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Date : 20140930


Dossier : IMM-5915-13

Référence : 2014 CF 925

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 30 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

THIERRY MAKUZA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il d’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision (la décision) rendue le 18 juin 2013 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]               Pour les motifs énoncés ci‑après, j’accueille la demande et annule la décision.

II.                Faits

[3]               Le demandeur est un citoyen du Congo âgé de 27 ans. Il appartient au groupe des Banyamulenge, une minorité ethnique originaire de l’Est du Congo, près du Rwanda.

[4]               Même s’ils vivent depuis un bon moment sur le territoire qu’on appelle aujourd’hui le Congo, les Banyamulenge sont souvent considérés par d’autres Congolais comme des étrangers parce qu’ils s’expriment dans une langue semblable à celle qui est parlée au Rwanda et au Burundi et parce que leurs ancêtres (d’avant le 19e siècle) venaient d’ailleurs. Les Banyamulenge sont parfois appelés les Tutsis congolais parce que beaucoup ont des liens de parenté étroite avec les Tutsis du Rwanda. Les Banyamulenge se retrouvent dans les limites actuelles du Congo d’aujourd’hui en raison de la façon dont les frontières nationales ont été dressées par les puissances coloniales au 19e siècle.

[5]               Depuis les années 1960, les Banyamulenge ont souvent été la cible des attaques et de la persécution de la part du gouvernement du Congo et d’autres groupes ethniques.

[6]               Le demandeur allègue que son frère a été tué par une milice hutu en 1996. Il prétend aussi qu’un autre de ses frères et d’autres membres de sa famille ont péri dans des massacres en 2004.

[7]               Le demandeur a commencé à fréquenter l’université au Rwanda en 2005. Il soutient qu’il s’est joint à une organisation appelée INKINGI qui milite pour le retour au Congo en toute sécurité des Banyamulenge réfugiés dans d’autres pays.

[8]               Le demandeur soutient également qu’alors qu’il rentrait chez lui au Congo le 24 décembre 2007, il a été arrêté par la police congolaise qui l’a identifié comme un Banyamulenge, et il a été emprisonné avec un certain nombre d’autres Banyamulenge, interrogé et torturé pendant les 10 jours de son incarcération.

[9]               Après sa remise en liberté, le demandeur est retourné à l’université au Rwanda pour terminer ses études. Il est revenu au Congo par la suite pour aider sa mère à tenir la ferme familiale.

[10]           Le demandeur prétend aussi avoir été arrêté de nouveau le 5 février 2011, cette fois par les militaires congolais alors qu’il assistait à une réunion des INKINGI. Cette fois‑ci, il a été détenu pendant 17 jours et il a subi la torture, la faim, les mauvais traitements et la violence.

[11]           Une fois libéré après cette seconde détention, le demandeur dit s’être caché des autorités et s’être ensuite enfui au Burundi voisin. De là, il a fui au Canada et est arrivé à Montréal le 2 mars 2011. Il a demandé l’asile à Ottawa le 4 mars 2011.

III.             Décision faisant l’objet du contrôle

[12]           L’audience du demandeur devant la SPR s’est déroulée le 11 juin 2013 et, comme nous l’avons déjà mentionné, la SPR a rendu sa décision le 18 juin 2013.

[13]           La SPR n’a pas mis en doute l’identité du demandeur, ce qui suppose, et cela importe davantage, qu’elle a tenu pour avéré que le demandeur est effectivement un membre de la communauté Banyamulenge.

[14]           Dans une grande partie de sa décision, la SPR s’emploie à relever une série d’affirmations qu’elle ne trouve pas crédibles. Pour les motifs énoncés dans sa décision, la SPR ne croit pas :

  • que le demandeur était un membre actif du groupe des INKINGI;
  • que le demandeur a été arrêté le 5 février 2011 lors d’une assemblée des INKINGI;
  • que le demandeur est arrivé au Canada en passant par le Burundi ainsi qu’il l’a déclaré;
  • que le demandeur a été arrêté le 24 décembre 2007.

[15]           La décision est également intéressante du fait qu’elle ne traite pas de l’intérêt que revêt pour sa demande d’asile l’appartenance du demandeur à l’ethnie banyamulenge.

IV.             Questions à trancher

[16]           Selon le demandeur, les conclusions relatives à son manque de crédibilité ne sont pas raisonnables. Il soutient aussi que la SPR a fait erreur en n’admettant pas que, mise à part son appartenance aux INKINGI, son statut de Banyamulenge au Congo suffisait à lui reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger aux termes des articles 96 ou 97 de la LIPR.

[17]           Vu mes conclusions sur cette question, il ne m’est pas nécessaire de me prononcer sur le caractère raisonnable des conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[18]           La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si la SPR a fait erreur en faisant abstraction du statut de Banyamulenge qu’avait le demandeur au Congo.

[19]           Normalement, l’appréciation de la preuve par la SPR est une question mixte de fait et de droit et elle est donc susceptible de contrôle par notre Cour selon la norme du caractère raisonnable. Si la SPR n’a pas pris en considération des éléments de preuve pertinents, il est possible qu’elle ait tiré une conclusion déraisonnable.

V.                Analyse

[20]           Comme je l’ai déjà mentionné, le demandeur soutient que son statut de Banyamulenge du Congo (ce qui ne semble pas être contesté) suffit, en soi, à lui reconnaître la qualité de réfugié au Canada. Le demandeur se réfère à un certain nombre de documents qui traitent de la persécution et des dangers auxquels sont soumis les membres de la communauté banyamulenge au Congo.

[21]           Mauro de Lorenzo est un expert de la communauté banyamulenge de l’Est du Congo. Il affirme dans son affidavit du 6 juin 2013 que le demandeur est membre de cette communauté. L’affidavit relate aussi l’histoire des Banyamulenge et décrit de manière assez détaillée la persécution que subit la communauté depuis au moins les années 1960.

[22]           Le demandeur cite également un document publié en 2012 par UBUNTU – Initiative pour la Paix et le Développement, qui porte sur l’état de la sécurité des Banyamulenge en République démocratique du Congo, Information note on the security situation of the Banyamulenge and other Tutsi Congolese in the Democratic Republic of Congo. Cette publication relate dans le détail les événements qui ont mené à l’état d’insécurité dans lequel se trouvent actuellement les Banyamulenge au Congo et traite également d’une façon assez détaillée de la situation actuelle.

[23]           Dans sa décision, la SPR ne se reporte jamais à aucun de ces documents ni à aucun autre élément de preuve portant sur l’état d’insécurité général des Banyamulenge au Congo. En fait, tout indique que la SPR ne s’est jamais penchée sur cette question.

[24]           Les conclusions défavorables quant à la crédibilité se rapportent essentiellement à l’affirmation du demandeur selon laquelle il prenait part aux activités des INKINGI. Aucune de ces conclusions ne semble avoir pris en considération la situation que vivait le demandeur en tant que membre de la communauté Banyamulenge.

[25]           Même si rien ne prouve que les membres de la communauté banyamulenge du Congo subissent la persécution et doivent être protégés, le demandeur était certainement en droit de s’attendre à ce que tous les éléments de preuve soient examinés attentivement et que la SPR lui fasse part de ses motifs si elle jugeait que la preuve de persécution était insuffisante ou inadéquate. Selon moi, cet exercice n’a pas été fait en l’espèce, et la SPR n’a pas expliqué ses raisons de privilégier d’autres éléments de preuve. Aussi sa décision a-t-elle été déraisonnable à cet égard.

VI.             Conclusions

[26]           La présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie et la décision annulée.

[27]           Les parties n’ont pas proposé de questions aux fins de certification. Selon moi, les faits en l’espèce ne justifient pas la certification d’une question en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie;
  2. La décision rendue par la SPR le 18 juin 2013 est annulée et l’affaire est renvoyée à un commissaire différent pour nouvelle décision;

3.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5915-13

 

INTITULÉ :

THIERRY MAKUZA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AOÛT 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 SEPTEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Isaac Owusu-Sechere

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Agnieskza Zagorska

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Isaac Owusu-Sechere

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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