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Date : 20140917


Dossier : T-674-13

Référence : 2014 CF 888

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

ANNE-MARIE ERICKSON

demanderesse

et

LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Commission de la fonction publique du Canada (CFP) a conclu que la demanderesse, Anne‑Marie Erickson, a commis une erreur qui a influé sur le choix de Mme Mosseau‑Micock pour occuper un poste à l’Office national de l’énergie (ONE). En ce qui concerne la présente demande, la CFP a conclu principalement que Mme Erickson a commis une erreur qui a mené à la nomination d’une employée qui n’était pas qualifiée pour occuper le poste auquel elle a été nommée.

[2]               Après avoir examiné la preuve au dossier ainsi que les observations orales et écrites des parties, j’en suis arrivé à la conclusion que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I.                   Les faits

[3]               En 2009, la demanderesse travaillait comme secrétaire adjointe pour l’ONE. Lorsque la secrétaire a quitté son poste au mois d’août 2009, la demanderesse a été nommée au poste de secrétaire à titre intérimaire. Megan Ruholl a ensuite été nommée secrétaire adjointe.

[4]               L’on allègue qu’au cours de la période pendant laquelle la demanderesse a occupé le poste à titre intérimaire, M. Pradeep Kharé, le chef des opérations, a maintenu toutes les mesures de dotation qui auraient par ailleurs relevé du pouvoir discrétionnaire de la secrétaire. Ce n’est qu’en juin 2010, lorsqu’elle a été effectivement nommée secrétaire, que la demanderesse soutient avoir obtenu une subdélégation des pouvoirs de dotation. Dans l’intervalle, la demanderesse allègue qu’elle s’en est remise à M. Kharé et à Mme Chalifoux, une conseillère en ressources humaines, pour obtenir conseils et assistance sur toutes les formalités relatives aux exigences et aux procédures de la fonction publique, et sur les procédures et exigences applicables en matière de dotation, y compris la documentation à l’appui de toute dotation recommandée d’un poste.

[5]               En octobre 2009, la demanderesse et Mme Ruholl ont tenté de pourvoir un poste administratif bilingue au sein du Bureau de la secrétaire. D’après la demanderesse, la dotation en personnel administratif bilingue avait été difficile. Un poste occasionnel a été annoncé, et après que la demanderesse et Mme Ruholl eurent reçu les candidats en entrevue et évalués ceux‑ci en fonction d’un énoncé des critères de mérite (ECM), l’embauche de Mme Mosseau‑Micock a été recommandée. Du mois d’octobre 2009 au mois de février 2010, cette dernière a occupé ce poste occasionnel de manière apparemment satisfaisante et compétente.

[6]               Au mois de décembre 2009, l’ONE avait encore un besoin immédiat d’embaucher une personne possédant les qualifications de Mme Mosseau‑Micock. Étant donné que le poste de cette dernière devait expirer, la décision aurait été prise, après consultation avec M. Kharé et Mme Chalifoux, de prolonger la durée du poste de Mme Mosseau‑Micock, qui est alors devenu un poste pour une période déterminée d’un an – du 16 février 2010 au 16 février 2011.

[7]               La Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, ch 22 (LEFP) prescrit que la nomination à un poste occasionnel est limitée à 90 jours. Avant l’expiration de la période de 90 jours, la demanderesse, M. Kharé et Mme Chalifoux ont signé et soumis un formulaire de demande de mesure de personnel (FDMP) proposant l’embauche de Mme Mosseau‑Micock pour pourvoir le même poste pour une période d’un an. Ce FDMP proposait le recours à un processus de sélection externe non annoncé pour pourvoir le poste.

[8]               Pour satisfaire aux exigences de la LEFP aux fins d’une nomination à la fonction publique, l’organisation qui embauche doit être convaincue que le candidat proposé possède les qualifications essentielles du poste, telles qu’elles sont énoncées dans l’ECM. Dans la présente affaire, la demanderesse a confirmé que l’ECM du poste à doter pour une période déterminée était celui qui avait été utilisé pour pourvoir le poste à titre occasionnel en octobre 2009. Après avoir évalué Mme Mosseau‑Micock en vue du poste occasionnel et avoir ensuite travaillé avec elle dans ce qui était essentiellement le même poste, Mme Erickson était convaincue que Mme Mosseau‑Micock était qualifiée et apte à occuper le poste à doter pour une période déterminée qui était assorti des mêmes fonctions.

[9]               Dans le cadre de la décision de confier à Mme Mosseau‑Micock le poste à doter pour une période déterminée et de recourir à un processus non annoncé, le Bureau de la secrétaire a fourni une justification au service des ressources humaines de l’ONE. Plus particulièrement, Mme Ruholl a rédigé un courriel énonçant les motifs de l’embauche de Mme Mosseau‑Micock au poste en question. Ce courriel a été transmis à Mme Erickson, qui a approuvé la justification invoquée et a fait suivre le courriel à Mme Chalifoux le 8 janvier 2010. Cette dernière a ensuite fait approuver le tout par M. Kharé, et une lettre d’offre a été présentée à Mme Mosseau‑Micock le 8 février 2010.

[10]           En février 2011, la demanderesse a été informée que la CFP effectuait une vérification des dossiers de dotation de l’ONE. La demanderesse allègue qu’elle a prêté main‑forte à la CFP dans le cadre de cette vérification, mais qu’elle ne s’est jamais fait poser de questions sur la nomination de Mme Mosseau‑Micock. Ce n’est qu’au mois de décembre 2011 qu’elle a été avisée par Mme Chalifoux que la nomination de Mme Mosseau‑Micock devait faire l’objet d’une enquête. La demanderesse allègue en outre qu’elle n’a jamais eu l’impression que le rôle qu’elle a joué dans l’embauche de Mme Mosseau‑Micock faisait l’objet d’un examen approfondi.

[11]           L’enquête sur l’embauche de Mme Mosseau‑Micock s’est déroulée du mois d’avril 2012 au mois d’octobre 2012. L’enquêteure a alors posé des questions à Mmes Erickson, Ruholl, Chalifoux et Elder (l’adjointe administrative de Mme Chalifoux), qui toutes ont joué un rôle dans l’embauche de Mme Mosseau‑Micock. À la suite de l’entrevue menée avec la demanderesse, cette dernière a obtenu un rapport factuel, à l’égard duquel elle n’a présenté aucun commentaire à l’enquêteure parce que le rapport était assez exact et qu’il n’alléguait aucune inconduite de sa part.

[12]           Le 2 octobre 2012, l’enquêteure a publié son rapport d’enquête dans lequel elle a conclu que Mme Erickson, M. Kharé et Mme Chalifoux avaient commis une erreur dans l’évaluation des qualifications de Mme Mosseau‑Micock. Mme Erickson a présenté à la CFP de longues remarques sur le rapport d’enquête.

[13]           Le  19 mars 2013, la CFP a rendu sa décision, dont une partie confirmait la conclusion de l’enquêteure selon laquelle Mme Erickson, M. Kharé et Mme Chalifoux avaient commis une erreur dans l’évaluation des qualifications de Mme Mosseau‑Micock.

II.                La décision contestée

[14]           Dans le compte rendu de décision, la CFP a conclu que la demanderesse, Mme Chalifoux et M. Kharé ont commis une erreur qui a influé sur le choix de Mme Mosseau‑Micock lorsqu’ils ont omis d’établir que cette dernière satisfaisait à toutes les qualifications essentielles dont le poste était assorti. En conséquence, la nomination de Mme Mosseau‑Micock n’était pas fondée sur le mérite. L’on peut lire également que l’enquête a permis de conclure que Mme Chalifoux a commis une erreur qui a influé sur le choix de Mme Mosseau‑Micock lorsqu’elle a omis de prendre en considération une personne ayant un droit de priorité avant d’effectuer la nomination.

[15]           Au chapitre de la mesure corrective, on a ordonné à Mme Chalifoux de suivre deux cours sur la dotation. Étant donné que Mme Erickson ne possède plus de pouvoir de dotation et que M. Kharé était en congé jusqu’à sa retraite en juillet 2013, aucune mesure n’a été ordonnée pour corriger l’erreur qu’ils ont commise au cours du processus de nomination.

[16]           Le compte rendu de décision repose sur le rapport d’enquête et, en conséquence, il est nécessaire de résumer les conclusions de l’enquêteure parce qu’elles font pratiquement partie de la décision. Après avoir résumé la preuve et les entrevues menées, l’enquêteure a passé en revue le cadre politique de l’évaluation linguistique et fourni un exposé détaillé de l’administration et de l’évaluation des priorités. Elle a ensuite conclu que la décision de Mme Chalifoux d’écarter une autre candidate en raison de l’expiration de ses résultats en matière linguistique n’était pas raisonnable et constituait une erreur au sens de l’article 66 de la LEFP, puisque cette candidate n’avait pas eu suffisamment de temps pour prévoir un test linguistique au calendrier. L’enquêteure a conclu que la demanderesse n’était cependant pas responsable de cette erreur, et cette question n’est pas en litige dans la présente instance.

[17]           L’enquêteure a déterminé en outre que la nomination de Mme Mosseau‑Micock n’avait été le résultat d’aucune inconduite, car elle reposait et sur les besoins de l’organisation à l’époque – à savoir gérer les besoins en dotation temporaires – et sur l’évaluation des capacités de Mme Mosseau‑Micock d’aider à combler ces besoins en dotation grâce à son travail comme employée occasionnelle.

[18]           Cela étant dit, l’enquêteure a conclu que des erreurs avaient été commises et que ces erreurs avaient mené au choix de Mme Mosseau‑Micock pour occuper le poste en question. L’enquêteure a signalé que de nombreux documents se rapportant à l’évaluation de Mme Mosseau‑Micock soit étaient manquants, soit n’existaient pas, soit ne pouvaient pas être clarifiés. Se fondant sur l’information disponible, elle a conclu ce qui suit :

[traduction]

On ne peut dire sur le fondement des documents figurant dans le dossier de dotation si toutes les qualifications essentielles énoncées dans l’énoncé des critères de mérite ont été évaluées. En fait, de son propre aveu, Mme Erickson n’a pas examiné l’énoncé des critères de mérite en vue de la nomination de Mme Mosseau‑Micock pour une période déterminée. Donc, l’unique document trouvé à l’appui de l’évaluation des qualifications de Mme Mosseau‑Micock est le courriel de Mme Erickson, dans lequel est énoncée la raison de sa nomination. Sans un document faisant état de l’évaluation qui permet d’établir que chacune des qualifications essentielles a été évaluée et qu’il y a été satisfait, on ne peut dire que la candidate nommée répondait à toutes les qualifications du poste; cela constitue une erreur au sens de l’article 66 de la LEFP. En outre, on ne peut dire que la nomination faite par suite de ce processus était fondée sur le mérite, car le comité d’évaluation, Mme Erickson, la conseillère en RH, Mme Chalifoux, et le gestionnaire délégué, M. Kharé, n’ont pas établi que la candidate nommée, Mme Mosseau‑Micock, satisfaisait à chaque qualification essentielle du poste.

[19]           L’enquêteure a conclu également qu’il ressortait clairement du témoignage des  personnes reçues en entrevue que des erreurs avaient été commises du fait tant de leur mauvaise compréhension du processus de dotation que de leur manque d’attention aux détails pour veiller à ce qu’il soit satisfait aux exigences en matière de dotation.

III.             Les questions en litige

[20]           Trois questions se posent dans le cadre de la présente demande :

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 La décision de la Commission de la fonction publique était-elle raisonnable?

C.                 La demanderesse a-t-elle été traitée équitablement?

IV.             L’analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

[21]           Je crois, comme l’avocat de la défenderesse, que la norme de contrôle des décisions de cette nature est celle du caractère raisonnable. L’article 66 de la LEFP confère à la CFP le pouvoir discrétionnaire de mener une enquête sur tout processus de nomination externe et de prendre une mesure corrective si elle est convaincue que la nomination n’est pas fondée sur le mérite ou qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée. La CFP a donc principalement tiré une conclusion factuelle à l’issue d’une enquête. Pour cette raison, il faut faire preuve de retenue à l’égard de cette décision.

[22]           Dans la mesure où elle pourrait mettre en cause l’interprétation ou l’application de l’article 66 de la LEFP plus généralement, la décision de la CFP pourrait être considérée comme étant une question mixte de fait et de droit. Ainsi que la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir) au par. 54, « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise ».

[23]           Dans son examen de la décision de la CFP sur le fondement d’une norme du caractère raisonnable, la Cour ne doit pas intervenir si la décision est transparente et justifiable et qu’elle relève de l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il n’appartient pas à un tribunal d’examen de substituer sa propre opinion d’un résultat préférable, ni n’est‑ce sa fonction de soupeser de nouveau la preuve qui a été produite devant le décideur : Dunsmuir, par. 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par. 59, [2009] 1 RCS 339; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par. 15, 17, [2011] 3 RCS 708.

[24]           Les deux parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que la norme de la décision correcte s’applique à l’égard de l’équité procédurale. Suivant cette norme de contrôle, la Cour entreprend sa propre analyse de la question plutôt que d’acquiescer au raisonnement du décideur : Dunsmuir, par. 50. Évidemment, les exigences de l’équité procédurale varieront selon le type de décideur et le type de décision en cause : Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817, par. 21 à 28, [1999] ACS no 39.

B.                 La décision de la Commission de la fonction publique était‑elle raisonnable?

[25]           La demanderesse soutient que l’enquêteure a interprété incorrectement l’article 66 de la LEFP, car elle a fait fi complètement de la condition selon laquelle toute erreur commise dans une nomination en particulier doit influer sur le choix de la personne nommée. Le rapport d’enquête reposait sur une enquête et sur des conclusions tirées en vertu de l’article 66 de la LEFP, selon lesquelles des erreurs avaient été commises dans l’évaluation des qualifications de Mme Mosseau‑Micock, sans jamais déterminer si l’erreur a influé sur le choix de la personne nommée.

[26]           La demanderesse soutient que l’enquêteure a, à tort, imposé aux personnes faisant l’objet d’une enquête le fardeau de prouver que Mme Mosseau‑Micock possédait les qualifications requises. De fait, la conclusion tirée à l’issue de l’enquête, selon laquelle il y avait eu une erreur dans l’évaluation des qualifications de Mme Mosseau‑Micock, repose sur l’absence d’une preuve de ses qualifications. En sa qualité de plaignante, la CFP assumait le fardeau initial de prouver que Mme Mosseau‑Micock possédait les qualifications requises.

[27]           Enfin, la demanderesse soutient que l’enquêteure a eu tort d’inférer du témoignage d’un spécialiste technique des ressources humaines, qui n’a joué aucun rôle dans l’embauche de la demanderesse, qu’à la date de la nomination de Mme Mosseau‑Micock, l’ONE avait pour pratique d’obtenir un formulaire d’évaluation du candidat (FEC). Elle maintient qu’elle et Mme Chalifoux ont toutes deux témoigné qu’une telle exigence n’existait pas à l’époque et qu’il suffisait de fournir une justification énonçant les qualités de la candidate. Elle ajoute que l’enquêteure a été saisie d’un nombre suffisant d’éléments de preuve démontrant que Mme Mosseau‑Micock était qualifiée pour occuper le poste, et qu’il n’était pas raisonnable de supposer que Mme Mosseau‑Micock n’était pas qualifiée pour occuper le poste parce qu’aucun FEC n’avait été soumis.

[28]           Ces observations doivent être rejetées pour les motifs qui suivent. La LEFP prescrit que la CFP a pour mission « de nommer ou faire nommer à la fonction publique, conformément à la présente loi, des personnes appartenant ou non à celle‑ci », et « d’effectuer des enquêtes et des vérifications conformément à » la LEFP (article 11). L’article 30 de la LEFP prescrit que les nominations « sont fondées sur le mérite ». Une nomination est fondée sur le mérite lorsque « selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles – notamment la compétence dans les langues officielles – établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir » (paragraphe 30(2)).

[29]           Sous le régime de l’article 66 de la LEFP, la CFP a le pouvoir discrétionnaire de mener une enquête sur un processus de nomination externe comme celui qui a donné lieu à la nomination de Mme Mosseau‑Micock. L’article 66 est libellé dans les termes suivants :

La Commission peut mener une enquête sur tout processus de nomination externe; si elle est convaincue que la nomination ou la proposition de nomination n’a pas été fondée sur le mérite ou qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée, la Commission peut :

 

The Commission may investigate any external appointment process and, if it is satisfied that the appointment was not made or proposed to be made on the basis of merit, or that there was an error, an omission or improper conduct that affected the selection of the person appointed or proposed for appointment, the Commission may

 

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;

 

(a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and

 

b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

(b) take any corrective action that it considers appropriate.

[30]           Je ne crois pas que l’article 66 crée une condition selon laquelle une mesure corrective ne peut être prise que s’il y a eu influence sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée. Il est clair que cette condition n’existe qu’en cas d’erreur, d’omission ou de conduite irrégulière. Dans les cas où la nomination ou la proposition de nomination n’est pas fondée sur le mérite, l’article 66 n’impose aucune condition de cette nature.

[31]           Dans la présente affaire, ni l’une ni l’autre personne ayant pris part à la sélection ou à la nomination de la candidate n’a pu démontrer que les qualifications de Mme Mosseau‑Micock ont été évaluées en regard des qualifications essentielles établies par l’ECM. La demanderesse a admis qu’elle n’avait pas cru que l’ECM s’appliquait à l’égard du poste lorsqu’elle a fourni une brève évaluation écrite des qualifications de la candidate. Dans de telles circonstances, on ne peut dire que l’enquêteure et la CFP ont commis une erreur en concluant que ceux et celles qui ont pris part au processus de nomination n’ont pas établi que les candidats avaient toutes les qualifications essentielles du poste. Même si on admet que l’utilisation du FEC n’était pas la norme à l’époque aux fins de l’évaluation d’un candidat, il aurait dû y avoir d’autres documents démontrant qu’une évaluation du mérite avait eu lieu. Rien d’autre n’a été fourni à l’enquêteure, à part une [Traduction] brève explication de la recommandation » dans un courriel que Mme Ruholl avait fait parvenir à Mme Erickson (dossier de la demanderesse, p. 12). De toute évidence, cela ne suffisait pas pour évaluer le mérite de la candidature de Mme Mosseau‑Micock, de sorte que l’enquêteure pouvait conclure à juste titre que la nomination n’était pas fondée sur le mérite.

[32]           Même si j’acceptais l’argument de la demanderesse selon lequel l’article 66, lorsqu’il est interprété correctement, crée une condition selon laquelle il doit y avoir eu influence sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée pour qu’une mesure corrective soit prise, la décision de la CFP serait encore raisonnable. La CFP a le droit d’interpréter sa loi constitutive tant qu’elle le fait de manière plausible. Dans le contexte de l’objectif général de la LEFP et du mandat de la CFP de veiller à ce que les nominations soient fondées sur le mérite, il est raisonnable de conclure que tout processus dans lequel la preuve du mérite n’est pas faite influe sur « le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée ».

[33]           La demanderesse soutient que, si une évaluation en règle avait été effectuée, la même candidate aurait été jugée qualifiée et aurait été sélectionnée. Elle soutient même que l’enquêteure a été saisie d’une quantité [Traduction] « énorme » d’éléments de preuve selon lesquels Mme Mosseau‑Micock était qualifiée, cette preuve étant qu’elle avait été retenue pour occuper un poste occasionnel sur le fondement du même ECM en octobre 2009, qu’elle avait occupé ce poste occasionnel, assorti des mêmes exigences, du mois d’octobre 2009 au mois de janvier 2010, sans plainte ni incident, que son poste doté pour une période déterminée avait été prolongé jusqu’au mois de juin 2012, et qu’elle avait assumé son rôle dans ce poste de manière compétente et capable, et qu’elle occupe maintenant un poste doté pour une période indéterminée auprès de l’ONE. Avec égards, cela n’est nettement pas suffisant pour établir que la nomination de Mme Mosseau‑Micock satisfaisait aux exigences de l’article 66 de la LEFP. Même s’il pouvait être établi a posteriori que Mme Mosseau‑Micock a effectivement exécuté les tâches de son poste de manière satisfaisante, cela ne changerait pas le caractère vicié du processus de nomination. L’enquêteure a conclu non pas que Mme Mosseau‑Micock n’était pas qualifiée ou qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences énoncées dans l’ECM, mais que l’on ne peut confirmer si la nomination était fondée sur le mérite parce qu’il n’existe aucune preuve de l’évaluation établissant que chaque qualification essentielle a été évaluée et qu’il y a été satisfait.

[34]           En ce qui concerne l’argument selon lequel l’enquêteur ou la CFP ont à tort imposé le fardeau de la preuve aux personnes faisant l’objet de l’enquête, il est sans fondement. La CFP n’est pas l’équivalent d’un plaignant, et l’enquêteure était à la recherche de faits; son rôle n’était manifestement pas accusatoire. Ainsi que la défenderesse l’a signalé, la CFP a pour mission, aux termes de la loi, de veiller à ce que les nominations soient fondées sur le mérite. La loi lui confère le pouvoir discrétionnaire d’enquêter sur les nominations pour s’assurer que celles‑ci respectent la LEFP. La CFP ne faisait qu’exécuter son mandat d’enquêter, de tirer des conclusions et d’envisager la prise de mesures correctives.

[35]           Enfin, l’objection de la demanderesse, selon laquelle elle n’était responsable d’aucune manière de l’erreur relevée par la CFP, n’est pas raisonnable. La demanderesse est la chef d’équipe qui a lancé le processus de sélection – et y a pris part – pour pourvoir un poste au sein de l’ONE. Avec l’aide d’une conseillère en ressources humaines, elle a choisi d’utiliser un processus non annoncé, qui a mené à la nomination d’une candidate externe à un poste à doter pour une période déterminée dans la fonction publique. Peut‑être n’a‑t‑elle pas été responsable de l’évaluation finale des qualifications de la candidate, car elle n’avait pas encore le pouvoir délégué, en matière de ressources humaines, de signer une offre d’emploi, mais elle est celle qui a lancé ce processus et le processus précédent, qui avait donné lieu à l’embauche de Mme Mosseau‑Micock à titre occasionnel. En outre, elle a signé le FDMP, avec Mme Chalifoux et M. Kharé. Dans cette mesure, il pourrait être conclu qu’elle a commis une erreur qui a influé sur le choix de Mme Mosseau‑Micock.

[36]           Cela étant dit, l’erreur de la demanderesse n’a pas été sans explication : elle avait été récemment nommée au poste de secrétaire par intérim, elle ignorait apparemment la nécessité de remplir un FEC, et elle travaillait sous pression, car il était difficile de pourvoir les postes administratifs bilingues. En outre, sa participation au processus paraît avoir été beaucoup plus modeste que celle de Mme Chalifoux et de M. Kharé. Cela ne signifie pas qu’elle n’assume aucune responsabilité ou qu’elle n’a pas pris part à un processus vicié.

[37]           Il y a lieu de noter que l’enquêteure n’a tiré aucune conclusion de conduite irrégulière, et qu’aucune mesure corrective n’a été prise à l’égard de Mme Erickson. Il est important de souligner également que les mesures correctives prises en vertu de l’article 66 de la LEFP ne sont pas l’équivalent de mesures disciplinaires. Dans ce contexte, je ne peux voir comment la décision contestée pourrait avoir une incidence préjudiciable à long terme sur la carrière de Mme Erickson au sein de l’ONE et ailleurs dans la fonction publique.

C.                 La demanderesse a-t-elle été traitée équitablement?

[38]           La demanderesse soutient que l’enquête sur le rôle qu’elle a joué a été inéquitable pour un certain nombre de raisons. Premièrement, elle n’a jamais été avisée de la vérification de la nomination de Mme Mosseau‑Micock qui a mené en fin de compte à l’enquête, de sorte qu’elle n’a pas eu la possibilité de se prononcer sur la conclusion tirée à l’issue de la vérification, suivant laquelle « la preuve du mérite n’a pas été faite ». Deuxièmement, elle n’a été avisée de l’enquête que presque 12 mois après son lancement, et elle n’a obtenu aucune information ni aucun conseil sur la manière dont le rôle qu’elle a joué était perçu ou sur l’erreur qui lui était reprochée. Elle n’a pas été informée du fait qu’elle avait été considérée comme étant membre d’un comité d’évaluation, ce qui pose problème étant donné qu’elle ne pouvait pas envisager qu’elle serait jugée responsable de l’évaluation, puisqu’elle n’avait aucun pouvoir délégué à l’égard des décisions de dotation à l’époque.

[39]           Cette observation peut aisément être écartée. Le dossier contient beaucoup d’éléments de preuve indiquant que l’enquêteure a suivi un processus délibéré et transparent et que la demanderesse a obtenu de nombreuses occasions de présenter des observations. Il n’y avait manifestement aucune obligation de faire participer la demanderesse à l’étape de la vérification, et je ne peux comprendre comment le renvoi à une enquête sur ce fondement pourrait « jeter les dés » quant à la manière dont l’enquête se déroulerait.

[40]           Lors de l’entrevue, l’enquêteure a clairement expliqué le processus qu’elle avait l’intention de suivre et les répercussions qui étaient susceptibles d’en découler. Elle a expliqué qu’elle remettrait à toute personne concernée une copie de son rapport factuel pour qu’elle puisse fournir des commentaires ou des observations. Elle a aussi expliqué qu’il pourrait y avoir [traduction] « une conclusion défavorable concernant toute personne ayant pris part au processus ou à l’affaire visée par l’enquête » (dossier de la demanderesse, p. 21). Lorsqu’elle a demandé à la demanderesse si elle avait des questions, Mme Erickson a répondu par la négative. Finalement, Mme Erickson a répondu au rapport d’enquête, expliquant pourquoi elle estimait que celui‑ci ne traduisait pas avec exactitude ses responsabilités ou ses actions relativement à l’évaluation de Mme Mosseau‑Micock.

[41]           Dans ces circonstances, il est clair que Mme Erickson a été traitée de manière équitable et qu’elle a eu l’occasion d’offrir sa version du processus qui a mené à la nomination de Mme Mosseau‑Micock. Le fait que la CFP a accepté le rapport d’enquête en dépit de la réponse de Mme Erickson n’équivaut manifestement pas à une atteinte à la justice naturelle ou à l’équité procédurale.

V.                Conclusion

[42]           Pour tous les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec frais.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec frais.

« Yves de Montigny »

Juge

 

Traduction certifiée conforme.

S. Tasset

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-674-13

 

INTITULÉ :

ANNE-MARIE ERICKSON c LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 SEPTEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Brent Robinson

 

POUR LA DEMANDERESSe

 

Chris Bernier

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Carscallen LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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