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Date : 20140912

 

Dossier : IMM-3173-13

Référence : 2014 CF 871

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 septembre 2014

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

RICARDO BELTRAN GARCIA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire de la décision, rendue le 9 avril 2013, par laquelle un commissaire [le commissaire] de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger en vertu, respectivement, des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]               Le demandeur est un ancien policier et citoyen du Salvador. Il dit qu’il est exposé au risque de la part d’un policier de haut rang, de policiers corrompus, et de gangs associés à ce policier, parce qu’il a refusé de participer à la corruption.

[3]               Le commissaire a rejeté la requête présentée par le demandeur pour que le commissaire récuse au motif d’une crainte raisonnable de partialité. Le commissaire a aussi rejeté la demande d’asile du demandeur en raison du manque de crédibilité, et a donc conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant que le demandeur serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution pour l’un des motifs prévus par la Convention ou que, selon la prépondérance des probabilités, il serait personnellement exposé au risque de torture, de menace à sa vie, ou au risque de peines ou traitements cruels et inusités, si le demandeur devait être renvoyé au Salvador. Le commissaire a conclu que le demandeur a apporté d’importantes modifications à l’exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels [FRP], lorsqu’il a déposé un exposé circonstancié modifié, et qu’il n’a pas fourni d’explication raisonnable pour les omissions dans la version originale.

[4]               Le demandeur ne conteste pas le rejet de la requête en récusation, mais il soutient que le commissaire a commis une erreur de fait et de droit, lorsqu’il a conclu que le demandeur n’avait fourni aucune explication pour les omissions dans la version originale de l’exposé circonstancié de son FRP, et parce qu’il n’a pas pris en compte le témoignage d’un témoin, que le commissaire avait lui-même assigné à comparaître, témoignage qui étayait les explications fournies par le demandeur pour justifier les omissions.

[5]               Le défendeur interprète les allégations du demandeur comme étant des allégations de partialité. Il soutient en outre que le fondement factuel sur lequel le demandeur fonde ses allégations de partialité et conteste le caractère raisonnable de la décision du commissaire est contredit par le dossier certifié du tribunal [DCT].

[6]               En l’espèce, lorsqu’on examine les questions soulevées par les parties, il fut nécessaire de revoir attentivement la décision, l’historique de la procédure de l’affaire, et le DCT, en particulier les transcriptions de l’audience.

[7]               Après avoir procédé ainsi, je suis d’avis que l’observation du demandeur selon laquelle le commissaire a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le demandeur n’avait fourni aucune explication pour justifier les omissions dans la version originale de l’exposé circonstancié de son FRP ‑ alors qu’en fait il a fourni une explication ‑ ne peut pas aboutir. Il ressort de toute évidence de la décision que le commissaire a reconnu que des explications ont été données, mais il n’a pas accepté ces explications. Le commissaire a déclaré de façon répétitive : « [j]e rejette cette explication », et « [l]e demandeur d’asile n’a donné aucune explication raisonnable pour justifier cette omission » (aux paragraphes 31, 36, 38 et 45).

[8]               L’observation du défendeur selon laquelle l’allégation du demandeur est une allégation de partialité peut aussi être rapidement écartée. Ni dans ses observations écrites ni dans sa plaidoirie, le demandeur n’a allégué la partialité. Ses observations étaient indubitablement formulées de façon incisive, et peut-être sévère, lorsqu’il a affirmé que le commissaire a mal exposé la preuve et n’a pas tenu compte du témoignage et des observations [traduction] « dans le but de conclure » que le demandeur n’avait fourni aucune explication pour justifier la différence entre les versions originale et modifiée de l’exposé circonstancié de son FRP. Toutefois, les questions soulevées et débattues n’avaient pas trait à la partialité.

[9]               À cet égard, la question de savoir si le commissaire a commis une erreur lorsqu’il n’a pas pris en compte le témoignage du témoin qu’il a assigné à comparaître est valide et elle est examinée ci-dessous.

Le contexte

[10]           Il n’est pas contesté que dans la version modifiée de l’exposé circonstancié de son FRP, le demandeur a apporté d’importants ajouts à la version originale. Le demandeur est arrivé au Canada le 30 mars 2009 et il a déposé sa demande d’asile le jour même. La version originale de son FRP est datée du 24 avril 2009. L’exposé circonstancié a une longueur de moins de deux pages et compte 14 paragraphes non numérotés. Il a été rédigé grâce à l’aide du Centre pour les réfugiés des Fidèles compagnons de Jésus [FCJ ou le Centre]. La version modifiée de l’exposé circonstancié est datée du 15 juin 2011; elle a une longueur de huit pages et compte cinquante‑neuf (59) paragraphes numérotés. Le commissaire a centré sa décision presque exclusivement sur les omissions, dans la version originale de l’exposé circonstancié du FRP, notamment le fait que le demandeur a été enlevé par Los Zetas au Mexique, et a été obligé à effectuer du travail forcé, alors qu’il se dirigeait vers le Canada; le fait que sa persécution résultait de son refus de faire partie de la corruption du corps policier; le fait que les policiers étaient allés chercher le demandeur aux résidences de sa mère et de sa sœur après qu’il se fut enfui. Comme je l’ai relevé ci‑dessus, le commissaire n’a pas accepté les explications fournies pour ces omissions.

[11]           Dans sa décision, le commissaire a aussi déclaré que :

[39]     En outre, le demandeur d’asile a affirmé que son FRP initial ne lui avait pas été traduit par M. Rico, c’est-à-dire la personne qui a signé la déclaration de l’interprète. Le tribunal a assigné M. Rico à comparaître comme témoin. M. Rico a comparu à la séance du 9 novembre 2012. Le tribunal lui a demandé si la signature figurant dans la déclaration de l’interprète contenue dans le FRP initial du demandeur d’asile était la sienne, et le témoin a répondu par l’affirmative. Le tribunal lui a ensuite demandé s’il avait traduit le FRP initial pour le demandeur d’asile, et le témoin a répondu par l’affirmative.

[40]     La conseil du demandeur d’asile a posé de nombreuses questions au témoin. Jamais la crédibilité du témoin n’a été mise en doute relativement à la question visant à savoir s’il avait bel et bien traduit le FRP initial pour le demandeur d’asile.

[12]           L’audience de la présente affaire s’est déroulée en cinq séances. La deuxième séance a eu lieu le 30 août 2012, et, comme l’affaire n’était pas tranchée, une troisième séance fut prévue. Pendant cette séance, qui s’est tenue le 14 septembre 2012, le commissaire a examiné l’exposé circonstancié modifié. Lorsqu’on l’a interrogé afin de savoir pourquoi les paragraphes 13, 14 et 15 ne faisaient pas partie de l’exposé circonstancié original, le demandeur a répondu :

[traduction]

DEMANDEUR : Bien. La personne qui m’a aidé à remplir le Formulaire de renseignements personnels s’est concentrée sur des aspects généraux et lorsque j’ai relaté mon récit, elle a seulement écrit les aspects qu’elle estimait les plus importants.

COMMISSAIRE : Monsieur, au début de l’audience vous étiez sûr que l’exposé circonstancié original vous avait été relu. Alors, si vous avez remarqué que certains faits manquaient, pourquoi ne l’avez-vous pas mentionné lorsqu’on vous l’a relu?

DEMANDEUR : J’en ai fait mention, ils se sont néanmoins concentrés sur le décès de ma sœur et la corruption au sein du corps policier, ils y faisaient référence comme quelque chose de général et non pas quelque chose de détaillé.

(DCT, à la page 985)

[13]           Le commissaire s’est ensuite livré à une comparaison paragraphe par paragraphe de la version originale et de la version modifiée de l’exposé circonstancié; chaque fois, il demandait pourquoi l’ajout ne faisait pas partie de la version originale :

[traduction]

COMMISSAIRE : […] Paragraphe 17 […].

[…]

COMMISSAIRE : Monsieur, pourquoi cela ne figure-t-il pas dans votre exposé circonstancié original?

DEMANDEUR : Je ne sais pas, je ne sais pas, je ne sais vraiment pas pourquoi il n’y figure pas.

COMMISSAIRE : Bien. Allons au paragraphe 19. […] Monsieur, pourquoi cela ne figure-t-il pas dans votre exposé circonstancié original?

DEMANDEUR : À vrai dire, je ne comprends pas alors que j’ai relaté toute mon affaire. Le récit a été rédigé pour mon compte de cette façon-là, et je pensais qu’ils faisaient référence au décès de ma sœur et à la corruption au sein du corps policier, je pensais qu’ils l’avaient rédigé ainsi parce que c’est ce qui était important, parce que dans le deuxième, je pourrais exposer chaque élément en détail.

COMMISSAIRE : Monsieur, paragraphe 24. […] Pourquoi cela ne figure-t-il pas dans votre exposé circonstancié original?

DEMANDEUR : Je ne sais vraiment pas pourquoi cela n’y figure pas.

(DCT, aux pages 985 et 986)

[…]

COMMISSAIRE : Bien. Allons aux paragraphes 27 et 28, Monsieur […]

[…]

COMMISSAIRE : Monsieur, pourquoi cela ne figure-t-il pas dans votre exposé circonstancié original?

DEMANDEUR : Je ne sais vraiment pas. J’insiste sur le fait que dans le Formulaire de renseignements personnels, ils se sont concentrés sur le décès de ma sœur et la corruption au sein du corps policier.

(DCT, à la page 988)

[…]

COMMISSAIRE : Maintenant, allons au paragraphe 32, monsieur. […] Pourquoi cela ne figure-t-il pas dans votre exposé circonstancié original?

DEMANDEUR : Je ne sais pas pourquoi cela n’y figure pas.

(DCT, à la page 990)

[14]           Après une suspension d’audience, la conseil du demandeur a présenté une requête en partialité et demandé que le commissaire se récuse. Elle a soutenu que le commissaire a fait preuve de fermeture d’esprit, et que l’audience consistait en un exercice visant à établir que le demandeur n’était pas crédible, au lieu de consister en un effort visant à comprendre le récit de celui-ci et à établir la vérité. Elle a donné comme exemple le fait que le commissaire a affirmé qu’il y avait des témoignages contradictoires alors que tel n’était pas le cas, et a soutenu que l’approche du commissaire servait à briser le demandeur qui était arrivé à la SPR avec une blessure à la tête. Le commissaire a rejeté la requête. Il a repris l’interrogatoire paragraphe par paragraphe, il demandait pourquoi les divers éléments ne faisaient pas partie de l’exposé circonstancié original du FRP, et il a obtenu plusieurs autres [traduction] « je ne sais pas » du demandeur, en guise de réponse.

[15]           En réponse à la question du commissaire portant sur la raison pour laquelle l’information relative à la voiture de police stationnée à l’extérieur de la maison de sa mère ne figurait pas dans l’exposé circonstancié original du FRP, le demandeur a déclaré :

[traduction]

DEMANDEUR : Je ne sais pas.

Lorsqu’ils remplissaient le Formulaire de renseignements personnels pour moi, j’ai raconté toute l’histoire et peu importait, les mots, la phrase que la personne qui remplissait le Formulaire de renseignements personnels pour moi m’a dite était que tout ce que j’avais à prouver était le décès de ma sœur et la corruption au sein du corps policier.

J’avais auparavant rédigé mon Formulaire de renseignements personnels en espagnol. J’avais beaucoup de pages, mais la personne qui m’a rendu service et a rempli le formulaire m’a dit qu’elle avait compris ce que je voulais prouver au gouvernement du Canada. Alors, je ne comprends pas pourquoi il y a autant de points sur lesquels M. le juge m’interroge; c’est ma seule explication quant à la raison pour laquelle cela ne figure pas dans l’exposé circonstancié original.

COMMISSAIRE : Encore une fois, monsieur, vous avez confirmé que le Formulaire de renseignements personnels vous a été traduit. Lorsque vous avez découvert que ces éléments manquaient dans votre exposé circonstancié, monsieur, pourquoi ne l’avez-vous pas relevé à ce moment-là?

DEMANDEUR : Je l’ai relevé, parce que j’avais mon Formulaire de renseignements personnels par écrit, mais la personne qui avait de l’expérience en la matière m’a dit qu’elle avait relevé ce qu’elle pensait être important, à savoir, le décès de ma sœur et la corruption au sein du corps policier et a omis ceci. Vu que je ne connaissais pas le système, parce que j’étais arrivé récemment au Canada, j’ai fait confiance à la façon dont la personne qui était avec moi a apprécié les éléments, j’en ai déduit qu’avec son expérience et le nombre d’années qu’elle avait passées ici, elle savait ce qu’elle devait réellement écrire dans mon cas.

(DCT, à la page 1000)

[16]           Le commissaire a demandé qui était cette personne qui avait aidé le demandeur à rédiger l’exposé circonstancié original de son FRP. Le demandeur a répondu que ce fut fait dans un Centre communautaire. Le commissaire a alors demandé s’il s’agissait de M. Giovanni Rico, et :

[traduction]

COMMISSAIRE : Donc, si je voulais l’assigner à comparaître, il confirmerait le fait que vous lui avez donné beaucoup plus de renseignements que ce qu’il a écrit dans votre Formulaire de renseignements personnels original?

DEMANDEUR : Je ne serais pas en mesure de savoir quelle réponse il donnerait à M. le juge.

(DCT, à la page 1001)

[17]           Le commissaire est ensuite passé aux paragraphes 52, 53 et 54 de la version modifiée de l’exposé circonstancié, il a interrogé le demandeur afin de savoir la raison pour laquelle il n’avait pas fait mention dans la version originale de l’exposé circonstancié de son FRP du fait qu’il avait été enlevé par Los Zetas, alors qu’il voyageait au Mexique, et qu’il avait été détenu dans un camp de travail forcé. Encore une fois, le commissaire a écarté la réponse « [j]e ne sais pas ».

[18]           À ce moment-là, le demandeur a demandé s’il pouvait faire un commentaire et il a, encore une fois, essayé d’expliquer qu’il avait rempli l’exposé circonstancié original du FRP de la manière dont il avait été avisé :

[traduction]

DEMANDEUR : Lorsque je, je vais insister sur quelque chose. J’ai écrit l’ensemble de mon exposé circonstancié sur la foi de mon expérience depuis que je suis entré dans la police jusqu’à mon arrivée ici, sans aucune omission. Cependant, les personnes qui m’ont rendu service m’ont clairement dit que je devais prouver le danger auquel j’étais exposé dans mon pays d’origine et lorsque M. le juge me demande pourquoi cela ne figure pas dans l’exposé circonstancié original pour toutes les questions qu’il m’a posées relativement à la version originale de mon exposé circonstancié, ma réponse serait que je pense que la personne à ce moment‑là n’a pas estimé que ces éléments étaient importants. […]

[…]

Je n’ai rien de plus à dire à M. le juge, sauf le fait que mon exposé circonstancié original est mon explication de la raison pour laquelle ils n’ont pas pris en compte tous ces éléments si ces éléments étaient importants.

(DCT, aux pages 1001 et 1002)

[19]           Le commissaire a ensuite demandé le nom du Centre communautaire et celui de la personne qui a aidé le demandeur. Après une certaine confusion, il a été établi que, bien que ce soit M. Giovanni Rico qui avait signé la déclaration de l’interprète dans l’exposé circonstancié original du FRP, il y avait en fait deux messieurs Rico au Centre, un père et son fils. Il ressort du témoignage du demandeur qu’il ne pensait pas que c’était le fils de M. Rico qui l’avait aidé à remplir l’exposé circonstancié de son FRP :

[traduction]

COMMISSAIRE : Monsieur, vous avez expliqué que toutes ces omissions dans l’exposé circonstancié original étaient dues au fait que vous avez fait confiance à la personne qui vous a aidé à remplir le Formulaire de renseignements personnels, parce qu’elle avait plus d’expérience que vous en la matière : est-ce exact?

DEMANDEUR : C’est exact.

COMMISSAIRE : Était-ce M. Rico en qui vous aviez confiance?

DEMANDEUR : C’est là que je suis allé pour obtenir de l’aide, mais la personne qui m’a aidé à remplir le Formulaire de renseignements personnels, je ne crois pas que c’était lui. Cependant, c’est à cet endroit qu’ils m’ont aidé.

(DCT, à la page 1003)

[20]           Le demandeur a continué à essayer d’expliquer pourquoi ce n’était pas M. Rico qui avait personnellement traduit l’exposé circonstancié du FRP pour lui, mais une autre personne qui y travaillait. Le commissaire a répondu :

[traduction]

COMMISSAIRE : Cependant, monsieur, nous parlons encore de la traduction du document. Selon la déclaration que vous avez faite dans votre Formulaire de renseignements personnels original, c’est M. Giovanni Rico qui a traduit le Formulaire de renseignements pour vous de l’anglais vers l’espagnol. Est-ce exact ou non, monsieur?

DEMANDEUR : Il l’a fait pour moi de l’espagnol vers l’anglais.

COMMISSAIRE : Bien non, c’était de l’anglais vers l’espagnol parce que vous parlez espagnol, monsieur.

DEMANDEUR : Ce qu’il y a c’est que quelqu’un y rédige l’exposé circonstancié […]

COMMISSAIRE : Bien monsieur, excusez‑moi, je dois vous arrêter ici.

D’accord, il y a une déclaration dans votre exposé circonstancié original et si vous ne connaissez pas la réponse à cette question, s’il vous plaît dites-le. Selon cette déclaration, c’est Giovanni Rico qui vous a traduit le Formulaire de renseignements personnels de l’anglais vers l’espagnol. Je veux savoir si c’est exact ou non; à savoir, si le document vous a été traduit par M. Giovanni Rico de l’anglais vers l’espagnol.

DEMANDEUR : La réponse est non.

COMMISSAIRE : Bien monsieur, je vais assigner M. Rico, à titre de témoin afin de déterminer si vos allégations sont exactes ou non.

DEMANDEUR : D’accord.

(DCT, à la page 1004)

[21]           Le commissaire a suspendu l’audience jusqu’au 9 novembre 2012. Le 2 novembre 2012, il a émis une assignation à comparaître selon laquelle M. Rico devait [traduction] « donner un témoignage important quant à la demande, en particulier en ce qui a trait à la traduction du Formulaire de renseignements personnels » (DCT, à la page 217).

[22]           Le 9 novembre 2012, la séance suivante de l’audience a repris. À ce moment-là, le commissaire a confirmé qu’il avait reçu les documents médicaux datés du 6 novembre  2012. Ces documents confirmaient la lésion professionnelle du demandeur et ses maux de tête persistants. La conseil du demandeur a, encore une fois, demandé que le commissaire se récuse pour cause de partialité, elle alléguait que le commissaire était intervenu dans le débat. Le commissaire a rejeté la requête.

[23]           Pendant cette discussion, le commissaire a traité de la raison pour laquelle il avait assigné M. Rico à comparaître, un processus que la conseil du demandeur a estimé sortir de l’ordinaire :

[traduction]

COMMISSAIRE : La raison pour laquelle j’ai assigné le témoin à comparaître est que lors de la dernière séance, selon le témoignage du demandeur, la personne qui avait signé la déclaration de l’interprète dans le Formulaire de renseignements personnels, un M. Giovanni Rico, n’était pas la personne qui avait réellement traduit le Formulaire de renseignements personnels pour lui. Par conséquent, je voulais régler la question de savoir si M. Rico avait réellement traduit le Formulaire de renseignements personnels pour le demandeur ou non.

[24]           Le commissaire a demandé au témoin où il travaillait, soit le Centre pour les réfugiés FCJ, « FCJ » est le sigle pour les Fidèles compagnons de Jésus, et quel était son rôle dans ce Centre; soit, actuellement, le soutien et la coordination des bénévoles. Ensuite, le commissaire a fait prêter serment au témoin et lui a posé trois questions :

[traduction]

COMMISSAIRE : Alors, j’ai aussi la pièce C-1 qui est le Formulaire de renseignements personnels du demandeur en l’espèce, et qui contient une déclaration de l’interprète.

Conseil pouvez-vous […] OK.

Maintenant, est-ce votre signature ici, monsieur?

TÉMOIN : Oui c’est la mienne.

COMMISSAIRE : Et c’est bien votre nom au-dessus ici, monsieur?

TÉMOIN : Oui c’est le mien.

COMMISSAIRE : Selon cette déclaration ici, vous avez fidèlement interprété l’ensemble du contenu de ce formulaire à […] de l’anglais vers l’espagnol. L’avez-vous fait pour ce demandeur, monsieur?

TÉMOIN : Oui je l’ai fait.

COMMISSAIRE : Je vous remercie, je n’ai plus de questions à vous poser. Conseil?

(DCT, à la page 1015)

[25]           La conseil du demandeur a ensuite interrogé le témoin. M. Rico a expliqué que le Centre pour les réfugiés FCJ est une organisation non gouvernementale qui aide à l’installation et à la protection des réfugiés et des personnes sans statut juridique au Canada. Il a commencé à faire du bénévolat au Centre lorsqu’il était très jeune, vers l’âge de 10 ans, et maintenant il en a 30. En 2009, il était travailleur juridique communautaire bénévole et aidait les clients à remplir les formulaires, les informait sur le processus, et les aidait à naviguer dans le système. Lorsque le poste de soutien et de coordonnateur des bénévoles a obtenu du financement, il a présenté sa candidature et a été nommé. Il avait la tâche de former les bénévoles sur la façon de remplir les formulaires juridiques, et, bien qu’il possédait un baccalauréat de l’université York, il n’avait pas de compétence formelle en droit ou en traduction.

[26]           En ce qui concerne le fait de remplir les Formulaires de renseignements personnels :

[traduction]

CONSEIL : Et en 2009, lorsque le Formulaire de renseignements personnels était rédigé, étiez-vous la seule personne qui aidait les personnes à remplir les Formulaires de renseignements personnels?

TÉMOIN : Non. La majorité de notre travail est fait grâce aux bénévoles. Je suis donc la personne qui signe les formulaires, parce que, une fois que tout est fait, je suis celui qui les explique aux client. Cependant, beaucoup, parce que nous voyons souvent beaucoup de cas, nous avions des bénévoles qui traduisaient les documents pour le client; je faisais simplement la supervision du produit final afin de m’assurer que le client comprenait tout ce qui était dans le formulaire.

COMMISSAIRE : Ainsi, je m’excuse; je suis quelque peu confus. Y avait‑il d’autres personnes qui aidaient aussi?

TÉMOIN : Nous avons, nous travaillons avec des bénévoles, alors il y a une forte demande, ainsi je m’assure simplement que le produit final, si je ne travaille pas directement avec le client, est […] est ce que le client comprend et je m’assure que tout ce qui y est reflète ce que le client a dit.

CONSEIL : Lorsque vous avez dit que des bénévoles aidaient à la traduction des documents, quels documents traduisaient-ils?

TÉMOIN : Ils traduisaient l’exposé circonstancié. À l’époque, nous recevions environ vingt exposés circonstanciés par semaine, ainsi cela […] c’était très difficile pour moi de rédiger tous les vingt […] de traduire tous les vingt exposés circonstanciés. Alors, ils avaient des bénévoles qui venaient et que j’avais évalué qui pouvaient parler à la fois anglais et espagnol, et alors ils traduisaient les exposés circonstanciés. Ensuite, je m’asseyais avec le client et je lui lisais ce qui avait été traduit.

CONSEIL : Alors, on demandait aux clients d’apporter leur propre exposé circonstancié dans leur […] en espagnol?

TÉMOIN : Oui, on donne au client un formulaire qui […] dans le cas d’un client qui parle espagnol on lui donne un Formulaire de renseignements personnels traduit en espagnol. Il le remplit et nous le retraduisons en anglais, et ensuite l’exposé circonstancié étant donné qu’il doit écrire dans sa langue maternelle, nous le retraduisons pour lui.

(DCT, aux pages 1017 et 1018)

[…]

TÉMOIN : Bien. Notre objectif est de nous assurer que premièrement le client remplisse les formulaires à temps. Donc, vous savez, si le client arrive avec un exposé circonstancié très détaillé et trop long, alors nous lui demandons de […] de le raccourcir, parce que nous ne serons pas en mesure de le traduire. Et si l’exposé circonstancié est trop court, nous lui demandons simplement d’être, vous savez, je leur demande si c’est tout ce qu’ils veulent inclure, et je leur explique que c’est ce qui constituera le fondement de leur demande.

CONSEIL : Y a-t-il des lignes directrices en ce qui a trait à la longueur adéquate d’un exposé circonstancié ou ce que vous pouvez réellement traduire?

TÉMOIN : Uniquement dans les cas de […] Comme nous ne pouvons pas vraiment leur dire ce qu’ils doivent écrire parce que chaque cas est différent. Alors, nous n’avons aucun moyen de savoir, vous savez, comme vous le savez que chaque cas correspond à deux pages. Nous essayons juste, vous savez, de les guider vous savez évidemment que vous ne pouvez pas dire pourquoi vous avez peur de retourner dans votre pays en seulement un paragraphe. Et si vous m’apportez 20 pages, je n’ai simplement pas la capacité de les traduire.

La majorité des cas que nous voyons sont des cas de dernière minute, parce que c’est après qu’on leur a refusé l’aide juridique et ce genre de scénario, alors y a aussi des contraintes de temps dans la façon dont nous remplissons les formulaires.

CONSEIL : Et quelle est la conséquence de ces contraintes de temps?

TÉMOIN : Bien, la conséquence dépend du moment où le client arrive. Si c’est deux jours avant la date d’échéance de l’envoi du Formulaire de renseignements personnels, alors vous savez cela affecte le temps que nous pouvons consacrer à faire la traduction et à travailler avec le client. Alors, le client a deux jours avant la date d’échéance de son Formulaire de renseignements personnels et il arrive avec un exposé circonstancié de 10 pages, parfois nous devons lui dire qu’il pourrait le résumer et y ajouter des modifications plus tard.

CONSEIL : Excusez-moi, résumer et?

TÉMOIN : Y ajouter des modifications plus tard, parce que nous savons à quel point la Commission de l’immigration et du statut de réfugié peut être stricte en ce qui a trait à la présentation des Formulaires de renseignements personnels à temps.

(DCT, aux pages 1019 et 1020)

[…]

CONSEIL : Vous avez mentionné quelque chose avant à propos de dire aux clients que […] que des modifications peuvent être faites. Quel est votre […] que dites-vous aux clients relativement à leur possibilité d’apporter des modifications à leur Formulaire de renseignements personnels?

TÉMOIN : Bien que s’ils retiennent les services d’un avocat, l’avocat pourrait réviser le […] l’exposé circonstancié avec eux et voir s’il y a quoi que ce soit à changer. Nous savons aussi qu’au début les clients peuvent avoir des problèmes à se souvenir ou vous savez, ils sont stressés par l’ensemble du processus qui consiste à tout rassembler à temps, que parfois certains détails peuvent être oubliés, parfois en raison soit de leurs oublis soit de l’urgence de devoir l’envoyer à temps. Alors, nous leur avons expliqué que si, vous savez, s’ils croient […] premièrement, nous leur demandons si tout ce qu’ils ont écrit est ce qu’ils veulent qui soit écrit, mais aussi nous les rassurons sur le fait qu’ils peuvent peut-être y apporter des modifications, le cas échéant, ils (inaudible) quelque chose différemment lorsqu’ils le revoient après un certain temps.

(DCT, à la page 1021)

[27]           Lorsque la conseil lui a demandé s’il connaissait quelque décision que ce soit de la Cour fédérale portant sur les modifications au Formulaire de renseignements personnels, il a dit qu’il n’en connaissait pas. Il a aussi confirmé qu’il ne se souvenait pas du demandeur, qu’il n’y avait pas de données quant à savoir si quelqu’un d’autre au Centre l’avait aidé ou non, et que le Centre ne gardait pas de dossier ou ébauche ou d’autres documents apportés par les clients.

[28]           La conseil a ensuite interrogé le demandeur relativement à ses problèmes de santé et à la façon dont l’exposé circonstancié de son FRP avait été rédigé. Il a confirmé qu’il avait pris un rendez-vous avec le Centre, et que l’exposé circonstancié original de son FRP a été rédigé quatre jours avant la date d’échéance du dépôt.

[29]           Lorsqu’on l’a interrogé afin de savoir ce qu’il voulait dire dans son témoignage quand il a dit que M. Rico avait traduit l’exposé circonstancié original de son FRP de l’espagnol vers l’anglais, et non pas de l’anglais vers l’espagnol, le demandeur a déclaré :

[traduction]

DEMANDEUR : Lorsqu’ils vous aident à rédiger l’exposé circonstancié, à ce moment-là, vous vous asseyez juste à côté de la personne qui vous aide et elle vous guide sur les aspects qui, à son avis, seraient utiles dans votre cas. Ils prendraient donc de vous les aspects qu’ils croient être importants, et ensuite ils rédigent en anglais à l’ordinateur. Je n’ai donc jamais reçu de documents en espagnol, ils ont seulement pris ce qu’ils voulaient […] de mon exposé circonstancié, ce qu’ils croyaient, qui était important.

CONSEIL : Alors, ma question est que vous avez dit qu’ils le traduisaient de l’espagnol vers l’anglais, ce que vous expliquez c’est qu’ils l’ont fait à l’ordinateur. Maintenant, pourquoi avez-vous dit qu’ils ne l’ont pas retraduit de l’anglais vers l’espagnol?

DEMANDEUR : Bien, parce que selon ce que j’ai compris, s’ils m’avaient donné la traduction de l’anglais vers l’espagnol, alors l’espagnol aurait reflété ce que j’avais ou ce qu’ils avaient relevé du récit que je leur avais donné en espagnol, et qu’ils l’avaient écrit en anglais.

(DCT, à la page 1026)

[30]           Le demandeur a déclaré qu’une approche section par section a été entreprise pour la rédaction et la traduction de l’exposé circonstancié du FRP et a confirmé qu’il croyait qu’il avait compris le contenu lorsqu’il a signé.

[31]           La conseil a ensuite interrogé le demandeur sur son récit. Il ne restait plus de temps, et une dernière séance a été prévue pour le 29 novembre 2012. Le 29 novembre  2012, la cinquième et dernière séance d’audience s’est déroulée, et au cours de celle-ci, la conseil a terminé l’interrogatoire du demandeur relativement à son récit.

Analyse

[32]           Après que j’eus examiné les transcriptions, il m’apparaît évident que le commissaire n’a pas seulement apprécié le témoignage donné par le demandeur – il a indubitablement le droit de le faire – mais dans certains cas, il interprétait mal le témoignage, et ensuite il contestait le demandeur, sur la foi de cette mauvaise interprétation et la contradiction prétendue.

[33]           En ce qui concerne la question relative à l’explication fournie par le demandeur pour les omissions, le commissaire n’était pas tenu d’accepter l’explication du demandeur portant sur les modifications apportées à l’exposé circonstancié de son FRP (Houshan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 650, au paragraphe 19; Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 668, au paragraphe 18). En outre, comme il ressort des paragraphes 65 et 66 de la décision Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, le commissaire est en droit de tirer des inférences défavorables au sujet de la crédibilité d’un demandeur sur la foi des omissions qui ne sont pas expliquées de manière raisonnable :

Il est bien établi qu’un tribunal peut tirer des inférences défavorables au sujet de la crédibilité d’un demandeur quand des incidents pertinents et importants, non inclus dans le FRP, sont mis au jour à un stade ultérieur de la demande et qu’il n’est pas expliqué de manière raisonnable pourquoi ils ont été omis antérieurement (voir Adewoyin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 905, [2004] ACF no 1112, au paragraphe 18, Santillan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1297, [2011] ACF no 1586, au paragraphe 29, et Guzun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1324, [2011] ACF no 1615, au paragraphe 18).

[34]           En l’espèce, il ressort clairement des transcriptions de l’audience que le demandeur a donné la même explication, à maintes reprises, pour établir la raison pour laquelle les deux exposés circonstanciés étaient différents. Le défendeur soutient que le demandeur a admis qu’il a répondu « je ne sais pas », à de nombreuses occasions; il est aussi vrai que le demandeur l’a fait. Toutefois, lorsqu’on l’examine dans le contexte des transcriptions et de l’ensemble de la preuve, cela ne reflète pas véritablement ce qui en est ressorti, ni l’explication donnée par le demandeur.

[35]           Selon le témoignage du demandeur, il avait rédigé un exposé circonstancié précis de son FRP en espagnol. Toutefois, il a été orienté par les conseils du Centre qui l’a aidé. La personne qui l’a aidé s’est concentrée sur certains aspects de sa demande, et n’a pas traduit l’ensemble de l’exposé circonstancié de son FRP rédigé en espagnol. Une version générale et non détaillée des événements a été produite. Il ressort aussi du témoignage du demandeur qu’on lui a dit qu’il pouvait modifier l’exposé circonstancié de son FRP plus tard, le cas échéant. Après avoir donné cette explication, et avoir été exposé à l’interrogatoire répétitif du commissaire quant à la raison pour laquelle des détails contenus dans la version modifiée de l’exposé circonstancié de son FRP avaient été omis dans l’exposé circonstancié original de son FRP, le demandeur ne pouvait que répondre – comme il l’a fait – qu’il ne savait pas.

[36]           Le commissaire n’avait pas l’obligation d’accepter l’explication du demandeur selon laquelle c’est à la suite des conseils donnés par le Centre qu’il y a eu des omissions dans l’exposé circonstancié original de son FRP. Toutefois, de son propre chef, le commissaire a assigné à comparaître un témoin du Centre, M. Rico, dont le témoignage étayait les explications fournies par le demandeur pour justifier les omissions. En particulier, son témoignage étayait les allégations du demandeur selon lesquelles ce n’était pas nécessairement M. Rico qui l’avait aidé à traduire son FRP de l’espagnol vers l’anglais (bien qu’il en ait supervisé le résultat); que les demandeurs apportaient les FRP qu’ils avaient rédigés dans leur langue maternelle au Centre; que le Centre n’avait pas la capacité de traduire de très longs FRP, et que le Centre avisait ses clients de les raccourcir ou de les résumer, le cas échéant, et que les clients pouvaient y apporter des modifications plus tard. M. Rico a aussi fait remarquer qu’il n’avait pas de connaissances de la jurisprudence relative aux modifications apportées aux FRP.

[37]           Le défendeur soutient qu’un examen de la décision révèle que le témoignage du témoin ne corrobore pas le fond de la demande d’asile du demandeur. Cela n’est par étonnant, étant donné que ni le commissaire ni la conseil du demandeur n’ont demandé au témoin de corroborer le récit de persécution et celui-ci n’était pas en mesure de le faire.

[38]           Le défendeur soutient aussi que, comme il ressort de la décision, le commissaire « […] avait assigné le témoin à comparaître uniquement pour vérifier s’il avait traduit le FRP de l’anglais à l’espagnol pour le demandeur d’asile ». Par conséquent, le fait que le témoin a corroboré l’explication du demandeur justifiant les modifications apportées au FRP ne nécessite pas que le commissaire accepte cette corroboration.

[39]           Premièrement, j’aimerais relever qu’il ressort clairement des transcriptions que le demandeur essayait de faire comprendre au commissaire que son FRP avait été traduit de l’espagnol vers l’anglais, et que des personnes au Centre, autres que M. Rico, l’avaient aidé à cet égard. Lorsque le commissaire l’a interrompu et lui a demandé de répondre à la question de savoir s’il était vrai ou faux que M. Rico avait traduit le document de l’anglais vers l’espagnol, le demandeur a répondu que ce n’était pas le cas. Au contraire, la question que le commissaire a posée à M. Rico était de savoir s’il avait adéquatement interprété l’ensemble du contenu du formulaire, de l’anglais vers l’espagnol, pour le compte du demandeur, et il a confirmé qu’il l’avait fait. Lorsque la conseil du demandeur l’a interrogé ultérieurement, il a aussi confirmé cette déclaration. Selon moi, l’interrogatoire succinct du témoin par le commissaire n’apportait pas d’éclaircissement quant à savoir si le témoin contredisait le demandeur. La question en litige semble avoir été de savoir si c’était M. Rico qui avait traduit le FRP de l’espagnol vers l’anglais et si cette traduction incluait l’ensemble du contenu du FRP en espagnol; et non pas, comme le demandeur l’a confirmé par la suite, si M. Rico n’avait pas interprété en espagnol le FRP rempli en anglais.

[40]           J’aimerais aussi relever que le commissaire a déclaré que la raison pour laquelle il a assigné le témoin à comparaître est que, selon le témoignage du demandeur, la personne qui avait signé la déclaration de l’interprète dans le FRP, M. Rico, n’était pas la personne qui lui avait en réalité traduit le FRP, et ainsi il voulait trancher cette question. Bien que le commissaire ne soit pas allé de l’avant à ce sujet avec le témoin, lorsqu’il a été interrogé par la conseil du demandeur, le témoin a confirmé que c’était souvent des bénévoles qui aidaient à la traduction en première ligne. C’est exactement le renseignement que le demandeur avait essayé d’expliquer dans son témoignage et cela corroborait son témoignage à cet égard.

[41]           En fait, le commissaire a demandé au demandeur : [traduction] « si je voulais l’assigner [M. Rico] à comparaître en tant que témoin, il confirmerait le fait que vous lui avez donné beaucoup plus de renseignements que ce qu’il a écrit dans votre Formulaire de renseignements personnels original? » Quand il a assigné le témoin à comparaître, le commissaire ne lui a pas posé cette question. Toutefois, selon le témoignage de M. Rico quand il a été interrogé par la conseil du demandeur, les demandeurs apportaient leurs propres FRP détaillés qui étaient traduits et pouvaient être résumés, lorsqu’ils étaient trop longs, en particulier quand la traduction devait être faite dans un très court laps de temps, avant la date d’échéance du dépôt de la demande.

[42]           Selon moi, le commissaire aurait dû apprécier le témoignage du témoin qui corroborait l’explication fournie par le demandeur pour justifier les omissions dans l’exposé circonstancié original du FRP. Il s’agissait d’un témoignage important parce que le commissaire a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, au motif qu’aucune explication raisonnable n’a été donnée pour justifier les omissions. Le commissaire a accepté le témoignage de M. Rico relativement à l’interprétation du FRP pourtant, lorsqu’il a entendu le témoignage qui corroborait l’explication du demandeur, le commissaire n’y a pas fait référence et n’a donné aucune indication quant au fait que, soit il n’acceptait pas le témoignage du témoin sur ces points, soit s’il ne l’acceptait pas, quel était le fondement de sa conclusion à ce sujet. À mon avis, il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle. « [P]lus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments dont il [disposait]” » (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35, au paragraphe 17); Ultima c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 81, aux paragraphes 17 et 35).

[43]           En l’espèce, le commissaire n’a pas apprécié l’explication donnée pour justifier les omissions dans l’exposé circonstancié original du FRP, vu le témoignage corroborant donné par le témoin qu’il a lui-même assigné à comparaître. Le commissaire avait pour rôle d’apprécier les explications fournies par le demandeur pour justifier les modifications faites. Comme le commissaire ne l’a pas fait, je conclus que la manière dont il a traité ce témoignage et la conclusion qui en est résultée ‑ selon laquelle aucune explication raisonnable justifiant les omissions n’a été donnée ‑ et l’appréciation subséquente de la crédibilité du demandeur étaient déraisonnables (Okoli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 332, aux paragraphes 23, 27 et 28, 33).

Les dépens

[44]           En ce qui a trait aux dépens, le demandeur soutient que, conformément à l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, la Cour devrait, en raison de l’existence de raisons spéciales, lui adjuger des dépens. En particulier, le demandeur soutient qu’on devrait lui octroyer des dépens, au motif qu’un fonctionnaire de l’immigration s’est livré à un comportement trompeur ou abusif ou que le ministre s’est opposé de façon déraisonnable à une demande de contrôle judiciaire méritoire, les deux éléments étant traités au paragraphe 7 de l’arrêt Ndungu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 208. De plus, plutôt que de régler ces questions, le défendeur s’est penché sur d’autres questions et s’est livré à des attaques personnelles contre le demandeur et sa conseil.

[45]           Il est inutile de dire que le défendeur n’est pas d’accord. Il soutient que le libellé des observations du demandeur, qui font partie du dossier public, remet en cause l’intégrité du commissaire et du système d’immigration. Il soutient en outre que tant le commissaire que la conseil faisaient simplement leur travail et que, quoi qu’il en soit, il y avait suffisamment d’incohérences dans le témoignage pour justifier à la fois l’approche du commissaire et l’opposition au contrôle judiciaire.

[46]           Je ne perçois pas les actes de l’une ou l’autre des parties comme des attaques personnelles contre la partie adverse ni comme un comportement qui équivaut à des « raisons spéciales » justifiant que des dépens soient adjugés au demandeur.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que : 

1.      La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l’affaire renvoyée à la Commission afin qu’un commissaire différent l’examine à nouveau;

2.      La demande présentée par le demandeur afin que des dépens lui soient adjugés est rejetée et aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens;

3.      Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-3173-13

 

INTITULÉ :

RICARDO BELTRAN GARCIA

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 septembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS

et du jugement :

Le 12 septembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Leigh Salsberg

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brad Bechard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leigh Salsberg

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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