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Date: 20140929


Dossier : IMM-4453-13

Référence : 2014 CF 922

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 29 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

EVANGELINE NNEBUIFE EMEZIEKE
et PAL NNAMDI EMEZIEKE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision en date du 10 juillet 2013 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

II.                Les faits

[2]               Les demandeurs en l’espèce sont une femme âgée de 46 ans (la demanderesse principale) et son fils âgé de 19 ans, tous deux citoyens du Nigéria. Ils sont chrétiens et disent craindre avec raison d’être persécutés par le groupe de militants islamistes Boko Haram, établi au Nigéria, en raison de leur foi. Plus précisément, ils craignent le fils de leur ancien propriétaire qui est mêlé au groupe Boko Haram et qui a déjà agressé leur famille.

[3]               En juillet 2009, les demandeurs ont déménagé de Lagos, un État du sud du Nigéria, à l’État de Borno, dans le nord. Le 1er janvier 2010, des membres de Boko Haram ont tendu une embuscade dans le périmètre où vivaient les demandeurs et tué quatre personnes, dont la belle‑sœur de la demanderesse principale. Bien que musulman, leur propriétaire a caché les demandeurs et leur famille à l’arrivée des membres de Boko Haram. Plus tard dans la soirée, il a organisé leur fuite et leur a dit de quitter la région du nord.

[4]               Les demandeurs affirment qu’ils étaient suivis par des membres de Boko Haram sur le chemin du retour à Lagos, notamment par le fils de leur propriétaire. Lors d’un arrêt à Benin City, les membres du groupe se sont mis à pourchasser la famille des demandeurs. L’époux et la fille de la demanderesse principale ont pris la fuite à bord d’un autobus, tandis que la demanderesse principale et ses deux fils ont été renversés par une voiture. L’un des fils a été tué. Les deux demandeurs ont été gravement blessés et hospitalisés.

[5]               À la suite de l’incident, les demandeurs sont retournés à leur domicile à Ojokoro, à Lagos, où ils sont demeurés jusqu’à leur départ pour le Canada en novembre 2011. Ils craignent d’être agressés s’ils retournent chez eux parce que le fils de leur ancien propriétaire sait où ils habitent. Ils n’ont pas cherché refuge dans une autre région du pays, car ils craignent que l’influence de Boko Haram ne cesse de s’étendre dans le pays.

[6]               Les demandeurs sont arrivés à Edmonton le 30 novembre 2011 et ils se sont rendus à Fort McMurray, où la fille de la demanderesse principale fait des études, munie d’un visa d’étudiant. Ils ont présenté une demande d’asile le 19 décembre 2011.

III.             Décision contrôlée

[7]               La SPR a rejeté la demande des demandeurs après avoir conclu qu’ils seraient en sécurité s’ils déménageaient dans la région du delta du Niger au Nigéria ou dans un autre district de Lagos. Il s’agit d’une possibilité de refuge intérieur (PRI). Elle est arrivée à cette conclusion après avoir examiné la preuve documentaire et conclu que les activités de Boko Haram sont principalement concentrées dans le nord et dans le centre du Nigéria où les hostilités entre les chrétiens et les musulmans sont vives. Elle a également conclu que même si Boko Haram a mené des attaques ciblées contre les chrétiens, le groupe a probablement tué plus de musulmans parce qu’il concentre ses activités dans le nord, où vivent principalement des musulmans.

[8]               Sur la question de la crédibilité, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour corroborer l’incident survenu à Benin City. Ils n’ont pas non plus produit d’élément de preuve attestant leur déménagement dans l’État de Borno en 2009. Malgré ces réserves, la SPR a reconnu le fondement factuel de l’exposé circonstancié des demandeurs pour les besoins de l’analyse relative à la PRI.

[9]               La SPR a conclu que la majorité de la population chrétienne du Nigéria vit dans le sud, entre autres dans la région du delta du Niger. Par conséquent, il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de déménager dans cette région, car ils ne seraient pas empêchés de pratiquer leur religion. En ce qui concerne Lagos, la SPR a constaté que l’époux de la demanderesse principale y réside actuellement, et que les demandeurs y ont vécu sans incident de janvier 2010 jusqu’à leur départ pour le Canada en novembre 2011.

[10]           La SPR a conclu qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable pour les demandeurs de déménager dans la région du delta du Niger, étant donné que la demanderesse principale possède plusieurs compétences grâce auxquelles elle pourrait se trouver un nouvel emploi, et qu’ils pourraient pratiquer leur religion librement.

IV.             Questions en litige

[11]           La Cour doit trancher la question suivante en l’espèce :

1.                  La SPR pouvait‑elle raisonnablement conclure que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) valable dans la région du delta du Niger ou à Lagos?

V.                Observations des parties

A.                Observations des demandeurs

[12]           Les demandeurs se fondent sur la décision Rasaratnam c Canada (MEI), [1992] 1 CF 706 (FCA) [Rasaratnam], dans laquelle est exposé un critère à deux volets permettant de déterminer si un demandeur d’asile dispose d’une PRI valable. Premièrement, la Commission doit pouvoir conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a aucune possibilité sérieuse de persécution contre le demandeur dans la partie du pays où il y a, selon elle, une PRI. Deuxièmement, après avoir examiné toutes les circonstances, y compris celles qui sont propres au demandeur, la Commission doit conclure qu’il n’aurait pas été déraisonnable que le demandeur cherche refuge dans ce lieu (au paragraphe 10).

[13]           Les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur en concluant qu’ils avaient une PRI, et ce, pour deux raisons. Premièrement, la SPR a seulement donné les raisons pour lesquelles le delta du Niger constitue une PRI raisonnable, mais n’a pas expliqué pourquoi Lagos est une PRI raisonnable. Deuxièmement, la SPR n’a pas tenu compte des circonstances propres aux demandeurs avant de conclure qu’ils ne seraient pas exposés à un risque de persécution dans le delta du Niger parce que la majorité de la population de la région est chrétienne. Cette conclusion ne tient pas compte du fait qu’ils avaient déjà été agressés par des membres du groupe Boko Haram et que l’autre fils de la demanderesse principale avait été tué lors de l’incident.

[14]           La SPR a également commis une erreur en concluant que puisque le groupe Boko Haram a tué des musulmans et des chrétiens, les demandeurs [traduction] « ne [seront] pas expos[és] à des actes de violence ou à des attaques auxquels l’ensemble de la population n’est pas elle aussi exposée ». Les demandeurs font valoir que rien n’appuie la conclusion selon laquelle les musulmans sont tués en raison de leur foi musulmane. Le groupe Boko Haram cible plutôt seulement les opposants à la création d’un État islamique, ce qui comprend les chrétiens autant que certains musulmans. Par conséquent, les demandeurs ne sont pas exposés à un risque parce que la population générale est visée par les attaques, mais plutôt parce qu’ils font partie d’un groupe précis, soit les chrétiens qui ont déjà été agressés par des membres de Boko Haram.

[15]           La SPR a omis de prendre en considération et d’analyser l’ensemble de la preuve documentaire, laquelle confirme que les activités de Boko Haram ne sont pas limitées à la région du nord du Nigéria. Les demandeurs renvoient à plusieurs passages du document intitulé Country Reports on Human Rights Practices for 2011 – Nigeria (le rapport national) du Département d’État des États‑Unis qui permettent de penser que les activités de Boko Haram sont plus étendues :

[traduction]

[L]es atteintes les plus graves aux droits de la personne survenues pendant l’année sont les abus commis par la secte militante connue sous le nom de Boko Haram, qui est à l’origine de meurtres, d’attentats à la bombe et d’autres attaques dans l’ensemble du pays.

La secte militante connue sous le nom de Boko Haram a commis des meurtres et des attentats à la bombe dans l’ensemble du pays. La secte a continué à organiser des attaques et des bombardements régulièrement dans les États de Borno et de Bauchi. La secte a revendiqué le bombardement de casernes de Mogadiscio du 1er janvier à Abuja, l’attentat‑suicide à la bombe contre le quartier général de la police du 16 juillet à Abuja, et l’attentat‑suicide contre le quartier général des Nations Unies du 26 août à Abuja. À la fin de l’année, le gouvernement et Boko Haram n’avaient pas entamé de dialogue.

Les groupes militants ont continué de commettre des meurtres et des enlèvements dans le delta du Niger malgré l’offre d’amnistie du président Yar’Adua en octobre 2009.

Le groupe militant islamiste se bat pour renverser le gouvernement et instaurer un État islamique.

Boko Haram a publié une déclaration dans laquelle il appelait à poursuivre la lutte armée tant que le pays ne serait pas converti à l’Islam.

[16]           La SPR a l’obligation d’expliquer la raison pour laquelle elle préfère une autre preuve « lorsqu’il existe une preuve importante qui va directement à l’encontre de la conclusion de la Commission sur une question fondamentale » (Garcia c Canada (MCI), 2005 CF 807, au paragraphe 12). Le fait que la SPR a omis de tenir compte de l’élément de preuve que constituait le rapport national, ou d’expliquer pourquoi elle n’avait pas accepté cet élément de preuve, a entaché la décision et celle‑ci devrait être considérée comme nulle (Chandler c Alberta Association of Architects, [1989] 2 RCS 848, à la page 863).


B.                 Observations du défendeur

(1)               Norme de contrôle

[17]           La conclusion de la SPR sur l’existence d’une PRI est une conclusion de fait qui appelle la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, cette conclusion commande un degré élevé de retenue. La cour de révision ne devrait intervenir que si elle conclut que la décision de la SPR était déraisonnable. Une décision raisonnable repose sur des conclusions qui sont justifiables, transparentes et intelligibles (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

(2)               Possibilité de refuge intérieur

[18]           Au premier volet du critère énoncé dans Rasaratnam, le défendeur affirme qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs ne sont pas exposés à un risque sérieux de persécution dans le delta du Niger parce que la majorité de la population y est chrétienne. La preuve dont la Commission disposait ne corroborait pas l’allégation des demandeurs selon laquelle Boko Haram est actif dans l’ensemble du Nigéria. D’après les rapports pertinents sur la situation dans le pays, le groupe concentre ses activités dans le nord du Nigéria, où la population est majoritairement musulmane.

[19]           La Commission pouvait aussi raisonnablement conclure qu’une autre région de Lagos pouvait constituer une PRI valable parce que les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve montrant qu’ils avaient été victimes de mauvais traitements lorsqu’ils y avaient résidé de janvier 2010 jusqu’à leur départ pour le Canada en novembre 2011. Qui plus est, ils n’ont fourni aucun élément de preuve montrant que l’époux de la demanderesse principale avait été victime de mauvais traitements lorsqu’il vivait à Lagos.

[20]           En ce qui concerne le deuxième volet du critère exposé dans Rasaratnam, le défendeur affirme que la SPR a raisonnablement conclu qu’il ne serait pas raisonnable que les demandeurs déménagent dans la région du delta du Niger. Les demandeurs n’ont pas présenté une « preuve réelle et concrète » de l’existence de conditions qui mettraient en péril leur vie ou leur sécurité dans la région du delta du Niger ou à Lagos. La demanderesse principale n’a pas non plus réussi à établir qu’elle ne pourrait pas trouver un emploi dans la région du delta du Niger.

[21]           Le défendeur rejette l’argument selon lequel la SPR a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents qui, selon les demandeurs, confirment que le groupe Boko Haram est présent dans l’ensemble du Nigéria. L’examen de ces passages à la lumière de l’ensemble de la documentation montre clairement que la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que les activités de Boko Haram sont limitées au nord du Nigéria.

[22]           Par exemple, les deux premiers passages cités par les demandeurs sont tirés du sommaire d’une demi‑page du rapport national, qui vise uniquement à donner un aperçu général des violations des droits de la personne au Nigéria. Il est expliqué dans le rapport que les hostilités commises par le groupe Boko Haram sont concentrées dans le nord et le centre du Nigéria. Le rapport national ne fait aucunement mention d’hostilités qui se seraient déroulées dans le sud.

[23]           De plus, la SPR a fait référence à trois autres rapports pour appuyer sa conclusion selon laquelle les activités du groupe Boko Haram sont concentrées dans le nord et le centre du Nigéria. Les énoncés généraux ne contredisent pas et ne remplacent pas les références précises aux États, aux villes et aux districts dans le nord du Nigéria où le groupe Boko Haram est actif.

VI.             Analyse

A.                Norme de contrôle

[24]           Une conclusion relative à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur valable résulte d’une analyse fondée sur les faits et doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Diaz c Canada (MCI), 2008 CF 1243, au paragraphe 24; Smirnova c Canada (MCI), 2013 CF 347, au paragraphe 19; Dias c Canada (MCI), 2012 CF 722, au paragraphe 11).

[25]           Par conséquent, la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs ont une PRI valable ne peut être infirmée sauf s’il peut être montré qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

B.                 Possibilité de refuge intérieur

[26]           Je conviens avec le défendeur que la SPR a tiré une conclusion raisonnable selon laquelle il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de s’installer dans la région du delta du Niger ou de s’installer ailleurs à Lagos.

[27]           Comme les deux parties l’ont souligné, dans Rasaratnam, la Cour d’appel fédérale a établi un critère à deux volets pour établir l’existence d’une PRI. Rappelons que, pour conclure qu’une PRI existe, la SPR doit être convaincue 1) que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la région du pays où, selon elle, il existe une PRI et 2) que les conditions régnant dans cette partie du pays sont telles qu’il ne serait pas déraisonnable, en toutes circonstances, y compris celles qui sont propres au demandeur, que celui‑ci y cherche refuge (au paragraphe 10).

[28]           Si la question de la possibilité de refuge intérieur est soulevée, il incombe au demandeur de prouver, selon la prépondérance des possibilités, « qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans tout le pays, y compris la partie qui offrait prétendument une possibilité de refuge » (Thirunavukkarasu c Canada (MEI) (1993), [1994] 1 CF 589, au paragraphe 9 (CAF) [Thirunavukkarasu]). Il s’agit d’un critère objectif. Par conséquent, « s’il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s’en prévaloir à moins qu’ils puissent démontrer qu’il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire » (Thirunavukkarasu, au paragraphe 12).

(1)               Aucune possibilité sérieuse de persécution dans la région dans laquelle il est allégué qu’une PRI existe

[29]           Selon les demandeurs, la SPR a omis d’expliquer pourquoi un autre quartier ou district à Lagos constituerait une PRI raisonnable. Cependant, l’examen de la décision révèle que la SPR a fourni un certain nombre de raisons pour appuyer sa conclusion selon laquelle les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque sérieux de persécution s’ils s’installaient ailleurs à Lagos : 1) l’époux de la demanderesse principale y est récemment retourné après avoir effectué une visite au Canada; 2) les demandeurs y étaient retournés après l’agression alléguée de 2010; 3) les demandeurs y ont résidé sans incident de janvier 2010 jusqu’à leur départ en novembre 2011; 4) l’époux de la demanderesse principale continue d’y vivre et aucun incident n’a été rapporté.

[30]           Le critère permettant d’établir le fondement d’une crainte de persécution est prospectif (Giron c Canada (MCI), 2013 CF 7, au paragraphe 50). La SPR est néanmoins tenue d’évaluer les événements de persécution antérieurs, puisque ceux‑ci « constituent l’un des meilleurs moyens de démontrer le bien‑fondé objectif d’une crainte de persécution future » (Natynczyk c Canada (MCI), 2004 CF 914, au paragraphe 71).

[31]           En l’espèce, il ressort de la décision que la SPR a admis l’incident antérieur décrit dans l’exposé circonstancié des demandeurs, malgré certaines réserves. De plus, les raisons exposées précédemment montrent que la SPR a examiné si les demandeurs avaient aussi fait l’objet de persécution lorsqu’ils vivaient à Lagos. Le dossier ne fait état d’aucun incident impliquant le groupe Boko Haram, ou le fils de l’ancien propriétaire des demandeurs, qui serait survenu après l’incident de janvier 2010.

[32]           En ce qui concerne l’aspect prospectif du critère, la SPR était également convaincue que les demandeurs ne risquaient pas d’être persécutés à l’avenir par le groupe Boko Haram, ni à Lagos ni dans la région du delta du Niger. La SPR est venue à cette conclusion après avoir passé en revue la preuve documentaire et conclu que le groupe Boko Haram n’est pas actif dans le sud du Nigéria.

[33]           Les demandeurs font valoir qu’en tirant cette conclusion, la SPR n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve ou, à tout le moins, expliqué pourquoi elle avait laissé certains éléments de côté. Il est bien établi que la SPR est réputée avoir tenu compte de toute la preuve qui lui a été présentée, en l’absence d’éléments indiquant fortement le contraire (Flores c Canada (MCI), 2008 CF 723, au paragraphe 15). Les demandeurs n’ont pas réussi à réfuter cette présomption en l’espèce. Je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer que les passages cités par les demandeurs sont utilisés hors contexte ou sont trop généraux pour pouvoir être considérés comme allant à l’encontre des autres conclusions tirées par la SPR. Il est clairement expliqué dans le rapport national que la présence de Boko Haram n’est pas répandue dans tout le Nigéria, mais qu’elle se concentre en fait dans le nord du pays, soit dans l’État de Borno et dans l’État de Yobe.

[34]           D’autres éléments de preuve corroborent la conclusion de la SPR selon laquelle les activités de Boko Haram sont circonscrites dans le nord et le centre du Nigéria. En examinant les articles et les rapports soumis à la SPR, je n’ai trouvé qu’un seul article faisant mention d’une attaque planifiée par le groupe Boko Haram à Lagos. Toutefois, les autorités du Nigéria ont réussi à empêcher que ce bombardement ne se produise. Les autres éléments de preuve faisaient état d’attaques de Boko Haram ciblant directement des chrétiens au nord, dans les États de Borno, de Bauchi, de Yobe et de Kano, ainsi que dans les provinces centrales de Kaduna et de Plateau, et dans la capitale du Nigéria, Abuja.

[35]           Les demandeurs allèguent en outre que la SPR a commis une erreur en ce qui a trait au premier volet du critère énoncé dans Rasaratnam, car elle n’a pas tenu compte de leur situation propre qui est celle de chrétiens ayant déjà été agressés par des membres de Boko Haram. Comme il est souligné dans Thirunavukkarasu, il incombe au demandeur de prouver chaque élément de sa demande d’asile, y compris de déterminer s’il serait déraisonnable de chercher refuge dans une PRI suggérée. En l’espèce, les demandeurs n’ont fourni aucune preuve établissant que leur situation de chrétiens ayant déjà été agressés par le groupe Boko Haram les expose à un risque d’être agressés à l’avenir dans le sud du Nigéria.

[36]           Lorsqu’il a été demandé à la demanderesse principale à l’audience si elle pouvait être en sécurité dans une autre partie du pays, elle a répondu que le problème est [traduction] « partout » et [traduction] « [qu’]aucun endroit n’est sûr ». Toutefois, elle n’a donné aucun autre détail pour expliquer pourquoi elle ne se sent en sécurité nulle part. Elle n’a pas non plus précisé pourquoi elle continue de craindre le fils de son ancien propriétaire, ayant seulement expliqué qu’il sait où le domicile actuel de la famille est situé.

[37]           Pour toutes ces raisons, la SPR a raisonnablement conclu que les demandeurs, en tant que chrétiens ayant déjà été agressés par des membres de Boko Haram, ne seraient pas exposés à un risque sérieux d’être persécutés s’ils se réinstallaient ailleurs à Lagos ou dans la région du delta du Niger.

(2)               Il n’est pas objectivement déraisonnable pour la demanderesse de chercher refuge dans la PRI

[38]           Dans Thirunavukkarasu, le juge Linden a précisé le sens de PRI « déraisonnable », au paragraphe 14 :

[...] l’autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S’il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu’il s’expose à un grand danger physique ou qu’il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. [...] Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu’ils n’aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu’ils n’y ont ni amis ni parents ou qu’ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S’il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d’être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n’est pas un réfugié.

[39]           Selon l’interprétation qu’en fait la Cour d’appel fédérale dans Ranganathan c Canada (MCI) (2000), [2001] 2 CF 164 (CAF) [Ranganathan], au paragraphe 15, les commentaires du juge Linden dans Thirunavukkarasu montrent

qu’il [faut] placer la barre très haut lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions.

[40]           Le défendeur affirme que les demandeurs n’ont pas produit une « preuve réelle et concrète » montrant l’existence de conditions qui mettraient en péril leur vie et leur sécurité dans la région du delta du Niger ou à Lagos. J’en conviens. Comme il a déjà été mentionné, rien dans la preuve ne permettait à la Commission de conclure que Boko Haram est actif dans l’une ou l’autre de ces régions, ou que les demandeurs rencontreraient des membres de Boko Haram en se rendant dans la région du delta du Niger.

[41]           Le second volet du critère exposé dans Rasaratnam exige que la SPR tienne compte de l’ensemble des circonstances, dont celles qui sont propres aux demandeurs (au paragraphe 10). En l’espèce, la SPR a estimé que les demandeurs ne seraient pas empêchés de pratiquer leur religion parce que la majorité de la population dans le delta du Niger est chrétienne. La preuve étaye cette conclusion. Par conséquent, il était raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs pourraient pratiquer leur religion s’ils se réinstallaient ailleurs.

[42]           La SPR a également conclu que, étant donné que la demanderesse principale est « une personne débrouillarde et une travailleuse acharnée » et qu’elle a exercé le métier d’infirmière pendant de nombreuses années au Nigéria, rien ne porte à croire qu’elle ne serait pas en mesure de travailler à ce titre si elle retournait dans ce pays. Les demandeurs n’ont pas soumis d’éléments de preuve permettant de croire qu’elle ne pourrait trouver un emploi si elle retournait au Nigéria. Par conséquent, en l’absence de tout élément de preuve contraire, la SPR a raisonnablement conclu qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de se réinstaller à Lagos ou dans la région du delta du Niger.


VII.          Conclusion

[43]           Compte tenu de l’ensemble des motifs susmentionnés, la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs disposent d’une PRI valable est justifiée, transparente et intelligible, et ne devrait donc pas être modifiée (Dunsmuir, au paragraphe 47). Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[44]           Aucune des parties n’a proposé une question de portée générale aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande est rejetée;

2.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4453-13

 

INTITULÉ :

EVANGELINE NNEBUIFE EMEZIEKE ET PAL NNAMDI EMEZIEKE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 SeptembrE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 SeptembrE 2014

 

COMPARUTIONS :

Lori A. O’Reilly

POUR LES DEMANDEURS

Anna Kuranicheva

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet O’Reilly

Avocate

Calgary (Alberta)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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