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Date : 20140923


Dossier : IMM-242-14

Référence : 2014 CF 907

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Montréal (Québec), le 23 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

MOHAMED BADR DABAA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 13 décembre 2013 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a déterminé qu’il n’est pas un réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 ni une personne à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]               La SPR a conclu que le demandeur manquait de crédibilité en général compte tenu des omissions importantes qui minent le fondement subjectif de même que le fondement objectif de sa crainte alléguée de persécution.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur, M. Mohamed Badr Dabaa, est un musicien de 47 ans originaire d’Alep, en Syrie. Il soutient venir d’une région particulièrement touchée par les affrontements entre les rebelles et le gouvernement, dans le contexte de la guerre civile qui sévit actuellement en Syrie.

[4]               Avant l’arrivée du demandeur au Canada, l’Armée syrienne libre [ASL] l’a approché à diverses occasions dans le but de le recruter.

[5]               Le demandeur soutient que l’ASL menace de tuer tous ceux qui refusent de joindre ses rangs.

[6]               En août 2012, l’ASL a intercepté le demandeur à l’extérieur de son domicile, où il a, par peur, promis qu’il joindrait l’Armée.

[7]               En septembre 2012, le demandeur est venu au Canada dans le cadre d’un contrat pour participer à une prestation du chanteur syrien, Shadi Gamil.

[8]               Le 16 octobre 2012, le demandeur a présenté une demande d’asile au Canada.

[9]               Après l’arrivée du demandeur au Canada, sa femme l’a informé par écrit que l’ASL était toujours à sa recherche et qu’elle tuait ceux qui ne voulaient pas joindre ses rangs.

[10]           La femme et les enfants du demandeur ont fui vers la Jordanie où ils vivent actuellement dans des camps de réfugiés.

III.             Décision faisant l’objet du présent contrôle

[11]           Le 13 décembre 2013, la SPR a conclu qu’aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR, M. Dabaa n’est ni un réfugié au sens de la Convention à cause des opinions politiques qui lui sont attribuées ni une personne à protéger en raison du risque d’être soumis à de la torture ou du risque de peines ou de traitements cruels et inusités.

[12]           Le tribunal a conclu, « selon la prépondérance des probabilités, que les allégations du demandeur d’asile ne sont pas crédibles en ce qui concerne le fait d’être persécuté ou pris pour cible par la FSA [ASL] en Syrie ».

[13]           La SPR a pris sa décision après avoir constaté « de nombreuses omissions cruciales » dans le formulaire de renseignements personnels [FRP] du demandeur ainsi que dans son témoignage initial, omissions que le demandeur a révélées uniquement au moment de l’audience. La SPR a conclu que des incidents particuliers impliquant des membres de la proche famille du demandeur auraient dû être soulevés dès le début de l’audience.

[14]           Au nombre des omissions importantes figurent les suivantes :

A.                le fait que l’ASL a proféré des menaces à l’endroit du fils ainsi que du frère du demandeur à diverses occasions;

B.                 le fait que le beau‑frère et le neveu du demandeur ont été enlevés et menacés par l’ASL;

C.                 le fait que l’ASL a ciblé personnellement le demandeur par son nom lorsqu’elle l’a intercepté en août 2012.

[15]           Lors de l’audience, la SPR a demandé au demandeur pourquoi il n’avait pas mentionné cette information dans son FRP. Le demandeur a répondu qu’il pensait qu’il était tenu de raconter son histoire (et non celle des membres de sa famille) et qu’il aurait eu besoin de plus de cinq pages pour tout expliquer son histoire. Le tribunal a jugé que cette explication n’était pas satisfaisante.

[16]           De l’avis de la SPR, l’omission la plus importante est le fait que le demandeur n’a pas mentionné que son propre fils avait fait l’objet de menaces de la part de l’ASL. La SPR a estimé que le demandeur aurait dû raisonnablement mentionner cet incident dans son témoignage initial, étant donné que son fils serait ciblé en raison des problèmes entre le demandeur et l’ASL.

[17]           La SPR a également rejeté la lettre de la femme du demandeur qui a été présentée dans le but de corroborer les allégations de ce dernier. La SPR estime qu’il ne faut accorder aucune valeur probante à cette brève lettre, qui est considérée comme une preuve « intéressée », compte tenu du manque général de crédibilité du demandeur.

[18]           La SPR a conclu qu’il y avait un manque de fondement objectif à la crainte présumée du demandeur et que les « circonstances du demandeur […] sont essentiellement les mêmes que celles d’autres jeunes hommes membres de sa famille en Syrie ».

[19]           La SPR a également conclu que le demandeur avait démontré une absence de crainte subjective et a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur s’était caché dans sa propre résidence au cours de la période d’avril à septembre 2012, étant donné que sa résidence se trouve dans une région soi‑disant [traduction] « beaucoup plus dangereu[se] » que les autres régions de la Syrie et où les membres de l’ASL le recherchaient activement. La SPR a conclu que « le demandeur d’asile ne peut pas se cacher efficacement à l’endroit exact où son prétendu agent de persécution sait qu’il peut le trouver ».

[20]           Enfin, la SPR soutient que les circonstances du demandeur sont essentiellement semblables à celles des autres jeunes hommes syriens. De plus, le fait qu’aucun membre de sa famille n’ait vécu d’incident impliquant l’ASL depuis janvier 2013 mine davantage le fondement objectif de la crainte alléguée du demandeur à l’égard de l’ASL.

IV.             Questions à trancher

[21]           La question au cœur de la présente demande de contrôle judiciaire est la suivante : la SPR a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur manquait de crédibilité en général?

V.                Dispositions législatives pertinentes

[22]           Voici les dispositions législatives pertinentes.

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VI.             Position des parties

Position du demandeur :

[23]           Le demandeur soutient que la SPR a commis des erreurs susceptibles de contrôle en tirant ses conclusions sur les points suivants :

A.                le manque de crédibilité attribuable aux omissions dans le FRP du demandeur et aux réponses du demandeur lors de l’audience;

B.                 le manque de crédibilité subjective relativement au fait que le demandeur s’est caché dans sa propre résidence pour échapper à l’ASL;

C.                 l’absence de fondement objectif à la demande présentée par le demandeur;

D.                l’attribution d’une valeur probante nulle à la lettre rédigée par la femme du demandeur.

[24]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il n’a pas démontré de crainte subjective du fait qu’il s’est caché de l’ASL dans sa propre résidence. Le demandeur ajoute que la SPR n’a pas tenu compte de son bagage culturel et a analysé à tort sa décision de se cacher dans sa propre résidence de son point de vue à elle plutôt que de son point de vue à lui.

[25]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant que le demandeur n’a pas établi de fondement objectif à sa demande. Selon le demandeur, la SPR a, de manière erronée, tiré une conclusion défavorable du fait que les membres de sa famille et lui‑même n’avaient pas été persécutés durant une certaine période.

[26]           Le demandeur soutient qu’il s’agit là d’une erreur de droit, car le critère à appliquer pour établir le fondement objectif d’une demande est celui de la crainte de la persécution. Il n’est pas nécessaire que la personne ait subi des préjudices physiques ou des mauvais traitements pour établir qu’elle a déjà été persécutée (Amayo c Canada (Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1982] 1 CF 520).

[27]           Le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve documentaire abondante qui confirme la [traduction]  « lutte armée et violente [continue] entre le gouvernement syrien et l’ASL, les violations des droits de la personne commises par l’ASL, l’absence de protection de l’État relativement aux menaces proférées par l’ASL et l’absence de toute possibilité de refuge intérieur ».

[28]           Enfin, le demandeur affirme qu’aucune valeur probante n’a été accordée à la lettre rédigée par sa femme qui corrobore l’idée voulant qu’il risque d’être persécuté. Le rejet injustifié de la lettre de sa femme constituerait donc une erreur susceptible de contrôle.

Position du défendeur :

[29]           Le défendeur soutient que la seule question que doit trancher la Cour est celle de déterminer s’il était raisonnable que la SPR conclue que l’histoire du demandeur n’est pas crédible.

[30]           Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable dans le cadre de l’examen des conclusions de la SPR quant à la crédibilité des demandeurs d’asile est celle de la raisonnabilité. Ainsi, les conclusions de la SPR sont raisonnables compte tenu des omissions importantes de la part du demandeur, lesquelles minent sa crédibilité.

[31]           Le défendeur ajoute que le comportement du demandeur (c’est‑à‑dire le fait qu’il se soit caché dans sa propre maison et qu’il soit demeuré dans un quartier qui est soi‑disant la cible d’attaques) ne correspond pas au comportement d’une personne qui estime que sa vie est en danger. Ces éléments minent la crédibilité du demandeur.

[32]           Il était donc raisonnable que la SPR conclue que le demandeur n’était pas précisément ciblé par l’ASL mais plutôt exposé à un risque généralisé, situation qui ne justifie pas que l’asile lui soit accordé.

[33]            Le défendeur soutient que le fait que l’ASL ait proféré des menaces à l’endroit du fils et du frère du demandeur et qu’elle ait enlevé le beau‑frère et le neveu de ce dernier constituent des omissions importantes : cette information aurait dû se trouver dans l’exposé écrit du demandeur.

[34]           Selon le défendeur, le demandeur n’a donné aucune explication raisonnable justifiant les omissions.

[35]           Enfin, le défendeur soutient que la SPR a effectivement examiné la lettre rédigée par la femme du demandeur ainsi que la preuve documentaire fournie par le demandeur. Toutefois, elle n’a pas accordé une grande valeur probante à la lettre en raison des [traduction] « nombreux problèmes soulevés par le témoignage difficile du demandeur ».

VII.          Norme de contrôle

[36]           La norme de contrôle applicable aux conclusions en matière de crédibilité est celle de la raisonnabilité. Dans la décision Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 487, le juge Beaudry a affirmé ce qui suit :

[7]        L’évaluation de la crédibilité et l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence du tribunal administratif qui doit apprécier l’allégation d’une crainte subjective d’un demandeur d’asile (Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1ère inst.), 83 A.C.W.S. (3d) 264 au paragraphe 14). [...]

[14]      Le tribunal est le mieux placé pour évaluer les explications fournies par la demanderesse au sujet des contradictions et invraisemblances apparentes. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son jugement aux conclusions de fait tirées par le tribunal au sujet de la crédibilité de la demanderesse (Singh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 181, 146 A.C.W.S. (3d) 325 au par. 36; Mavi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no. 1 (C.F. 1ère inst.) (QL)).

[37]           Dans la décision Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 345, la Cour a présenté la norme de contrôle applicable dans le cadre de l’évaluation de la crédibilité :

[26]      [...] La Cour n’interviendra que si la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu’il soit tenu compte des éléments dont elle disposait (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.)). Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité.

VIII.       Analyse

[38]           La Cour estime que trois questions centrales sont pertinentes en l’espèce.

A.                Le demandeur a‑t‑il démontré que sa demande a un fondement objectif?

B.                 Le demandeur a‑t‑il démontré qu’il a une crainte subjective d’être persécuté?

C.                 Quelle valeur probante faut‑il accorder à la lettre rédigée par la femme du demandeur?

Le demandeur a‑t‑il démontré que sa demande a un fondement objectif?

[39]           La Cour d’appel fédérale a établi que la crainte de persécution d’un demandeur d’asile doit avoir à la fois un fondement subjectif et un fondement objectif. De plus, la preuve d’avoir été persécuté dans le passé est l’un des moyens les plus convaincants de démontrer que la crainte d’une persécution future est objectivement bien fondée (Rajudeen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1984) 55 NR 129 (CAF).

[40]           En ce qui a trait aux conséquences du retour du demandeur dans son pays d’origine, la Cour d’appel fédérale a souligné à maintes reprises qu’elle évalue le bien‑fondé de la crainte d’une persécution future pour tirer ses conclusions (Fernandopulle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91).

[41]           Les demandeurs qui sont exposés à un risque généralisé, par exemple ceux qui se trouvent dans une situation de guerre généralisée, ne sont habituellement pas protégés aux termes du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR. La Cour a tranché cette question dans la décision De Parada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 845. Dans cette décision, la Cour a jugé que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que le risque auquel étaient exposés les demandeurs était généralisé :

[22]      Je suis d’accord avec mes collègues pour affirmer qu’un risque élevé auquel est exposé un sous-groupe de la population n’est pas personnalisé si l’ensemble de la population est généralement exposé au même risque, quoique moins fréquemment. Je suis également d’avis que, si un sous-groupe est d’une taille telle que l’on peut affirmer que le risque auquel il est exposé est répandu, alors il s’agit d’un risque généralisé.

[23]      C’est précisément la conclusion qu’à tirée [sic] la Commission en l’espèce. La Commission a conclu que les demandeurs appartenaient au sous-groupe "hommes d’affaires" de la population du Salvador, qui sont, selon la Commission, les Salvadoriens qui "gèrent une entreprise, travaillent pour une entreprise ou possèdent et gèrent une entreprise de transport au Salvador". Il s’agit d’un très grand sous-groupe qui englobe presque toutes les personnes au Salvador qui travaillent légitimement pour gagner leur vie. Cette conclusion, compte tenu de la preuve, n’était pas déraisonnable, et la conclusion relative au risque généralisé ne l’était pas non plus.

[42]           Par ailleurs, il a été bien établi dans la jurisprudence que les incohérences et les omissions dans le FRP peuvent constituer un fondement à une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité (Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 611, au paragraphe 10). Lors de l’audience, la SPR a demandé au demandeur si, après son départ de la Syrie, d’autres hommes de sa famille avaient fait l’objet d’incidents, ce à quoi il a répondu par la négative. Ce n’est que lorsque le commissaire de la SPR lui a demandé si des incidents impliquant l’ASL et son fils étaient survenus que le demandeur a mentionné que son fils avait fait l’objet de menaces. Cette omission importante dans le FRP du demandeur de même que dans son exposé avant les questions exploratoires mine la crédibilité de ce dernier.

[43]           La Cour est d’avis que le demandeur n’est pas parvenu à démontrer en quoi ses circonstances particulières diffèrent de celles de la population syrienne en général. Il semble que le demandeur soit exposé à un risque généralisé compte tenu de la guerre civile qui règne en Syrie, et plus particulièrement en ce qui concerne le demandeur, dans la région d’Alep. La SPR a examiné la preuve documentaire qui lui a été présentée, et sa décision de rejeter la demande du demandeur en raison d’un manque de crédibilité est raisonnable.

Le demandeur a‑t‑il démontré qu’il a une crainte subjective d’être persécuté?  

[44]           Au paragraphe 27 de la décision Gurung c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1097, le juge Zinn a conclu ce qui suit :

[27]      […] Une conclusion selon laquelle la crainte subjective d’un demandeur n’est pas objectivement fondée est fatale à une demande d’asile : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Il ne fait pas de doute sur le plan juridique qu’il s’agit d’un élément distinct nécessaire pour établir la persécution au sens de l’art. 96 de la Loi; par conséquent, des erreurs commises en ce qui concerne un aspect distinct d’une demande d’asile n’auront pas pour effet d’invalider l’ensemble d’une décision de la Commission comportant une conclusion autonome selon laquelle il n’existait aucune crainte objective de persécution. […].

[45]           Lors de l’audience, la SPR a fait part de sa préoccupation au sujet de l’absence d’une crainte subjective du fait que le demandeur s’est caché dans sa propre maison entre avril 2012 et septembre 2012, malgré les allégations selon lesquelles l’ASL était à sa recherche.

[46]           L’invraisemblance soulevée par la SPR à cet égard ne suffit pas à elle seule à rejeter la crainte subjective du demandeur. Toutefois, lorsqu’elle est examinée dans le contexte des omissions du demandeur et de son manque de crédibilité en général, cette invraisemblance mine davantage la crédibilité.

[47]           De plus, en ce qui concerne la conclusion défavorable quant à la crédibilité qu’a tirée la SPR relativement à l’allégation du demandeur selon laquelle l’ASL l’aurait approché personnellement et connaissait son nom, la Cour estime que la conclusion de la SPR est raisonnable compte tenu du fait que le demandeur n’avait aucunement mentionné cette information avant l’audience et compte tenu de la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur manquait de crédibilité en général.

Quelle valeur probante faut‑il accorder à la lettre rédigée par la femme du demandeur?

[48]           La SPR a rejeté la lettre rédigée par la femme du demandeur pour des raisons de crédibilité et parce qu’il s’agissait d’une lettre « intéressée ». Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en n’accordant aucune valeur probante à la lettre de sa femme. Selon lui, la lettre ne doit pas être discréditée uniquement parce qu’elle a été rédigée par une personne pour qui la demande du demandeur présente un intérêt.

[49]           La Cour a abordé la question de la valeur probante d’une lettre présentée par un membre de la famille dans la décision Taborda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 957 :

[27]      Comme le juge O’Keefe l’a fait observer dans S M D  c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 319, au paragraphe 37, « il me semble que, si l’on suit le raisonnement de la Commission, n’importe quelle lettre produite au soutien de la demande d’asile serait intéressée. Cela ne saurait être. Un demandeur d’asile doit pouvoir exposer son cas ».

[28]      [...]

[28]      À la lumière de cette jurisprudence, dans les circonstances, je ne crois pas qu’il était raisonnable que l’agente accorde à cette preuve une faible valeur probante simplement parce qu’elle émanait des membres de la famille des demandeurs. L’agente aurait sans doute préféré des lettres écrites par des personnes n’ayant aucun lien avec les demandeurs et ne se souciant pas de leur bien-être. Cependant, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne n’ayant aucun lien avec les demandeurs soit en mesure de fournir ce genre de preuve à propos de ce qui est arrivé aux demandeurs au Mexique. Les membres de la famille des demandeurs ont été témoins de leur persécution alléguée, alors ce sont les personnes les mieux placées pour témoigner au sujet de ces événements. De plus, comme les membres de leur famille ont eux-mêmes été ciblés après le départ des demandeurs, il est opportun qu’ils décrivent eux‑mêmes les événements qu’ils ont vécus. Par conséquent, il était déraisonnable que l’agente n’ajoute pas foi à cette preuve simplement parce qu’elle émanait de personnes liées aux demandeurs.

[50]           La Cour conclut que la SPR a expressément évalué la valeur probante de la lettre et a décidé de ne lui en accorder aucune. Dans ses motifs, la SPR explique que ce n’est pas l’intérêt de la femme à l’égard de la demande, mais plutôt le manque de crédibilité en général du demandeur qui a mené à cette conclusion.

IX.             Conclusion

[51]           La SPR a examiné la preuve présentée par le demandeur et a refusé à ce dernier le statut de réfugié aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

[52]           D’importantes omissions ressortent de la preuve du demandeur, lesquelles minent sa crédibilité.

[53]           Voici les plus importantes omissions.

A.                Dans son FRP, le demandeur ne mentionne nulle part que son fils a fait l’objet de menaces de la part de l’ASL, et aucun élément de preuve ne corrobore cette allégation.

B.                 Le fait que des membres de l’ASL ont reconnu personnellement le demandeur n’est aucunement mentionné dans le FRP de ce dernier.

C.                 Le demandeur ne fait aucune mention dans son FRP d’incidents graves impliquant l’ASL et des membres de sa famille. L’explication du demandeur selon laquelle il pensait qu’il était seulement tenu d’expliquer [traduction] « sa propre histoire » dans l’exposé ne suscite pas la crédibilité. La consigne est claire dans le FRP : « Énumérez les mesures prises contre vous et les membres de votre famille ainsi que contre des personnes se trouvant dans une situation semblable à la vôtre et indiquez par qui ces mesures ont été prises ». Par conséquent, la SPR a estimé que le témoignage supplémentaire du demandeur était un embellissement.

[54]           À l’audience, le commissaire de la SPR a donné à maintes reprises l’occasion au demandeur de fournir de plus amples explications quant à ces omissions importantes et flagrantes. La SPR n’a raisonnablement pas été satisfaite des explications fournies par le demandeur.

[55]           Par conséquent, pour tous les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE

1.                  que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-242-14

 

INTITULÉ :

MOHAMED BADR DABAA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 SeptembrE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 SEPTEMBRe 2014

 

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszczynski

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alain Langlois

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gruszczynski, Romoff

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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