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Date : 20140929


Dossier : IMM-6321-13

Référence : 2014 CF 923

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 29 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

KALSANG WAHGMO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 12 septembre 2013 (la décision) par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel de la demanderesse concernant la décision du 19 février 2013 de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

II.                Faits

[2]               La demanderesse est une apatride de 17 ans d’origine tibétaine. Elle est née en Inde le 20 février 1997, mais n’a jamais obtenu la citoyenneté indienne. Ses parents sont nés au Tibet, en Chine. Ils sont tous deux des disciples du dalaï-lama et ont fui le Tibet à la suite de l’invasion chinoise de 1959. Ils vivent en Inde en tant que réfugiés en exil depuis et participent à des activités politiques liées au mouvement d’indépendance tibétain. Le père de la demanderesse a fait partie du gouvernement tibétain en exil pendant 40 ans.

[3]               En Inde, les réfugiés tibétains n’ont pas le droit de résidence permanente. Ils doivent plutôt obtenir un certificat d’enregistrement auprès du gouvernement indien grâce auquel ils peuvent rester en Inde à la condition que leur certificat soit renouvelé chaque année. Lorsque la demanderesse vivait en Inde, elle relevait du certificat d’enregistrement de ses parents parce qu’elle était âgée de moins de 16 ans.

[4]               La demanderesse est arrivée au Canada en juin 2012, après avoir obtenu un visa d’étudiant. Elle a déposé une demande d’asile en septembre 2012. Elle est venue au Canada grâce à un certificat d’identité, document de voyage délivré par le gouvernement indien.

[5]               La demanderesse soutient que les Tibétains qui vivent en Inde font constamment l’objet de discrimination et craignent d’être victimes de réactions violentes à l’endroit de leurs collectivités. Ils se voient imposer des règlements, des interdictions ainsi que des restrictions quant à leurs entrées et sorties du pays. Ils n’ont pas droit à la propriété et doivent vivre dans des camps de réfugiés fournis par la collectivité tibétaine. Bien que la demanderesse ait fréquenté une école de la région, elle soutient ne pas avoir accès, en tant que réfugiée, aux mêmes possibilités d’emploi que les citoyens indiens.

[6]               Compte tenu des changements politiques qui surviennent en Inde, la demanderesse craint que le certificat d’enregistrement de sa famille ne soit pas renouvelé dans l’avenir. Sa famille risque donc d’être expulsée vers la Chine où elle pourrait s’exposer à de lourdes conséquences, y compris la peine de mort, pour son activisme politique et ses croyances religieuses.

[7]               La demande d’asile de la demanderesse a été instruite par la SPR le 19 février 2013. La SPR a rejeté la demande après avoir conclu qu’il était peu probable que le gouvernement indien expulse la demanderesse et sa famille vers la Chine. La SPR a également conclu que la discrimination dont fait l’objet la famille de la demanderesse en Inde ne correspond pas à de la persécution. Il importe également de souligner que la SPR a également constaté que le gouvernement indien avait fourni à la demanderesse un document autorisant son retour en Inde.

[8]               La demanderesse a interjeté appel auprès de la SAR et cherchait à obtenir, conformément au paragraphe 111(1) de la LIPR, une ordonnance visant à faire annuler la décision de la SPR et à faire renvoyer l’affaire à la SPR pour un nouvel examen par un tribunal différemment constitué. La SAR a rejeté l’appel le 12 septembre 2013.

III.             Décision faisant l’objet du présent contrôle

[9]               La demanderesse a interjeté appel auprès de la SAR. La SAR a dû décider si la SPR avait commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la question de savoir si la demanderesse serait autorisée à retourner en Inde et, dans la négative, si une interdiction de retour constitue de la persécution. 

[10]           La SAR a rejeté l’appel après avoir conclu que la demanderesse n’était pas parvenue à établir auprès de la SPR qu’elle ne pouvait pas retourner en Inde. La SAR a également déterminé que, de toute façon, la SPR avait conclu, à la lumière de la preuve, que la demanderesse était autorisée à retourner en Inde.

[11]           En ce qui concerne l’appel, la demanderesse soutient que le fait que la SPR n’a pas tenu compte de sa capacité à retourner en Inde ou de la question de savoir si une telle interdiction constitue de la persécution est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[12]           La SAR a affirmé qu’il fallait examiner deux questions préliminaires importantes avant de pouvoir établir la norme de contrôle appropriée, à savoir : 1) La demanderesse a‑t‑elle mal interprété ou mal compris la décision de la SPR? 2) A‑t‑elle mal interprété la raison déterminante de l’arrêt Thabet c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 CF 21 (CAF) [Thabet], qui présente la bonne approche pour l’examen d’une demande d’asile déposée par un apatride.

[13]           La SAR est d’avis que la SPR a non seulement examiné la question de savoir si la demanderesse pourrait retourner en Inde, mais a en fait constaté qu’elle pourrait vraisemblablement y retourner. Par conséquent, son appel ne pouvait être accueilli sur la base de l’une ou l’autre des normes de contrôle. Pour étayer cette conclusion, la SAR a cité la décision de la SPR qui se lit comme suit :

Le fait que votre famille faisait partie de la première vague de Tibétains à fuir la région et que vous-même êtes née en Inde, que votre famille n’a jamais éprouvé de difficulté à renouveler ses certificats d’enregistrement malgré leur militantisme politique et que le gouvernement de l’Inde vous a délivré un document vous autorisant à retourner dans ce pays est plus déterminant quant à cette question.

(soulignement ajouté par la SAR)

[14]           La SAR a conclu que la SPR faisait fort probablement référence au certificat d’identité délivré par le gouvernement indien sur lequel figure l’inscription [traduction] « aucune objection au retour en Inde » (tampon). La SAR a également établi que la demanderesse n’avait présenté aucun élément de preuve ni aucune observation à la SPR relativement à son incapacité à retourner en Inde.

[15]           Enfin, la SAR a établi que l’arrêt Thabet fait autorité en ce qui concerne la proposition selon laquelle ce n’est que lorsque la SPR détermine qu’une personne ayant un pays de résidence habituelle antérieure se voit imposer par le pays en question l’interdiction d’y retourner qu’elle doit évaluer si l’interdiction en question correspond à de la persécution. Or, en l’espèce, la SPR n’était pas tenue de prendre en compte le deuxième volet du critère étant donné qu’elle a conclu que la demanderesse était autorisée à retourner en Inde. L’appel de la demanderesse a donc été rejeté.

IV.             Questions à trancher

[16]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la SAR?

2.                  La SAR s’est‑elle fondée sur la bonne méthode d’analyse pour examiner la décision de la SPR?

3.                  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en acceptant la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse serait vraisemblablement autorisée à retourner en Inde?

4.                  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne se penchant pas sur la question de savoir si un refus du droit de retour constituerait de la persécution?

Compte tenu de mes conclusions, seuls les points 1 et 3 méritent d’être examinés.

V.                Observations des parties

A.                Observations de la demanderesse

(1)               Norme de contrôle applicable à la décision de la SAR

[17]           La demanderesse soutient que l’application du bon critère par la SAR pour déterminer si la demanderesse pourrait retourner en Inde constitue une question de droit qui doit donc faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.

(2)               Examen de l’incapacité de la demanderesse de retourner en Inde

[18]           La demanderesse soutient que la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents qui révèlent qu’elle ne peut s’appuyer sur [traduction] « aucun fondement juridique pour retourner en Inde » et que son retour n’est pas certain. La demanderesse s’appuie sur l’arrêt Thabet pour soulever la proposition selon laquelle la SPR doit se demander si un apatride peut retourner dans un pays de résidence habituelle antérieure et, dans la négative, doit déterminer si le refus du droit de retour constitue de la persécution.

[19]           LA SPR devait examiner cette question avant de déterminer si la demanderesse fait l’objet de persécution en Inde et si elle risque de se faire expulser vers la Chine. Le fait de ne pas avoir examiné cette question constitue une erreur de droit, laquelle est aggravée par le fait que la SAR a déduit que le retour de la demanderesse était assuré par le tampon figurant sur son certificat d’identité. La SAR a fait abstraction des autres éléments de preuve pertinents révélant que, pour être autorisée à retourner en Inde, la demanderesse doit avoir le tampon présentant l’inscription [traduction] « aucune objection au retour en Inde » ainsi qu’un visa délivré par un consulat de l’Inde à l’étranger. Il ressort également de la preuve que les consulats de l’Inde à l’étranger ne sont aucunement tenus de délivrer un visa de retour aux titulaires d’un certificat comportant le tampon susmentionné.

[20]           Le fait que la SAR n’a pas tenu compte de cet élément de preuve important dont la SPR a également fait abstraction constitue une erreur susceptible de contrôle qui justifie que l’affaire soit renvoyée à la SAR pour un nouvel examen.

B.                 Observations du défendeur

(1)               Norme de contrôle applicable à la décision de la SAR

[21]           En ce qui a trait à la question de savoir si la SAR a appliqué le bon critère pour déterminer si la demanderesse pouvait retourner en Inde, le défendeur soutient que cette question commande l’application du droit aux faits et est donc susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

(2)               Examen de la capacité de la demanderesse de retourner en Inde

[22]           La SAR a tiré une conclusion raisonnable en confirmant la décision de la SPR selon laquelle la demanderesse pourrait vraisemblablement retourner dans son pays de résidence habituelle antérieure. Bien que cette décision soit justifiée sur la base du tampon figurant sur le certificat, rien dans le dossier n’indique que la demanderesse a soulevé cette question devant la SPR. C’est plutôt lors de l’appel interjeté à la SAR qu’elle a soulevé la question pour la première fois.

[23]           Il n’y a aucune preuve non plus au sujet de l’incapacité de la demanderesse à obtenir un visa pour retourner en Inde. Cette question est soulevée pour la première fois dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

VI.             Analyse

[24]           Les parties s’entendent essentiellement pour dire que la véritable question en litige en l’espèce est plutôt restreinte. La demanderesse affirme que la SAR a commis une erreur au moment d’analyser son allégation selon laquelle elle a une crainte bien fondée d’être persécutée en Inde compte tenu de son apatridie et de son incapacité de retourner en Inde, son dernier pays de résidence habituelle, suivant l’arrêt Thabet.

[25]           La demanderesse craint que la SAR n’ait pas examiné la preuve de façon appropriée en ce qui a trait à cette question et qu’elle se soit fondée à tort sur l’analyse effectuée par la SPR, qui était inadéquate. Plus précisément, la demanderesse affirme que la SPR et la SAR ont toutes deux fait abstraction du fait que, pour retourner en Inde, la demanderesse devait d’abord obtenir un visa, ce qui n’est pas garanti.

[26]           Comme ce fut le cas dans d’autres affaires récentes portant sur le contrôle judiciaire d’une décision de la SAR en appel d’une décision de la SPR, les parties en l’espèce ne s’entendent pas sur la norme de contrôle qu’aurait dû appliquer la SAR dans le cadre de son examen de la décision de la SPR. La demanderesse soutient que la SAR était tenue d’examiner elle‑même la preuve et de tirer ses propres conclusions, tandis que le défendeur soutient que la SAR devait faire preuve de retenue à l’égard de la SPR et infirmer la décision uniquement si elle jugeait que cette dernière était déraisonnable.

[27]           J’ai conclu que la SAR a examiné la preuve et tiré ses propres conclusions au regard des questions, et ce, malgré le fait qu’elle ait fait référence à maintes reprises aux conclusions de la SPR dans sa décision : voir, par exemple, les paragraphes 45 et 51 de la décision. Il est tout à fait approprié que la SAR passe en revue de façon détaillée l’analyse et les conclusions de la SPR avant de tirer ses propres conclusions. Par conséquent, la présente affaire ne repose pas sur la norme de contrôle qui a été appliquée par la SAR.

A.                Norme de contrôle applicable à la décision de la SAR

[28]           Habituellement, l’examen de la preuve qu’effectue la SAR constitue une question de fait ou une question mixte de fait et de droit et est donc susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la raisonnabilité. Dans la mesure où des éléments de preuve pertinents n’ont pas été pris en compte par la SAR, cela pourrait indiquer que la SAR a tiré une conclusion déraisonnable.

B.                 Examen de la capacité de la demanderesse à retourner en Inde

[29]           D’après la décision de la SPR, le gouvernement indien a fourni à la demanderesse un document l’autorisant à retourner en Inde.

[30]           Selon la décision de la SAR, la demanderesse a affirmé devant cette dernière que la SPR n’avait pas tenu compte de la preuve selon laquelle, pour retourner en Inde, la demanderesse avait besoin d’un tampon sur son certificat d’identité indiquant l’absence d’objection à son retour en Inde ainsi qu’un visa délivré par un consulat local de l’Inde (rien ne garantit l’obtention d’un tel visa).

[31]           La SAR a souligné qu’il ressortait clairement de la preuve que le tampon en question figurait déjà sur le certificat d’identité de la demanderesse. La SAR a conclu qu’aucun élément de preuve n’indique que la demanderesse ne peut pas retourner en Inde. Comme le mentionne la SAR à la fin de sa décision, « [d]ans son cas, [la demanderesse] était justement tenue de prouver devant la SPR qu’elle ne pouvait probablement pas retourner en Inde […], ce qu’elle n’a pas fait ».

[32]           La demanderesse soutient maintenant que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve faisant état de l’obligation à laquelle la demanderesse était tenue, soit celle d’obtenir un visa avant de retourner en Inde.

[33]           Il est vrai que la SAR n’a pas mentionné l’obligation d’obtenir un visa, sinon en citant un extrait de l’argument de la demanderesse et le libellé du tampon. Toutefois, rien dans la preuve ne porte à croire que l’obligation d’obtenir un visa changerait la conclusion de la SAR.

[34]           Il est possible que la SAR ait omis de tenir compte de l’obligation d’obtenir un visa. Il se peut également que la SAR ait effectivement tenu compte de cette obligation, sans tout simplement en faire mention. Je ne suis pas prêt à modifier la décision de la SAR à cet égard à moins d’être convaincu que toute omission de la part de la SAR de tenir compte d’éléments de preuve pertinents était déraisonnable et aurait pu avoir une incidence sur l’issue : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 15 et 16.

[35]           D’après la preuve dont disposait la SPR au sujet de l’obligation d’obtenir un visa, malgré le fait que la demanderesse n’était pas assurée d’obtenir un visa, aucun refus n’a été répertorié. Cette preuve appuie entièrement la conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse n’a pas démontré qu’elle ne pouvait vraisemblablement pas retourner en Inde.

[36]           Étant donné que j’ai conclu que la demanderesse serait vraisemblablement autorisée à retourner en Inde, il n’est pas nécessaire de se pencher sur la question de savoir si son incapacité à y retourner constituerait de la persécution : Thabet.

VII.          Conclusions

[37]           Pour les motifs précités, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[38]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier. Compte tenu des conclusions que j’ai tirées ci‑dessus, je ne crois pas que les faits en l’espèce justifient la certification d’une question en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      que la demande est rejetée;

2.      qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6321-13

 

INTITULÉ :

KALSANG WAHGMO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 SEPTEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 SEPTEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

M. Ram Sankaran

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mme Nalini Reddy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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