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Date : 20141006


Dossier : IMM-6169-13

Référence : 2014 CF 937

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

JEANY ETIENNE

ROSE ANNETTE ETIENNE

HANNAH ETIENNE

JUDITH ETIENNE

SIMEON JEAN ETIENNE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Les demandeurs demandent l’annulation de la décision, datée du 30 août 2013, par laquelle un agent principal d’immigration (l’agent) a rejeté leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) présentée au Canada en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est accueillie.

II.                Le contexte

[2]               Les demandeurs sont : M. Jeany Etienne, Mme Rose Annette Etienne et leurs enfants, Hanna (15 ans), Judith (13 ans), et Simeon (10 ans). Ils sont tous des citoyens britanniques d’outre-mer. Le demandeur principal et son épouse sont nés en Haïti, mais ils ont perdu la citoyenneté haïtienne lorsqu’ils ont acquis la citoyenneté britannique d’outre-mer pendant qu’ils vivaient aux Turks et Caicos.

[3]               Tous les demandeurs prétendent avoir subi de la discrimination raciale aux Turks et Caicos, en raison de leur origine haïtienne. L’élément le plus influent dans le cadre du présent contrôle judiciaire est que le plus jeune enfant, Simeon, a fait l’objet d’agressions physiques et psychologiques de la part de son ancien enseignant aux Turks et Caicos. En conséquence de ces agressions, Simeon a contracté un souffle cardiaque et il vit un état de stress post-traumatique. Dans une lettre datée du 18 octobre 2012, le Dr David Palframan du Centre hospitalier pour enfants de l’Est de l’Ontario a formulé les commentaires suivants :

[traduction]

Je suis d’avis, d’un point de vue professionnel que, bien qu’il fonctionne relativement bien au Canada, un retour aux Turks et Caicos précipiterait une importante aggravation de son état de stress post-traumatique qui est causé par les mauvais traitements subis à son ancienne résidence. J’espère véritablement qu’une décision adéquate sera prise afin de régler cette question de manière à ne pas aggraver son état de santé de façon importante, ce qu’un retour aux Turks et Caicos causera sûrement.

[4]               Les demandeurs sont entrés au Canada en 2010 et ont présenté une demande d’asile. Le 4 septembre 2012, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté leur demande. Concurremment, le 20 juin 2012, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, en application du paragraphe 25(1) de la LIPR (la demande CH). La demande CH a été rejetée par l’agent qui a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils seraient exposés à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, s’ils devaient retourner aux Turks et Caicos.

[5]               Plus précisément, l’agent a conclu que si on demandait à Simeon de retourner aux Turks et Caicos avec sa famille, cela n’aurait pas d’influence défavorable sur son intérêt supérieur. L’agent a en outre décidé que le niveau d’établissement des demandeurs au Canada ne méritait pas de considérations particulières justifiant une dispense de l’application de la LIPR.

III.             Analyse

A.                La norme de contrôle

[6]               Le choix du critère juridique applicable à l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Judnarine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 82, au paragraphe 15; Joseph c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 993, au paragraphe 12. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte « n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50.

B.                 L’agent a appliqué un mauvais critère quant à l’intérêt supérieur de l’enfant

[7]               La présente affaire repose sur la question de savoir si l’agent a adopté un critère strict des difficultés dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, et s’il était « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est donc la question de savoir si l’agent a appliqué le bon critère juridique, lorsqu’il a apprécié l’intérêt supérieur de l’enfant.

[8]               Il ressort clairement de la jurisprudence qu’on ne peut pas adopter un critère strict des difficultés dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant : Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 9; Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 739, au paragraphe 8; Beharry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 110. Le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives n’est pas approprié lorsqu’il s’agit d’apprécier l’intérêt supérieur des enfants : Beharry, au paragraphe 11. Comme cela ressort du paragraphe 9 de l’arrêt Hawthorne, « [l] es enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés ». Toutefois, la simple utilisation de l’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » ou d’un libellé similaire ne constitue pas une erreur justifiant l’infirmation de la décision : Bustamante Ruiz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1175, aux paragraphes 27 et 28. La Cour doit examiner le fond de l’analyse menée par l’agent afin de décider si un critère inadéquat des difficultés a été appliqué. Le fond de l’analyse d’un agent doit être privilégié sur la forme : Hawthorne, au paragraphe 3.

[9]               Sur le fond, l’agent a inadéquatement élevé le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant. Bien que l’agent n’ait pas utilisé le libellé précis de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » dans son analyse de l’intérêt supérieur, il ressort clairement de la lecture de la décision dans son ensemble que l’agent était à la recherche de difficultés injustifiées ou excessives. De plus, l’agent ne s’est pas penché sur la description de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il est bien établi qu’un agent doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant : Baker, au paragraphe 75. Pour qu’on puisse conclure qu’il a été adéquatement « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut que l’agent ait tenu compte de la situation de l’enfant en se plaçant du point de vue de l’enfant.

[10]           En l’espèce, l’agent n’a pas tenu compte de la situation de Simeon, il n’a pas non plus à quelque moment que ce soit de la décision décidé ce qui serait l’intérêt supérieur de l’enfant. Au contraire, l’agent a déclaré que [traduction] « malgré certaines difficultés psychologiques, il y a peu d’éléments de preuve qui donnent à penser que [Simeon] serait probablement renvoyé dans une situation potentiellement difficile aux Turks et Caicos […] ». Cette formulation donne à penser que l’agent ne recherchait pas ce qui relevait de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais plutôt qu’il exigeait des éléments de preuve selon lesquels Simeon serait exposé à plus que [traduction] « certaines » difficultés psychologiques, s’il était renvoyé aux Turks et Caicos. Ainsi, l’agent exigeait que Simeon soit exposé à un degré de difficultés psychologiques important – ou qu’il soit exposé à un niveau de difficultés excessif.

[11]           En outre, l’agent a adopté un critère strict des difficultés dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, lorsqu’il a exigé la preuve que [traduction] « l’état de santé de Simeon et son bien-être  seraient gravement compromis » en cas de retour aux Turks et Caicos. Dans le contexte de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, exiger la preuve d’un préjudice ou d’une difficulté grave pour un enfant n’est pas adéquat. La question n’est pas celle de savoir si l’enfant « souffre assez » pour que l’on considère que son « intérêt supérieur » ne sera pas « respecté ». Étant donné que l’agent a appliqué un critère strict des difficultés et qu’il n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, son analyse portant sur l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas adéquate et la présente demande est accueillie.

[12]           Vu ma conclusion relativement à cette question, il n’est pas nécessaire que j’examine la question du niveau d’établissement de la famille.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  L’intitulé de l’affaire, en ce qui a trait à la demande d’autorisation, est modifié afin d’y ajouter le nom de Simeon Jean Etienne à titre de demandeur;

2.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent chargé de la réduction de l’arriéré de Citoyenneté et Immigration Canada pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci;

3.                  Il n’y a pas de question à certifier.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6169-13

INTITULÉ :

JEANY ETIENNE, ROSE ANNETTE ETIENNE, HANNAH ETIENNE, JUDITH ETIENNE, SIMEON JEAN ETIENNE

c

le ministre de la citoyenneté et de l’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 septembre 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Rennie

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 6 octobre 2014

COMPARUTIONS :

Arghavan Gerami

POUR LES DEMANDEURS

Aileen Jones

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gerami Law Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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