avec l’abacavir aux fins de l’alinéa 4(2)b) du Règlement.

29 Le degré de spécificité requis aux fins de l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est identique au degré de spécificité requis aux fins des alinéas 4(2)b), 4(2)c) et 4(2)d). Il doit y avoir une correspondance entre l’ingrédient médicinal, la formulation, la forme posologique ou l’utilisation de l’ingrédient médicinal revendiqués dans le brevet que l’on cherche à faire adjoindre au registre et ce qui est énoncé dans la présentation de drogue ayant mené à la délivrance de l’AC. Si les exigences à respecter dans le cas de l’alinéa 4(2)a) étaient différentes, cela irait à l’encontre du but et de l’objet du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) en ce qui concerne la spécificité du produit, et ce serait contraire aux motifs du jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans Gilead (voir également l’affaire Purdue Pharma c Ministre de la Santé, 2011 CAF 132, et, en ce qui concerne l’alinéa 4(2)b), les affaires Bayer Inc. c Ministre de la Santé, 2009 CAF 161 et Eli Lilly Canada Inc. c Procureur général du Canada et Ministre de la Santé, 2014 CF 152). Dans Gilead, la Cour précise, au paragraphe 39, ce qui suit :

Il n’y a aucune raison valable d’adopter différentes exigences législatives à l’égard des différents alinéas du paragraphe 4(2). Chaque alinéa emploie des articles définis pour renvoyer à la substance de la revendication comme à l’avis de conformité : « l’ingrédient », « la formulation », « la forme posologique », « l’utilisation » (en anglais, « the medicinal ingredient », « the formulation », « the dosage » et « the use »). Pour le reste, le contenu des dispositions est parfaitement identique.

30 En appliquant ce raisonnement au brevet 753, il est clair que le brevet ne contient pas :

i) une revendication de l’ingrédient médicinal, l’ingrédient ayant été approuvé par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

ii) une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

iii) une revendication de la forme posologique, la forme posologique ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

iv) une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation.

V.                QUESTIONS EN LITIGE

[28]           La question générale dont je suis saisi est celle de savoir si la protonotaire a eu tort de conclure que le brevet 753 n’était pas admissible à l’inscription au titre du Règlement AC à l’égard des médicaments KIVEXA ou TRIZIVIR de ViiV.

[29]           La question tranchée par la protonotaire, comme l’indique ViiV dans l’énoncé des questions en litige au paragraphe 30 de ses observations écrites, est celle de savoir si l’alinéa 4(2)a) et/ou l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC permettent à une personne d’inscrire au registre des brevets, tenu conformément au Règlement AC, un brevet à l’égard d’une association médicamenteuse à dose fixe contenant :

a)                  une revendication visant un composé (A) qui correspond à l’un de deux ingrédients médicinaux d’une association médicamenteuse à dose fixe (A + B), en particulier la revendication 2 du brevet 753;

b)                  une revendication visant une association médicamenteuse à dose fixe qui nomme de façon expresse l’un de deux ingrédients médicinaux et inclut le second en mentionnant une classe d’agents thérapeutiques, le second ingrédient médicinal faisant partie de ladite classe d’agents thérapeutiques et étant identifié de façon expresse dans la description du brevet, en particulier dans la revendication 32 du brevet 753. Il est possible de décrire cette situation comme étant celle d’une revendication visant le composé A, ainsi qu’un ingrédient médicinal choisi au sein du groupe B, du groupe C, du groupe D ou du groupe E.

[30]     Les arguments que l’avocat de ViiV a présentés lors de la plaidoirie ne concernaient que l’alinéa 4(2)a) du Règlement AC et la revendication 2, telle que décrite à l’alinéa a) ci-dessus.

VI.             NORME DE CONTRÔLE

[31]     La Cour est saisie d’un appel et non d’un contrôle judiciaire. Les questions de droit doivent être examinées par la Cour suivant la norme de la décision correcte. Quant aux questions de fait, elles sont soumises à la norme de l’erreur manifeste et dominante (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235, aux paragraphes 8, 10, 22 et 23).

VII.          UN BREF HISTORIQUE DES BREVETS DE MÉDICAMENTS AU CANADA

[32]     Pendant longtemps, le Canada, à l’instar de nombreux autres pays, n’a pas autorisé les brevets revendiquant un aliment ou un médicament.

[33]     Les choses ont évolué; le Canada a légalisé les brevets de médicament, à condition que le médicament revendiqué soit produit au moyen d’un procédé particulier (Parke, Davis & Co c Fine Chemicals of Canada Ltd, [1959] RCS 219, 17 DLR (2d) 153, aux paragraphes 11et 15). En conséquence, si le même médicament était produit à l’aide d’un procédé différent, il n’y avait pas de contrefaçon.

[34]     Le Canada a ensuite légalisé les brevets se rapportant uniquement à un médicament, sans égard au mode de production. Cependant, toute personne désireuse de fabriquer ou vendre un médicament au Canada pouvait s’adresser au commissaire des brevets et recevait presque toujours une « licence obligatoire » liée au brevet, sur paiement d’une redevance correspondant généralement à 15 % du produit en vrac et à 4 % à 5 % du produit fini (Bristol-Myers Squibb Co. c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 RCS 533, au paragraphe 8 [Bristol-Myers]).

[35]     Compte tenu des pressions exercées par ses partenaires commerciaux, le Canada a renoncé à son régime de licence obligatoire en 1993 (Bristol-Myers, au paragraphe 10). Celui-ci a été remplacé par le Règlement AC, imparfaitement calqué sur la Hatch Waxman Act des États-Unis, familièrement connue comme le « livre orange » en référence à la couleur de la couverture du livret contenant la loi et le règlement américains (Pfizer Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 1165, 78 CPR (4th) 428, au paragraphe 40.

[36]     Nul ne conteste que le Règlement AC canadien soit imparfait. Plusieurs modifications y ont été apportées au fil des ans. Les parties intéressées, soit les sociétés pharmaceutiques fabricant des médicaments « de marque » et « génériques », rivalisent férocement sur le terrain politique pour apporter des changements à la législation ou y faire obstacle. Il ne revient pas à la Cour de décider si des aspects particuliers de la législation, ou des modifications qu’elle a subies, assurent un « équilibre » parfait entre les intérêts des parties.

[37]     Comme le déclarait la regrettée juge Layden-Stevenson au sujet de l’inscription d’un brevet sous le régime du Règlement AC au paragraphe 45 de l’arrêt Purdue Pharma c Canada (Procureur général), 2011 CAF 132, 93 CPR (4th) 186 [Purdue] :

45 Je suis d’accord avec Purdue que l’objet du Règlement est d’empêcher la contrefaçon d’un brevet par une personne utilisant une invention brevetée en s’appuyant sur l’exception relative à la fabrication anticipée. Cependant, il n’y a aucune obligation d’accorder la protection offerte par le Règlement dans tous les cas. Le fait que le gouverneur en conseil a établi des critères d’admissibilité pour l’adjonction au registre des brevets n’enlève rien à l’objectif légitime.

VIII.       RÉGIME DU RÈGLEMENT AC – INSCRIPTION DES BREVETS

[38]     Le Règlement AC prévoit un régime en vertu duquel une « première personne », généralement désignée comme une société fabriquant un médicament « de marque » ou une société « novatrice », autorisée par le ministre à commercialiser un médicament au Canada – lequel lui délivre un AC pour ce faire –, peut « inscrire » au registre que le ministre tient sous le régime de ce règlement, un ou des brevets lui appartenant ou à l’égard desquels elle détient une licence (paragraphe 4(1)). Ces brevets sont inscrits au registre des brevets (une base de données informatique) tenu par le ministre (paragraphe 3(2)).

[39]     La « seconde personne », généralement désignée comme une société fabriquant des médicaments « génériques », qui veut commercialiser un médicament similaire au Canada sans avoir à soumettre l’ensemble des données cliniques et autres données requises pour obtenir un AC, peut se prévaloir d’une procédure « abrégée » par laquelle elle ne présente qu’une quantité limitée de données et « fait renvoi » à celles qu’a déjà fournies la première personne (paragraphe 5(1)). Cela permet de réaliser de grandes économies de temps, d’argent et d’énergie.

[40]     Cependant, la seconde personne doit prendre des mesures précises à l’égard des brevets inscrits par la première personne en lui signifiant un avis d’allégation énonçant les motifs juridiques et factuels en vertu desquels elle allègue, en règle générale, que les brevets ne seront pas contrefaits et/ou qu’ils ne sont pas valides (paragraphe 5(1))).

[41]     La première personne peut choisir de ne rien faire, auquel cas, quarante-cinq jours plus tard, la seconde personne reçoit généralement du ministre un avis de conformité l’autorisant à commercialiser son produit générique au Canada (alinéa 7(1)d)). Si elle le souhaite, la première personne peut toutefois instituer des procédures pour empêcher le ministre de délivrer un AC à la seconde personne (paragraphe 6(1)). Ces procédures doivent arriver à un terme avant que deux ans ne s’écoulent (alinéa 7(1)e)). Il s’agit habituellement de savoir si les allégations concernant la non-contrefaçon ou l’invalidité sont justifiées. Si ce n’est pas le cas, il est interdit au ministre de délivrer un AC à la seconde personne jusqu’à l’expiration de tous les brevets concernés (alinéa 7(1)f)). La première personne bénéficie effectivement, jusqu’à ce que l’affaire soit tranchée, d’une injonction empêchant la seconde personne – le fabricant de médicaments génériques – de commercialiser sa propre version générique.

[42]     L’inscription du brevet est donc un élément essentiel du processus. Certaines exigences assez complexes ayant trait aux délais entrent en jeu, mais elles ne sont pas en jeu en l’espèce, contrairement à celles qui concernent l’objet.

[43]     Les exigences relatives à l’inscription de l’objet intéressant le brevet en cause sont énoncées aux alinéas 4(2)a) et 4(2)b) du Règlement AC, modifié par DORS/2006-242, en vigueur depuis le 5 octobre 2006. Ces dispositions sont les suivantes :

4. (2) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache à la présentation de drogue nouvelle, s’il contient, selon le cas :

 

a) une revendication de l’ingrédient médicinal, l’ingrédient ayant été approuvé par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

 

b) une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

 

4. (2) A patent on a patent list in relation to a new drug submission is eligible to be added to the register if the patent contains

 

 

 

(a) a claim for the medicinal ingredient and the medicinal ingredient has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the submission;

 

(b) a claim for the formulation that contains the medicinal ingredient and the formulation has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the submission;

 

[44]     Les expressions « revendication de l’ingrédient médicinal » et « revendication de la formulation » employées aux alinéas 4(2)a) et 4(2)b) du Règlement AC, respectivement, sont ainsi définies à l’article 2 :

2. « revendication de l’ingrédient médicinal »

 

« revendication de l’ingrédient médicinal » S’entend, d’une part, d’une revendication, dans le brevet, de l’ingrédient médicinal — chimique ou biologique — préparé ou produit selon les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués dans le brevet ou selon leurs équivalents chimiques manifestes, et, d’autre part, d’une revendication pour différents polymorphes de celui-ci, à l’exclusion de ses différentes formes chimiques. (claim for the medicinal ingredient)

 

« revendication de la formulation »

 

« revendication de la formulation » Revendication à l’égard d’une substance qui est un mélange des ingrédients médicinaux et non médicinaux d’une drogue et qui est administrée à un patient sous une forme posologique donnée. (claim for the formulation)

 

2. “claim for the medicinal ingredient”

 

“claim for the medicinal ingredient” includes a claim in the patent for the medicinal ingredient, whether chemical or biological in nature, when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed in the patent, or by their obvious chemical equivalents, and also includes a claim for different polymorphs of the medicinal ingredient, but does not include different chemical forms of the medicinal ingredient; (revendication de l’ingrédient médicinal)

 

“claim for the formulation”

 

 

“claim for the formulation” means a claim for a substance that is a mixture of medicinal and non-medicinal ingredients in a drug and that is administered to a patient in a particular dosage form; (revendication de la formulation)

 

[45]     Le Règlement AC prévoyait ce qui suit avant les modifications de 2006 concernant l’inscription :

4. (2) La liste de brevets au sujet de la drogue doit contenir les renseignements suivants :

 

a) la forme posologique, la concentration et la voie d’administration de la drogue;

 

b) tout brevet canadien dont la personne est propriétaire ou à l’égard duquel elle détient une licence exclusive ou a obtenu le consentement du propriétaire pour l’inclure dans la liste, qui comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l’utilisation du médicament, et qu’elle souhaite voir inscrit au registre;

 

4. (2) A patent list submitted in respect of a drug must

 

 

(a) indicate the dosage form, strength and route of administration of the drug;

 

(b) set out any Canadian patent that is owned by the person, or in respect of which the person has an exclusive licence or has obtained the consent of the owner of the patent for the inclusion of the patent on the patent list, that contains a claim for the medicine itself or a claim for the use of the medicine and that the person wishes to have included on the register;

 

[46]     Dans l’arrêt GD Searle & Co. c Canada (Ministre de la Santé), 2009 CAF 35, 71 CPR (4th) 389, la juge Sharlow a expliqué aux paragraphes 13 à 15 les modifications apportées au Règlement AC :

13 En l’espèce, le débat sur l’interprétation porte sur l’article 4 du Règlement AC. Pour que le titulaire d’un brevet puisse bénéficier des avantages du Règlement AC, il doit inscrire le brevet à l’égard d’une drogue approuvée au registre des brevets. L’article 4 du Règlement AC indique les conditions devant être respectées pour inscrire un brevet au registre des brevets. Le paragraphe 3(2) du Règlement AC donne au ministre le pouvoir de radier tout brevet qui ne respecte pas les exigences de l’article 4.

14 L’article 4 a été modifié considérablement par DORS/2006-242 entré en vigueur le 5 octobre 2006. Aux termes de l’article 6 du DORS/2006-242, la version de l’article 4 antérieure au 5 octobre 2006 ne s’applique pas aux brevets inscrits sur une liste de brevets présentée en vue de son inscription avant le 17 juin 2006. Toutefois, le brevet en question a été présenté pour inscription après le 17 juin 2006. Par conséquent, la version de l’article 4 postérieure au 5 octobre 2006 régit son admissibilité aux fins de l’inscription au registre. Dans les présents motifs, les renvois à l’article 4 du Règlement AC font référence à la version postérieure au 5 octobre 2006, à moins que le contexte n'indique un sens différent.

15 La jurisprudence relative à l’admissibilité des brevets pour l’inscription au registre conformément à l’article 4 du Règlement AC (tel qu’il existait avant les modifications du 5 octobre 2006) avait adopté une interprétation que le gouvernement considérait tellement large qu’elle retardait indûment l’entrée des drogues génériques sur le marché. Les modifications du 5 octobre 2006 avaient comme objectif de rétablir l’équilibre. Cette situation est expliquée en détail dans le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation publié avec le règlement modifié (DORS/2006‑242).

Le résumé de l’étude d’impact de la réglementation auquel la juge Sharlow fait référence indiquait notamment :

Les exigences relatives à l'inscription des brevets

[. . .]

 

Il s'ensuit que ce ne sont pas tous les brevets protégeant une drogue approuvée qui peuvent se prévaloir du mécanisme d'application prévu par le règlement de liaison. Seuls les brevets respectant les exigences énoncées à l'article 4 du règlement relatif au délai, à l'objet et à la pertinence, peuvent être inscrits au Registre des brevets de Santé Canada et bénéficier de la protection correspondante de la suspension de 24 mois. Ces exigences reposent sur certains principes fondamentaux devant être respectés afin que le règlement de liaison fonctionne de manière équilibrée avec l'exception relative à la fabrication anticipée. Avant de passer à l'explication du fonctionnement de quelques-unes de ces exigences, les principes qui les sous-tendent seront d'abord décrits.

 

En stipulant que la date de dépôt de la demande de brevet doit précéder celle de la demande d'avis de conformité correspondante, l'exigence relative au délai procure un lien temporel entre l'invention que l'on cherche à protéger et le produit visé par la demande d'approbation. Ceci permet de faire en sorte que les brevets protégeant des inventions dont la découverte est postérieure à l'existence d'une drogue n'empêchent pas l'arrivée sur le marché de versions génériques de cette même drogue. De la même façon, l'exigence relative à la pertinence vise à faire en sorte que le règlement de liaison protège uniquement ce pour quoi l'innovateur a investi temps et argent afin d'effectuer les études et l'approbation nécessaires en vue de l'entrée sur le marché. Ceci fait en sorte que l'innovation hypothétique n'entrave pas la mise en marché du produit générique et encourage les innovateurs à commercialiser leurs inventions les plus récentes. Enfin, en permettant uniquement l'inscription des brevets contenant des revendications à l'égard du médicament ou de son utilisation, l'exigence relative à l'objet signale clairement que les innovations ne comportant aucune application thérapeutique directe, comme les procédés ou les intermédiaires, ne méritent pas la protection spéciale prévue au règlement de liaison.

 

Bien entendu, il peut y avoir des cas où un brevet n'étant pas admissible à la protection conférée par le règlement de liaison soit finalement contrefait suite à l'arrivée d'un produit générique sur le marché. Toutefois, le gouvernement estime que dans le cas où le brevet ne respecterait pas les exigences susmentionnées, les intérêts de la politique sous-jacente font pencher la balance en faveur de l'approbation immédiate du produit générique et qu'il est préférable que la question soit tranchée au moyen d'une action en contrefaçon ordinaire. Il s'ensuit que la viabilité du régime dépend en grande partie de l'application juste et équitable de ces exigences.

 

Le gouvernement a constaté qu'un nombre accru de décisions judiciaires portant sur l'interprétation du règlement de liaison a donné lieu à la nécessité d'apporter des précisions quant aux exigences relatives à l'inscription des brevets décrites ci-dessus. Ces décisions, concernant les exigences relatives au délai et à la pertinence, ne sont pas le résultat d'erreurs de la part des tribunaux, mais plutôt d'une lacune dans le libellé du règlement lui-même. Plus précisément, le libellé du règlement de liaison ne tient pas pleinement compte de l'éventail de types de demandes d'avis de conformité possibles en vertu du Règlement sur les aliments et drogues, des différentes revendications relatives aux brevets pharmaceutiques pouvant être formulées en vertu de la Loi sur les brevets et, surtout, de la foule de scénarios pouvant découler du lien entre les deux lois résultant du règlement de liaison.

Patent Listing Requirements

. . .

 

 

Consistent with this understanding of the PM(NOC) Regulations is the fact that not every patent pertaining to an approved drug qualifies for enforcement under the scheme. Only those patents which meet the current timing, subject matter and relevance requirements set out in section 4 of the regulations are entitled to be added to Health Canada's patent register and to the concurrent protection of the 24-month stay. Embodied in each of these requirements are certain fundamental principles which must be respected if the PM(NOC) Regulations are to operate in balance with early-working. While the operation of some of these requirements is described in more detail below, a brief discussion of the principles they represent is warranted.

 

 

By stipulating that the application filing date of the patent precede the date of the corresponding drug submission, the timing requirement promotes a temporal connection between the invention sought to be protected and the product sought to be approved. This ensures that patents for inventions discovered after the existence of a product do not pre-empt generic competition on that product Similarly, the relevance requirement limits the protection of the PM(NOC) Regulations to that which the innovator has invested time and money to test and have approved for sale. This prevents hypothetical innovation from impeding generic market entry and encourages innovators to bring their latest inventions to market. Finally, in only allowing patents to be listed which contain claims for the medicine or its use, the subject matter requirement makes it clear that innovations without direct therapeutic application, such as processes or intermediates, do not merit the special enforcement protection of the PM(NOC) Regulations.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

It is recognized that there may be instances where a patent which does not qualify for the protection of the PM(NOC) Regulations is ultimately infringed by the fact of generic market entry. However, the Government's view is that where the patent fails to meet the listing requirements described above, policy considerations tip the balance in favour of immediate approval of the generic drug, and the matter is better left to the alternative judicial recourse of an infringement action. It follows that the continued viability of the regime greatly depends upon the fair and proper application of these listing requirements.

 

 

 

It has come to the Government's attention that an increasing number of court decisions interpreting the PM(NOC) Regulations have given rise to the need to clarify the patent listing requirements. These decisions, which turn on timing and relevance issues, are not the product of judicial error but rather of deficiency in the language of the PM(NOC) Regulations themselves. Of particular concern is the failure of the language to fully account for the range of submission types possible under the Food and Drug Regulations, .the various pharmaceutical patent claims available under the Patent Act and, most importantly, the breadth of scenarios which can arise from the linkage between the two established by the PM(NOC) Regulations.

IX.             LA JURISPRUDENCE ACTUELLE

[47]     La Cour et la Cour d’appel fédérale ont rendu un certain nombre de décisions concernant le bien-fondé de l’inscription de certains brevets sous le régime du Règlement AC, modifié en 2006. Ces décisions sont les suivantes :

                     L’affaire Canada (Procureur général) c Laboratoires Abbott Ltée, 2008 CAF 244, 68 CPR (4th) 445 [Abbott], concernait la décision du ministre d’annuler l’inscription d’un brevet portant sur l’usage d’un ingrédient médicinal. La Cour d’appel fédérale a examiné le sens de l’expression « revendication de la forme posologique », laquelle figure aux alinéas 4(3)b) et 4(2)c), ainsi que l’exigence relative au « changement d’utilisation » prévue aux alinéas 4(3)c) et 4(2)d) du Règlement AC. Elle a estimé que même si le brevet contenait une revendication générale pouvant viser l’usage indiqué dans l’AC modifié de la partie demandant l’inscription, celle-ci ne couvrait pas l’usage spécifique mentionné dans ledit AC; par conséquent, le brevet n’était pas régulièrement inscrit. Aux paragraphes 46 à 49, le juge Pelletier, s’exprimant au nom de la Cour, a évoqué la nécessité que les revendications du brevet correspondent spécifiquement à la forme posologique à l’égard de laquelle l’AC modifié a été accordé :

46 On a mis fin à cette controverse en édictant des modifications qui spécifiaient les caractéristiques des brevets qu'il était permis d'inscrire à l'égard de catégories déterminées de SPDN. Ainsi, le Règlement dispose maintenant, à son alinéa 4(3)b), que, lorsqu'un fabricant a présenté un SPDN à l'égard d'une nouvelle forme posologique, tout brevet dont il demande l'adjonction relativement à cette présentation doit contenir « une revendication de la forme posologique modifiée ». Le SPDN en question dans la présente espèce se rattache à une nouvelle indication d'une drogue existante, soit le PREVACID. En effet, cette drogue a été approuvée à l'origine pour utilisation dans le traitement [traduction] « des ulcères duodénaux, des ulcères gastriques et de l'œsophagite peptique », et ledit SPDN revendique, comme nouvelle indication pour le PREVACID, [traduction] « la cicatrisation et la diminution de l’incidence des ulcères gastriques liés à des AINS ». Or l'alinéa 4(3)c) du Règlement dispose que tout brevet dont on demande l'adjonction au registre des brevets au titre de cette présentation doit contenir « une revendication de l'utilisation modifiée de l'ingrédient médicinal ».

47 Il va sans dire que si le brevet doit contenir une revendication de l'utilisation modifiée que revendique le SPDN d'Abbott, il ne suffit pas que ce brevet revendique simplement l'utilisation qui formait la base de la première présentation. Un tel brevet ne revendique pas explicitement l'utilisation modifiée, même si celle‑ci peut être considérée comme comprise dans ses revendications. Autrement dit, le Règlement prévoit, comme condition à l'inscription d'un brevet à l'égard d'une modification de l'utilisation de l'ingrédient médicinal, que ce brevet revendique explicitement l'utilisation modifiée et non qu'il contienne simplement des revendications non explicites assez larges pour englober l'utilisation modifiée.

48 C'est cette distinction entre les revendications étroitement déterminées ou explicites et les revendications larges ou non explicites qui a suscité dans la jurisprudence la discussion sur la nature de l'invention brevetée; voir le paragraphe 22 de Wyeth Canada, paragraphe dont les conclusions sont confirmées par [2007] A.C.F. no 1062, au paragraphe 29. Cette discussion se trouve maintenant dépassée par les modifications du Règlement.

49 Même si l'on était tenté de prendre en considération la nature de l'invention, la difficulté est que le texte du Règlement ne parle que d'« une revendication de l'utilisation modifiée de l'ingrédient médicinal ». Je conclus que l'alinéa 4(3)c) du Règlement pose comme condition de l'adjonction d'un brevet au registre l'obligation pour ce brevet de revendiquer expressément la modification précise de l'utilisation que le ministre a approuvée par la délivrance d'un avis de conformité à l'égard d'un SPDN.

                     L’affaire GD Searle & Co. c Canada (Ministre de la Santé), 2009 CAF 35, 71 CPR (4th) 389 [Searle], concernait la décision du ministre d’annuler l’inscription d’un brevet relatif à l’usage d’un médicament. La Cour d’appel fédérale a examiné l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC et une revendication ayant trait à l’utilisation. La juge Sharlow, s’exprimant au nom de la Cour, a affirmé clairement qu’une revendication générale d’utilisation (en l’occurrence une revendication ayant trait au traitement de la douleur) était insuffisante pour justifier l’inscription lorsque l’utilisation concernait spécifiquement un traitement de la douleur à court terme. Elle déclare aux paragraphes 44 à 47 :

44 Le problème que pose l’analyse présentée par Pfizer et Searle est que la portée de la revendication relative à l’utilisation de Celebrex en cas de « douleur » est si large qu’elle couvre la plupart des utilisations connues de Celebrex (y compris son utilisation dans le traitement de la douleur causée par l’arthrite et l’arthrose chez l’adulte, utilisation de Celebrex qui avait été autorisée par le ministre lors de la délivrance de l’AC d’origine de Celebrex). Selon moi, l’acceptation de l’interprétation de l’alinéa 4(3)c) proposée par Pfizer et Searle serait incompatible avec la décision de la Cour dans l’arrêt Abbott 244. Qui plus est, elle donnerait à l’alinéa 4(3)c) un sens si large qu’elle irait à l’encontre de l’objet pour lequel il a été adopté.

45 En gardant à l’esprit le fait que les revendications liées à la composition du brevet 201 incluent Celebrex, et prenant aussi en considération les principes établis dans l’arrêt Abbott 244, je formulerais la troisième question fondamentale comme suit : la revendication 15 du brevet 201 porte‑t‑elle expressément sur l’utilisation qui avait été approuvée par la délivrance de l’AC en réponse au SPDN 072375 (c.‑à‑d., [traduction] « le traitement de courte durée (7 jours ou moins) chez l’adulte de la douleur aiguë modérée ou grave causée par des états pathologiques tels que le trauma musculosquelettique et/ou le trauma des tissus mous, y compris les entorses, la chirurgie orthopédique et l’extraction dentaire »)? Après avoir lu l’arrêt Abbott 244, je dois répondre à cette question par la négative, car l’utilisation indiquée dans la revendication 15 (« pour la douleur ») est simplement trop générale.

46 Comme il a été expliqué précédemment, l’examen de l’objet du Règlement AC confirme cette conclusion. Un fabricant de drogue générique qui entreprend les travaux nécessaires pour obtenir l’approbation d’une version générique de Celebrex utiliserait sans aucun doute l’invention brevetée divulguée dans le brevet 201 et (sauf en ce qui concerne l’exception relative aux travaux préalables) contreferait probablement les revendications 1 à 10. Si, avant l’expiration du brevet 201, la drogue générique était approuvée pour les mêmes utilisations que Celebrex, la fabrication et la vente de la drogue générique contreferaient les revendications 1 à 10. Toutefois, cette contrefaçon éventuelle ne peut être visée par le Règlement AC parce que l’échéance applicable à ces revendications n’a pas été respectée.

47 La fabrication et la vente d’une version générique de Celebrex pourraient également contrefaire la revendication 15. Néanmoins, la seule partie de la revendication 15 qui vise l’invention brevetée est celle qui renvoie aux nouvelles compositions à base de célécoxib. La partie de la revendication 15 qui traite de l’« utilisation » vise les utilisations de célécoxib à des fins médicales connues. Le fait de permettre au Règlement AC d’être utilisé pour empêcher la contrefaçon éventuelle de la revendication 15 sur le fondement des utilisations connues élargirait la portée du Règlement AC au-delà de l’objet visé par le législateur.

                     Le jugement Bayer Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 1171, 79 CPR (4th) 1, conf. par 2010 CAF 161, 86 CPR (4th) 81 [Bayer], est cité abondamment par ViiV dans l’appel dont je suis saisi. Cette affaire concernait le refus du ministre d’inscrire un brevet portant sur la composition non dégradable d’un médicament connu. La décision du juge Russell de la Cour fédérale est importante car la Cour d’appel fédérale, dans des motifs succincts livrés à l’audience par la juge Sharlow, a rejeté l’appel, car elle souscrivait à la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’interprétation de l’alinéa 4(2)b) par le ministre était juste « essentiellement pour les mêmes motifs que ceux qu’il a exposés ». Fait à souligner, la Cour d’appel n’a pas fait mention de l’alinéa 4(2)a).

L’interprétation de l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC était en cause. Le médicament à l’égard duquel la partie ayant inscrit le brevet avait obtenu son AC contenait deux ingrédients médicinaux, alors que le brevet inscrit n’en visait qu’un seul. Le juge Russell a conclu que l’inscription était irrégulière, et il a déclaré ce qui suit aux paragraphes 67 à 69 :

67 Le sens de l’expression « ingrédient médicinal » n’est pas contesté, et l’expression « revendication de la formulation » est définie ainsi dans l’article 2 : « Revendication à l’égard d’une substance qui est un mélange des ingrédients médicinaux et non médicinaux d’une drogue et qui est administrée à un patient sous une forme posologique donnée ».

68 Le brevet 979 renferme des revendications relatives à une composition pharmaceutique contenant de l’éthinylestradiol. Mais l’éthinylestradiol n’est que l’un des ingrédients médicinaux approuvés dans la PDN 119387 pour le YAZ.

69 Partant, selon moi, si l’on donne aux mots de l’alinéa 4(2)b) leur sens courant et ordinaire, alors le brevet 979 ne revendique pas la formulation qui a été approuvée. Il revendique plutôt une formulation qui contient l’un des ingrédients médicinaux qui ont été approuvés. La formulation qui a été approuvée, à savoir le YAZ, contient deux ingrédients médicinaux. Il me semble qu’un mélange contenant deux ingrédients médicinaux est différent d’un mélange qui contient un seul ingrédient médicinal. Les ingrédients médicinaux sont combinés pour produire un effet optimal lorsque la drogue est administrée au patient. Ainsi, de façon générale, une drogue comptant un seul ingrédient médicinal n’aura pas le même effet qu’une drogue dans laquelle deux ingrédients médicinaux se combinent pour produire l’effet souhaité.

                     L’affaire Purdue Pharma Canada c Canada (Procureur général), 2011 CAF 132, 93 CPR (4th) 186 [Purdue], concernait le refus du ministre d’inscrire un brevet portant sur la forme posologique d’un médicament aux termes de l’alinéa 4(2)c) du Règlement AC. La Cour d’appel fédérale a examiné cette disposition : une « revendication de la forme posologique ». La forme posologique à l’égard de laquelle la partie qui a inscrit le brevet avait reçu son AC contenait deux ingrédients médicinaux, alors que le brevet inscrit n’en revendiquait qu’un seul. S’exprimant au nom de la Cour, la juge Layden-Stevenson a conclu que l’inscription était irrégulière, car le brevet ne correspondait pas précisément et spécifiquement au médicament à l’égard duquel l’AC avait été accordé. Elle déclare aux paragraphes 41 à 44 :

41 L’exigence de spécificité de produit à l’alinéa 4(2)c) du Règlement exige une équivalence entre : (1) la revendication de la forme posologique; (2) la forme posologique qui a été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité.

42 La revendication de la forme posologique est définie par l’interprétation du brevet, c’est‑à-dire l’examen de la première question. Cela équivaut à la définition de « revendication de la forme posologique » figurant à l’article 2. Toutefois, le fait que la naloxone puisse être visée par la revendication 5 ne règle pas la question parce que, même si elle est incluse dans la portée du brevet, il est néanmoins possible qu’elle ne corresponde pas à la forme posologique approuvée par l’avis de conformité.

43 La revendication 5 concerne l’oxycodone et, tout au plus, n’exclut pas la naloxone de sa portée. Ce n’est pas la même chose que la forme posologique de l’avis de conformité, qui inclut explicitement à la fois l’oxycodone et la naloxone. L’interprétation téléologique des revendications lors de l'examen de la première question prévoit un examen différent de celui en vertu de l’alinéa 4(2)c), qui recherche précisément si la forme posologique revendiquée et la forme posologique approuvée sont en tous points identiques. À défaut d’une équivalence précise et spécifique, le brevet n’est pas admissible à l’adjonction au registre des brevets sous le régime du Règlement. Par conséquent, le médicament OXYCONTIN de Purdue satisfaisait aux conditions d'équivalence, mais pas son médicament TARGIN.

44 À mon avis, l’exigence qu'il y ait un tel niveau de spécificité est compatible avec le libellé et l’objet du Règlement. Elle est également compatible avec l’interprétation des autres catégories de revendications prévues à l’article 4 du Règlement, comme l’a établie la jurisprudence de notre Cour.

                     L’affaire Gilead Sciences Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CAF 254, 105 CPR (4th) 1 [Gilead], concernait le refus du ministre d’inscrire un brevet portant sur la combinaison chimiquement stable d’au moins deux ingrédients médicinaux. Il s’agit de l’arrêt de principe de la Cour d’appel fédérale sur l’interprétation qu’il convient de donner au paragraphe 4(2). Le sens et l’applicabilité de cet arrêt sont au cœur du débat dans le présent appel. La Cour d’appel fédérale a examiné les alinéas 4(2)a) et 4(2)b) du Règlement AC. En appel, la partie qui a inscrit le brevet s’en est tenue à l’alinéa 4(2)a). Celle qui avait demandé l’inscription de son brevet avait reçu un AC relativement à un médicament contenant trois ingrédients médicinaux spécifiques : le tenofovir, l’emtricitabine et la rilpivrine. Le brevet en question revendiquait un médicament contenant le tenofovir et l’emtricitabine, plus un troisième ingrédient médicinal non précisé choisi parmi une certaine classe d’inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI). La rilpivirine est connue comme un INNTI, mais n’était pas mentionnée dans les revendications du brevet.

La juge Trudel, s’exprimant au nom de la Cour, a expliqué aux paragraphes 27 à 32 pourquoi c’était l’alinéa 4(2)a), et non 4(2)b), qui était entrait en jeu :

27 À mon avis, le ministre et le juge n’ont pas accordé suffisamment de poids à l’exigence voulant que les formulations contiennent des ingrédients non médicinaux et qu’elles fassent état d’une forme posologique donnée. Lors de l’instruction du présent appel, l’avocat de l’intimé a reconnu sans peine qu’après lecture de l’article 2, force est de conclure que les revendications pertinentes ne satisfont pas à la définition de la formulation parce qu’elles ne contiennent pas d’ingrédients non médicinaux. Il soutient cependant qu’en l’espèce, l’activité inventive consiste en la [traduction] « formulation d’ingrédients médicinaux distincts dans la nouvelle association médicamenteuse » (paragraphe 35 du mémoire des faits et du droit de l’intimé).

28 Je conclus que ces thèses ne sont pas, en droit, recevables. La première règle d’interprétation des lois est que les mots « doivent être lus dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical, en harmonie avec l’esprit du Règlement [sur les MBAC], avec son objet et avec l’intention du législateur. […] S’il s’agit de règlements, l’objet de la loi habilitante doit également être pris en considération » (Apotex c. Merck & Co. Inc., 2009 CAF 187, au paragraphe 83).

29 Comme nous venons de le voir, la définition de la formulation dans le Règlement sur les MBAC est claire. Elle doit contenir des ingrédients médicinaux et non médicinaux.

30 De plus, le Règlement sur les MBAC est assujetti à la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21 [la Loi d’interprétation]. Il faut interpréter les mots « ingrédient médicinal » comme visant tant l’unité que la pluralité. Par conséquent, une revendication admissible aux termes de l’alinéa 4(2)a) peut contenir plus d’un ingrédient médicinal (paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation).

31 Enfin, ainsi que l’a conclu le juge, d’une manière générale, l’activité inventive du brevet 475 a trait à la combinaison d’ingrédients médicinaux chimiquement stables. Le brevet 475 met l’accent sur les effets bénéfiques liés à la combinaison d’associations chimiquement stables d’ingrédients médicinaux.

32 Je conclus donc que le brevet 475 entre dans les prévisions de l’alinéa 4(2)a), puisque les revendications pertinentes visent des combinaisons chimiquement stables d’ingrédients médicinaux.

Au paragraphe 39, elle précise qu’il n’existe aucune raison valable d’adopter différentes exigences législatives pour chaque alinéa du paragraphe 4(2) du Règlement AC :

39 Il n’y a aucune raison valable d’adopter différentes exigences législatives à l’égard des différents alinéas du paragraphe 4(2). Chaque alinéa emploie des articles définis pour renvoyer à la substance de la revendication comme à l’avis de conformité : « l’ingrédient », « la formulation », « la forme posologique », « l’utilisation » (en anglais, « the medicinal ingredient », « the formulation », « the dosage » et « the use »). Pour le reste, le contenu des dispositions est parfaitement identique.

Au paragraphe 43, elle souligne que les modifications apportées au Règlement AC en 2006 ont introduit l’exigence de spécificité du produit :

43 Il est également évident que les modifications de 2006 ont introduit l’exigence de spécificité du produit. Il ressort de la simple lecture de la version du Règlement sur les MBAC antérieure aux modifications de 2006 que s’il était établi que les revendications du brevet étaient « pertinent[es] quant [au] » médicament approuvé, l’inscription des brevets soumis était généralement acceptée. Par contre, la version modifiée crée l’obligation de fournir des renseignements plus précis sur le produit dont l’inscription du brevet est demandée, notamment l’ingrédient médicinal, le nom de marque, la forme posologique, la concentration, la voie d’administration et l’utilisation, tels qu’ils figurent dans la PDN. De plus, les catégories énoncées à l’article 4 sont maintenant plus détaillées et définies avec plus de précision. Ces changements, de même que l’importance accrue accordée au respect des critères d’admissibilité, sous réserve de la décision du ministre, dont il a été fait état précédemment, m’amènent à rejeter simplement la thèse de Gilead concernant le caractère général de la correspondance entre les revendications du brevet et l’AC.

Aux paragraphes 44 et 45, elle a refusé de se fier à la Ligne directrice du ministre pour interpréter l’alinéa 4(2)a) :

44 Enfin, quoique la Ligne directrice citée par l’appelante clarifie les rôles des différents intervenants du système des médicaments brevetés, notamment les innovateurs, les fabricants de médicaments génériques et le ministre, il ne s’agit pas d’un document légalement opposable. Qui plus est, si la Ligne directrice est incompatible avec le Règlement sur les MBAC ou qu’elle le contredit, ce dernier a préséance (Ligne directrice, section 1.2, dossier d’appel, volume II, onglet 6C). À l’audience, le ministre a reconnu que seul le Règlement sur les MBAC était un texte de loi opposable.

45 Je note par ailleurs que le Règlement sur les MBAC ne va nullement dans le sens de l’interprétation proposée dans la Ligne directrice. Comme nous l’avons vu, le libellé de l’article 4 est cohérent dans les quatre dispositions et impose un degré élevé de correspondance entre le libellé de la revendication et l’AC quant au produit spécifié. À moins d’y ajouter des précisions qui n’y figurent pas, l’alinéa 4(2)a) ne permet pas de présenter des revendications ne contenant qu’une partie des ingrédients médicinaux. Une telle interprétation va à l’encontre du sens ordinaire des mots, de l’objet du Règlement sur les MBAC et de la position du gouvernement voulant que la spécificité du produit soit une considération essentielle pour saisir le sens de l’article 4. Je ne retiendrai donc pas cette interprétation du Règlement sur les MBAC.

La Ligne directrice dont parle la juge Trudel, et publiée par le ministre en 2007, prévoyait notamment :

[L]e brevet revendiquant, à titre de composé, un seul ingrédient médicinal sera admissible à l’inscription concernant un médicament qui contient ledit ingrédient en association avec d’autres ingrédients médicinaux, nonobstant le fait que l’ingrédient médicinal de l’AC consiste en la combinaison des ingrédients médicinaux.

Au paragraphe 49, la juge Trudel a conclu que le brevet ne pouvait être inscrit :

49 Je confirmerais donc la conclusion du juge selon laquelle les revendications du brevet n’établissent pas suffisamment la spécificité du produit parce qu’elles ne mentionnent pas expressément l’ingrédient médicinal rilpivirine, mais seulement la classe générale des composés. Cependant, comme je l’ai indiqué précédemment, ma décision repose sur l’alinéa 4(2)a) plutôt que sur l’alinéa 4(2)b).

                     L’affaire Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c Canada (Procureur général), 2012 CF 836, 104 CPR (4th) 107 [Novartis], concernait le refus du ministre d’inscrire un brevet ayant trait à la formulation de microparticules perforées incluant un « agent bioactif » à utiliser avec des aérosols doseurs et autres choses du même genre. Le juge Martineau a conclu que le brevet n’était pas admissible à l’inscription relativement à la tobramycine au titre de l’alinéa 4(2)b). Le brevet en question revendiquait un dispositif d’inhalation comprenant un agent bioactif, et renvoyait dans la description à :

24        […] une liste d’agents bioactifs possibles, dont des antibiotiques, ainsi que des exemples d’antibiotiques (la streptomycine et la gentamicine) qui appartiennent à la sous-classe plus restreinte des antibiotiques aminoglycosides dont fait aussi partie la tobramycine. Cependant, nulle part dans le brevet 819 la tobramycine elle-même est-elle mentionnée explicitement comme un agent bioactif possible.

Suivant les motifs de la juge Trudel dans l’arrêt Gilead, le juge Martineau a rejeté aux paragraphes 58 à 60 la tentative de la demanderesse d’établir une distinction entre sa cause et les arrêts Bayer et Purdue :

58 Je suis d’accord avec la demanderesse que les faits de la présente espèce sont différents de ceux dont il était question dans Bayer, précitée. Néanmoins, le raisonnement exposé dans Bayer (CF), précitée, s’applique aisément. La demanderesse demande essentiellement à la Cour de faire exactement ce que la Cour d’appel fédérale a refusé de faire dans Bayer : conclure que l’inclusion d’antibiotiques en tant que classe, sans préciser la tobramycine, suffit pour constituer une revendication de formulation contenant l’ingrédient médicinal. Ce type d’inclusion a été rejeté dans Bayer et, de manière plus stricte, dans Gilead, relativement à l’interprétation de l’alinéa 4(2)b) du Règlement.

59 La demanderesse soutient qu’il convient de faire une distinction entre la présente espèce et les affaires Bayer et Purdue en ce sens que, dans ces deux dernières, il y avait dans le médicament approuvé un ou plusieurs ingrédients médicinaux que n’englobaient pas les revendications du brevet que l’on cherchait à faire inscrire, tandis que le brevet 819 contient des revendications de formulation qui englobent le seul ingrédient médicinal du produit approuvé : la tobramycine. Cependant, il ne s’agit là que d’une partie des principes établis dans Bayer et Purdue. Au vu de la décision Gilead, il ne suffit pas que l’ingrédient médicinal approuvé fasse partie, en tant que fait scientifique, d’une classe plus ou moins large d’agents actifs que le brevet revendique. Dans cette affaire, Gilead avait obtenu l’approbation de cachets formulés avec trois agents antiviraux à titre d’ingrédients médicinaux du médicament : le ténofovir, l’emtricitabine et la rilpivirine. Même si la rilpivirine entre dans la classe assez restreinte des agents connus sous le nom de INNTI auquel le brevet faisait explicitement référence, aucune référence n’était faite dans le brevet à l’ingrédient médicinal lui-même, la rilpivirine. La Cour a conclu que pour être admissible à l’adjonction au registre des brevets, la revendication applicable qui se rapporte à la formulation doit être identique à la formulation indiquée dans la PDN, de sorte que la non-inclusion de la rilpivirine seule dans le brevet rendait ce dernier inadmissible.

60 Par conséquent, au vu de la décision Gilead, même si le brevet 819 en litige donnait la priorité aux antibiotiques aminoglycosides en tant que variantes recommandées et mentionnait ensuite la gentamicine et la streptomycine ainsi que d’autres exemples d’antibiotiques aminoglycosides, la demanderesse n’aurait pas de meilleures chances de succès.

                     Le jugement Eli Lilly Canada Inc. c Canada (Procureur général), 2014 CF 152, 238 ACWS (3d) 446 [Eli Lilly], fait actuellement l’objet d’un appel, dont le numéro de dossier est le A-146-14. La Cour devait examiner un brevet dans lequel un seul ingrédient médicinal est revendiqué. La juge Bédard, de la Cour fédérale, a estimé qu’aux termes de l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC, les brevets dans lesquels un seul ingrédient médicinal est revendiqué ne pouvaient pas être inscrits si un AC avait été accordé pour deux ingrédients médicaux. Comme l’avait fait la Cour dans le jugement Novartis, la juge Bédard a suivi et appliqué dans son raisonnement la conclusion tirée par la juge Trudel dans l’arrêt Gilead. Voici ce qu’elle écrit aux paragraphes 73 et 80 à 85 :

73 Il est de jurisprudence constante que la version actuelle du paragraphe 4(2) du Règlement, tel qu’il a été modifié en 2006, a introduit une exigence relative à la spécificité du produit et qu’il doit y avoir une correspondance parfaite entre ce qui est revendiqué et ce qui a été homologué. Dans le cas d’une revendication visant une formulation, tous les ingrédients médicinaux présents dans le produit pharmaceutique, tel qu’il a été homologué, doivent être présents dans les revendications d’un brevet. Malgré les judicieuses observations faites par l’avocat des demanderesses, je suis liée par les jugements rendus par la Cour d’appel fédérale et ne puis m’écarter de l’interprétation adoptée par la Cour d’appel fédérale relativement au paragraphe 4(2) du Règlement dans une série de jugements et, plus récemment, dans Gilead. De plus, et en toute déférence, je n’estime pas que Gilead a accru l’exigence relative à la spécificité du produit telle qu’elle a été interprétée dans les jugements antérieurs rendus par la Cour d’appel fédérale. J’y vois plutôt l’application des principes reconnus à l’ensemble des faits de l’espèce.

[…]

80 Comme je l’ai indiqué précédemment, mon interprétation des revendications du brevet 329 est un peu plus large que celle du ministre. J’ai conclu dans le premier volet de l’analyse que les revendications ne visaient pas uniquement une formulation contenant du spinosad comme seul ingrédient actif, mais également des formulations contenant d’autres ingrédients actifs, comme, sans s’y limiter, l’oxime de milbémycine. Autrement dit, j’ai conclu que le brevet 329 pouvait englober une formulation contenant à la fois du spinosad et de l’oxime de milbémycine.

81 La question est maintenant de déterminer si le fait que l’on puisse interpréter les revendications comme englobant une formulation qui pourrait comprendre, mais qui ne comprend pas nécessairement, de l’oxime de milbémycine serait suffisant pour affirmer que les exigences strictes en ce qui concerne la correspondance avec l’AC concernant Trifexis, qui comprend clairement cet ingrédient bien précis, ont été respectées.

82 La situation en l’espèce s’apparente à celle dans l’affaire Gilead. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a jugé que la Cour fédérale (le juge Mosley) n’a pas commis d’erreur dans son raisonnement en ce qui concerne l’exigence relative à la spécificité du produit (Gilead, au paragraphe 47). Il est utile de reproduire l’extrait suivant du jugement de la Cour fédérale à cet égard :

46. Dans le brevet 475, il n’y a aucune mention expresse de la rilpivirine comme troisième ingrédient dans la classe des INNTI. Comme l’a indiqué le Dr Miller dans son témoignage pour le compte de la demanderesse, l’efficacité de plusieurs autres INNTI dans le traitement de l’infection à VIH avait été étudiée avant la délivrance du brevet. Les références à un INNTI dans le brevet ne concernent pas un ingrédient médicinal spécifique mais plutôt la classe de composés, un ou plusieurs d’entre eux pouvant avoir été jugés assez efficaces pour être inclus dans une formulation avec le ténofovir et l’emtricitabine. Les revendications qui mentionnent une telle formulation ne concernent pas spécifiquement le médicament dans la PDN de Complera.

Gilead Sciences Canada Inc. c Canada (Santé), 2012 CF 2, [2012] ACF 495

83 La demanderesse établit une distinction entre les faits dans Gilead et les faits relatifs à la présente espèce. Elle affirme que l’ingrédient médicinal qui n’était pas mentionné de façon expresse dans les revendications du brevet étudiées dans l’affaire Gilead (le brevet renvoyait à la classe générale des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse [INNTI] à laquelle appartient l’ingrédient médicinal présent dans le médicament homologué), mais qui était précisé dans la PDN, a été inventé et divulgué uniquement après l’invention de Gilead, et, par conséquent, qu’une personne moyennement versée dans l’art n’aurait pu être au fait de son existence à l’époque pertinente. Cette distinction est valide, car il est clair dans cette affaire que, à l’époque pertinente, l’oxime de milbémycine existait et appartenait à la famille des milbémycines.

84 Cependant, la Cour d’appel fédérale souscrit au raisonnement adopté par la Cour fédérale en ce qui concerne l’exigence relative à la spécificité du produit. Il convient de souligner la conclusion à laquelle est parvenu le juge Mosley, à savoir qu’en ce qui concerne l’exigence relative à la spécificité d’un produit, il n’est pas suffisant qu’un brevet mentionne une classe de composés plutôt qu’un ingrédient médicinal bien précis. Le juge Mosley a déclaré que la revendication n’était pas suffisamment précise pour qu’il soit possible d’établir une correspondance avec les ingrédients médicinaux présents dans Complera. Cette conclusion était fondée sur le principe précité et non sur le fait que le troisième ingrédient médicinal n’avait pas été revendiqué dans le brevet parce qu’il n’avait pas encore été découvert au moment de la publication du brevet.

85 Je m’estime liée par ce raisonnement et, par conséquent, je conclus qu’il devrait également s’appliquer à la présente espèce. Le fait de mentionner la famille générale des milbémycines dans la définition d’une formulation orale n’est pas suffisamment précis pour conclure que les revendications concordent avec la formulation contenue dans Trifexis. À mon humble avis, la possibilité que le brevet 329 puisse englober une formulation contenant de l’oxime de milbémycine ne change rien à cette conclusion.

                     Enfin, nous avons la décision de la protonotaire Milczynski, ici portée en appel.

[48]     C’est en tenant compte en particulier des arrêts prononcés par la Cour d’appel fédérale et du raisonnement du juge Russell dans le jugement Bayer, confirmé par la Cour d’appel fédérale, que je tire les principes suivants concernant l’interprétation des différents alinéas du paragraphe 4(2) du Règlement AC :

                     Il n’existe aucune raison valable d’adopter différentes exigences législatives concernant la spécificité du produit à l’égard des divers alinéas du paragraphe 4(2) du Règlement AC (Gilead, au paragraphe 39).

                     Sans concordance précise et spécifique entre les revendications du brevet et le produit/l’utilisation/les formes posologiques à l’égard duquel l’AC a été accordé à la première personne, le ministre ne peut inscrire régulièrement le brevet (Purdue, au paragraphe 43; Abbott, au paragraphe 49; Gilead, aux paragraphes 37 et 38).

                     La revendication qui concerne une formulation porte à la fois sur les ingrédients médicinaux et non médicinaux. La revendication qui concerne les ingrédients médicinaux, sans viser également des ingrédients non médicinaux, ne peut être inscrite comme formulation au titre de l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC (Gilead, aux paragraphes 27 à 32 et 49; Bayer, aux paragraphes 67 à 69).

                     Lorsqu’un brevet ne revendique qu’un seul ingrédient médicinal, il ne peut pas être inscrit dans le cas d’un AC obtenu pour (au moins) deux ingrédients médicinaux; à tout le moins, pour reprendre les propos du juge Russell au paragraphe 69 du jugement Bayer, « […] une drogue comptant un seul ingrédient médicinal n’aura pas le même effet qu’une drogue dans laquelle deux ingrédients médicinaux se combinent pour produire l’effet souhaité » [non souligné dans l’original]. La même distinction se trouve dans l’arrêt Gilead, dans lequel la juge Trudel déclare ce qui suit aux paragraphes 31 et 32 :

31 Enfin, ainsi que l’a conclu le juge, d’une manière générale, l’activité inventive du brevet 475 a trait à la combinaison d’ingrédients médicinaux chimiquement stables. Le brevet 475 met l’accent sur les effets bénéfiques liés à la combinaison d’associations chimiquement stables d’ingrédients médicinaux.

32 Je conclus donc que le brevet 475 entre dans les prévisions de l’alinéa 4(2)a), puisque les revendications pertinentes visent des combinaisons chimiquement stables d’ingrédients médicinaux.

[49]     Ainsi, dans les affaires Bayer et Gilead, les brevets qui ne revendiquaient qu’un seul ingrédient médicinal n’ont pas pu être inscrits, l’AC concerné visant une association de cet ingrédient médicinal avec d’autres ingrédients médicinaux, sans doute pour produire un effet différent que si les médicaments étaient administrés séparément. J’aborderai cette question plus loin dans les présents motifs.

X.                RAISONS DE LA POLITIQUE SOUS-JACENTE JUSTIFIANT L’INCLUSION D’ASSOCIATIONS MÉDICAMENTEUSES À DOSE FIXE COMME LE BREVET 753

[50]     Selon ViiV, pour répondre à la question de savoir si un brevet dans lequel est revendiqué un composé correspondant à l’un des deux ingrédients médicinaux d’une association médicamenteuse à dose fixe est admissible à l’inscription au Registre des brevets, suivant l’alinéa 4(2)a) du Règlement AC, il faut appliquer le critère de la première impression, autrement dit les tribunaux ne se sont pas encore prononcés expressément sur cette question. Par conséquent, selon ViiV, il est loisible à la Cour d’interpréter l’alinéa 4(2)a) du Règlement AC à la lumière des intérêts de la politique sous-jacente. Il va sans dire que pour ViiV, ces intérêts militent en faveur de l’inscription des brevets dans lesquels est revendiqué un ingrédient médicinal unique que le médicament en cause contient, en plus d’au moins un autre ingrédient; c’est ce qu’on appelle l’association médicamenteuse à dose fixe.

[51]     Dans son argument fondé sur la politique sous-jacente, ViiV aborde en premier lieu la question du fondement du Règlement AC. Le paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets prévoit comme exception au monopole conféré par le brevet que des tiers peuvent fabriquer l’invention brevetée dans des situations limitées en vue de la préparation et de la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale. ViiV fait valoir que la Cour devrait limiter la portée de cette exception de façon à ne pas décourager l’innovation que vise la Loi sur les brevets. ViiV fait valoir, tout comme le ministre, que lors du développement d’un médicament, les innovateurs mettent habituellement au point l’un des ingrédients médicinaux pour ensuite effectuer des associations avec d’autres ingrédients médicinaux, et que de telles activités de développement ne devraient pas être freinées.

[52]     J’ouvre une parenthèse pour formuler un commentaire sur le fondement de cet énoncé concernant le développement des médicaments. Il est tiré de l’affidavit de Mme Karen Feltmate, qui atteste qu’elle est une experte dans le domaine de la stratégie réglementaire concernant les médicaments. Elle affirme ce qui suit au paragraphe 69 de son affidavit :

[traduction] De façon générale, le développement d’associations médicamenteuses à dose fixe se fait par l’association d’ingrédients médicinaux dont au moins l’un est déjà commercialisé en tant que produit distinct, que ce soit par la même société ou une autre. Je n’ai aucun doute que les sociétés pharmaceutiques continueront de mettre au point et de commercialiser des ingrédients médicinaux distincts.

[53]     Une telle déclaration constitue manifestement du ouï-dire et ne relève pas de son expertise. Le développement des médicaments et les mesures destinées à l’encourager dépassent la portée de l’expertise concernant la réglementation des médicaments.

[54]     ViiV prend fortement appui sur l’arrêt Bristol-Meyers Squibb Co. c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 RCS 533 [Bristol-Myers], de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, les motifs des juges majoritaires ont été rédigés par le juge Binnie. La Cour examinait l’interprétation du Règlement AC tel qu’il existait dans une version antérieure à celle qui intéresse la présente affaire. La Cour d’appel fédérale ([2003] 4 CF 505, 24 CPR (4th) 417), avait estimé que le libellé du Règlement alors en vigueur visait la demande présentée par une société innovatrice – et non une société fabricant des produits génériques – qui voulait commercialiser un produit similaire, mais non identique, à celui de la première société innovatrice. En d’autres termes, les sociétés innovatrices, et non seulement les sociétés fabricant des produits génériques, étaient visées par le Règlement AC, dans sa version examinée dans l’arrêt.

[55]     S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge Binnie a conclu qu’une telle interprétation était erronée. Il explique son raisonnement aux paragraphes 3 et 4 :

3 La drogue en litige contient un médicament contre le cancer appelé paclitaxel. Le paclitaxel a été découvert aux États‑Unis par le National Cancer Institute et non par les intimées Bristol‑Myers Squibb Company et Bristol‑Myers Squibb Canada Inc. (appelées collectivement « BMS »), mais cette dernière est titulaire de trois brevets relatifs à sa formulation et à son administration. L’appelante Biolyse Pharma Corporation (« Biolyse ») soutient que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (« Règlement ADC ») doit être interprété comme s’appliquant aux médicaments brevetés et signale que BMS ne peut détenir de brevet sur le paclitaxel en soi. Le juge des requêtes a tiré une conclusion de fait non contestée selon laquelle l’approbation du produit de Biolyse reposait non pas sur sa bioéquivalence avec le produit de BMS, mais sur les propres études cliniques de Biolyse et « sur les connaissances scientifiques relatives au paclitaxel qui faisaient partie du domaine public » ([2002] A.C.F. no1638 (QL), 2002 CFPI 1205, par. 40 (je souligne)).

4 Cependant, BMS affirme qu’une interprétation littérale du libellé du par. 5(1.1) du Règlement ADC lui donne droit à l’injonction prévue à l’art. 7 pour empêcher Biolyse de mettre en marché un produit contenant du paclitaxel, malgré l’indication claire que si le par. 5(1.1) devait s’appliquer, le Règlement ADC irait à l’encontre de la disposition législative autorisant la prise de ce règlement. BMS prétend que, en vertu du Règlement ADC, la simple présence du médicament paclitaxel, qui fait partie du domaine public, dans la formulation du produit de Biolyse suffit. (Malgré d’autres ressemblances entre le produit de Biolyse et celui de BMS, le seul élément commun pertinent pour l’application du Règlement ADC est le médicament paclitaxel.) La Cour d’appel fédérale a retenu cet argument, mais, en toute déférence, j’estime qu’elle a eu tort ([2003] 4 C.F. 505, 2003 CAF 180). Une interprétation du Règlement ADC qui confère un monopole à BMS du simple fait qu’elle a établi que son produit contient un médicament comme le paclitaxel, qui appartient au domaine public, n’apporte rien au public en échange du monopole auquel aspire BMS. Si on l’examine dans le contexte qui lui est propre et, en particulier, à la lumière du libellé du par. 55.2(4) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4 , qui l’autorise, le Règlement ADC n’a pas la vaste portée que lui prête BMS. Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi.

[56]     Le juge Binnie commence son analyse en soulignant que les faits sont importants. Il affirme ce qui suit au paragraphe 34 :

34 Comme toujours, les faits sont importants. BMS a sollicité l’annulation de l’ADC délivré à Biolyse au motif que sa délivrance était subordonnée à la conclusion du ministre portant que le produit de Biolyse était « bioéquivalent » au produit de BMS. Il s’agissait donc d’une « copie » d’une drogue assujettie au gel légal imposé par le ministre comme l’exige le par. 5(1) du Règlement ADC. La position de BMS a été rejetée tant par le ministre que par le juge des requêtes. Il est utile de citer les propos du juge des requêtes :

Biolyse n’a pas comparé sa drogue ou fait référence à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence. Biolyse n’a pas présenté de demande en vue d’obtenir une déclaration de bioéquivalence et aucune n’a été accordée.

Il ressort de l’ensemble de la preuve que la PDN de Biolyse renferme des études cliniques sur des patients malades et plus précisément sur des femmes atteintes de cancer du sein avancé ne répondant pas aux traitements habituels et sur des personnes souffrant de cancer avancé du poumon « non à petites cellules ». L’évaluation de l’innocuité et de l’efficacité du produit de Biolyse était fondée sur les études en question et sur les connaissances scientifiques relatives au paclitaxel qui faisaient partie du domaine public. Cette façon de procéder était conforme à la procédure habituellement suivie dans le cas d’une PDN. [Je souligne; par. 39‑40.]

BMS n’a pas contesté cette conclusion […].

[57]     L’argument de la partie visée par le Règlement AC, Bristol-Myers Squibb (BMS), est exposé au paragraphe 42 des motifs du juge Binnie :

42 Biolyse prétend que les « demandes » soumises au ministre ne sont pas toutes visées par le par. 5(1.1) et, sur ce point, elle reçoit l’appui de l’intervenante Pfizer Canada Inc., elle‑même une société pharmaceutique innovatrice. Pfizer soutient que le par. 5(1.1) ne s’applique pas à certains types de demandes (dans son cas, les suppléments aux PDN), qui échappent à l’objectif de la politique que le par. 5(1.1) était destiné à mettre en œuvre. Biolyse convient que le par. 5(1.1) devrait être interprété en fonction de l’objectif de la politique et, plus particulièrement, qu’il ne devrait pas s’appliquer à une PDN relative à une drogue nouvelle (le juge des requêtes a conclu que le ministre avait à bon droit classé le produit de Biolyse dans cette catégorie), mais seulement aux demandes relatives aux « copies » ou produits génériques qui utilisent un « produit canadien de référence » et que l’on demande en déposant une présentation abrégée de drogue nouvelle.

[58]     Le juge Binnie poursuit en approfondissant son analyse, que je ne reprendrai pas ici, et interprète le Règlement AC dans le contexte plus large de la Loi sur les brevets en citant des extraits du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR). Aux paragraphes 52 et 53 de ses motifs, le juge Binnie souligne que « […] ce ne sont pas toutes les utilisations de l’invention brevetée qui déclencheront l’application du Règlement ADC […] ».

52 Premièrement, le règlement doit s’appliquer aux personnes qui utilisent l’« invention brevetée ». Ainsi que la Cour l’a souligné dans l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902, 2004 CSC 34, l’invention brevetée ne correspond pas nécessairement aux revendications du brevet. Dans cette affaire, cette distinction était cruciale pour la question de la réparation. S’il est vrai que l’agriculteur, M. Schmeiser, avait utilisé le produit breveté (des graines de canola Roundup Ready), il n’avait tiré aucun avantage de l’invention brevetée (sa résistance à l’herbicide) parce qu’il n’avait pas pulvérisé de Roundup sur ses cultures. La Cour a ainsi débouté Monsanto de sa prétention aux profits que Schmeiser avait tirés de sa récolte de canola :

Le problème est que, en ordonnant la remise des profits, le juge de première instance n’a fait état d’aucun lien de causalité entre l’invention et les profits que, selon lui, les appelants ont tirés de la culture de canola Roundup Ready. D’après les faits constatés, les appelants n’ont réalisé aucun profit dû à l’invention. [Souligné dans l’original; par. 103.]

[page565]

L’emploi de l’expression « invention brevetée » à l’art. 55.2 est donc un indice important de la portée des règlements que cette disposition autorise à prendre. BMS n’a pas inventé ni découvert le paclitaxel.

53 Deuxièmement, ce ne sont pas toutes les utilisations de l’invention brevetée qui déclencheront l’application du Règlement ADC. Le paragraphe 55.2(4) est expressément destiné à prévenir la contrefaçon par les personnes qui utilisent « l’invention brevetée » en se prévalant des exceptions relatives aux « travaux préalables » et à l’« emmagasinage » susmentionnées aux par. 55.2(1) et 55.2(2). Voilà tout ce que le gouverneur en conseil est autorisé à réglementer. (L’exception relative à l’emmagasinage a été abrogée par L.C. 2001, ch. 10, par. 2(1), sanctionnée le 14 juin 2001.)

[59]     Le juge Binnie conclut que l’interprétation retenue par la Cour d’appel fédérale et défendue devant lui par BMS conduirait à un résultat absurde et étoufferait l’innovation. Il affirme au paragraphe 66 :

66 L’interprétation libérale préconisée par BMS conduirait à un résultat absurde. Le « médicament » contenu dans la drogue visée par la liste de brevets n’a pas en soi besoin d’être breveté, ou plutôt, il ne doit rien à l’ingéniosité de la « première » personne. Il pourrait s’agir d’un « médicament » dont l’utilité a été découverte par quelqu’un d’autre (comme c’est le cas du paclitaxel) ou d’une chose aussi courante que la pénicilline qui fait partie du domaine public. Tant que ce « médicament » apparaît comme un élément, si négligeable soit‑il, de la composition chimique de la drogue à laquelle se rattache la liste de brevets, la « deuxième personne » (y compris l’innovateur qui cherche à fabriquer une drogue nouvelle et utile) se voit interdire l’accès au marché en raison du gel légal automatique, et cette « interdiction » se poursuivra tant que le titulaire du brevet visé par la liste pourra perpétuer son produit en recourant à des améliorations brevetables apportées à d’autres éléments ou ajouts, si négligeables soient‑elles. Cela aurait pour effet d’étouffer la concurrence et l’innovation dans l’industrie pharmaceutique et produirait un résultat contraire à celui recherché par l’autorité de réglementation.

[60]     Dans l’affaire dont je suis saisi, ViiV soutient que l’exclusion des brevets du registre, comme le brevet 753, sur le fondement du Règlement AC aura pour effet de dissuader l’innovation. Elle avance que le rééquilibrage opéré par les modifications de 2006 du Règlement AC ne devrait pas être interprété comme une exclusion des produits issus d’une association médicamenteuse à dose fixe.

[61]     Je rejette les arguments de ViiV. Premièrement, dans son commentaire intitulé « Advocacy in Intellectual Property Litigation in the Supreme Court of Canada » [Promotion des droits dans les litiges de propriété intellectuelle instruits devant la Cour suprême du Canada » (2014) 26 :2 Intellectual Property Journal, page 145, le juge Marshall Rothstein de la Cour suprême du Canada écrivait, à la page 146 :

[traduction] […] notre vocation n’est pas de corriger les erreurs, nous sommes une cour de jurisprudence.

[62]     Ainsi, à la plus haute instance, la Cour suprême du Canada peut, comme elle l’a fait dans l’arrêt Bristol-Myers, se livrer à un exercice jurisprudentiel, dans lequel elle prend en compte des intérêts, notamment des les intérêts de la politique sous-jacente. Cependant, à une instance inférieure comme la nôtre, la Cour doit obéir à la jurisprudence établie, même lorsque l’instance supérieure se prononce de manière incidente. Les tribunaux de première instance devraient répugner à soumettre les lois à des interprétations « de politique » sans avoir une raison claire et importante de le faire.

[63]     Deuxièmement, je rejette les arguments de ViiV, car les modifications de 2006 du Règlement AC visaient à atteindre un équilibre entre les intérêts des différentes parties. Bien qu’imparfaites, ces modifications visaient néanmoins l’atteinte d’un équilibre. Je reprends un extrait reproduit ci-dessus dans lequel s’exprimait la regrettée juge Layden-Stevenson au paragraphe 45 de l’arrêt Purdue :

Je suis d’accord avec Purdue que l’objet du Règlement est d’empêcher la contrefaçon d’un brevet par une personne utilisant une invention brevetée en s’appuyant sur l’exception relative à la fabrication anticipée. Cependant, il n’y a aucune obligation d’accorder la protection offerte par le Règlement dans tous les cas. Le fait que le gouverneur en conseil a établi des critères d’admissibilité pour l’adjonction au registre des brevets n’enlève rien à l’objectif légitime.

[64]     J’ai cité longuement plus haut le REIR en ce qui concerne les modifications de 2006 du Règlement AC. Cet extrait montrait clairement que du fait de l’adoption de ces modifications : 

[C]e ne sont pas tous les brevets protégeant une drogue approuvée qui peuvent se prévaloir du mécanisme d'application prévu par le règlement de liaison.

[…]

Bien entendu, il peut y avoir des cas où un brevet n'étant pas admissible à la protection conférée par le règlement de liaison soit finalement contrefait suite à l'arrivée d'un produit générique sur le marché [non souligné dans l’original]. Toutefois, le gouvernement estime que dans le cas où le brevet ne respecterait pas les exigences susmentionnées, les intérêts de la politique sous-jacente font pencher la balance en faveur de l'approbation immédiate du produit générique et qu'il est préférable que la question soit tranchée au moyen d'une action en contrefaçon ordinaire.

[65]     Par conséquent, contrairement à l’arrêt Bristol-Myers dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu que l’interprétation du Règlement AC avancée par BMS conduirait à un résultat absurde, la Cour d’appel fédérale avait déjà estimé dans l’arrêt Purdue que les effets de l’exigence de spécificité du produit énoncée dans le Règlement AC, décrite dans le REIR précité, ne sont pas incompatibles avec l’objet du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets qui est d’empêcher la contrefaçon de brevet.

[66]     Compte tenu de ce qui précède, je conviens avec Teva que d’adopter l’interprétation du Règlement AC proposée par ViiV reviendrait effectivement à le réécrire afin d’instaurer ce que cette dernière croit être un équilibre juste et adéquat entre les intérêts des fabricants de marque et de génériques. Comme je l’ai déjà indiqué, supplanter ainsi la tentative du gouvernement de maintenir cet équilibre au profit de celui que la Cour préconise constituerait une décision politique, et non judiciaire, et amènerait la Cour à déborder la sphère jurisprudentielle dans celle de l’établissement des politiques (Ontario c Criminal Lawyers’ Association of Ontario, 2013 CSC 43, [2013] 3 RCS 3, aux paragraphes 27 à 30).

[67]     Enfin, je rejette les arguments de ViiV ayant trait aux politiques, car j’estime que la Cour d’appel fédérale a déjà interprété les alinéas 4(2)a) et b) du Règlement AC et que, suivant cette interprétation, le brevet 753 n’est pas admissible à l’inscription. J’aborderai cette question ailleurs dans les motifs. « J’aborderai cette question dans la prochaine partie de mes motifs. »

[68]     Sur ce point, il convient de souligner que l’inadmissibilité du brevet 753 à l’inscription au Registre des brevets n’empêche pas ViiV d’intenter une action en contrefaçon (Gilead, au paragraphe 42).

[69]     Si une partie comme ViiV n’est pas satisfaite du Règlement AC en sa version actuelle, elle ferait mieux de s’adresser au Parlement et à ses législateurs plutôt qu’aux tribunaux.

XI.             L’ARRÊT GILEAD PORTAIT-IL SUR L’ALINÉA 4(2)a)?

[70]     ViiV soutient que la Cour d’appel fédérale n’a abordé l’alinéa 4(2)a) du Règlement AC que de manière incidente, et que je devrais suivre le jugement Bayer rendu par le juge Russell pour déterminer le sens et l’effet de cette disposition. Je ne suis pas d’accord.

[71]     Il ne fait aucun doute que dans le jugement Bayer, le juge Russell a examiné l’alinéa 4(2)b) dans ses motifs, et que la Cour d’appel fédérale, dans les motifs succincts qu’elle a rendus de vive voix à l’audience, a souscrit à ce raisonnement en ce qui concerne ce même alinéa.

[72]     Aux paragraphes 72 à 81 de ses motifs, le juge Russell a examiné un argument soulevé par Bayer et fondé en grande partie sur la Ligne directrice du ministre citée plus haut dans mes motifs. Le juge Russell a estimé que les brevets de composition et les brevets de formulation méritaient une approche différente lorsqu’il s’agit d’envisager la concordance et la spécificité au titre des alinéas 4(2)a) et 4(2)b). Il s’est exprimé comme suit aux paragraphes 77 à 81 :

77 La distinction se trouve, me semble-t-il, dans la différence fondamentale qu’il y a entre un brevet de composition et un brevet de formulation. Un brevet de composition est admissible à l’inscription au registre selon l’alinéa 4(2)a) parce qu’il renferme une revendication portant sur l’ingrédient médicinal approuvé, lequel est la partie active essentielle de la formulation de la drogue. Cela signifie que, s’agissant des travaux préalables, une copie générique de la drogue contenant le composé a été mise au point à l'avance à partir du brevet de composition.

78 En revanche, comme le font remarquer les défendeurs, un brevet de formulation tel que le brevet 979 ne renferme pas une revendication de l’ingrédient médicinal même. Il s’agit plutôt d’une revendication du mélange approuvé des ingrédients médicinaux et non médicinaux qui sont effectivement administrés au patient.

79 À mon avis, il n’y a rien d’absurde ou d’incohérent dans l’interprétation faite par le ministre, parce qu’une formulation qui est un mélange de plus d’un composé diffère d’une composition contenant un seul composé.

80 L’essence d’un brevet de composition est l’ingrédient médicinal; l’essence d’un brevet de formulation est le mélange des ingrédients. Cette distinction requiert une approche différente lorsque l’on considère la concordance et la spécificité en vertu des alinéas 4(2)a) et 4(2)b). À mon avis, il n’y a rien d’incohérent ou d’absurde dans la manière dont le ministre fait cette distinction.

81 Essentiellement, la demanderesse dit que la concordance et la spécificité sont présentes, en application de l’alinéa 4(2)b), dès lors que les revendications du brevet mentionnent au moins l’un des ingrédients médicinaux de la présentation de drogue approuvée. Cela voudrait dire par exemple que, si la présentation de drogue comprenait un mélange, disons, de cinq ingrédients médicinaux, le niveau requis de concordance serait encore présent même si le brevet ne mentionnait que l’un d’entre eux. À mon avis, c’est là assimiler l’inscription au registre avec une contrefaçon de brevet au sens de la Loi. Je ne crois pas qu’une telle position soit appuyée par le texte du paragraphe 2 ou par les politiques à l’origine du nouveau règlement.

[73]     Dans les motifs succincts qu’elle a rendus dans l’arrêt Bayer, la Cour d’appel fédérale n’a pas approuvé cette distinction établie par le juge Russell relativement aux alinéas 4(2)a) et b). Je ne suis donc pas lié par son analyse de l’alinéa 4(2)a) dans le jugement Bayer.

[74]     Dans l’arrêt Gilead, la Cour d’appel fédérale a expressément examiné l’alinéa 4(2)a) du Règlement AC. Dans ses motifs, la juge Trudel, qui s’exprimait au nom de la Cour, a établi une analogie avec le raisonnement de la juge Layden-Stevenson concernant l’alinéa 4(2)c) dans l’arrêt Purdue, qu’elle a appliqué à l’alinéa 4(2)a) en déclarant qu’il n’y avait aucune raison valable d’adopter des exigences différentes pour chacune des dispositions du paragraphe 4(2). Je reprends ce qu’elle déclarait aux paragraphes 37 à 40 :

37 Le premier argument de Purdue est qu’« en ce qui concerne les revendications de la forme posologique au sens de l’alinéa 4(2)c), il suffit que la forme posologique ait été approuvée ». Purdue établit une distinction entre le libellé de l’alinéa 4(2)b), qui fait référence à une revendication à l’égard d’une formulation qui contient l’ingrédient médicinal, et l’alinéa 4(2)c), qui ne fait aucunement référence à un ingrédient médicinal. Selon Purdue, comme il n’y a aucune exigence à l’égard d'un ingrédient médicinal à l’alinéa 4(2)c), il lui suffisait de démontrer que le mécanisme de libération approuvé en vertu de l’avis de conformité de TARGIN (le comprimé à libération contrôlée) était le même que celui qui était revendiqué par la revendication 5.

38 Le juge n’a pas tardé à rejeter cet argument en renvoyant à la définition du terme « revendication de la forme posologique » à l’article 2. Compte tenu de la définition, l’alinéa 4(2)c) exige nécessairement une revendication d'une forme posologique pour l’administration d’un ingrédient médicinal contenu dans un médicament. Je suis entièrement d’accord avec le raisonnement du juge.

39 Le deuxième argument de Purdue est qu’une autre distinction s’impose entre la définition de « revendication de la forme posologique » et celle de « revendication de la formulation ». Une revendication de la forme posologique [traduction] « exige que l’ingrédient médicinal soit inclus dans la portée de la revendication, tandis qu’une revendication de la formulation ne concerne que le mélange des ingrédients médicinaux et non médicinaux » (souligné dans l’original). Du point de vue de Purdue, il ressort du libellé de la définition du terme « revendication de la forme posologique » qu’il n’est pas nécessaire que l’ingrédient médicinal fasse partie de la revendication.

40 Dans la mesure où cette prétention ajoute quoi que ce soit au premier argument, elle se fonde sur l’interprétation de la revendication 5 du brevet 738 proposée par Purdue, notamment que cette revendication est assez vaste pour inclure la naloxone même si cet ingrédient n’y est pas expressément nommé. Pourtant, c’est précisément là que se situe le problème. La revendication est tellement vaste que, comme nous l’avons déjà signalé, elle pourrait englober un nombre illimité d’autres ingrédients médicinaux non mentionnés. Tel n’est pas l’objet des conditions d’admissibilité du brevet.

[75]     L’avocat de ViiV qualifie ces remarques d’incidentes. Elles ne le sont pas, et même si elles le sont, elles font partie intégrante de l’analyse de la juge Trudel qui a permis de déterminer l’issue de l’affaire Gilead, de sorte que la Cour doit être liée par elles (R c Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 RCS 609, aux paragraphes 54 à 57; R c Prokofiew, 2010 ONCA 423, 100 OR (3d) 401, aux paragraphes 18 à 20, conf. par 2012 CSC 49, [2012] 2 RCS 639).

[76]     L’avocat de ViiV soutient que si la Cour d’appel fédérale voulait établir une distinction avec le jugement Bayer, elle l’aurait fait (ou aurait dû le faire) dans ses motifs. À mon avis, rien ne justifie d’établir une distinction avec le jugement Bayer. Même si dans un monde idéal, les motifs d’un tribunal devraient envisager toutes les critiques et contestations futures – prévues ou non –, il n’était pas nécessaire d’aborder explicitement le jugement Bayer, dans lequel la Cour se prononçait sur l’alinéa 4(2)b). Dans l’arrêt Gilead, la Cour d’appel fédérale précise clairement au paragraphe 49, dans sa conclusion, qu’elle traite de l’alinéa 4(2)a).

[77]     L’arrêt Gilead est on ne peut plus clair; un degré élevé de spécificité entre ce qui est revendiqué dans le brevet et l’AC est requis. Le brevet qui ne revendique qu’un seul ingrédient médicinal ne peut être inscrit à l’égard d’un AC qui en contient au moins deux.

XII.          LES ASSOCIATIONS MÉDICAMENTEUSES À DOSE FIXE SONT-ELLES UNIQUES AU POINT DE POUVOIR ÊTRE INSCRITES AU TITRE DE L’ALINÉA 4(2)a)?

[78]     À l’audience, j’ai soulevé cette question avec les avocats, que j’ai invités à solliciter un ajournement si nécessaire, mais ils étaient disposés à débattre de la question sur place.

[79]     En toute logique, si deux comprimés distincts contenant chacun un seul ingrédient médicinal étaient placés dans une même enveloppe destinée à être avalée, les ingrédients demeureraient distincts malgré le fait qu’ils se trouvent dans une seule et même enveloppe. Par conséquent, l’on pourrait faire valoir que l’enveloppe contient toujours un ingrédient médicinal distinct.

[80]     Après examiné la question de manière plus approfondie, j’estime que cet argument ne peut l’emporter. Premièrement, en droit, l’arrêt Gilead est on ne peut plus clair. La correspondance a un « seuil élevé »; tous les médicaments dont il s’agit doivent être revendiqués. Je reproduis encore une fois le paragraphe 40 :

40 Vu le libellé du Règlement sur les MBAC, de même que son objet, l’exigence touchant la spécificité du produit se traduit par un seuil élevé de correspondance. En l’espèce, « les » ingrédients médicinaux, c’est‑à‑dire, le ténofovir, l’emtricitabine et la rilpivirine, doivent donc être énoncés dans l’AC et les revendications du brevet pour que le brevet puisse être inscrit au registre.

[81]     Deuxièmement, la preuve au dossier est ambiguë quant à la question de savoir si l’on est en présence de deux médicaments distincts agissant de façon indépendante ou si ces deux médicaments interagissent d’une façon ou d’une autre et sont synergiques.

[82]     Dans le jugement Bayer, le juge Russell semble avoir compris que lorsque deux médicaments sont combinés, leur effet est différent que s’ils agissaient séparément. Je reproduis le paragraphe 69 de ses motifs :

69 Partant, selon moi, si l’on donne aux mots de l’alinéa 4(2)b) leur sens courant et ordinaire, alors le brevet 979 ne revendique pas la formulation qui a été approuvée. Il revendique plutôt une formulation qui contient l’un des ingrédients médicinaux qui ont été approuvés. La formulation qui a été approuvée, à savoir le YAZ, contient deux ingrédients médicinaux. Il me semble qu’un mélange contenant deux ingrédients médicinaux est différent d’un mélange qui contient un seul ingrédient médicinal. Les ingrédients médicinaux sont combinés pour produire un effet optimal lorsque la drogue est administrée au patient. Ainsi, de façon générale, une drogue comptant un seul ingrédient médicinal n’aura pas le même effet qu’une drogue dans laquelle deux ingrédients médicinaux se combinent pour produire l’effet souhaité.

[83]     Au paragraphe 31 de l’arrêt Gilead, la Cour d’appel évoque les « effets bénéfiques » de la combinaison d’ingrédients médicinaux :

31 Enfin, ainsi que l’a conclu le juge, d’une manière générale, l’activité inventive du brevet 475 a trait à la combinaison d’ingrédients médicinaux chimiquement stables. Le brevet 475 met l’accent sur les effets bénéfiques liés à la combinaison d’associations chimiquement stables d’ingrédients médicinaux.

[84]     Après avoir obtenu le consentement de tous les avocats qui ont comparu devant moi, j’ai examiné le brevet sur lequel s’était penchée la Cour dans l’affaire Gilead, soit le brevet canadien no 2 512 475 (le brevet 475). À la page 3 du brevet 475, il est écrit ce qui suit dans le résumé de l’invention :

[traduction] La composition à base de FTD et d’emtricitabine est stable sur le plan chimique, et elle entraîne un effet synergique et/ou atténue les effets secondaires du FTD, de l’emtricitabine ou des deux.

[85]     Cependant, on peut lire ce qui suit sous le titre « Administrateur des formulations » à la page 19 du brevet 475 :

[traduction] Bien qu’il soit possible d’administrer les ingrédients actifs de l’association médicamenteuse seuls, de façon séparée, dans le cadre d’une monothérapie, il est préférable de les administrer en recourant à une association médicamenteuse.

[86]     En l’espèce, le Dr Wainberg, expert pour le compte de ViiV, explique dans son affidavit que les deux ingrédients médicinaux conservent leur identité distincte. Il précise ce qui suit au paragraphe 81 de son affidavit :

[traduction] 81        Les comprimés de KIVEXA®, qui contiennent de l’hémisulfate d’abacavir et de la lamivudine à dose fixe, servent de véhicule commun pour l’administration des médicaments, par souci de commodité et pour favoriser l’observance du traitement par les patients. Le fait que KIVEXA® soit une association de deux ingrédients médicinaux n’a aucune incidence sur l’identité distincte de chacun de ces ingrédients. Il s’agit de deux ingrédients médicinaux distincts, administrés ensemble dans un même comprimé, qui agissent de façon indépendante. Après l’ingestion dudit comprimé, ces ingrédients conservent leur identité distincte et les caractéristiques qui leur sont propres. En tenant pour acquis que l’observance du traitement sera parfaite, la prise d’un comprimé de KIVEXA® aura le même effet thérapeutique que la prise simultanée de deux comprimés de 300 mg de ZIAGEN® et d’un comprimé de 300 mg de 3TC®.

[87]     Cependant, ViiV a fait valoir un autre brevet contre Teva, soit le brevet canadien no 2 216 634, dont l’inscription au registre n’est pas contestée. (D’un commun accord, la preuve de Teva, y compris ce brevet, fait partie du dossier relatif aux appels d’Apotex; cependant, ce brevet n’a pas été opposé à Apotex.) Ce brevet revendique l’association des deux mêmes ingrédients médicinaux qui étaient mentionnés dans l’AC en cause qui oppose ViiV à Teva. À la page 6 du brevet 634, il est question de l’effet synergique résultant de l’association des deux ingrédients médicinaux :

[traduction]

Notons que les composés de l’association médicamenteuse peuvent être administrés simultanément, que ce soit dans une même préparation pharmaceutique ou dans des préparations pharmaceutiques distinctes, ou de façon séquentielle. Si l’administration se fait de façon séquentielle, l’intervalle de temps séparant l’administration du deuxième et du troisième ingrédient actif devrait être suffisamment court pour que l’on ne perde pas l’avantage associé à l’effet thérapeutique synergique qui résulte de l’association de ces ingrédients actifs. L’on comprendra également que la molécule 1592U89, la zidovudine et le 3TC (ou le FTC en remplacement du 3TC), ou l’un de leurs dérivés fonctionnels sur le plan physiologique, présentés de façon simultanée ou séquentielle, peuvent être administrés de façon individuelle ou sous quelque forme d’association que ce soit. La molécule 1592U89, la zidovudine et le 3TC (ou le FTC en remplacement du 3TC), sont de préférence administrés de façon simultanée ou séquentielle dans des préparations pharmaceutiques distinctes, et idéalement de façon simultanée.

[. . .]

Les effets synergiques de l’association de la molécule 1592U89, de la zidovudine et du 3TC (ou du FTC en remplacement du 3TC), ou de leurs dérivés fonctionnels sur le plan physiologique, s’observent avec un certain ratio, par exemple 1 à 20: 1 à 20:1 à 10 (en poids), de préférence 1 à 10: à 10: 1 à 5 (en poids), et plus particulièrement 1 à 3: 1 à 3: 1 à 2 (en poids).

[88]     L’avocat du ministre a avisé la Cour que les représentants du ministre n’examinaient pas la description de brevets revendiquant divers médicaments pour déterminer si un effet synergique y est décrit. Et ils ne devraient pas le faire, car il en résulterait de la preuve, et à davantage d’éléments de preuve quant à la question de savoir s’il y a ou non un effet synergique. La question devrait simplement être tranchée à la lumière des revendications.

[89]     À mon avis, il n’est pas utile d’examiner la synergie pour aborder les exigences en matière d’inscription du paragraphe 4(2) du Règlement AC. L’arrêt Gilead de la Cour d’appel fédérale est suffisamment clair. Le brevet qui ne revendique qu’un seul ingrédient médicinal ne peut être admissible à l’inscription sous le régime du Règlement AC lorsque l’AC sous-jacent vise une combinaison (synergique ou autre) d’au moins deux ingrédients médicinaux.

XIII.       LA REVENDICATION 32 ET L’ALINÉA 4(2)b)

[90]     Dans sa plaidoirie, ViiV ne s’est appuyée que sur la revendication 2 pour faire valoir l’admissibilité du brevet 753 au titre de l’alinéa 4(2)a) du Règlement AC et n’a présenté aucune observation au sujet de la revendication 32 de ce brevet et de l’alinéa 4(2)b). Toutefois, elle n’a pas désavoué ses observations écrites sur la question de savoir si la revendication 32 remplissait les exigences de spécificité du produit prévues par l’alinéa 4(2)b). J’aborderai donc brièvement cette question en me fondant sur les observations écrites des parties.

[91]     Dans l’arrêt Gilead, la juge Trudel a précisé que le niveau de spécificité du produit requis au titre de l’alinéa 4(2)a) s’appliquait également à l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC (paragraphes 27 à 39 et 45). C’est sur cette remarque que la protonotaire Milcznyski a fondé sa conclusion concernant la spécificité du produit visée à l’alinéa 4(2)b) et son application à la revendication 32 du brevet 753, conclusion à laquelle je souscris :

[5] Bien que le brevet 753 puisse englober la lamivudine en tant qu’ingrédient médicinal, cela ne satisfait pas aux exigences relatives à l’inscription des brevets au registre énoncées à l’alinéa 4(2)a) ou à l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Il ne suffit pas, aux fins de l’inscription au registre, qu’un brevet n’identifie qu’un des ingrédients médicinaux identifiés dans la présentation de drogue à l’égard de laquelle l’AC a été délivré. Comme l’a statué la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Gilead Sciences Canada c Ministre de la Santé, 2012 CAF 254 (Gilead), l’ingrédient médicinal ou la formulation visé par un AC doit correspondre à ce qui est revendiqué dans le brevet dont l’inscription au registre est demandée. Il doit y avoir un haut degré de spécificité entre le brevet et l’AC. Cependant, comme nous l’avons mentionné, l’AC visant KIVEXA® concerne un comprimé à base de sulfate d’abacavir et de lamivudine, alors que le brevet 753 ne revendique que l’ingrédient médicinal sulfate d’abacavir.

[28] […] dans le cas de KIVEXA®, aucune revendication du brevet 753 ne revendique expressément l’association des deux ingrédients médicinaux visés par l’AC concernant KIVEXA®, à savoir le sulfate d’abacavir et la lamivudine. Rien dans le brevet 753 ne fait en sorte que la lamivudine soit requise. Le brevet 753 ne revendique que l’abacavir en association avec un autre ingrédient médicinal non nommé. Comme l’a mentionné la Cour dans Gilead, l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) prévoit que l’ensemble des ingrédients médicinaux nommés dans la présentation ayant mené à la délivrance d’un AC doit être revendiqué dans le brevet pour que ledit brevet puisse être inscrit au registre. De la même manière, la formulation identifiée dans la présentation ayant mené à la délivrance d’un AC doit être revendiquée dans le brevet. Dans le cas du brevet 753, il n’est pas suffisant que la revendication englobe l’ingrédient médicinal lamivudine (parmi d’autres ingrédients médicinaux) en association avec l’abacavir aux fins de l’alinéa 4(2)b) du Règlement. [Non souligné dans l’original.]

[29] Le degré de spécificité requis aux fins de l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est identique au degré de spécificité requis aux fins des alinéas 4(2)b), 4(2)c) et 4(2)d). Il doit y avoir une correspondance entre l’ingrédient médicinal, la formulation, la forme posologique ou l’utilisation de l’ingrédient médicinal revendiqués dans le brevet que l’on cherche à faire adjoindre au registre et ce qui est énoncé dans la présentation de drogue ayant mené à la délivrance de l’AC. […]

[92]     S’agissant des deux dernières phrases du paragraphe 28 des motifs de la protonotaire Milcznyski, ViiV a essayé d’établir une distinction entre la présente affaire et les jugements Novartis et Eli Lilly. Comme nous l’avons vu plus haut, la Cour a conclu dans ces deux jugements que les brevets 2 304 819 et 2 379 329 étaient inadmissibles à l’inscription au titre de l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC parce qu’ils ne revendiquaient pas la tobramycine et l’oxime de milbémycine, respectivement. Ces brevets n’incluaient pas spécifiquement ces ingrédients dans la description mais renvoyaient à la sous-catégorie, plus étroite dans Novartis et plus générale dans Eli Lilly, à laquelle ils appartenaient.

[93]     ViiV fait valoir que ces affaires n’écartent pas la possibilité qu’un brevet soit admissible sous le régime de l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC lorsque ledit brevet, par exemple le brevet 753, revendique un seul ingrédient médicinal, le sulfate d’abacavir, en association avec un ou plusieurs agents thérapeutiques choisis au sein d’un groupe, et nomme de façon expresse l’un de ces agents thérapeutiques dans la description, par exemple la lamivudine. Se fondant sur ce raisonnement, ViiV fait valoir qu’il existe une distinction entre la revendication 32 du brevet 753 et les faits des affaires Novartis et Eli Lilly, et qu’elle satisferait au degré requis de spécificité des produits visée à l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC.

[94]     Je préfère l’interprétation de ces jugements proposée par Teva et Apotex concernant la revendication 32 du brevet 753. Dans chaque jugement, la Cour, s’estimant liée par l’arrêt Gilead, a conclu que les brevets étaient inadmissibles à l’inscription parce que leurs revendications n’incluaient pas tous les ingrédients médicinaux évoqués dans la présentation de drogue nouvelle approuvée à l’égard de laquelle la première personne avait demandé l’inscription du brevet : « la revendication applicable qui se rapporte à la formulation doit être identique à la formulation indiquée dans la PDN » [non souligné dans l’original] (Novartis, au paragraphe 59; Eli Lilly, aux paragraphes 73, 84 et 85).

[95]     Il convient de souligner que dans sa plaidoirie devant la protonotaire Milcznyski de même que dans les observations écrites qu’il a présentées durant le présent appel, l’avocat du ministre a fait valoir que l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC exigeait que les brevets revendiquent tous les ingrédients médicinaux contenus dans le médicament approuvé. Je ne souscris pas à ses arguments concernant l’alinéa 4(2)a), mais j’accepte les observations écrites du ministre selon lesquelles [traduction] « un brevet de formulation qui ne revendique pas explicitement une composition contenant le sulfate d’abacavir et la lamivudine ne “concordera” pas avec la formulation de KIVEXA » (au paragraphe 28); c’est le cas en l’espèce.

[96]     Par conséquent, bien que la lamivudine et la zidovudine soient mentionnées de façon expresse dans la description du brevet 753, le fait que l’on ne revendique pas de façon expresse ces ingrédients en association avec le sulfate d’abacavir relativement à KIVEXA® et à TRIZIVIR® constitue un manquement aux exigences relatives à la spécificité des produits énoncées à l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC. Selon l’alinéa en question, la spécificité des produits exige que la revendication mentionne l’ensemble des ingrédients médicinaux présents dans une association médicamenteuse à dose fixe homologuée; il ne suffit pas que les ingrédients soient mentionnés dans la description du brevet.

XIV.       CONCLUSION ET DÉPENS

[97]     En conclusion, j’estime que les ordonnances de la protonotaire Milczynski portant que le brevet canadien no 2 289 753 était inadmissible à l’inscription sur le Registre des brevets sont fondées. Les requêtes, présentées par voie d’appel, seront rejetées.

[98]     Comme mon ordonnance tranchera effectivement l’affaire, du moins dans l’instance Apotex, j’en suspendrai l’effet dans chaque instance pendant trente jours pour permettre à ViiV de déposer un appel si elle le souhaite.

[99]     Quant aux dépens, Teva et Apotex ont eu gain de cause. Teva a réclamé des dépens de 10 000 $. J’estime que cette somme est raisonnable et les dépens seront fixés à ce montant. Les appels interjetés par Apotex s’alignaient en grande partie sur ceux de Teva. Apotex se verra adjuger la moitié des dépens accordés à Teva, lesquels seront divisés entre ses deux appels, soit 2 500 $ pour chacun d’eux.

« Roger T. Hughes »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 18 septembre 2014

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1517-13

 

INTITULÉ :

VIIV SOINS DE SANTÉ ULC, VIIV HEALTHCARE UK LIMITED ET GLAXO GROUP LIMITED c TEVA CANADA LIMITÉE ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

DOSSIER :

T-333-14

INTITULÉ :

VIIV SOINS DE SANTÉ ULC, VIIV HEALTHCARE UK LIMITED ET GLAXO GROUP LIMITED c APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

DOSSIER :

T-335-14

INTITULÉ :

VIIV SOINS DE SANTÉ ULC, VIIV HEALTHCARE UK LIMITED ET GLAXO GROUP LIMITED c APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 SEPTEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 SEPTEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Patrick Kierans

Louisa Pontrelli

Christopher Guerreiro

 

POUR LES demanderesseS

VIIV, ET AUTRES

Eric Peterson

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DE LA SANTÉ

David Aitken

Scott Beeser

POUR LA DÉFENDERESSE

TEVA

Ben Hackett

Jaro Mazzola

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour les demanderesses

VIIV, ET AL

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DE LA SANTÉ

Aitken Klee, LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

TEVA

Goodmans, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX

 

 

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