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Date : 20141008


Dossier : IMM‑6142‑13

Référence : 2014 CF 954

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

PARMJIT SINGH

demandeur

et

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR] de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a refusé d’accéder à la demande du demandeur et de prendre, pour des motifs d’ordre humanitaire, des mesures spéciales à son égard. La SAI a conclu que la situation du demandeur et les considérations d’ordre humanitaire ne l’emportaient pas sur la gravité des fausses déclarations qu’il avait faites et sur son manque de crédibilité dans l’ensemble.

II.                Contexte

[2]               Le demandeur, citoyen de l’Inde, est arrivé, vers le 6 janvier 2002, à l’aéroport de Toronto où il a demandé l’asile. Sa demande d’asile a été rejetée.

[3]               En octobre 2004, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, laquelle a été rejetée.

[4]               Le 13 janvier 2008, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne. Parrainé par son épouse, le demandeur a présenté, le 8 avril 2008, une deuxième demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire.

[5]               En août 2008, le demandeur s’est présenté au Haut‑Commissariat de l’Inde pour obtenir le renouvellement de son passeport, mais il a été renvoyé à plusieurs reprises. À l’une de ces occasions, le demandeur aurait été abordé à l’extérieur du Haut Commissariat par une personne qui lui a proposé de faire renouveler son passeport, moyennant une somme d’environ 500 dollars. Le demandeur a accepté cette proposition et, quelques jours plus tard, il a reçu son passeport qui contenait un tampon indiquant apparemment que la durée de validité avait été prolongée.

[6]               Le 9 février 2009, la demande de parrainage a été accueillie et le demandeur a obtenu la résidence permanente.

[7]               En mai 2009, ayant prétendument perdu son passeport, le demandeur en a demandé un nouveau auprès du Haut‑Commissariat. En octobre 2009, le Haut‑Commissariat a fait part à Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] de ses réserves au sujet des renseignements relatifs au passeport qui figuraient dans les documents de résidence permanente du demandeur. Au terme d’une enquête, le Haut‑Commissariat a confirmé à CIC que le tampon de renouvellement apposé dans le passeport du demandeur, la signature et la date de validité étaient contrefaits.

[8]               Par conséquent, la Section de l’immigration (SI) a procédé à une enquête pour fausses déclarations. La SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR pour avoir présenté un faux passeport à l’appui de sa demande de résidence permanente. Une mesure de renvoi a été prononcée contre le demandeur qui a interjeté appel auprès de la SAI le même jour.

III.             La décision contestée

[9]               Le 26 août 2013, la SAI a rejeté l’appel du demandeur compte tenu de l’insuffisance des considérations d’ordre humanitaire. La SAI a également conclu que le demandeur n’était pas crédible dans l’ensemble et que les circonstances entourant les fausses déclarations faites par le demandeur constituaient « un élément très négatif en l’espèce ».

IV.             Question en litige

[10]           La décision de la SAI de ne pas prendre des mesures spéciales était‑elle raisonnable?


V.                Dispositions législatives applicables

[11]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes en l’espèce :

Appeal allowed

Fondement de l’appel

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé:

[…]

[…]

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

VI.             Thèses des parties

Thèse du demandeur :

[12]           Le demandeur ne conteste pas la conclusion de fausses déclarations ni la validité juridique de la mesure de renvoi prise contre lui. Il soutient plutôt qu’il devrait se voir accorder des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[13]           Selon le demandeur, la SAI n’a pas tenu compte des circonstances particulières entourant les fausses déclarations, par exemple, le fait qu’il avait obtenu par inadvertance le faux tampon apposé dans son passeport. Le demandeur ajoute que la SAI a commis une erreur en accordant une importance démesurée à la déclaration de culpabilité prononcée contre lui ainsi qu’aux problèmes qu’il aurait éprouvés avec son épouse au moment de l’audience.

Thèse du défendeur :

[14]           Selon le défendeur, la SAI a pris en considération la situation du demandeur, compte tenu des facteurs spécifiques retenus dans Ribic c Canada (Minister of Employment and Immigration), [1985] IABD no 4 (QL) [Ribic]. La décision de la SAI était donc raisonnable.

[15]           Le défendeur fait valoir que les motifs formulés par la SAI sont exhaustifs et qu’ils confirment que celle‑ci a tenu compte des facteurs relatifs à la situation et à la crédibilité du demandeur. Le défendeur affirme que la SAI a conclu à bon droit que le demandeur n’était pas crédible.

VII.          La norme de contrôle

[16]           La norme de contrôle applicable à la décision de la SAI est celle de la décision raisonnable. Par conséquent, la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la SAI. Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339 [Khosa], la Cour suprême a affirmé ce qui suit au sujet de la position de la SAI quant à la prise de mesures spéciales :

[58]      […] La décision de la SAI de ne pas prendre de mesure reposait sur une évaluation des faits au dossier.  La SAI a eu l’avantage de tenir les audiences et d’évaluer la preuve, y compris le témoignage de l’intimé lui‑même.  Les membres de la SAI possèdent une expertise considérable pour trancher les appels sous le régime de la LIPR.  Considérés ensemble, ces facteurs font clairement ressortir que la norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique.  Aucun motif ne permettrait d’aboutir à un résultat différent. Le paragraphe 18.1(4) ne comporte aucun élément qui s’opposerait à l’adoption de la norme de contrôle de la « raisonnabilité » à l’égard des décisions rendues en vertu de l’al. 67(1)c). Par conséquent, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la « raisonnabilité ».

[17]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47, la Cour suprême a statué que « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ».

[18]           En outre, la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SAI. Comme le faisait observer le juge Beaudry dans Sanichara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1015 :

[20]      Dans une audition de novo, la SAI est en droit de déterminer la plausibilité et la crédibilité des témoignages et des autres éléments de preuve dont elle est saisie. L’importance qu’il faut accorder à cette preuve est également une question sur laquelle elle a le pouvoir de se prononcer. Tant et aussi longtemps que les conclusions et les inférences tirées par la SAI sont raisonnables au vu du dossier, il n'y a pas de raison de modifier sa décision. Quand une audience a été tenue, il faut faire preuve d’encore plus de retenue à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité.

VIII.       Analyse

[19]           Selon l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, la SAI doit exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire suivant les facteurs énoncés dans Ribic, précité (voir Khosa, précité, au par. 7; Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, aux par. 40, 41 et 90).

[20]           Voici quelques‑uns de ces facteurs :

(1)      la gravité de l’infraction ayant donné lieu à la mesure de renvoi;

(2)      la possibilité de réadaptation;

(3)      le temps passé au Canada et le degré d’établissement;

(4)      le soutien que peut fournir la famille et la collectivité;

(5)      la présence au Canada de la famille de la personne exposée au renvoi et les bouleversements que son expulsion occasionnerait à sa famille;

(6)      l’importance des difficultés que causerait à la personne exposée au renvoi le retour dans son pays de nationalité.

[21]           Il est évident que, dans son analyse et dans la décision de rejeter l’appel du demandeur, la SAI a pris en considération et a évalué soigneusement les facteurs énoncés dans Ribic. La SAI a conclu que la situation du demandeur ne justifiait pas la prise de mesures spéciales. Or, selon la SAI, le demandeur n’était pas crédible dans l’ensemble, dans son comportement comme dans son témoignage. De plus, il n’avait pas produit une preuve suffisante permettant de conclure à l’existence de motifs d’ordre humanitaire.

[22]           La SAI a particulièrement fait état des questions suivantes :

a)                  Le demandeur n’était pas crédible au sujet de la rencontre ayant eu lieu au Haut‑Commissariat, lorsqu’il aurait payé à un étranger une somme deux fois plus élevée que les frais de renouvellement de passeport, pour obtenir un faux tampon prolongeant la validité de son passeport. Le demandeur savait qu’il ne s’agissait pas d’une procédure licite; ses explications n’étaient donc pas crédibles. La SAI a également tiré une conclusion défavorable du défaut du demandeur de trouver d’autres moyens d’obtenir un passeport valide;

b)                  La SAI a accordé un poids considérable à l’omission du demandeur de mentionner qu’il était séparé de son épouse depuis plus d’un an. Il s’agit d’un élément important, d’autant plus que la preuve des liens familiaux joue un rôle crucial dans l’évaluation des considérations d’ordre humanitaire. Ce n’est que lors du contre‑interrogatoire de l’épouse du demandeur que la réelle nature de leur relation été révélée;

c)                  De plus, le demandeur n’a pas présenté de preuve convaincante des difficultés auxquelles lui‑même, son épouse ou les membres de sa famille qui vivaient au Canada feraient face s’il était renvoyé en Inde. Depuis son arrivée au Canada, le demandeur est retourné en Inde et il y est demeuré chez ses parents, qui habitent toujours au pays. Le demandeur n’a fourni à la SAI aucun élément de preuve indiquant le risque auquel il s’exposerait s’il retournait en Inde;

d)                 La SAI a pris en compte le temps que le demandeur a passé au Canada et a accordé un poids favorable à ce facteur; toutefois la Cour fait remarquer qu’au cours des 11 ans passés au Canada, le demandeur a bénéficié en fait pendant quatre ans d’un statut obtenu au moyen de fausses déclarations;

e)                  La SAI a conclu que, même si le demandeur a travaillé comme conducteur de camion, après avoir suivi des cours à cette fin, la déclaration de culpabilité récente pour conduite avec facultés affaiblies a pour effet d’atténuer grandement ce facteur. À la suite de la déclaration de culpabilité, le demandeur a perdu son permis de conduire, ce qui limite la possibilité de gagner sa vie comme camionneur.

[23]           La Cour est d’avis que la SAI a soigneusement évalué les facteurs applicables à la situation du demandeur, notamment la situation familiale et les difficultés que causerait au demandeur le retour au pays d’origine. La SAI a conclu que le témoignage du demandeur était trompeur et peu crédible. Le demandeur n’a fourni aucune preuve justifiant la prise de mesures spéciales.

[24]           La Cour estime que la SAI a conclu à bon droit, compte tenu de la preuve elle‑même, que la demande de mesures spéciales présentée par le demandeur est dénuée de tout fondement.

IX.             Conclusion

[25]           Pour tous les motifs qui précèdent, la Cour conclut que la décision de la SAI est raisonnable.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6142‑13

 

INTITULÉ :

PARMJIT SINGH c MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 SEPTEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 8 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszczynski

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jocelyne Murphy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gruszczynski, Romoff

Westmount (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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