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Date : 20140930


Dossier : T-943-14

Référence : 2014 CF 942

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 30 septembre 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

GREGORY R. BALDERSTONE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Gregory Balderstone sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a rejeté l’appel qu’il avait interjeté à l’égard de la décision de refuser de lui accorder une indemnité d’invalidité pour perte de dents.

[2]               M. Balderstone affirme qu’il a perdu ses dents en 2001 en raison du fait qu’il n’avait pas reçu des traitements dentaires adéquats au cours des deux années qu’il avait passées en service au sein des Forces militaires régulières canadiennes au début des années 60.

[3]               Bien que j’aie attentivement examiné les observations de M. Balderstone et que j’éprouve de l’empathie à l’égard de sa situation, il ne m’a pas convaincu que la décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) était déraisonnable. Il s’ensuit que je n’ai pas d’autre choix que de rejeter sa demande de contrôle judiciaire.

I.                   Le contexte

[4]               M. Balderstone a joint les Forces armées canadiennes au cours de l’été 1962, alors qu’il avait 16 ans. Il a subi un examen dentaire lors de son enrôlement. Selon les notes prises dans le cadre de cet examen, il avait des caries et il lui manquait plusieurs dents. Selon mon interprétation de la thèse de M. Balderstone, il ne lui manquait pas réellement de dents, mais ses dents de sagesse n’étaient pas encore sorties. Cette affirmation n’est appuyée par aucun élément de preuve au dossier, mais en fin de compte, cette question n’est pas déterminante.

[5]               Au début du mois d’octobre 1962, M. Balderstone a été hospitalisé en raison du fait qu’il souffrait d’abcès dentaires. Il a été traité avec des antibiotiques, et les dossiers de l’hôpital démontrent que l’infection a disparu et que M. Balderstone a reçu son congé de l’hôpital le 19 octobre 1962. M. Balderstone a confirmé devant moi dont il n’a pas été atteint d’autres abcès du temps qu’il était dans l’Armée.

[6]               Les dossiers médicaux démontrent aussi que, le 17 octobre, M. Balderstone a été [traduction] « renvoyé à la clinique dentaire ». M. Balderstone ne s’est pas rendu à une clinique dentaire et il n’a pas consulté un dentiste, et ce, pour le reste de son stage dans l’armée. Il a donné plusieurs motifs pour expliquer son omission. Il a expliqué que la crise des missiles de Cuba est survenue et qu’il a passé 24 heures dans un camion à se préparer en vue d’une attaque. Il affirme aussi qu’en novembre 1962, ses supérieurs l’ont dissuadé d’aller voir un dentiste et qu’ils lui ont dit de ne pas feindre la maladie afin de se soustraire à ses fonctions.

[7]               Plus tard au cours de son service militaire, M. Balderstone a été admis à l’hôpital pour une blessure qui n’avait rien à voir avec ses dents. Rien ne démontre qu’il s’était alors plaint de quelque problème que ce soit en ce qui a trait à ses dents, ou qu’il a demandé à voir un dentiste.

[8]               M. Balderstone a été libéré des Forces armées en 1964. Il n’a pas fait mention de quelque problème dentaire que ce soit au cours de son examen précédent sa libération. M. Balderstone a donné une description détaillée des circonstances ayant conduit à sa libération lors de l’audition de la présente demande, et ce, dans le but d’expliquer son omission de faire mention de ses problèmes dentaires. Malheureusement, la plupart des renseignements donnés par M. Balderstone ne figuraient pas au dossier dont disposait le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) et ils ne peuvent donc pas être employés pour remettre en question le caractère raisonnable de la décision du Tribunal.

[9]               En 1992, M. Balderstone a subi une chirurgie relativement à une tumeur buccale bénigne. Cependant, il n’a pas vu de dentiste avant 2001, et à ce moment‑là, on a dû lui enlever toutes ses dents et les remplacer par une prothèse dentaire.

[10]           M. Balderstone a présenté une demande de prestations d’invalidité en juillet 2010, dans laquelle il alléguait que le caractère inadéquat des traitements dentaires qu’il avait reçus lors de son service avait engendré le développement du lymphangiome, ainsi qu’entraîné subséquemment la nécessité de lui arracher ses dents.

[11]           Anciens combattants Canada a refusé de faire droit à la demande de M. Balderstone pour qu’on lui accorde une indemnité d’invalidité. L’organisme a conclu que, bien qu’un diagnostic de problèmes dentaires ait été prononcé à l’égard de M. Balderstone au cours du service de ce dernier, la preuve n’étayait pas la conclusion selon laquelle les problèmes dentaires de M. Balderstone avaient été occasionnés ou aggravés par des facteurs liés aux Forces armées. Un comité de révision des décisions relatives à l’admissibilité a par la suite confirmé la décision d’Anciens combattants Canada. M. Balderstone a ensuite porté sa cause devant le Tribunal des anciens combattants (appel et révision).

II.                La décision du Tribuanl des anciens combattants (révision et appel)

[12]           Le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a rejeté l’appel interjeté par M. Balderstone. Il a conclu que la preuve n’appuyait pas l’inférence selon laquelle la négligence médicale de la part des Forces armées a occasionné ou a aggravé de manière permanente le problème de santé allégué par M. Balderstone.

[13]           Après examen des dossiers médicaux de M. Balderstone, autant pendant qu’après son service, le Tribunal a conclu que M. Balderstone avait des problèmes dentaires, notamment des caries, au moment de son enrôlement. Il a aussi conclu qu’il avait reçu des traitements appropriés pour ses abcès dentaires et qu’il avait été renvoyé à une clinique dentaire, mais qu’il n’avait pas fait de suivi en vue d’obtenir un traitement. Le Tribunal a aussi conclu que M. Balderstone ne s’était pas plaint à propos de ses dents au moment de sa libération et qu’il n’avait pas tenté d’obtenir des soins dentaires avant 1992, soit environ 28 ans après la fin de son service militaire.

[14]           Le Tribunal a examiné les deux avis du médecin dont il disposait : un « conseil médical du service des pensions » provenant du Dr Barrett, qui confirmait que la norme de soin de l’époque avait été respectée dans le cas de M. Balderstone, ainsi qu’un avis du Dr Burlin, qui avait été produit pour le compte de M. Balderstone.

[15]           Le Tribunal a privilégié l’avis du Dr Barrett à celui du Dr Burlin, en faisant remarquer que le Dr Barrett est un dentiste dûment qualifié ayant reçu une formation spécifique dans le domaine de la dentisterie et qui y pratique, alors que le Dr Burlin est un médecin en pratique générale. Le Tribunal a conclu que le Dr Burlin manquait d’expérience dans le champ d’expertise dentaire, tout en reconnaissant qu’il travaillait comme anesthésiste dentaire. Il a aussi fait remarquer que le Dr Burlin est allé au‑delà de son champ d’expertise, et qu’il a agi comme représentant de M. Balderstone en tentant d’appliquer les dispositions législatives aux faits dans la situation de M. Balderstone. Le Tribunal était d’avis que cela minait la crédibilité du témoignage d’opinion du Dr Burlin.

[16]           Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, le Tribunal n’était pas convaincu que des problèmes dentaires de M. Balderstone, notamment la perte de ses dents en 2001, découlaient de son service militaire ou qu’ils y étaient directement liés. Par conséquent, son appel a été rejeté.

III.             Analyse

[17]           La norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique à l’interprétation, par le Tribunal, de la preuve médicale et à son appréciation de l’invalidité du demandeur : voir Beauchene c Canada (Procureur général), 2010 CF 980, 375 FTR 13 au paragraphe 21. Par conséquent, je ne peux modifier la décision du Tribunal, à moins que je sois convaincue que la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

[18]           Il est évident, à la lecture des motifs du Tribunal, que ce dernier était au courant des dispositions de l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18. Cet article exige du Tribunal qu’il tire les conclusions de preuve les plus favorables possible à l’égard de l’appelant, qu’il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente l’appelant et qui semble vraisemblable, et qu’il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

[19]           Bien que l’objet de l’article 39 soit de s’assurer que la preuve produite à l’appui d’une demande de prestations « est examinée sous le jour lui étant le plus favorable possible », cette disposition ne dispense pas le demandeur de la charge d’établir par prépondérance de la preuve les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension : Wannamaker c Canada (Procureur général), 2007 CAF 126, [2007] ACF no 466, au paragraphe 5.

[20]           En l’espèce, le Tribunal était saisi d’opinions médicales contradictoires en ce qui concerne la question du lien de causalité. Le Tribunal a donné des motifs détaillés et lucides à propos de la question de savoir pourquoi il privilégiait la preuve du Dr Barrett à celle du Dr Burlin, et il a mentionné, entre autres, que le Dr Barrett détenait une expertise supérieure.

[21]           Le Tribunal a aussi fait remarquer que le Dr Burlin a outrepassé son rôle d’expert objectif en matière médicale et qu’il a assumé le rôle de défenseur de M. Balderstone. Il s’agissait d’une conclusion raisonnable, compte tenu du fait que le Dr Burlin a tenté d’appliquer des dispositions législatives aux faits de l’espèce. Dans les faits, le Dr Burlin est allé aussi loin que de prétendre qu’Anciens combattants Canada [traduction] « devrait être chargé d’aider [M. Balderstone] à recevoir, en temps opportun et de manière continue, les soins dentaires adéquats » dont il a besoin, parce que les Forces armées ne pouvaient pas prouver [traduction] « hors de tout doute raisonnable que [M. Balderstone] a reçu des soins adéquats en temps opportun ».

[22]           La question de savoir si M. Balderstone répond aux critères juridiques en ce qui a trait à l’admissibilité aux indemnités d’invalidité n’est pas de nature médicale et elle est tout à fait à l’extérieur du champ d’expertise du Dr Burlin.

[23]           Un examen du dossier révèle qu’il y a plusieurs autres raisons de mettre en doute la fiabilité de l’opinion du Dr Burlin. Ce dernier a laissé entendre que l’on aurait dû offrir à M. Balderstone un traitement sous anesthésie, en raison de sa crainte des dentistes. Cependant, le dossier ne contient aucun élément qui donne à penser que l’armée ait été mise au courant, à quelque moment que ce soit, que M. Balderstone craignait les dentistes. Le Dr Burlin n’a pas non plus laissé entendre que le traitement des problèmes dentaires sous anesthésie générale était la norme de soin lors de la période pertinente, soit le début des années 1960.

[24]           Le Dr Burlin semble aussi croire que M. Balderstone s’est fait arracher les dents en 1992 – soit environ neuf ans avant qu’il ne se les soit réellement fait arracher. Il s’ensuit que la perte de dents de M. Balderstone était passablement postérieure à son service militaire, par rapport à ce qu’en avait compris le Dr Burlin. En dernier lieu, en raison de son incapacité à lire le français, le Dr Burlin n’avait pas un aperçu complet de la situation de M. Balderstone en ce qui a trait à ses dents et aux traitements qu’on lui avait offerts lorsqu’il était dans l’armée.

IV.             Conclusion

[25]           Bien que je comprenne le fait que M. Balderstone soit en désaccord avec la décision rendue quant à son appel, il n’a pas décelé quelque erreur que ce soit du Tribunal qui pourrait justifier l’intervention de la Cour. Par conséquent, la demande est rejetée. Le défendeur ne réclame pas les dépenses, et je n’en adjugerai pas.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-943-14

 

INTITULÉ :

GREGORY R. BALDERSTONE c

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 SEPTEMBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 30 SEPTEMBRE 2014

COMPARUTIONS :

Gregory R.E. Balderstone

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Malcolm Palmer

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gregory R. Balderstone

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver(Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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